
« Je vous ai donné mon cœur et je vous promets qu’il ne sera point partagé » … Ce n’est pas à une femme que le roi Louis XIII fait cet aveu en 1639, mais à un tout jeune homme : Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars, entré à son service trois ans auparavant. Cinq Mars était jeune ( 19 ans), le roi lui avait 38 ans. Il est pourtant déjà usé par la vie, malade, au seuil de la mort, et voilà que son cœur se remet à battre très fort !

Armand du Plessis de Richelieu dirige alors d’une main de fer le destin de la France depuis quinze ans. Le premier ministre est connu pour son goût de l’intrigue et de l’espionnage. Il est dangereux de l’avoir pour ennemi. Pour l’heure, son principal adversaire à un visage charmant : celui de la blonde et altière Marie de Hautefort, dame d’atours d’Anne d’Autriche et également favorite du moment de Louis XIII.
Bien que l’amour qu’il lui porte soit platonique, le roi l’admire et l’écoute. Richelieu craint cette femme, trop proche à son goût de la reine et du parti espagnol. Afin de la contrer, il fait entrer à la Cour un de ses protégés, fils d’un vieil ami décédé, le beau marquis de Cinq-Mars, dont il espère bien que le roi va s’éprendre. Hélas, les mois passent sans que Louis XIII ne remarque le garçon. Richelieu décide alors de passer à la vitesse supérieure : il obtient de son protégé le poste convoité de Grand Maître de la garde-robe du roi. Cette fonction fait entrer le marquis dans le cercle des plus intimes serviteurs de sa Majesté.
Cinq-Mars, étonnamment, mettra du temps à conquérir Louis XIII. C’est une année après qu’il lui a été présenté, que le roi manifeste, en public, son intérêt pour le jeune éphèbe. Le jeune homme est le premier surpris de la soudaineté du sentiment qu’il inspire. Il en mesure bientôt l’intensité : à 20 ans à peine, après avoir été élevé au rang de Premier Écuyer, le petit marquis devient Monsieur le Grand, soit Grand Écuyer de France, un des titres les plus prestigieux du royaume. Louis XIII cède à tous ses caprices, le comble d’écus, d’honneurs, de bienfaits et lui offre même le comté de Dammartin.
Au début le favori, flatté, se prend au jeu. Il savoure de voir tout le monde se traîner à ses pieds. Il se montre aimable avec le roi, l’écoute, s’attendrit, recueille ses confidences et en un mois, obtient la disgrâce de Marie de Hautefort … Très vite pourtant il étouffe. Louis XIII exige une présence permanente, le sermonne sur sa frivolité, sur sa nature dépensière. Alors le jeune homme renoue avec sa vie d’avant. Le soir quand le roi est couché, il rejoint ses amis libertins et ses maîtresses parmi lesquelles la belle Marion Delorme.

Jaloux et meurtri, le roi fait des scènes dignes d’un mari trompé. Faut-il y voir les signes d’une relation sexuelle entre eux ? Les témoignages des contemporains le laissent penser. Mais Louis XIII est profondément croyant et chaste. Ses tendances homosexuelles sont indéniables et il a eu de nombreux favoris par le passé. Aurait-il céder à cet amour là ? En réalité le mystère reste entier. Fâcheries, bouderies, réconciliations et trahisons se succèdent. Louis XIII en appelle à Richelieu et lui demande de faire revenir Cinq-Mars à la raison. Du grand vaudeville ! Malheureusement de jeune homme naïf, Cinq-Mars s’est mué en courtisan capricieux et ambitieux.
A l’aube de l’année 1641, rien ne va plus entre Cinq-Mars et Richelieu. Entre l’arriviste ingénu et le ministre retors, un combat terrible s’annonce. Toutefois le favori s’y lance avec toute l’ardeur de sa jeunesse, inconscient des pièges d’une Cour où tout n’est qu’intrigues et trahisons.
Comme tous les jeunes hommes de son âge, Cinq-Mars rêve de s’illustrer par les armes. Il obtient du roi le commandement d’une armée. Furieux de cette nouvelle faveur, Richelieu laisse courir le bruit que Cinq-Mars a fait preuve de couardise au combat. Le jeune homme, piqué dans son amour-propre, n’a qu’une envie : se venger. Une femme va le pousser à l’action.
A bientôt 30 ans, Marie de Gonzague, duchesse de Nevers, n’est toujours pas mariée. Elle vit à la Cour. Elle est plutôt jolie et attire l’attention de Cinq-Mars, coureur de jupons. Contre toute attente l’intérêt est partagé. Le petit marquis se prend à rêver mariage avec cette princesse de haut rang.C’est compter sans l’abîme social qui les sépare. Marie a du caractère, elle ne désarme pas. Elle sait que pour réduire l’écart entre eux, son amoureux doit s’élever au rang de duc et pair. Elle lui suggère de faire écarter Richelieu qu’elle déteste et que ce soit lui, Cinq-Mars, qui le remplace.

Louis XIII ne sait rien lui refuser. En début 1641, il lui accorde d’entrer au Conseil du roi. L’ascension du jeune homme semble sans limite. Richelieu voit d’un très mauvais œil l’élévation politique de Cinq-Mars. Il sait sa position fragile. Louis XIII, en effet, n’a jamais aimé le favori de sa mère. Pour autant, son cher ami pourrait-il avoir la carrure d’un Premier ministre ? Richelieu a flairé le danger. Dès lors les choses ne pouvaient que s’envenimer.
L’inimité grandissante entre Cinq-Mars et Richelieu n’échappe pas à la Cour. Les couloirs du Louvre bruissent de ragots qui parviennent aux oreilles de Monsieur, Gaston d’Orléans, frère du roi. Le cadet complote avec régularité et obstination contre son aîné, mais Louis XIII pardonne toujours. Le moment semble venu d’entrer en contact avec le favori. Ce dernier va participer à des réunions secrètes avec les chefs de l’opposition. Pour Cinq-Mars cette mort signe la fin de son mariage avec Marie de Gonzague …. A moins que …. S’il se chargeait d’éliminer lui-même le cardinal ? Il se fait donc apprenti conspirateur en 1641 et rencontre secrètement Monsieur, lequel donne sa bénédiction.

Cette nouvelle cabale réunis les conjurés d’horizons très divers mais tous unis dans la détestation du cardinal : les amis de toujours : Gaspard de Chavagnac, ainsi que François Auguste de Thou en semi disgrâce en raison de son amitié avec la reine. Les partisans de Gaston d’Orléans, dont le vicomte de Fontrailles et le duc de Bouillon. La reine elle aussi assure son soutien à Cinq-Mars. Ce dernier se croit intouchable. Il a tort !
Complot mal conduit, trahison. Alors que tous croient le cardinal perdu, la conjuration de Cinq-Mars échoue lamentablement. La vengeance de Richelieu est impitoyable. Le favori est arrêté, son château saccagé, sa famille exilée. Après l’arrestation de son cher ami, Louis XIII reste longuement prostré. Le 15 juin on lui fait la liste des conjurés. Incrédule il suggère « est-ce que l’on n’a pas mis un nom pour un autre ? » – Ayant perdu tout espoir de sauver Cinq-Mars, il tombe malade de chagrin. Il décède huit mois après la décapitation à la hache, le 12 septembre 1642, à Lyon, des comploteurs Cinq-Mars et Thou. Le 4 décembre, Richelieu rendait l’âme lui aussi. » Béatrice DANGVAN ( Journaliste et écrivain )
