MANET – DEGAS …

 » Il n’y a qu’une chose vraie : peindre instantanément ce que vous voyez. Quand vous l’avez, vous l’avez. Quand ce n’est pas le cas, vous recommencez. Tout le reste c’est de la fumisterie. » Édouard MANET

Édouard MANET ( Photo prise vers 1876 – Fait partie des collections du service-presse/Musée d’Orsay)

 » Aucun art n’est aussi spontané que le mien. Ce que je fais est le résultat de la réflexion et de l’étude des grands maîtres. Peindre est facile quand on ne sait pas comment, mais très difficile quand on sait.  » Edgar DEGAS

Edgar DEGAS ( Photo prise dans sa bibliothèque en 1895 – Fait partie des collections du service presse / Musée d’Orsay)

C’est une exposition très intéressante à laquelle nous convie, depuis mars, le Musée d’Orsay. Elle s’intitule MANET-DEGAS (jusqu’au 23.7.2023) – Réalisée en partenariat avec le Metropolitan Museum of Art de New York, elle se déroule selon un parcours chronologique/thématique, en différentes sections où l’on peut admirer environ 200 œuvres magnifiques (peintures, gravures, et dessins). Il s’agit d’un face-à-face artistique et humain, un dialogue entre deux grands peintres, qui n’ont rien eu à envier l’un à l’autre, dont le cheminement a été assez complexe : Édouard Manet et Edgar Degas.

Du premier on dit qu’il fut le digne héritier de Delacroix, et que le second a toujours été séduit par la ligne de Ingres. En fait, ils ont été, tous deux, fascinés par les maîtres anciens français, flamands, italiens et espagnols rencontrés au Louvre, un lieu que Manet a découvert grâce à son oncle maternel et Degas par son père qui était un grand amateur d’art.

Les musées ont constitué pour eux un véritable laboratoire d’idées. Mais les voyages ont complété cette formation, surtout ceux faits en Italie. Manet a visité Florence, Pise, Pérouse, Rome et Venise, se passionnant pour Andrea del Sarto, Fra Angelico, Fra Bartolomeo. Degas s’est rendu en Italie dès 1854 pour rendre visite à une partie de sa famille qui habitait Naples. Il s’émerveillera des beautés rencontrées Musée de Capodimonte, se rendra à Rome , puis à Florence, Pérouse, Sienne, Assise, Pise. Les peintres qui vont le fasciner sont Raphaël (le pinceau divin disait-il) , Giotto, Veronèse, Mantegna.

Si l’art pictural italien a été cher à leur cœur , ils ont partagé la même passion pour l’espagnol Diego Velasquez . mon boueux tendre disait tendrement Degas … le peintre des peintres l’appelait Manet, ainsi que pour Delacroix.

Manet a vu le jour en 1832 et Degas en 1834 – Ils sont nés à Paris, issus du même milieu social bourgeois. Adolescents leurs idées ne sont pas les mêmes : Manet, dès 1848, se voit faire carrière dans la marine marchande, alors que Degas commence à copier au Louvre en 1853 et rejoindra l’atelier du peintre Félix Barrias. Deux ans plus tard, il sera admis à l’École des Beaux Arts où il apprendra son métier.

Pendant ce temps là, Manet, qui finalement ne réussira pas à entrer à l’École navale, prendra la décision de devenir peintre et rejoindra l’atelier de Thomas Couture. Durant six ans, il se formera auprès de peintres assez connus de l’époque .

L’histoire raconte qu’ils se seraient rencontrés au Louvre vers 1860/1862. Degas copiait un Velasquez. Après quoi, ils se parleront, fréquenteront les mêmes cafés, les mêmes cercles artistiques, échangeront leurs idées, se prodigueront des conseils, ne manqueront pas de se faire des critiques aussi . Ils seront similaires en bien des points, différents sur d’autres. Ils ont eu, tous deux, une vision moderne de la peinture. Le critique Edmond Duranty dira, en parlant de leur travail : C’est la nouvelle peinture.

Durant 20 ans ( de 1860 à 1880 ) ils entretiendront une relation assez mystérieuse, ambigüe et complexe . D’après celles et ceux qui les ont approchés, il ressort que leur rapport fut un mélange d’admiration, d’agacement , voire de franche irritation, ce qui faisait d’eux des amis/ennemis .

Ces deux artistes se sont souvent observés mutuellement, admirés aussi . Ils furent assez proches sur le plan intellectuel et esthétique, mais il y eut quand même , entre eux, une petite rivalité saupoudrée de jalousie et ce pour diverses raisons, comme par exemple le fait que Manet puisse chercher à réussir en passant par la voie du Salon officiel, ce qui agaçait profondément Degas, lui qui refusait d’être ainsi légitimé.

On dit que Manet fut le père de l’impressionnisme, son chef de file. Lui ne se voyait absolument pas ainsi et préférait que la reconnaissance ne vienne pas d’un mouvement mais, comme je l’ai mentionné ci-dessus, du Salon officiel. Ce qui ne l’a pas empêché, malgré tout, d’exposer avec eux et de soutenir leurs idées . En ce qui le concerne, Degas a beaucoup participé à l’organisation des expos impressionnistes, mais ne souhaitait pas du tout qu’on le considère comme tel : il se considérait plutôt comme un peintre réaliste indépendant.

Toutefois leurs deux noms resteront attachés à cet impressionnisme. Après tout comme le soulignait Degas : »Cela ne signifie rien l’impressionnisme. Tout artiste consciencieux a toujours traduit ses impressions. »

Ils ‘ne se sont jamais écrit, mais ont souvent parlé l’un de l’autre dans des correspondances écrites à des amis proches, des peintres le plus souvent. Leur caractère n’était pas le même : Manet fut très social, à l’inverse de Degas toujours plus distant et secret. Les deux furent assez patriotes. Lors de la guerre de 1870 contre la Prusse, et à l’inverse de beaucoup d’autres, ils sont restés à Paris et on servi leur pays.

L’un a aimé peindre en extérieur ( Manet ) et l’autre en atelier (Degas) . Le plein air c’était pas franchement son truc et de plus, vu ses problèmes oculaires, il était préférable pour lui de ne pas affronter la lumière forte de l’extérieur. Ce qui ne l’a pas empêché d’aborder les paysages lui aussi, mais d’une autre façon : «  d’après des états d’âme lui demandera t-on un jour, d’après des états d’yeux répondra t-il. A savoir qu’il peignait ou dessinait des paysages en atelier d’après un souvenir.

 » Sur la plage de Boulogne  » 1868 Édouard MANET (Collections du Richmond Museum of Fine Arts/Richmond)
 » Bains de mer – Petite fille peignée par sa bonne » 1869/70 Edgar DEGAS (Collections de la National Gallery/Londres)

Ils ont eu en commun un certain nombre d’amis et de connaissances rencontrés au Café Guerbois, au Café de la Nouvelle Athènes, dans leur propre famille aussi : Auguste De Gas organisait , en effet, des lundis musicaux, suivis le jeudi par ceux de Madame Manet mère. Plus tard, Édouard et son épouse Suzanne recevront chez eux, boulevard des Batignolles. Ils côtoient de nombreux peintres impressionnistes, des écrivains et des modèles : Berthe Morisot, Auguste Renoir, Camille Pissarro, Claude Monet, Henri Fantin Latour, George Moore, Félix Braquemond, Victorine Meurent, Ellen Andrée, Edmond Duranty, Théodore Duret, Émile Zola, Jules-Antoine Castagnary, Charles Baudelaire.

 » Portrait de Émile Zola  » 1868 – Édouard MANET (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
 » Mary Cassatt au Musée du Louvre » 1885 – Edgar DEGAS (Collection du Art Institute/Chicago)
 » Portrait de Diego Martelli » 1879 – Edgar DEGAS (Collections des National Galleries of Scotland / Edimbourg)
 » Portrait du peintre James Tissot  » 1867/68 env. Edgar DEGAS ( Collection du Metropolitan Museum/New York)

Baudelaire fut un ami de Manet et ce même s’il n’était pas très fan de sa peinture, à l’inverse de Zola qui lui s’en enthousiasmait :  » Pourquoi personne ne dit cela. Je vais le dire moi, je vais le crier. Je suis certain que Mr Manet sera l’un de nos maîtres de demain, que je croirais conclure une bonne affaire si j’avais de la fortune en achetant aujourd’hui toutes ses toiles !  » – Stéphane Mallarmé restera l’ami littéraire le plus fidèle, le plus admiratif du peintre .

Cette amitié n’empêchera pas Mallarmé d’admirer Degas également. A la mort de Manet, les liens amicaux entre les deux vont se resserrer d’ailleurs. Toutefois, à l’inverse de Manet, ce n’est pas dans le littéraire que Degas se créera des liens d’amitié, mais plutôt dans la musique avec le bassoniste Désiré Dihau, le violoncelliste Louis-Marie Pilet, le bariton Jean-Baptiste Faure, les compositeurs Paul Dukas, Gabriel Fauré, Vincent d’Indy.

Le monde du spectacle les a fortement intéressé. Degas plus que Manet. Ne serait-ce qu’au travers de la danse : Degas fréquente assidument l’Opéra où les danseuses évoluent, et Manet s’est intéressé à celles venues du Ballet madrilène de Mariano Camprubi installé au Théâtre de l’Hippodrome . C’est à l’Étoile Lola Melea dite Lola de Valence qu’il demandera de poser pour lui. Degas portera son attention, quelques années plus tard, sur une autre Étoile Eugénie Fiocre, réputée surtout pour son physique bien plus que pour son talent en tant que danseuse.

« Lola de Valence  » 1862 – Édouard Manet ( Collections du Musée d’Orsay/Paris)
 » Portrait de Melle Eugénie Fiocre à propos du ballet  » la Source  » 1867/68 Edgar DEGAS (Collections du Brooklyn Museum/New Yord)

Ils ont abordé, chacun à sa façon, les mêmes thèmes, dont le portrait (pour les deux ce sont leurs proches et leurs amis), l’autoportrait qu’ils pratiquent de façon différente. Degas commencera très tôt dans cette discipline, dans les années 1850, réalisant environ 15 autoportraits. Manet s’en tiendra à deux seulement, et commencera fin des années 1870.

 » Autoportrait  » ou  » Degas au porte-fusain » 1855 Edgar DEGAS (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
Autoportrait à la palette  » 1878/79 env. Édouard MANET ( Collection particulière)

A l’inverse de Manet qui n’en a fait aucun de son collègue , Degas a souvent fait des portraits de Manet (un tableau, trois gravures et une dizaine de dessins). L’un d’entre eux va être à l’origine d’une violente dispute, il s’agit de Monsieur et Madame Edouard Manet que Degas réalise et offre au couple en 1868/69. La toile ne plait pas du tout à Manet qui trouve que Degas a vraiment enlaidi son épouse. En colère, il coupe le côté de la toile où elle apparait. Non seulement Degas est peiné, vexé, mais il n’apprécie pas du tout le geste. Il récupère son tableau et le conservera chez lui. C’est quelque chose qui restera ancré en lui comme une blessure profonde.

 » Mr et Mme Édouard Manet  » 1868/69 – Edgar DEGAS (Collections du Municipal Museum of Art /Kitakyushu)
 » Portrait d’Édouard Manet  » 1868 env. Edgar DEGAS -Collection du Musée d’Orsay/Paris

Les courses hippiques : restera un sujet qui a fortement intéressé les deux peintres. Degas commencera fin 1850 environ. A l’époque, les courses hippiques étaient nombreuses et populaires bien qu’elles restaient, malgré tout, réservées surtout à des personnes assez aisées. C’est durant des vacances en Normandie que le peintre les découvre. Il se met à approfondir la chose, s’intéressant de très près au monde des jockeys un peu comme il l’a fait avec le monde de la danse, se rend à l’hippodrome de Longchamp ouvert en 1857, s’intéresse aux scènes de chasse à courre, au steeple-chase, et fréquente les champs de course ( Lonchamp, mais aussi le petit hippodrome du Vésinet )  et réalise un bon nombre de toiles sur ce sujet. Non seulement il peint, mais il sera amené à sculpter des chevaux. Comme toujours, il va faire preuve d’un grand sens de l’observation. Par ailleurs, lui aussi est un homme de cheval et un cavalier confirmé.

On ne peut pas dire que Manet est attaché une grande importance à la thématique hippique puisqu’il a peint une lithographie, deux tableaux et une aquarelle sur le sujet. Toutefois, Il innove en présentant des courses de face, et non de profil comme c’était souvent le cas.

 » Course de chevaux devant les tribune  » ou  » Le défilé  » 1866/68 – Edgar DEGAS (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
 » Courses à Longchamp  » 1866- Édouard MANET (Collections du Art Institute / Chicago)
 » Course de gentlemen avant le départ  » 1862/82 – Edgar DEGAS (Collections du Musée d’Orsay/Paris)

 » Degas a souvent accusé Manet de lui avoir volé ses sujets. On s’aperçoit que c’est souvent l’inverse qui s’est produit. Dans le domaine des champs de course et ailleurs, c’est Manet l’inventeur et Degas est celui qui s’approprie l’invention de Manet  » Stéphane GUÉGAN (Commissaire de l’expo)

Le nu : Manet a traité le nu fin 1850 d’abord avec des études , puis des tableaux par la suite. C’est un sujet important chez Degas aussi, et il a réalisé de nombreux dessins , des pastels sur ce sujet . Il ne faut pas oublier que Degas a toujours été très sensible à l’esthétique. Il a aimé les plastiques parfaites : «  ce qu’il me faut à moi, c’est exprimer la nature dans tout son caractère, le mouvement dans son exacte vérité, accentueur l’os, les muscles, et la fermeté compacte des chairs. »

 » Femme nue debout, bras levé  » – Étude pour scène de guerre au Moyen-Âge 1864/65 Edgar DEGAS (Collections du Musée du Louvre /Paris)
 » Femme dans un tub » 1878 – Édouard MANET (Collections du Musée d’Orsay/Paris)

Les femmes : elles ont occupé une place importante dans leur vie mais la gent féminine a été abordée de façon différente selon que l’on parle de Manet, réputé séducteur, aimant les femmes et vivant heureux avec son épouse, et Degas qui n’a pas trop voulu s’épancher sur sa vie sentimentale, que l’on disait assez misogyne, et s’est émerveillé sur les danseuses. Ils ont souvent portraitisé les femmes du monde ou les femmes du peuple au travail.

 » Degas manque de naturel, il n’est pas capable d’aimer une femme, même de le lui dire, ni de rien faire. » Manet à Berthe Morisot

 » Femme sur une terrasse »  » ou  » Femme et ibis  » 1857/58 (retravaillera ce tableau en 1866/67) – Edgar DEGAS (Collection du Metropolitan Museum / New York)
 » Le balcon  » 1868/69 Édouard MANET ( Collections du Musée d’Orsay/Paris)
 » Chez la modiste  » 1881 – Édouard MANET (Collections du Fine Museum of Art / San Francisco)
 » Dans un café  » ou  » L’absinthe  » 1875/76 Edgar DEGAS (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
« La prune  » 1877 env. Édouard MANET (Collection de la National Gallery of Art / Washington)
 » Chez la modiste  » 1879/86 Edgar DEGAS (Collections du Art Institute of Chicago/Chicago)
 » Nana  » 1877 Édouard MANET (Collections du Kunsthalle / Hambourg)

La musique, loisir connu de la bourgeoisie de leur époque, est un sujet qu’ils ont traité l’un et l’autre. Manet a eu droit à des leçons de musique lorsqu’il était enfant, et son épouse Suzanne Leenhoff était professeur de piano lorsqu’il l’a connue. Quant à Degas, comme je l’ai expliqué plus haut, il a forgé de belles amitiés avec des musiciens et des compositeurs.

 » Violoniste et sa jeune femme (Raoul de Montjau et sa femme la cantatrice Émilie Fursch-Madier) – 1871 env. Edgar DEGAS (Collections de l’Institute of Arts/Detroit)
 » La leçon de musique  » 1870 – Édouard MANET (Collections du Museum of Fine Arts/Boston)
 » Le chanteur espagnol  » ou  » l’Espagnol jouant de la guitare  » 1860- Édouard MANET (Collection du Metropolitan Museum of Art / New York)

Degas meurt seul ( si ce n’est la présence de sa gouvernante Zoé Closier) quasi aveugle, d’une congestion cérébrale, en 1917 à l’âge de 83 ans, sans enfant, acariâtre, ne supportant plus personne. Il repose au Cimetière Montmartre.

 » Vivre seul, sans famille, c’est vraiment trop dur. Je ne me serais jamais douté que je dusse en souffrir autant. Et me voici, vieillissant, mal portant, presque sans argent. J’ai bien mal bâti ma vie en ce monde !  » E.D.

Manet décède en 1883, amputé de la jambe gauche quelques jours avant, ayant fait de sa veuve sa légataire universelle. Il est enterré au Cimetière de Passy. Son cercueil fut porté jusqu’à sa dernière demeure par Emile Zola, Alfred Stevens, Claude Monet Théodore Duret et Philippe Burty. Degas louera son ami lors de ses obsèques (Il était plus grand que nous le croyions) … Après quoi, il participera à de nombreuses manifestations organisées en l’honneur de Manet, mais surtout il réunira une belle collection de tableaux du peintre.

En effet, Degas possédait, dans ses collections, de très nombreuses œuvres de Manet ( 83 ) qu’il avait acquis sous forme de dons, d’échanges, soit durant des ventes aux enchères, ou dans des galeries, mais également auprès de Suzanne, la veuve du peintre. Le superbe tableau ci-dessous a été acheté en 1896 à Paul Durand-Ruel.

 » Degas avait une grande amitié pour Manet. C’est ainsi qu’il racheta à sa veuve des études de Manet et les brûla pour qu’elles ne fassent aucun tort à sa mémoire. » (Ces lignes sont extraites d’un article qui était paru à la mort de Manet)

 » La gitane à la cigarette  » Édouard MANET ( Collections du Princeton University Art Museum)

Suzanne VALADON – Un monde à soi…

L’autoportrait de l’affiche ci-dessus date de 1931 – (Collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne/Paris)
Suzanne VALADON dans son atelier

 » Il faut avoir le courage de regarder le modèle en face si l’on veut atteindre son âme. Ne m’amenez jamais une femme qui cherche l’aimable ou le joli. Je la décevrai tout de suite. » Suzanne VALADON

«J’ai dessiné follement pour que, quand je n’aurais plus d’yeux, j’en ai  au bout des doigts» Suzanne VALADON

 » Autoportrait  » 1911 – Suzanne VALADON (Collection particulière) – Elle a commencé les autoportraits dès 1883 et ne cessera d’en faire tout au long de sa vie, sans peur du temps qui passe et des changements physiques. Elle disait  » Il faut être dur avec soi , avoir une conscience et se regarder en face. »

«  La matière est riche, la couleur sobre et vivante, la touche large et ardente. Il y a dans cette peinture une fois et une certitude que peuvent, seuls, acquérir ceux qui ont gagné la maîtrise, l’outil au poing. Qu’attend-on pour reconnaitre, en Suzanne Valadon, l’artiste qui sera un jour l’une des gloires de la peinture féminine française ?  » Florent FELS en 1921 (Journaliste français)

Voilà une artiste autodidacte, atypique, charismatique, que l’on connait mais sans vraiment la connaitre. Probablement parce que pour beaucoup elle fut le modèle, la muse, l’amante de grands noms de la peinture (comme par exemple Renoir, Toulouse Lautrec( avec lequel elle vivra une passion amoureuse assez explosive) , Herner, Zandomeneghi, Forain, Leroux, Steinlein, Wertheimer, Hynais, ou Puvis de Chavannes) , du compositeur Erik Satie (qu’elle laissera complètement désespéré après leur rupture ) ; l’épouse de André Utter, et la mère de Maurice Utrillo, peintre tourmenté, schizophrène, mais dont le succès des tableaux a quelque peu mis ceux de sa mère au second plan .

« Bonjour Biquie  » feuille de partition avec portrait de Suzanne Valadon – 1893 Erik SATIE ( Collections de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine / Saint Germain-la-Blanche-Herbe) (« Bonjour Biquie est une œuvre musicale que le compositeur a dédié à Suzanne Valadon)
 » Portrait d’Erik Satie » 1892/93 Suzanne VALADON (Collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne/Paris) Ils se sont rencontrés en 1893 . Leur liaison sera très conflictuelle mais d’une grande intensité. Elle ne va durer que quelques mois. Il faut dire qu’ils n’avaient pas beaucoup de choses en commun . Elle prendra la décision de le quitter et il avouera que cette rupture  » le laissera avec rien, à part une froide solitude qui remplit la tête avec du vide et le cœur avec de la peinte ».
 » La toilette  » ou  » Femme à sa toilette  » 1883 Pierre PUVIS DE CHAVANNES (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
 » La buveuse  » ou  » Gueule de bois  » – 1887 Henri de TOULOUSE LAUTREC (Collections de l’Harvard Art- Museum Foggi Museum/Cambridge
 » Couple au café  » 1885 env. Federico ZANDOMENEGHI (Collections du Castello di Rivoli-Museo d’Arte contemporanea / Turin)

Une chose est sûre, poser l’a immanquablement aidé pour passer de l’autre côté du chevalet en 1892 : « J ‘ai eu des grands maîtres. J’ai pris le meilleur d’eux, de leurs enseignements, de leurs exemples et je me suis trouvée, je me suis faite et j’ai dit ce que j’avais à dire. Je peins avec l’obstination dont j’ai besoin pour vivre et j’ai constaté que tous les peintres , qui aiment leur art, font la même chose.  » – De ses poses, elle a tiré des leçons sans pour autant avoir été l’ élève. En les observant, elle a appris. La technique de chacun était différente donc c’était très enrichissant.

Elle n’a pas fait partie d’un mouvement particulier, on peut même dire qu’elle s’est un peu tenue à l’écart, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir eu la reconnaissance élogieuse de la critique, des institutions et de ses collègues artistes. Elle a fait son chemin et comme le dit très justement l’historien de l’art Bernard Dorival :  » avec aisance, en sachant concilier deux recherches qu’elle a menées toute sa vie : celle de la beauté par le décor et du caractère par le laid .Elle a réussi l’art des contraires et ne s’est jamais souciée de concilier ces inconciliables. Elle l’a fait avec un dédain de la logique et une indifférence aux contradictions « .

Une femme de caractère réputée assez fantasque, audacieuse. La première femme, dans l’Histoire de l’art, à peindre un homme nu en 1909, une des premières à être admise à l’exposition du Salon de la société nationale des Beaux-Arts qui la reconnaitra, comme ses pairs, en tant que peintre, de son vivant. Elle rejoindra la Société des femmes artistes modernes en 1933, mais avant cela exposera très souvent à la Galerie de Berthe Weill, au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne.

 » L’intrusion de la femme dans l’art serait un désastre sans remède  » a écrit Gustave Moreau en 1880. Difficile, en conséquence, d’être une femme peintre à cette époque. Impossibilité de s’inscrire aux Beaux-Arts et trop pauvre pour avoir la possibilité d’entrer dans une école privée de peinture comme l’était la réputée Académie Julian. . L’École des Beaux-Arts n’ouvrira ses portes aux femmes qu’en 1897. En conséquence, les femmes ne pouvaient se former que dans l’atelier d’un maître, et continuer d’apprendre toute seule du mieux qu’elles le pouvaient. Les années passant, les choses changeront. Bien des peintres de sexe féminin pourront se vanter d’avoir fait une superbe carrière, et reçu des prix prestigieux, même si d’autres, tout aussi talentueuses, resteront anonymes.

Une artiste moderne n’ayant, comme je dit, fait partie d’aucun mouvement pictural et qui, pourtant, a assisté à la naissance de l’impressionnisme, du fauvisme et du cubisme .Son genre de prédilection : les portraits de la famille ou de proches, et les nus féminins et masculins , mais elle a peint aussi des paysages et des natures mortes. Ceux qui l’ont inspirés furent Jean-Dominique Ingres, Paul Cézanne, Paul Gauguin.

 » Nu allongé  » 1928 Suzanne VALADON (Metropolitan Museum/New York)
 » Portrait de famille  » 1912 Suzanne VALADON (Centre Pompidou-Musée national dart moderne/Paris)
 » Utrillo, sa grand-mère et un chien » 1910 Suzanne VALADON (Musée des Beaux-Arts / Limoges)
 » La petite fille au miroir  » 1909 Suzanne VALADON (Collections du Courthauld Institute of Art /Londres)
 » Les deux sœurs  » 1928 Suzanne VALADON (Collection particulière)
 » L’avenir dévoilé  » ou  » La tireuse de cartes  » 1912 Suzanne VALADON (Collections de l’Association des Amis du Petit Palais / Genève)
 » André Utter et ses chiens » 1932 – Suzanne VALADON (Collections du Musée Paul Dini / Villefranche-sur-Saône)
 » Route dans la forêt de Compiègne » 1914 Suzanne VALADON (Collections du Musée Fabre/Montpellier)

Valadon a connu la vie de bohême et marginale de Montmartre. Un lieu de rencontre pour tout un tas d’artistes, des musiciens, des compositeurs, des auteurs de théâtre, des peintres, des sculpteurs, etc.. Elle a donc vécu libre, a assouvi pleinement ses passions, que ce soit en tant que femme, mais aussi en tant que peintre, ne cessant jamais d’avoir envie de se sortir de sa condition, de réussir, de ne jamais être découragée, bravant les interdits et les contraintes morales de l’époque. Une pionnière à l’existence assez extravagante et tumultueuse.

Elle a été une formidable dessinatrice (elle a commencé à l’âge de 8 ans) que ce soit à la mine de plomb, au fusain ou à la sanguine, avant de se consacrer totalement à la peinture. Edgar Degas, pourtant réputé misogyne, trouvait qu’elle était vraiment douée et n’a pas manqué de la soutenir et l’encourager avec enthousiasme.

« cette diablesse de Maria a le génie pour ça  » … disait Edgar Degas en louant les sanguines de Suzanne dont un bon nombre sont accrochées dans son salon. Contrairement à ce que l’on a pu lire, elle affirmera, lors d’un entretien en 1921, qu’elle n’a jamais posé pour lui. Il sera son ami, son mentor, lui prodiguera des conseils, l’initiera à la gravure dite en taille-douce, au vernis, et surtout il la considérera comme son égale en tant que peintre :  » Vous êtes des nôtres  » disait-il.

Degas collectionnera un grand nombre des tableaux de Suzanne. Elle sera l’une des rares personnes à rester auprès de lui dans les dernières années de la vie du peintre et d’avoir, du coup, le privilège d’admirer son travail de l’époque alors qu’il n’autorisait personne à le faire.

« J’habitais rue Tourlaque où j’avais comme voisin Lautrec et Zandomeneghi. Un jour, Lautrec m’emmena chez Bartholomé et lui fit voir l’un de mes dessins. Il faut montrer ça à Degas dit-il. On me remis une lettre pour Degas qui me reçut très aimablement et me couvrit d’éloges. » S.V.

« Terrible Maria … Hier j’ai voulu acheter votre dessin excellent, mais il n’en savait pas le prix. Venez, si vous le pouvez, demain matin vers 9 h 30 avec votre carton pour voir si vous n’avez pas encore quelque chose de mieux.  » Edgar DEGAS dans une correspondance à Suzanne

 » Étude pour la nature morte à la théière » 1911 (Collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne/Paris)
 » Adèle préparant le tub et Ketty aux bras levés » 1905 – Suzanne VALADON (Collections du Musée de Montmartre)
 » Nus au miroir  » 1914 – Suzanne VALADON ( Collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne/Paris)

L’expo du Centre Pompidou de Metz est un réel bonheur pour qui veut en savoir plus sur elle. Elle s’intitule  » Suzanne VALADON – Un monde à soi  » Jusqu’au 11 septembre 2023 – Beaucoup de ses œuvres y sont présentées, dont certaines ne l’ont jamais été en France. Elles viennent, pour beaucoup, de la collection de son grand ami Edgar Degas (prêt du Centre Pompidou) , du Musée d’Orsay, du Musée du Louvre, du Musée de l’Orangerie, du Metropolitan Museum de New York, et de nombreuses collections particulières. Auprès de ses œuvres, on retrouve celles d’autres artistes.

 » Un monde à soi  » … Pourquoi ce titre me direz-vous. La commissaire de l’expo Chiara Parisi a indiqué qu’il s’agissait, tout simplement, d’un petit clin d’œil à un livre de Virginia Woolf (Une chambre à soi) dans lequel elle affirmait :  » la première chose , peut-être, qu’une femme trouvait quand elle mettait la main à la plume, c’était que n’existait aucune phrase courante dont elle pût faire usage. » Cela leur semblait tout à fait correspondre à toute l’étendue de la pratique de Valadon qui se déploie au-delà de son atelier de Montmartre.

La dernière rétrospective la concernant remonte à 60 ans ! Et franchement, elle méritait largement que l’on s’intéresse, de nouveau, à elle, à son œuvre complexe, à son riche parcours dans une période importante historiquement et artistiquement parlant puisqu’elle se situe au XIXe siècle, à la veille de la guerre 39/45.

 » La chambre bleue  » 1923 (Collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne/Paris )

Marie-Clémentine est née en 1865 à Bessines-sur-Gartempe, de père inconnu. A moins qu’elle n’ait été conçue avec un dénommé Coulaud, parti au bagne et avec lequel sa mère avait eu d’autres enfants. C’est Toulouse-Lautrec qui la rebaptisera Suzanne bien plus tard en référence à l’épisode biblique de Suzanne et les vieillards vu qu’elle posait souvent nue face à des peintres âgés.

En 1870, elles partent s’installer à Montmartre. Sa mère est lingère, repasseuse et femme de ménage, donc ayant peu de temps pour s’occuper de sa fille qu’elle confiera aux bons soins de ses voisines ou de ses autres filles plus âgées. Suzanne passera une enfance miséreuse, fréquentera peu l’école et travaillera , dès l’âge de 12 ans, comme apprentie couturière, puis serveuse, et vendeuse de légumes aux Halles. Devenue une belle adolescente, rebelle et passionnée, elle entre comme acrobate dans un cirque. Malheureusement un accident de trapèze met fin à ce qui fut son rêve.

En 1880, vu qu’elle est plutôt jolie, elle décide de poser pour des peintres. Le premier sera Puvis de Chavannes. Sa mère s’occupait de son linge et c’est en lui livrant que Suzanne ( qui, à l’époque se faisait appeler Maria) rencontre le peintre de quarante ans son aîné.

«  Depuis l’âge de 15 ans j’ai été son modèle, et je le fus sept années de suite. Je puis dire que dans la plupart de ses œuvres décoratives d’alors, je suis abondamment représentée ( Le bois sacré par exemple). Je suis là, et puis là, et presque toutes ces figures m’ont emprunté quelque chose; J’ai posé non seulement les femmes, mais aussi les jeunes. Je suis cet éphèbe qu’on voit cueillant une branche d’arbre. Il a mes bras et mes jambes. Puvis me demandait de lui donner une attitude, un mouvement, un geste. Il transposait et idéalisait. Que d’heures calmes j’ai passées dans son grand atelier de Neuilly ! …  » S.V. (lors d’un entretien en 1921)

Trois ans plus tard, elle donne naissance à son fils unique : Maurice, né, lui aussi de père inconnu. Elle demandera, quelques années plus tard, à l’un de ses amants, le peintre catalan et critique Miquel Utrillo de le reconnaitre. Ce qu’il fera en 1895.

Avec Maurice

Souhaitant poursuivre sa carrière en tant que modèle et ne pouvant, en conséquence, s’occuper correctement de lui, elle confie l’enfant à sa propre mère. Souffrant de ce manque d’amour et rejet maternel, Maurice trouvera refuge, dès l’âge de 13 ans, dans l’alcool, et deviendra ingérable. Il devra être interné. A son retour, sa mère va lui apprendre à peindre afin qu’il puisse être occupé. Il se montrera plutôt doué.

En 1883, la route de Suzanne croise celle de Auguste Renoir. Il cherchait un modèle pour son tableau Danse à la campagne . C’est Puvis de Chavannes qui la lui présente. Renoir a 42 ans et elle 18 . Il a une compagne, Aline, qui la mettra à la porte le jour où elle les surprendra tous deux dans les bras l’un de l’autre.

« que de poses de tête j’ai faites pour Renoir, que ce soit à l’atelier de la rue Saint-Georges, soit à celui de la rue Orchampt. La danseuse qui sourit en s’abandonnant aux bras de son danseur, c’est moi ! Et c’est encore moi qui suis la demoiselle du monde, gantée jusqu’au coude et en robe de traine. Rue d’Orchampt, j’ai posé aussi pour un motif de Bougival. Quant aux nus, Renoir en a peint un certain nombre d’après moi non seulement dans un jardin de la rue de la Barre qu’il avait loué et où se trouvait une baraque servant d’abri, mais à l’atelier du boulevard de Clichy et notamment pour un de ses tableaux de baigneuses. » S. V.

De 1886 à 1888, elle aura une liaison assez tumultueuse avec Henri de Toulouse-Lautrec. Elle habitait alors rue de la Tourlaque où se trouvait l’atelier du peintre. Elle va immédiatement lui plaire. De plus, elle est assez petite, tout comme lui. Ils deviennent amants et elle l’accompagne dans ses virées nocturnes. C’est lui qui va lui présenter Edgar Degas. C’est quelque chose qu’il a dû très certainement regretter car en voyant combien ils vont être proches, il va rompre avec elle. Une rupture dont elle souffrira beaucoup.

Entre deux séances comme modèle , elle dessine ( à noter qu’elle le fait depuis l’enfance) des portraits (souvent de son fils, sa mère, et des proches ) au plomb ou à la sanguine. Elle les exposera en 1894 au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.

Sa vie va changer d’autant qu’en 1896, elle épouse Paul Mousis, un bourgeois aisé. Ils s’installent 12 rue Cortot sur la Butte Montmartre. Désormais financièrement à l’aise, elle décide de ne plus poser et de ne se consacrer qu’à sa carrière de peintre.

Le problème restera Maurice, son fils qui se remettra à boire. Du coup ses crises de délirium et de désespoir entrainent de nombreux problèmes. Paul Mousis n’en peut plus et le met à la porte. Suzanne contactera un ami de son fils, André Utter, peintre amateur pour qu’il le recueille et, si possible, qu’il veille sur lui. Utter a 28 ans, elle 44 ans. Il pose pour elle et devient son amant.

Avec André Utter ( debout ) & Maurice Utrillo (son fils assis)
 » Adam et Eve  » ou  » L’été  » – 1909 Suzanne VALADON ( Collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne) – Elle se représente avec André Utter –

Elle quitte son mari (divorcera par la suite) et part vivre avec Maurice et André (qu’elle épousera en 1914). Leur trio excentrique sera très  » connu  » dans Montmartre et fera scandale. Côté peinture, à cette époque là, elle reçoit de bonnes critiques mais vend peu de tableaux. De son côté, Maurice peint avec talent. Malheureusement, il boit toujours autant et sera, à nouveau, interné, avant de retourner vivre avec sa mère et son ami. Utter prend alors les choses en mains, gère les finances, la peinture d’ Utrillo et du coup la situation financière des trois est meilleure.

Les tableaux de son fils atteignent des prix incroyables, et , en ce qui la concerne, Suzanne vend bien elle aussi. Son œuvre a beaucoup de succès, de nombreuses expositions lui sont consacrées, une rétrospective est même organisée en 1932 à la Galerie Georges Petit . Malheureusement, ce  » bonheur  » s’effrite et son union avec Utter bat de l’aile. Il la trompe, puis la quitte. Peu de temps après, elle est est hospitalisée à la suite de problème de santé. Craignant qu’elle ne puisse plus être là pour s’occuper de son fils, elle lui fait rencontrer une riche veuve, peintre amateur, Lucie Valore qu’il épouse en 1935.

Suzanne se retrouve toute seule, entourée par ses chiens, sortant la nuit pour boire. Elle mourra d’une hémorragie cérébrale à 71 ans, dans la déchéance la plus totale. C’est André Utter qui s’occupera de ses obsèques. Seront présents notamment : André Derain, Georges Braque, Pablo Picasso, Georges Kars. Maurice, effondré et en pleine crise nerveuse, ne pourra y assister. Elle sera inhumée au Cimetière de Saint-Ouen, laissant derrière elle une œuvre d’environ 500 toiles et 300 dessins.

Le 12/14 rue Cortot reste le lieu où elle a vécu d’abord avec son premier mari Paul Moussis, puis où elle s’est installée avec son fils et André Utter son compagnon. Malgré les disputes, les tensions dues notamment aux problèmes d’alcool de Maurice, Suzanne Valadon a aimé cet endroit. C’est là que sa production s’est épanouie, fut la plus créative, la plus énergique. La sienne, mais également celle de Maurice et de Utter. C’est désormais le Musée Montmartre.

L’œuvre de Suzanne Valadon va influencer un grand nombre de ceux, peintres contemporains, qui se considèreront comme ses héritiers notamment des femmes : Betty Tompkins, Christine Safa, Anna Tuori ou Apolonia Sokol.

 

 » Elle est finie mon œuvre, et la seule satisfaction qu’elle me procure est de n’avoir jamais trahi ni abdiqué rien de tout ce à quoi j’ai cru. Vous le verrez peut-être, un jour, si quelqu’un se soucie jamais de me rendre justice. » » Propos tenus par la peintre, peu de temps avant sa mort, à l’écrivain, poète et journaliste français Francis CARCO

Sarah BERNHARDT … Et la femme créa la star

 » Pour être un bon acteur, il faut avoir l’âme bien trempée, ne s’étonner de rien, reprendre, à chaque minute, la tâche laborieuse à peine achevée. Celui qui est incapable d’éprouvée de fortes passions, d’être secoué par la colère, de vivre dans tous les sens du terme, ne sera jamais un bon acteur. Une fois le rideau levé, l’acteur ne s’appartient plus. Il appartient à son personnage, à son auteur, à son public. Il doit faire l’impossible pour s’identifier au premier, ne pas trahir le second et ne pas décevoir le troisième. » Sarah BERNHARDT

L’expo réunit environ 400 pièces, objets, peintures, affiches publicitaires, photos, sculptures, accessoires, costumes. Elle s’intitule  » Sarah BERNHARDT – Et la femme créa la star  » – Jusqu’au 27.8.2023

 » Sarah Bernhardt drapée de blanc « Par Félix NADAR vers 1864 (Collections de la Bibliothèque de France)

Voilà une personnalité assez incroyable, que dis-je, un mythe, un monstre sacré ( comme disait Cocteau) à qui le Petit Palais à Paris a décidé de rendre hommage à l’occasion du centenaire de sa mort (mars 1923) : Sarah Bernhardt, actrice, tragédienne , sculptrice, peintre, femme d’affaires avisée, directrice de théâtres, secrétaire de la Comédie Française . De nos jours on pourrait dire aussi qu’elle fut une influenceuse. Elle a eu énormément de succès à tel point que l’on disait  » on vient à Paris voir la Tour Eiffel et Sarah Bernhardt !  »

De la femme qui affirmait je ne veux pas être normale, je veux être extraordinaire. Je suis entrée dans la légende de mon vivant , on retient qu’elle fut excessive, exceptionnelle, excentrique, bizarre, passionnée, vénérée, libre, inoubliable, indomptable, fichée au registre des courtisanes (dès 1873 ), passionnée par le macabre, une mondaine scandaleuse . Une citoyenne engagée qui n’a pas eu peur de se ranger aux côtés de Émile Zola dans l’affaire Dreyfus, d’aller sur le front de la première guerre mondiale, amputée, pour soutenir le moral des poilus.

On lui a donné beaucoup de surnoms : La divine – Le monstre sacré – La reine du théâtre- La négresse blonde – La muse ferroviaire – La voix d’or – La reine de le l’attitude – La princesse des gestes – Mademoiselle révolte – L’Impératrice du théâtre -L’enchanteresse – La monstrueuse – L’unique – La petite Orphée – La Sarah Barnum ..

Une star pro du marketing, gérant fort bien son nom et son image et qui n’a pas hésité à se montrer sur un tas de produits divers et variés et autres affiches publicitaires. Elle a tout fait pour que l’on ne cesse de parler d’elle et d’alimenter toutes les rumeurs sulfureuses qui couraient sur sa personne.

Elle a interprété plus de 140 rôles rôles entre 1861 et 1921 (féminins, mais masculins aussi) . Ce fut une tragédienne hors-pair qui a laissé des souvenirs mémorables dans, entre autres, La Dame aux camélias – Ruy Blas ( Victor Hugo se jettera à ses pieds tant il fut fasciné par son interprétation en 1872) – Phèdre – Théodora – Cléopâtre etc.. On lui écrira des rôles sur mesure dans lesquels elle va subjuguer et éblouir le public et les auteurs.

Sarah BERNHARDT dans le rôle de « Pierrot assassin » – 1883 par Paul NADAR (Collections de la Bibliothèque nationale de France)
Sarah BERNHARDT dans le rôle de « Cléopâtre » – 1891 par Napoléon SARONI (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
Sarah BERNHARDT dans  » Macbeth  »1884 par Paul NADAR (Collections de la Bibliothèque nationale de France)
Sarah BERNHARDT dans  » Théodora  » de Victorien Sardou en 1902
Sarah BERNHARDT dans  » La Dame aux camélias » 1880 par Napoléon SARONY (Collections de la Comédie Française)
Sarah BERNHARDT dans  » l’Aiglon » 1900 -Carte postale (Collections de la Bibliothèque nationale de France)

Elle a fait des tournées mondiales durant des années, et ce pour différentes raisons : échapper un peu à l’hostilité jalouse qu’elle rencontrait parfois à Paris dans le monde du théâtre – pour l’argent car elle menait un train de vie assez conséquent, et ces déplacements lui rapportaient beaucoup – et aussi pour promouvoir la culture française à l’étranger où elle aura toujours à cœur de se produire sur scène en français. Ce qui lui vaudra de recevoir à 70 ans la Légion d’honneur « pour avoir contribué au rayonnement de notre langue dans le monde entier« .

Pour ses différentes tournées mondiales un train était spécialement affrété pour elle, avec sa propre chambre , un piano, des lits pour son personnel, des cuisiniers. Suivaient 42 malles contenant tous ses effets personnels et costumes de scène, c’est de là que lui fut donnée le surnom de Sarah Barnum . Outre la France, elle s’est produite en Angleterre, Etats-Unis, Belgique, Brésil, Hollande, Suisse, Suède, Norvège, Hongrie, Autriche, Syrie, Australie, Turquie, Égypte, Espagne, Italie, Portugal, Russie, Grèce, Amazonie, Cuba, Pérou, Mexique – Le 8 décembre 1896, de retour dans la capitale, le Tout Paris va la célébrer lors d’un banquet réunissant près de 500 invités, au Grand Hôtel, Place de l’Opéra. Elle arrivera sous les acclamations, les fleurs, et les compliments.

Elle a été directrice de théâtres : celui de la Renaissance de 1893 à 1899, celui anciennement des Nations et de nos jours Théâtre de la ville, place du Châtelet. Elle ne se contentera pas de diriger la troupe , mais interprètera, mettra en scène, programmera et s’occupera de la décoration. Elle travaillera sans relâche afin que son théâtre soit reconnu et se place au même rang que les plus grandes scènes de la capitale.

Elle a fréquenté les personnalités les plus en vue de son époque, des personnalités dont elle fut la muse, l’amante, l’amie : des couturiers, des écrivains, des poètes, des peintres, des princes, des médecins, des industriels, des acteurs etc… C’est grâce à l’affiche qu’il réalisera pour la pièce Gismonda, dans laquelle elle jouait, qu’Alfons Mucha connaitra le succès. Tout comme la plupart des gens, elle sera enthousiasmée par le résultat, elle s’exclamera  » Que c’est beau ! Dorénavant vous travaillerez pour moi . » Chose promise, chose due, elle signera avec lui un contrat exclusif de six ans pour des affiches, des costumes et des décors.

« Gismonda-Sarah Bernhardt » 1894 – Alfons MUCHA lithographie (Collections de la Bibliothèque nationale de France)
« La plume-Sarah Bernhardt » – 1896 Alfons MUCHA lithographie ( Collections du Mucha Trust Collection)
« Portrait de Sarah Bernhardt » 1879 Bastien LEPAGE (Collection particulière) –  » C’est gracieux, un peu bizarre sans doute, mais où la bizarrerie capricieuse eût-elle été à sa place sinon dans ce portrait  » dira un journalise du Figaro …
 » Portrait de Sarah Bernhardt  » 1876 Georges CLAIRIN (Collections du Petit Palais/Paris) – Clairin fut son amant , mais restera son ami et portraitiste favori durant près de 50 ans
Ce vitrail représente Sarah Bernhardt dans  » Le Passant » – Il fut réalisé par Joseph Albert PONSIN entre 1878 et 1884 – Il provient de la résidence de la comédienne (Collections de la Bibliothèque nationale de France)
Serre-tête réalisé par René LALIQUE pour Sarah Bernhardt -(Bibliothèque de l’Opéra Garnier/Paris) – Là encore ce sont les bijoux qu’il créera pour elle qui vont le propulser et lui apporter le succès. Elle lui a commandé de très nombreux bijoux souvent des fleurs ou des animaux.

Écrivaine aussi qui a refusé catégoriquement d’avoir recours à quelqu’un d’autre pour rédiger ses mémoires (Ma double vie-livre publié en 1907) , et tiendra à le faire toute seule avec beaucoup d’esprit et d’humour . Ce livre aura du succès d’autres suivront . Un autre ouvrage ,racontant sa vie, avait été écrit en 1883 par une ex-amie : Marie Colombier, laquelle ne s’était pas gênée pour y raconter des détails croustillants sur sa rivale. Sarah sera folle de rage et pour se venger, elle n’hésitera pas à saccager l’appartement de Marie, ce qui fera la une des journaux.

A une époque où la chirurgie esthétique n’était pas « courante » comme cela est le cas de nos jours, elle n’a pas hésité à se faire un lifting aux Etats-Unis, puis un deuxième en France cette fois, réalisé par l’une des pionnières dans ce domaine : Suzanne Noël.

Les hommes ont été à ses pieds. Elle a eu de nombreux amants à qui elle a soutiré beaucoup d’argent, que ce soit dans le monde de la finance, de la politique, de la médecine, de la littérature, de l’écriture, de la peinture. Des hommes pour la plupart, mais des femmes aussi. Parmi eux il y a eu le prince belge Henri de Ligne dont elle aura un enfant, un fils unique, Maurice, en 1864. Il deviendra un directeur de théâtre, un auteur dramatique. C’est lui qui héritera de tous ses biens. Elle s’amusait parfois à dire qu’il était le fils de Victor Hugo , voire même de Léon Gambetta.

Sarah BERNHARDT et son fils Maurice – par William DOWNEY (Collections de la Bibliothèque nationale de France)

D’étranges rumeurs ont circulé sur elle à propos de son côté bizarre comme le fait qu’elle portait souvent des bijoux en forme de tête de mort à qui elle donnait un prénom ; le fait qu’elle ait chez elle un cercueil capitonné où elle se couchait de temps à autre ou qu’elle décorait ses fenêtres avec des tentures imprimées de larmes et des têtes de mort, ces dernières étaient également représentées sur des vases. Bref le lugubre faisait partie de son quotidien.

Sarah BERNHARDT dormant dans son cercueil – Photo datant de 1880 (Collections de la ville de Paris-Bibliothèque Marguerite Durand)

Sarah Bernhardt est née en octobre 1844. Son père ne sera jamais identifié (certaines biographies donnent des noms mais ce n’est que fiction) . Elle prétendra que c’était un riche industriel. Bernhardt est le nom de sa mère. Cette dernière, une modeste modiste, ne s’occupera absolument pas de sa fille, préférant les voyages et les hommes. C’est , en effet, une femme qui vendait ses charmes pour vivre. Elle aura quatre filles de quatre pères différents. Sarah sera donc placée, très tôt, chez une nourrice en Bretagne qui, malheureusement, ne sera pas tendre avec elle .

A 7 ans, n’ayant entendu que le breton, elle ne sait ni écrire ni parler français. Sa mère la place dans une institution , l’internat de Notre-Dame de Grandchamp à Versailles. Elle souffrira beaucoup du manque d’amour de sa mère qui lui préfère l’une de ses sœurs, Jeanne. Que lui apportera cette figure maternelle ? La fréquentation de ses riches amants, notamment le demi-frère de Napoléon III, à savoir le duc de Morny, un homme marié. C’est grâce à lui qu’elle obtiendra une recommandation pour un engagement à la Comédie Française.

Elle a déjà une très forte personnalité, rebelle, bien décidée à se faire un nom. A peine entrée à la Comédie Française, elle fait preuve d’insolence et elle est renvoyée. Du coup, elle aura du mal à retrouver un emploi dans le monde du théâtre et pour survivre, elle suivra la même route que sa mère : trouver de riches amants protecteurs ! …. tout en essayant, malgré tout, de réussir à percer dans la carrière de comédienne.

C’est ainsi qu’elle finira par obtenir un premier rôle en 1866 au Théâtre de l’Odéon dans Le Passant . Un triomphe ! La pièce sera jouée plus de 140 fois ! Après quoi le succès ne la quittera pas. Elle gagnera énormément d’argent, dépensera (voire même dilapidera) des sommes folles pour ses hôtels particuliers, son train de vie et ses vêtements haute-couture.

Mise à part son talent pour le métier d’actrice, elle s’est montrée tout aussi douée pour d’autres arts, comme la peinture. Il faut dire qu’elle avait pris des cours de dessin lorsqu’elle était adolescente. De plus, elle a côtoyé énormément de peintres dans sa vie . Pour parfaire son pinceau, elle n’hésitera pas à prendre des cours dans un atelier de femmes-peintres à Paris, dirigé par Alfred Stevens.

 » Autoportrait  » 1910 Sarah BERNHARDT (Collections de la Fondation Bernberg/ Toulouse)

Elle va également se distinguer dans la sculpture. Elle aura envie de se lancer après avoir posé pour un sculpteur (Mathieu Mesnier) . Elle rejoindra l’Académie Julian et excellera dans bien des matières. C’est un art dans lequel elle s’adonne passionnément, y passant même ses nuits, mélange de romantisme, réalisme et symbolisme. Elle obtiendra des récompenses pour son travail, notamment une œuvre intitulée Après la tempête qui sera couronnée d’une mention honorable du jury. Le public applaudit et la critique aussi. Dans les années qui suivront, elle profitera de sa grande notoriété en tant que comédienne pour exposer ses œuvres.

« Louise Abbéma » marbre 1878 – Sarah BERNHARDT (Collection du Musée d’Orsay/Paris)
Sarah BERNHARDT dans son atelier posant devant un autoportrait en terre cuite – 1900 env. (Collections du Museum of London/ Londres Angleterre)
 » L’atelier de Sarah Bernhardt  » 1877 par Marie-Désirée BOURGOIN ( Collections du Musée de la vie romantique/Paris)
 » Algues  » – Bronze 1900 – (Collections du Petit Palais /Paris)
Buste de Georges Clairin – 1875 env. Sarah BERNHARDT (Collections du Petit Palais/Paris)

Tout ne sera pas rose malgré tout. La sculpture était alors un art plutôt masculin. Du coup, ses confrères ne manqueront pas de critiquer son travail, de le caricaturer, de le railler aussi.  » Saloperie que cette sculpture  » s’exclamera Rodin en 1878 devant l’une de ses œuvres.

De son enfance miséreuse , de ses souffrances intérieures, elle gardera en elle des sentiments d’injustice et de révolte qui se transformeront en prises de positions affirmées, en luttes pour la liberté face aux évènements qu’elle vit au quotidien comme l’invasion de la France par les Prussiens en 1870. Elle est alors très jeune et va se battre afin d’aider comme elle le peut les blessés. Durant cette période, elle obtiendra la réouverture du Théâtre de l’Odéon et le transformera en hôpital. Elle le baptisera l’ambulance. Lorsque la guerre sera terminée, elle n’aura cesse de s’occuper des plus faibles qui ont de la difficulté à vivre. En 1891, elle va devenir une vraie militante, participer a des manifestations dont une finira dans un bain de sang. Elle prendra parti en 1898 pour Zola et son J’accuse publié dans le journal L’Aurore .

Suite à une tuberculose osseuse, elle sera amputée d’une jambe en 1915. Refusant catégoriquement de porter une prothèse ou jambe de bois, elle va préférer la chaise à porteur. Cela ne ne l’empêchera pas de vivre ou de jouer assise au théâtre, et même d’aller au front pour soutenir les poilus à qui elle offrira une quinzaine de représentations précédées de La Marseillaise qu’elle chantait passionnément avec eux.

Sarah Bernhardt en chaise à porteur , avec les soldats

Elle est morte en 1923 à l’âge de 79 ans. Un cortège d’honneur d’un million de personnes accompagnera son cercueil au cimetière du Père-Lachaise, suivi par cinq chars couverts de fleurs.

Obsèques de Sarah BERNHARDT

 » Il y a cinq sortes de comédiennes : les mauvaises, les passables, les bonnes, les grandes … Et puis, il y a Sarah Bernhardt  » Mark TWAIN (Écrivain, essayiste et humoriste américain)

 » Mon frère et moi sommes allés embrasser Madame Sarah tous les dimanches pendant dix ans comme d’autres vont à la messe pieusement. qu’on veuille bien le comprendre : j’ai tant aimé Madame Sarah dans mon enfance, et plus tard j’eus pour elle tant de vénération, tant de respect et à son une si profonde tendresse, que toute critique à son sujet m’a toujours été désagréable. Tout ce que faisait cette femme était extraordinaire, mais les personne qui l’entouraient trouvaient absolument naturel qu’elle ne fit que des choses extraordinaires.  » Sacha GUITRY (Dramaturge français)

« On a écrit des volumes pour la voyager dans les étoiles. On écrirait encore des volumes sans arrêter de conter cette légende insensée qu’est son art et sa vie. » Edouard DE MAX (Acteur français)

RAMSÈS & L’OR DES PHARONS …

« Le souverain que l’on porte aux nues, le seigneur dont on peut être fier, qui agit de son bras puissant et emplit l’Égypte de grands monuments de son règne  » Mots inscrits sur une stèle de Ramsès II au Musée du Caire.

« Ramsès conquérant de tous les peuples étrangers, maître de toutes les têtes couronnées. Ramsès qui combattit des millions de personnes selon les vœux de Amon » Phrase faisant partie des inscriptions sur l’obélisque de la Place de la Concorde à Paris.

 » Il était le roi de la pub. Il a utilisé la publicité comme personne au monde n’aurait pu le faire. N’importe quel élément était pris en charge pour en faire un élément à sa gloire. Chaque fois que quelque chose survenait dans son pays, c’était en l’honneur de Ramsès et c’était un omen (présage) important pour le règne de ce roi. » Christiane DESROCHES-NOBLECOURT (Commissaire de l’expo)

 » Les autres pharaons frappent moins l’imagination. Ombres qui vont et viennent. Mais avec le deuxième Ramsès, on éprouve un sentiment de communion respectueuse. Il semble qu’on connaisse l’homme. Ses traits nous sont aussi familiers que ceux de Louis XIV ou Henri VIII. « Amélia EDWARDS (Écrivaine, égyptologue britannique , voyageuse)

 » Quand on demande à un Français de citer le nom d’un pharaon, reviennent immanquablement Toutânkhamon, Ramsès et Khéops. Ramsès à la place d’honneur en raison de son prestige inégalé dans l’histoire, à nos yeux comparables à celui de Louis XIV, notre « roi soleil « . Effectivement Ramsès II est depuis longtemps l’archétype du pharaon, le grand guerrier, le grand conquérant toujours victorieux. Sa réputation est le résultat des efforts d’un service de propagande particulièrement efficace de son vivant. Son règne est le plus long de l’histoire égyptienne. Le nombre de ses enfants ( 110) est extraordinaire. Ses monuments sont innombrables, gigantesques, peuplés de statues plus colossales les unes que les autres  » Dominique FAROUT (Égyptologue et commissaire de l’exposition)

Partie supérieure d’un colosse de Ramsès II (calcaire) -Musée de Charm el-Cheikh
Ramsès à genoux offrant son nom en rébus – Nouvel empire XIXe dynastie (Collections de l’Alexandria national Museum / Alexandrie)
Sarcophage de Ramsès II en cèdre –

Après le succès de l’exposition Le trésor de Toutankhamon en 2019 qui a réuni 1,5 millions de visiteurs en six mois, La Grande halle de la Villette nous propose de refaire un voyage dans le temps , avec une autre superbe, enrichissante et très intéressante exposition : RAMSÉS & l’or des pharaons (jusqu’au 6.9.2023) . On peut y admirer environ 180 pièces magnifiques : bijoux, amulettes, statues, momies d’animaux, masques royaux, sarcophages etc…

Collier Ousekh de la princesse Néferou-Plath / Moyen empire XIIe dynastie (Collections du Musée égyptien/Le Caire
Scarabée de Psounennès Ier – Troisième période intermédiaire XXIe dynstie (Collections du Musée égyptien/Le Caire)
Miroir d’argent découvert dans la tombe de Sath-Hathor-Iounet / Moyen empire XIIe dynastie (Musée égyptien /Le Caire
Cercueil externe de Sennedjem sur un traineau de bois -Nouvel empire XIXe dynastie – (Musée égyptien/Le Caire)

Cette exposition a débuté en 2021, à Houston (Etats-Unis). Elle totalisera dix villes dans le monde dont la France. Le sarcophage de Ramsès II ne sera exposé qu’en France. C’est un témoignage de reconnaissance, d’amitié et remerciements de l’Egypte à notre pays. Explication : selon un accord entre Valéry Giscard d’Estaing et Anouar el Sadate, la momie du pharaon était venue à Paris en 1976 pour soigner les champignons qui menaçaient de la détruire . Elle sera accueillie, à l’époque, telle un chef d’État, avec les honneurs, le tapis rouge, la garde républicaine et de nombreuses personnalités venues pour la saluer .

Elle restera presque huit mois au 3e étage du Musée de l’Homme, dans une salle , climatisée 24/24 H, qui fut appelée Laboratoire Ramsès, afin d’ être soignée par de grands spécialistes français, et retournera dans son pays en mai 1977 complètement guérie. Elle fut soumise à des radiographies, des endoscopies, des analyses chromosomiques , bactériologiques etc… – Pour soigner les champignons, elle a été stérilisée et traitée aux rayons gamma. Un procédé qui la couvrira d’une fine enveloppe blanche pour la protéger dans l’avenir. Vu sa grande fragilité, elle est restée, cette année, au Caire où elle est précieusement conservée. C’est le sarcophage du pharaon qui a fait le voyage.

D’après l’analyse de sa momie, on sait que Ramsès était plutôt grand ( 1,70 environ) , qu’il avait les cheveux roux, la peau claire et qu’il n’avait plus de dents . On a pu noter qu’il avait dû souffrir de nombreux problèmes d’arthrose, de athérosclérose, de spondylarthrite ankylosante, et qu’il avait eu des fractures au niveau des pieds, ce qui probablement le faisait claudiquer. Il semble être mort d’une infection généralisée.

L’expo 2023 est réalisée en partenariat avec le Conseil suprême des Antiquités de la République arabe d’Égypte. Ce n’est pas la première fois que la France rend hommage à ce grand pharaon. Un précédente exposition le concernant a déjà eu lieu en 1976 au Grand Palais.

Le titre de l’expo évoque L’or des pharaons : il faut savoir que l’or était très prisé en Égypte et il y en avait beaucoup. C’était un métal précieux pour eux, éblouissant, associé à la figure de Ré, Dieu du Soleil . Les pharaons, et les riches familles du pays, aimaient se parer d’or et ce même pour traverser l’au-delà. Exemple le superbe sarcophage de Toutânkhamon, trouvé en 1922 par Howard Carter dans la Vallée des rois et réalisé avec 100 kgs d’or pur.

Les gisements de l’époque sont notifiés sur des papyrus de la XXe dynastie. Des orfèvres très talentueux le transformaient en bijoux. Leur savoir-faire était très recherché, y compris en dehors de l’Egypte. Cet or a été la source de nombreux pillages dans les tombes royales. Tanis, la capitale du Delta du Nil, était connue pour sa profusion d’or, de bijoux incrustés de pierres précieuses etc…

Masque funéraire de Aménémopé-Troisième période intermédiaire XXIe dynastie. (Collections du Musée égyptien / Le Caire)
Bracelets de ChéchonqII – Troisième période intermédiaire XXIIe dynastie (Collections du Musée égyptien/Le Caire)
Amulette de Psousennès Ier représentant deux déesses importante : Nejbvet (déesse vautour de Haute-Égypte & Ouadjet déesse cobra de Basse-Égypte) (Collections du Musée égyptien/Le Caire)
Statuettes provenant de la tombe de Oundebaounded, représentant la déesse protectrice du foyer et de la maternité à savoir Bastet qui prend les traits de la guerrière Sekhmet (Collections du Musée égyptien / Le Caire)

Dans l’Égypte ancienne, le pharaon est un personnage sacré. Ramsès (Râmesses) veut dire Râ l’a engendré – Ce nom a été porté par neuf pharaons des XIXe et XXe dynasties. Ramsès II est le 3e de la XIXe dynastie On peut affirmer qu’il a été l’un des plus médiatisé. Son nom de couronnement, celui que les Égyptiens utilisaient pour l’appeler, était Ousermaâtrâ qui signifie La justice de Râ est puissante, aimé d’Amon. Bien après son accession au trône, Ramsès le transformera en Ousermaâtrâ-Setepenrâ à savoir la justice de Râ est puissante, aimé d’Amon, l’élu de Râ.

C’est Gaston Maspero, nommé en 1881 à la tête du service des Antiquités égyptiennes au Musée du Caire, brillant égyptologue, qui a retrouvé Ramsès II dans une caverne où était entassé tout un tas de statuettes, des cercueils, des meubles, des objets divers et variés, y compris des restes de nourriture etc… Également 32 dépouilles de rois, de reines, de princes, de princesses, dont Séthi Ier et Ramsès II. Ce dernier reposait dans un cercueil de bois . En 1886, il sera procédé au débandage de la momie, solennellement au Musée de Boulaq .

« Le maillot qui protégeait le corps se déroula bande à bande. La tête se montra, une tête longue, haute, étroite, au teint mat et jaune, aux joues osseuses, au grand nez d’aigle, au menton massif et lourd , à la bouche dure et fine. Il s’emblait qu’un reste de vie couvât sous ce masque de chair durcie et que le souverain lui-même, troublé dans son repos, fût sur le point de se dresser furieux. Le front qui portait la couronne, les mains dans un geste qui lançait ou rappelait des armées, les lèvres qui décidaient d’un seul mot les destinées des hommes. Une contagion de stupeur et presque d’effroi saisit, je l’ai vu, l’assistance entière : comme si il allait parler. » Gaston MASPERO

Lorsqu’il monde sur le trône d’Égypte en l’an 1304 avant J.C., Ramsès II est un jeune homme à qui l’on a enseigné, dès sa plus tendre enfance, l’art de gouverner . En tant que prince héritier, il savait qu’il devrait s’acquitter de la lourde tâche d’apporter l’harmonie et la paix à son peuple, de veiller sur lui . Il va hériter d’un royaume qui avait dû faire face à des épidémies graves de peste, et des défaites militaires . Son ambition sera donc de restaurer la grandeur et la prospérité de son pays . Il a régné durant près de 70 ans, il est mort très vieux (presque 90 ans) et il a symbolisé le pouvoir et la richesse.

De ce que l’on peut lire sur lui, il ressort qu’il fut un grand communicant, aimant énormément mettre en avant sa personne, sa gloire, et il le fera en réalisant des constructions démesurées sur lesquelles il n’hésitera pas à faire graver son nom, ou des peintures relatant ses exploits, tout comme d’ailleurs, il le fera aussi sur les monuments de ceux qui l’ont précédés, probablement pour se les approprier.

Un fin praticien, grand maître des relations publiques, un invincible guerrier , à la tête d’une armée de 20.000 hommes, dont les exploits ont largement dépassé les frontières de l’Égypte. Lui-même les aurait largement commentés. Son principal ennemi : le peuple des Hittites , avec à sa tête le roi Mouwatalli Ier , qu’il combattra durant de longues années (environ 200 campagnes contre eux ) parce qu’il représentait une menace pour l’Égypte.

La victoire de Qadesh (une cité fortifiée en Syrie) , qui de nos jours, est donnée comme la plus grande bataille de chars de l’histoire, documentée par des sources antiques, , reste mitigée : ni vraiment une défaite, ni une victoire. Simplement les Hittites auraient proposé une trêve. Ramsès en profitera pour retirer son armée afin de la sauver. On transformera ce retrait en glorieuse victoire du pharaon. Du coup la signature du traité de paix ( le premier au monde ) va tarder, et se confirmera par des mariages entre les deux peuples. Les Hittites vont, par ailleurs, conserver l’Amurru (se trouvait dans le djebel Ansariye près de la frontière séparant les actuels Syrie et Liban) et l’Égypte la Palestine.

Cette bataille eut lieu en l’an 5 du règne de Ramsès II. Le traité de paix sera signé en l’an 1258 avant J.C. entre Ramsès II et Hattousil III (devenu roi des Hittites).

Ostracon représentant Ramsès II dans son char XXe dynastie (calcaire peint) (Collections du Musée égyptien/Le Caire)

Ramsès II dit Ramsès le Grand, ou le pharaon bâtisseur est le fils de Sethi Ier et de la Reine Mouttouya. Il est né vers 1304 et meurt en 1213 avant J.C – Devenu pharaon, il a vécu à Pi-Ramsès, la ville qu’il s’est fait construire sur le site de Avaris, l’ancienne capitale des Hykôs (XVe dynastie ) dans le Delta oriental. Il avait choisi ce lieu car proche de ses ennemis.

Pi-Ramsès en haut à droite

Il aura plusieurs épouses , de nombreuses concubines (environ 200). Sa reine favorite restera Néfertari dite la plus belle . Elle deviendra sa femme avant qu’il ne monte sur le trône. Elle fut également sa conseillère, assistera son pharaon de mari dans toutes les grandes cérémonies officielles. Elle fut, de plus, un lien précieux avec le Clergé de Thèbes. Sa représentation apparaitra sur des grands monuments. Un acte souhaité par Ramsès afin que l’on puisse comprendre qu’elle fut sa préférée. N’en déplaise aux autres …

Dans sa tombe il fera écrire mon amour est unique, on ne peut rivaliser avec elle. Ce lieu, magnifiquement décoré de fresques superbes, est situé dans la Vallée des Reines. Elle fut découverte en 1904 par Ernesto Schiaparelli qui était alors directeur du Musée égyptien de Turin.

Représentation de Néfertari sur les parois de son tombeau

Il y aura également Isis-Néféret, une roturière. Dans le harem elle est considérée, elle aussi, comme Néfertari, comme Grande épouse royale. C’est leur 13e fils Mérenptah qui succèdera à son père. Le seul à être resté vivant après le si long règne de son père.

Il y aura d’autres épouses comme par exemple : Maâthornéférouré , fille du roi hittite Hattousi III. Elle rejoindra l’Égypte et la maison de Ramsès II en l’an 34 et deviendra sa femme. C’est leur union qui a scellé le traité de paix conclu entre son oncle le roi Mouwatalli III et Ramsès II. Elle lui donnera une fille Néférouré.

Également la reine Mérytamon, fille de Ramsès et de Néfertari. Elle épousera son père, mais ne recevra le titre de Grande épouse royale que très tard. On suppose qu’elle est décédée durant son règne // La reine Bentanat, autre fille de Ramsès II (mère : Isis-Néféret) qu’il épousera en l’an 26 . L’union sera consommée puisqu’elle donnera naissance à une fille. Elle survivra à son père et verra son frère Mérenptah monter sur le trône d’Égypte //

 » Il n’y avait pas de mariage incestueux dans la société civile égyptienne, mais les souverains estimaient qu’ils n’avaient pas à se confronter aux lois humaines et ils n’hésitaient pas à épouser leur sœur. Ils s’inspiraient du mythe des jumeaux Isis et Osiris, le premier couple royal qui aurait apporté la civilisation aux Égyptiens. Ils sont même allés plus loin en épousant leurs filles dès l’Ancien Empire, vers 2300 avant notre ére. Impossible d’affirmer que ces unions étaient consommées, mais on peu le soupçonner. Pour Ramsès II, par exemple, c’était une manière de conserver le pouvoir au sein de la famille, mais aussi de s’affirmer comme le démiurge qui, pour créer le monde, puise dans une énergie féminine sacrée. » Florence QUENTIN ( Historienne )

Ramsès a été un grand guerrier militaire bien avant qu’il ne monte sur le trône. Il a souvent accompagné son père Séthi Ier dans des campagnes militaires. Devenu pharaon, il va mettre en place ses armées dans le Delta du Nil, à Pi-Ramsès, là où il vit dans une véritable forteresse, afin d’avoir «  ses ennemis sous la main « . C’est un fin stratège qui, certes, engagera de nombreuses batailles afin d’imposer sa souveraineté, mais en même temps il sait se montrer assez diplomate avec certains de ses autres « voisins » limitrophes.

« Le maître des deux terres » va être un incroyable roi bâtisseur. Il fera édifier des statues, des temples, des palais, et autres colosses assez gigantesques. Non seulement, son nom est inscrit, mais des reliefs et peintures relatent de tout ce qu’il a pu faire pour son pays. Il apparait souvent seul, ou accompagné par les dieux. C’est une façon pour lui d’affirmer sa puissance, sa gloire, et montrer aussi à son peuple que lui seul est capable de les défendre et faire régner la paix.

Parmi les grandes constructions il y a, entre autres : le temple de Abou Simbel avec ses quatre colosses représentant Ramsès II assis avec à ses côtés, en plus petit, des sculptures de sa mère et de sa femme Néfertari. – le Ramesseum sur une des rives du Nil, à Louxor, un monument qui était, à l’époque, religieux, économique, administratif, et culturel. Il doit son nom à Champollion qui le découvrira en 1828. – Le temple de Karnak : c’est son père Séthi Ier qui l’avait commencé. Il conte les exploits de ce dernier, mais Ramsès y rajoutera les siens. – Le temple d’Abydos en Haute-Égypte sera édifié comme un lieu de culte fait à Osiris. C’est en quelque sort un lieu en son honneur et celui de son père.

Les dernières années de son très long règne ne se dérouleront pas vraiment bien : non seulement ses héritiers vont entretenir des nombreuses querelles de succession, mais des évènements menaçants pour le pays font rage. Ramsès est désormais très vieux et ne fait rien pour y faire face . Son pouvoir décline.

A sa mort en 1236 avant J.C, ce sera finalement, comme je l’ai dit plus haut, son seul et dernier fils resté encore en vie, Merenptah qui lui succèdera à un âge déjà bien avancé.

Ramsès II reste un pharaon largement évoqué dans la littérature, la publicité, la chanson ou le cinéma. Rappelons-nous Yul Brunner prenant ses traits dans le film de Cecil B.DeMille en 1956 Les dix commandements. // Eddie Murphie en Ramsès II dans le clip de Michael Jackson Remember the time // Publicité créée par Jacques Séguéla pour le chocolat en poudre Banania où Ramsès II apparait avec l’inscription  » D’après vous comment ai-je pu faire 198 enfants ? -Ramsès élevé au Banania // La comédie musicale de Pascal Obispo en 2000, mise en scène par Elie Chouraqui Les dix commandements avec Ahmed Mouici dans le rôle de Ramsès etc etc …

 » Et sur le piédestal il y a ces mots : mon nom est Ozymandias ( transcription grecque de l’un de ses titres), Rois des Rois. Contemplez mes œuvres, Ô puissants et désespérés ! A côté rien ne demeure. Autour des ruines. Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin ….  » Percy Bysshe SHELLEY Poète romantique britannique évoquant une statue de Ramsès II en 1817

Léon MONET – Frère de l’artiste et collectionneur…

 » Les historiens ont toujours pensé que les deux frères n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. C’était supposé parce qu’il n’y a pas de photographie réunissant Claude et Léon ensemble, et pas de correspondance, mais ils ont été proches. Les frères se sont disputés et cela peut expliquer pourquoi aucune trace directe de la relation existe. Peut-être que Léon s’est débarrassé de ces traces, peut-être que c’était Claude. Peut-être que c’était de la jalousie. Nous ne le saurons jamais. C’est un mystère.  » Géraldine LEFEBVRE (Commissaire de l’expo)

Dans la famille Monet, on demande le frère … Le Musée du Luxembourg répond favorablement à cette demande, en présentant une fort belle exposition (en collaboration avec l’aide des descendants de la famille Monet) consacrée au frère aîné de Claude, à savoir Léon. L’histoire de l’art l’a quelque peu oublié. Pourtant, il a joué un grand rôle dans la vie de l’illustre peintre . Elle s’intitule «  Léon MONET – Frère de l’artiste et collectionneur – et se tiendra jusqu’au 16 Juillet 2023.

L’expo rassemble une centaine d’œuvres ( peintures et dessins) de différents peintres : Claude Monet bien sur, mais d’autres également, ainsi que photos, des documents, des archives, des échantillons de tissus, de couleurs, des estampes japonaises, des albums de couleurs, et la dernière palette de Claude Monet. Le tout en différentes sections. Elle est intéressante car outre la peinture, elle permet de mieux comprendre le monde industriel du textile et et des couleurs dans lequel Léon Monet a évolué à Rouen.

Le portrait, qui illustre l’affiche, présenté pour la première fois, fut le seul que Claude Monet réalisa de son frère. Curieusement, Léon l’a caché durant de nombreuses années. Peut-être n’a t-il pas apprécié d’apparaitre aussi fermé, voire même sévère ! Le tableau n’était pas totalement terminé. Claude avait écouté les conseils prodigués par Renoir et Sisley qui lui avaient dit : N’y touche pas, tu l’éteindrais.

 » Portrait de Léon Monet  » 1874 Claude MONET (Collection particulière)

Léon Monet est né en 1836. Ses parents, Claude Adolphe et Louise Justine sont des commerçants. Quatre ans plus tard, la famille accueille un autre petit garçon : Claude. En 1845 , elle s’installe au Havre, un port qui, à l’époque était en plein essor. Comme les parents sont très occupés par leur travail, les deux frères sont confiés aux bons soins de Marie-Jeanne, la demi-sœur de leur père. Elle sera encore plus proche d’eux lorsque leur mère décèdera.

 » Adolphe Monet lisant dans un jardin  » 1867 – (Collection particulière)
 » Le port du Havre  » 1874 Claude MONET (Collection du Philadephia Museum of Art/Philadelphie)

Léon, homme réputé pour son caractère bien trempé, sa vivacité d’esprit, sa franchise et sa cordialité, a été un collectionneur, mécène des impressionnistes(un des premiers ) , mais également un chimiste spécialisé dans la couleur, un industriel créateur du Musée des arts industriels de Rouen et fondateur de la Société industrielle de la ville (en 1872 l’année où Claude peignait Impression soleil levant). Respecté à Rouen, il avait la réputation d’être un sacré homme d’affaires !

Tous deux ont eu une passion pour la couleur. Claude sur la toile, Léon fut chimiste. La couleur, il l’a abordée différemment en mettant au point des nouvelles formules. Autres passions communes : la Normandie, le mouvement impressionniste, les paysages empreints de poésie , et les estampes japonaises. Léon, grand amateur d’art, va , très tôt, soutenir son frère dans son désir d’être peintre, défendra son travail et son talent , envers et contre tous, à une époque où la critique ne l’épargnait pas

L’élevage des vers à soie  » Yoshiku UTAGAWA 1868 – ( Collection particulière

Il a débuté en 1869 comme représentant de commerce pour une société suisse (J.R. Ceigy & Cie) spécialisée dans les colorants chimiques, et deviendra , par la suite, archiviste, puis rédacteur de rapports . Lorsque cette société décidera d’établir une succursale, dans un vieux moulin, à Maronne ( proche banlieue de Rouen) , c’est Léon qui en deviendra le directeur. A partir de là, il va devenir un industriel réputé et reconnu produisant des couleurs synthétiques, mais également des tissus de coton peints (indiennes).

Il a fait partie de la riche bourgeoisie de Rouen , la ville aux cents clochers (comme l’avait écrit un jour Victor Hugo) , celle de la magnifique cathédrale peinte par Claude Monet, et qui, à l’époque, était le premier port fluvial de France, une ville très animée, en plein essor, dynamique, reliée à la capitale par le train depuis 1843. De plus, elle avait la réputation d’être celle où la gastronomie était fort appréciée, où la vie artistique, à l’opéra ou au théâtre, était d’excellente qualité. Donc très attractive !

En ce qui concernait la peinture, elle était dotée d’un magnifique écrin, inauguré en 1888 : le Musée des Beaux-Arts où l’on pouvait venir admirer les maîtres anciens. Mais pas que ! Il y avait aussi d’autres institutions culturelles comme le Musée départemental des antiquités, celui de la céramique , celui d’histoire naturelle, et le Musée industriel pour le textile. Léon Monet en fut l’un des initiateurs !

 » Rue de l’épicerie à Rouen / Reflets de soleil  » 1898 Camille PISSARRO (Metropolitan Museum of Art / New York)
 » Le pont Boieldieu à Rouen /Temps humide  » 1896 Camille PISSARRO (Collections de l’Art Gallery of Ontario/ Toronto)
 » Vue intérieure du Musée des Beaux-Arts de Rouen  » 1880 Charles ANGRAND (Collection du Musée des Beaux-Arts / Rouen)

Dans son laboratoire appelé aussi la cuisine aux couleurs, Léon mettait au point des nouvelles couleurs avec des pigments à l’aniline beaucoup plus éclatants que ceux naturels d’origine minérale ou végétale. On ne sait pas avec certitude si Claude Monet a utilisé les couleurs de son frère. On suppose que oui. Bien que jusqu’à ce jour, personne n’a jamais eu l’idée de faire analyser les pigments de la palette de couleurs de Monet, on peut supposer qu’il en a fait usage, car, comme l’explique la commissaire de l’expo :  » à la fin du XIXe siècle, 80 % des couleurs synthétiques étaient utilisées par les impressionnistes. Ce qui leur plaisait dans ces couleurs, c’était l’éclat intense qu’elles présentaient grâce aux pigments industriels qui les fascinaient « .

Léon Monet dans la cour de son usine avec son neveu Jean (à droite) (Collection particulière)

Un tableau de Claude Monet a retenu, notamment, l’attention à ce sujet : c’est La femme à la robe verte. Le vert émeraude était particulièrement magnifique, profond, d’une grande intensité, ainsi que le violet, ce qui laissait à supposer que ces couleurs provenaient du laboratoire de son frère.

« Quant aux couleurs que j’emploie est-ce si intéressant que cela ? Je ne pense pas . Le grand point est de savoir se servir des couleurs dont le choix n’est, en somme, qu’une affaire d’habitude. Je me sers de blanc, d’argent, de jaune, de vermillon, de garance foncée, de bleu cobalt, de vert émeraude, et c’est tout !  » C.M

Les deux frères ont été très liés, ont partagé, à une époque, une grande complicité, mais on ne peut pas dire que les relations entre eux furent tout le temps au beau fixe . Ils ont connu pas mal d’embrouilles, se sont fâchés pour des raisons futiles ou plus sérieuses , cela arrive souvent dans les familles. La première fois c’était pour une dette de 1500 frs que Claude mit du temps à rembourser à Léon. Une autre fois, ce sera lorsque ce dernier épousera, en secondes noces, sa cuisinière, une femme de 30 ans de moins que lui et maman d’une petite fille de 10 ans, Adrienne. La troisième fois leur sera fatale puisqu’ils ne se reparleront plus. Léon mourra sans qu’ils puissent se revoir , ce que Claude va profondément regretter.

La raison de cette ultime fâcherie : Claude a tenu son frère pour responsable de la mort de son fils Jean . Léon avait engagé Jean (chimiste formé à l’École préparatoire des arts et métiers) dans son usine. Les deux hommes ne s’entendront pas très bien en raison du caractère maniaque et dur de Léon. Toutefois, Jean restera en poste durant plus de 20 ans, mais quittera l’entreprise à cause de leur mésentente. Claude prendra position pour son fils et les deux frères se fâchent. Jean mourra intoxiqué par les émanations de teinture qu’il avait respiré durant toutes ces années., et Claude en tiendra son frère (indirectement) pour responsable.

Dès 1870, Léon Monet avait fait l’acquisition d’ une vingtaine de toiles de son frère. C’était l’époque où ce dernier n’avait pas le sou. Il l’a fait aussi avec celles de Renoir, Pissarro (qu’il admirait énormément et dont il fut l’ami ) , Sisley, Morisot, etc… Après quoi, il les exposait pour qu’on puisse s’intéresser au travail des impressionnistes. On peut dire qu’il fut un fidèle parmi les fidèles. Pour ses achats, il ne passait pas, comme d’autres, par le marchand d’art Durand-Ruel, mais traitait directement avec les peintres, ou par l’intermédiaire de son frère.

 » Le pêcheur à la ligne  » 1874 – Pierre Auguste RENOIR ( Collection particulière)
 » Lise ou le bel été  » 1868 – Pierre Auguste RENOIR (Collections de la Alte National Galerie/Berlin)
 » Les environs de Rouen  » 1883 Camille PISSARRO (Collection particulière)
 »Vue de Rouen au bouquet de dahlias » 1907 Marcel DELAUNAY (Collection particulière)

Sa collection totale comprenait une soixantaine de tableaux de différents peintres impressionnistes y compris son frère, ainsi que deux précieux carnets de dessins réalisés par Claude à l’âge de 16 ans , dédicacés. Elle s’est faite, au fil des années, sur des coups de cœur, mais également grâce aux conseils de son frère. Il organisait des expos où l’on pouvait admirer sa collection, ainsi que tous les nuanciers des couleurs produites dans son usine, et une gamme de tissus peints.

Elle comprenait aussi des tableaux de Renoir, Sisley, Pissarro, Morisot, et n’hésitera pas à faire monter le prix aux enchères lors de la vente à Drouot en 1875 afin de les aider encore plus. . On trouve également des paysagistes : Joseph Delattre, Narcisse Gilbert, Charles Angrand, Georges Bradberry, Charles Frechon, ou Marcel Delaunay.

 » L’anglais à moustache  » 1857 – Dessin de Claude MONET (Collection particulière)

Comme je l’ai dit un peu plus haut, lorsque Léon était un industriel installé, réputé et exportant ses colorants en Amérique et au Japon, Claude était un peintre qui se débattait avec des problèmes d’argent pour lui permettre de continuer sa passion. Il faisait donc souvent appel à son frère qui ne rechignait pas à l’aider, en lui achetant notamment des toiles. Au départ, il faut savoir que, même s’il reconnaissait un grand talent à son frère, il n’a pas acheté ses premières toiles par goût, mais vraiment par générosité pour l’aider. Ce qu’il a beaucoup apprécié, par la suite, ce sont les tableaux de Claude représentant des coins de leur enfance, des portraits de famille, des souvenirs.

J’ai parlé au début de la Normandie. Il faut dire qu’elle est chère au cœur des deux frères . C’est la région de leur enfance, leur terrain de jeux, celle où ils ont aimé, plus tard, faire de longues promenades, ensemble, au bord des falaises. Tant de paysages repris par Claude : Sainte-Adresse, Le Havre, Étretat, Rouen, Les Petites-Dalles (là où Léon fit construire La Maison rose en 1875. A Rouen, Léon chine beaucoup les marchands d’art, les antiquaires, l’Hôtel des ventes, le Musée des Beaux-Arts.

 » Sur la plage des Petites-Dalles » 1873 – Berthe MORISOT ( Virginia Museum of Fine Arts /Richmond)
 » Fleurs de printemps » 1864 – Claude MONET (Cleveland Museum of Art / Cleveland)
 » Jardin en fleurs à Sainte-Adresse » 1866 env. Claude MONET (Collections du Musée Fabre / Montpellier)
 » Méditation -Madame Monet au canapé » 1871 env. Claude MONET (Collections du Musée d’Orsay/Paris)
 » Villas à Bordighera  » 1884 – Claude MONET (Collections Hasso Museum Barberini / Potsdam)

Léon Monet a eu deux épouses : Etiennette, puis Delphine. Avec la première il n’aura pas d’enfant. Avec la seconde, ils auront une fille, Louise. Delphine avait également une fille, Adrienne, qu’il considèrera comme la sienne. Elle mourra très jeune.

Louise aura Claude Monet pour parrain. A la mort du peintre, c’est elle qui mettra tout en œuvre pour que revive la maison de Giverny , et qu’elle puisse s’ouvrir au public, ce qui, de base, n’était pas prévu . Pour ce faire, elle a levé les clauses du leg à l’Académie des Beaux-Arts Sa fille, Françoise, petite fille de Léon, a toujours eu l’espoir qu’un jour une exposition réunirait les deux frères. C’est chose faite aujourd’hui !

Léon est mort en 1917. Claude n’assistera pas à ses obsèques.

Dernière palette de Claude MONET (elle fait partie de l’expo)

 » Quand vous sortez peintre, essayez d’oublier quels objets vous avez devant vous ,un arbre, une maison, un champ ou quoi que ce soit d’autre. Pensez seulement ceci : voici un petit carré de bleu, de rose, un ovale de vert, une raie jaune, et peignez exactement comme ils vous apparaissent, couleurs et formes exactes jusqu’à ce qu’ils vous donnent l’impression naïve de la scène que vous avez devant vous  » Claude MONET  »

Elliott ERWITT au Musée MAILLOL …

 » Pour moi la photographie est un art de l’observation. Il s’agit de trouver quelque chose d’intéressant dans un endroit ordinaire. J’ai trouvé qu’il y avait peu de choses que l’on voit et tout est à voir avec la façon dont on les voit. »  En réalité, dire qu’il y a de l’humanité dans mes photos est le plus grand compliment qu’on m’ait jamais fait. Si mes photos aident les gens à voir le monde d’une certaine façon, c’est sans doute à voir les choses sérieuses d’une manière non sérieuse. »Elliot ERWITT (Photographe américain)

Elliott Erwitt and Stephanie March

C’est toujours un immense plaisir de pouvoir assister à une exposition concernant l’éminent photographe du XXe siècle que fut Elliott Erwitt, 95 printemps prochainement ! On ne s’en lasse parce que l’on sait, à coup sur, que l’on va passer un excellent heureux moment, et cela fait du bien.

Le Musée Maillol à Paris nous propose donc une rétrospective-hommage intitulé tout simplement Elliott ERWITT – Elle se tient du 23.3.2023 jusqu’au 15.8.2023 et reprend différents thèmes abordés par le photographe à savoir les couples, les enfants, les plages, les musées, les villes, la couleur, les femmes etc… (Les photos font partie des collections de l’Agence MAGNUM)

 » Metropolitan Museum 1949 – Elliott ERWITT
« Au château de Versailles 1975 » Elliott ERWITT
 » Fontaine du Louvre 1989  » Elliott ERWITT

Elliott Erwitt a mis sa vie au service de la photographie dite  » originale « . L’œil rivé derrière son objectif, scrutant les moindres faits et gestes et n’ayant pas son pareil pour savoir capter un instant précis qui devient quasiment une petite histoire que l’on pourrait raconter en la regardant.

Pour bien comprendre ses photos, il faut avoir en tête que l’humour et le talent de ce photographe ne se trouvent pas dans ce qu’il photographie, mais plutôt dans la photo elle-même, à savoir que l’on peut être amené, par exemple, à prendre une scène cocasse qui finalement se révèle sans vie, et photographier une personne ( ou une situation) qui fait un geste tout à fait banal au premier abord mais qui le fait d’une façon telle que la photo devient alors très amusante et intéressante.

ERWITT Confessional de rue 1940
 » Confessional de rue / 1940  » Elliott ERWITT
ERWITT Musée du Prado 1995
 » Musée du Prado / 1995  » Elliott ERWITT
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 » Combat entre Mohamed ALI et Joe FRAZIER  » Madison Square Garden de New York en 1971 – Elliott ERWITT :  » j’avais acheté mon billet. J’étais au milieu de la foule quand Ali est tombé K.O. J’ai déclenché juste au bon moment. Ce qui rend l’angle original, c’est que tous les photos-reporters étaient placés près du ring. Moi, j’avais un autre point de vue.« 

« Soldat tirant la langue / 1951  » Elliott ERWITT : «  Cette photo d’un soldat me tirant la langue a été prise à Fort Dix pendant un entrainement de base. Je marchais, au milieu de la troupe, à côté de lui. Je portais mon appareil photo, un Leica à objectif pliable. C’est une vieille photo mais je l’aime toujours!  » 

C’est là le grand talent de Erwitt qui, avec son côté chaplinesque, a su réaliser ce que je viens d’expliquer, et qui le fait de façon simple, tendre, légère, lucide, drôle, sensible, subtile, espiègle et malicieuse, pétillante aussi, sans écarter l’émotion lorsqu’elle est bouleversante ou dramatique. Il ne revient jamais sur ses clichés au tirage, ne les recadre pas. La photo prise sur le vif reste telle quelle. Cela a toujours été très important pour lui.

Ses photos sont, pour la plupart, en noir et blanc. Il y en a eu en couleur également mais elles l’ont été pour un côté plus professionnel dirons-nous, destinées à des magazines ou pour l’Agence Magnum.

ERWITT Amsterdam 1968
 » Amsterdam 1965  » Eliott ERWITT
ERWITT Deauville 1965
 » Deauville 1965  » Elliott ERWITT
 »Tropicana hotel » 1957 Elliott ERWITT
« Marilyn Monroe The Misfits Reno 1960  » Eliott ERWITT
 » Las Vegas 1957 – Elliott ERWITT
 » Obama et son épouse lors de la présidentielle 2009″ Elliott ERWITT

Erwitt est une vraie légende qui a fait l’objet de très nombreuses expositions un peu partout dans le monde. Ses sujets sont très variés : personnes dans des situations inattendues, objets et lieux insolites, scènes burlesques ou plus dramatiques, moments précis pris sur une plage, dans des trains, des bals, des photos de baisers volés, des stars, des hommes politiques, des écrivains, des enfants, des chiens  …. Des tas de sujets, tout sauf la guerre !

FRANCE. Paris. 1989. Eiffel tower 100th anniversary.
 » Paris 1989 Tour Eiffel  » – Elliott ERWITT 
USA. California. 1955.
 » Santa Monica Californie 1955  »  Elliott ERWITT 
 » Empire State Building 1956  » Elliot ERWITT
 » La Tour de Pise Italie 1967  » Elliott ERWITT

Les enfants font partie des sujets  qu’il apprécie parce qu’il dit les trouver très spontanés, pleins de fraîcheur. Quant aux chiens, alors là il les a vraiment beaucoup aimés :  » ils ne savent pas qu’ils sont photographiés et ont donc une attitude tout à fait naturelle « . Il avoue pourtant qu’ils ne sont pas tous photogéniques. Sa préférence va aux chiens français qui à son humble avis sont ceux qui affichent le plus de personnalité.

 » La baguette et le béret / Provence 1955  » Elliott ERWITT 
This Week's Photo — Boy with Pistol — Elliot Erwitt | by Arshdeep Matharu |  Medium
 » L’enfant au pistolet  »  Elliott ERWITT ( Un jour dans une exposition on a demandé à Erwitt quelle était sa photo préférée parmi toutes celles qui étaient accrochées. Il a désigné celle-ci et a répondu «  parce qu’elle m’émeut « 
ERWITT Dog jumping 1989
 » Dog Jumping  » 1989 Elliott ERWITT
ERWITT 1974
Série Dogs en 1974 – Elliott ERWITT
ERWITT Dog birmingham 1991
 » Série Dogs – Birmingham 1991  » Elliott ERWITT

Elliott Erwitt est né à Paris en 1928. Enfance passée d’abord en Italie, puis départ pour les Etats-Unis : New York d’abord, Los Angeles ensuite. Ses parents se séparent lorsqu’il est adolescent. Il va donc se débrouiller un peu tout seul. La photo fait déjà partie de sa vie à cette époque. Premier appareil à 13 ans, et travail dans un laboratoire de développement deux ans plus tard. C’est là qu’il dit avoir eu une révélation : celle que la photo allait devenir toute sa vie. Il tombe, en effet, sur une photo de Cartier Bresson sur des trains qui va le fasciner pour tout ce qu’elle apporte d’incroyable en atmosphère et qui se révèle complètement naturelle et inattendue.

A partir de là, son attrait pour la photo va considérablement s’intensifier. En plus de son travail en laboratoire, il photographie pour son propre compte et son plaisir. Il quitte ses obligations professionnelles, et part voyager en France, en Italie, collabore pour divers magazines très en vogue en Europe, puis retourne aux Etats-Unis.

Il part faire son service militaire tout en continuant à travailler pour des revues américaines. Son travail est à son image : optimiste, souvent ironique et plaît beaucoup. Il gagne même un concours. A la sortie de l’armée, il fera de belles et grandes rencontres : d’abord Edward Steichen qui lui obtiendra un véritable premier job dans la publicité et le fera participer à des expositions fondamentales et importantes.

Puis ce sera Robert Capa, déjà croisé avant son service militaire à Paris, lorsque ce dernier avait une petite agence de pub. Il apprend qu’il va ouvrir une agence américaine. Elle devient la célèbre Agence Magnum. Capa parraine Erwitt et le fait entrer. C’était en 1953. Il en deviendra l’un des principaux piliers, sinon le plus célèbre et bien des années plus tard le président. Ses photos pour l’agence feront le tour du monde et la Une d’un grand nombre de couvertures.

Son aisance, sa liberté, son sens aigu de la composition, son style sont sa carte de visite. En dehors de la photo, Erwitt a travaillé également dans la publicité, le reportage (Life, Look, Paris Match etc…) , le documentaire. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la photo, a réalisé des programmes comiques ( voire satiriques ) pour la télévision.

Sa route a croisé celle de nombreuses personnalités connues : JFK, Jackie Kennedy, Le Che, Truman Capote, Fidel Castro, Marlène Dietrich, Simone de Beauvoir, Bill Clinton, Arnol Scharzenegger etc etc … Sans oublier Marilyn qu’il rencontre sur le tournage de Certains l’aiment chaud et la retrouvera dans les Misfits. 

Dans tous les cas de figures, attention : pas de comportement  spécial, ni d’attention particulière  due à la hiérarchie, la notoriété. Quel que soit le statut social, tout ce beau petit monde sera traité de la même façon, placé à égal niveau.

ERWITT Marilyn 1954
 » Marilyn 1954  » Elliott ERWITT  » Elle était toujours agréable, facile à photographier. Elle avait un instinct très fort pour ceux qu’elle aimait et ceux qu’elle n’aimait pas. Elle était très accessible. La Terre entière a fait son portrait ! Rater une photo de Marilyn relevait de l’impossible. Cela relève de la photogénie »
ERWITT JFK
 » JFK  » Elliott ERWITT 
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 » Jackie Arlington 1963  » Elliott ERWITT 

Elliott Erwitt a été marié quatre fois et a eu six enfants. Il est grand-père, toujours optimiste et actif. Il a travaillé dans la photo jusqu’à plus de 80 ans.

ERWITT 2017
ERWITT chez lui en 2017 avec son chien 

 » NÉO-ROMANTIQUES -Un moment oublié de l’art moderne 1926-1972…

 » Sunset (Mesusa)  » – 1945 Eugène BERMAN (North Carolina Museum of Art / Raleigh ) – Le tableau illustre l’affiche de l’expo

Il y a en art des périodes, pourtant étonnantes, dont on parle moins que les autres, voire même qui ont été oubliées durant des décennies . C’est donc, à plus d’un titre, fort intéressant lorsqu’une exposition nous propose de resusciter, voire découvrir, ou mieux connaitre l’une d’entre elles , comme le fait jusqu’au 18.6.2023 le Musée MARMOTTAN MONET avec  » NÉO-ROMANTIQUES Un moment oublié de l’art moderne 1926/1972 – Une centaine d’œuvres, originales dans leur diversité, y sont exposées. Elles viennent de collections muséales mais privées également.

Le néo-romantisme a bénéficié d’un certain succès à son époque, mais il fut plutôt discret et marginal. C’est un art un peu décalé, nostalgique aussi, à la fois éclatant mais parfois lugubre ou triste selon l’artiste. Il est né en 1926 , a duré jusqu’ en 1972, puis tomba dans l’oubli . Pourtant, les artistes qui en ont fait partie, furent des personnalités talentueuses, initiateurs d’une nouvelle esthétique . Aujourd’hui, ils sont méconnus.

Chacun d’entre eux a eu sa propre personnalité, avec, néanmoins, des similitudes et des affinités en art. Leur univers a souvent été empreint de mélancolie, de tragique aussi. C’était plutôt des figuratifs très impliqués dans le domaine de la scénographie et qui ont fait le lien entre le surréalisme, Picasso, Balthus, de Chirico, ou Severini, ainsi que de nombreux autres arts tels que l’opéra, le théâtre, le ballet, la mode, la littérature.

Ils ont eu en commun la passion de l’homme, ses sentiments, ses émotions, mais aussi sa place dans son environnement, sans que cela ait quelque chose à voir avec un  » nouvel académisme  » , mais plus proche de ce qui avait cours à leur époque comme cité ci-dessus . Leur volonté aura été le retour de la figure humaine dans la peinture. Pour autant ce n’était pas un retour à la vérité émotionnelle humaine mais plutôt à sa transcription esthétique. En ce qui concerne leurs paysages, ils sont plutôt fantomatiques.

Au centre de leur conception esthétique, il y eut aussi leur tendance à confondre la réalité et la fiction, leur goût pour l’imaginaire féérique , l’illusion, les mirages, l’équivoque, , le trompe-l’œil, le cirque , les masques que ce soit sur la scène comme face à leurs toiles..

Ils se sont opposés à tous les codes qui les avaient précédés mais aussi à l’abstraction qui pourtant les avait marqués et qui connaissait un certain succès ; d’autre part, ils ont partagé les mêmes idées sur leur art (mais aussi sur l’art de leur époque en général ) ; ont eu le désir de créer autre chose, avec, toujours, l’humain au centre de tout . Ils ont beaucoup aimé également l’architectural italien, romain, vénitien et toscan, et du reste, certains d’entre eux se sont rendus dans ces régions de l’Italie pour mieux s’en approcher, et comprendre.

C’est un critique d’art et essayiste franco-polonais, Jerry Waldemar-Jarocinski, dit Waldemar-George, qui a baptisé ces artistes du nom de néo-romantiques ou néo-humanistes (c’est probablement le terme qui leur convient le mieux d’ailleurs) , suite à l’exposition qui avait lieu à la Galerie Druet à Paris en 1926. Elle mettait à l’honneur des jeunes artistes qui venaient de sortir de l’Académie Ranson à savoir les français : Pierre Charbonnier, Christian Berard, les Frères Eugène, Thérèse Derain , mais également des étrangers : Eugène et Léonide Berman, Pavel Tchelitchev(ou Tchelitchew) , Kristian Tonny.

Couverture programme de théâtre pour les Ballets Russes / 1928 – Pavel TCHELITCHEV ( Collection particulière)
 » Mélancolie  » 1937 Eugène BERMAN (Collection particulière)
 » The Sun  » 1945 Pavel TCHELITCHEV (Michael Rosenfeld Gallery/New York)
 » L’Ensemble  » 1938 – Sir Francis ROSE (England & Co /Londres) avec, de gauche à droite, Natalie BARNAY – Serge LIFAR – Georges MARATIER – Christian BÉRARD – Pavel TCHELITCHEV – Sir Francis ROSE – Alice TOKIAS – Gertrude STEIN – Jean COCTEAU – Tyrone POWER – Francis PICABIA – Billy MAYOR (Sir Francis ROSE est celui qui porte la veste rouge – Il a voulu représenter toutes les personnes qu’il fréquentait ) – Francis Rose, peintre à la personnalité complètement excentrique et hallucinée, a débuté comme décorateur pour les Ballets Russes -Il fut un proche de Cocteau, un grand ami de Gertrude Stein qui a lancé sa carrière, l’amant du peintre anglais Christopher Wood.
Interior landscape  » 1947 Pavel TCHELITCHEV (Collections de Halley K.Harrisburg et Michael Rosenfeld / New York ) – Ces tableaux, qui ressemblent un peu à des radiographies, font partie des œuvres tardives de ce peintre)
Ce tableau fait partie des  » Scènes de la vie des bohémiens  » 1936 – Eugène BERMAN ( Collections du Ahteneum Museum of Art / Wadsworth ) / Un tableau entre rêve et réalité, ressempblant à un décor scénographique pour le théâtre, représentant un monde délabré, désespéré, avec des personnages errants, un thème qu’il apprécie énormément. Il faisait partie d’un ensemble qu’il avait placé dans sa résidence du Connecticut .
 » La lagune vénitienne -Malamocco  » 1948 – Léonide BERMAN (Collection particulière de Georgy et Tatiana Khatsenkov
 » Fillette d’araignée  » Vers 1946 – Léonide BERMAN (Collection particulière)
 » D’après Van Eyck (Gertrude Stein)  » 193036 – Krystians TONNY (Collections du Walsworth Atheneum Museum of Art / Harford ) – C’est un peintre hollandais, surnommé  » l’imaginaire flamand  » qui a toujours été fasciné par les peintres primitifs nordiques de son pays natal et qu’il a aimé réinterpréter de façon assez fantasmagorique.
 » Autoportrait  » (non daté) – Kristians TONNY – (Collection particulière)
 » Dormeurs près d’une statue et d’un campanile  » 1932 Eugène BERMAN ( Collection particulière)
« L’ange et le prince  » Sir Francis ROSE 1932 (Collection particulière)
Étude finale pour « The one who felt) 1930 – Pavel TCHELITCHEV (Collections de Michael Rosenfeld Gallery/ New York)
 » Garde-robe en trompe l’œil  » 1939 Eugène BERMAN (Victoria et Albert Museum / Londres)

De nombreuses personnalités les ont soutenus comme par exemple Christian Dior qui servait de galériste pour leurs tableaux et ce avant même qu’il ne soit couturier // La poétesse Gertrude Stein qui leur a acheté un grand nombre de leurs œuvres respectives notamment celles de Pavel Tchelitchev. C’est elle qui a permis à ces artistes de fréquenter des cercles d’intellectuels et pouvoir rencontrer d’ autres personnalités comme les peintres Bérard, Berman, le photographe écrivain Van Vechten, la poétesse Edith Sitwell etc.. // Boris Kochno, librettiste et décorateur pour les ballets de Serge Diaghilev (le secrétaire de ce dernier aussi) , et, qui a rencontré un grand nombre d’entre eux , notamment Christian Bérard dont il deviendra le compagnon et co-dirigera avec lui le Théâtre de la mode // Jean Cocteau qui sera très lié à Bérard et fera souvent appel à lui pour les décors de ses pièces // La poétesse Edith Sitwell qui éprouvera longtemps un amour, non partagé , avec Pavel Tchelitchev (homosexuel) mais qui deviendra sa protectrice et ne cessera jamais de louer le travail de son peintre préféré // James Thrall Soby, un collectionneur et critique d’art qui sera l’un des grands promoteurs du néo-romantisme aux Etats- Unis et leur consacrera un livre After Picasso qui reste une réelle référence // Lincoln Kirsten co-fondateur du New York City Ballet avec Balanchine qui fut pour eux un soutien incroyable // Julien Levy, galériste, qui ne cessera jamais de les défendre … Sans oublier Marie-Laura de Noailles, Marie-Blanche de Polignac (fille de Jeanne Lanvin), Helena Rubinstein, Elsa Schiaparelli, , Julien Green, Jeanne Lanvin, René Cravel, Louis Jouvet et tant d’autres ..

Chez eux l’expressivité des portraits est assez profonde, les corps se mêlent au décor qui les entoure, bien souvent l’ensemble est sombrement étrange . Ces artistes différents, fascinants , indépendants, ont eu , comme je l’ai dit plus haut, leur univers particulier, se sont tenus à contre-courant de l’abstraction et ont aimé dialoguer avec le théâtre et tout ce qui touchait à la scène . Leurs thématiques ont été souvent semblables, modernes, avec une envie de renouveau, tout en gardant toujours en eux la nostalgie, la sensualité, l’humour ironique aussi, la subtilité et la virtuosité dans le trait.

Il y a, dans cette expo, une personnalité dont le nom revient souvent, c’est Christian Bérard, surnommé par le tout Paris Bébé parce que , parait-il, il avait (plus jeune) une forte ressemblance avec le bébé qui apparaissait dans les publicités de la marque Cadum. Cet artiste étonnant, multi-facettes, inclassable, profondément épris de lecture et de musique, qui a aimé se perdre dans les paradis artificiels, a eu une passion pour le dessin ( un virtuose ! ) la peinture, le théâtre, les déguisements, le ballet, la mode, le cinéma, tout ce qui pouvait baigner dans l’illusion.

Christian BÉRARD (1902/1949)
Christian Bérard – Coco Chanel – Boris Kochno
 » Deux autoportraits sur la plage  » 1933 Christian BÉRARD (Collection particulière)
 »Les acrobates » Christian BÉRARD 1930 – (Collection particulière)
« Portrait de Boris Kochno 1929 – Christian BÉRARD (Nouveau Musée national/Monaco)
Paravent à quatre feuilles réalisé pour l’appartement de Claire Artaud / 1936 – Christian BÉRARD et Jean-Michel FRANK (Kettle »s Yard University of Cambridge)

Il est né en 1902. Dès l’enfance, il a été d’une hyper sensibilité frôlant parfois la fragilité. Ce n’est pas son amour pour la peinture qui fera que l’on parle ou se souvienne de lui. A l’Académie de peinture Ranson, il se lia d’amitié avec les frères Berman, Eugène et Léonide. Ensemble ils voyageront dans toute l’Italie.

En 1926, tous trois exposent à la Galerie Druet. Ils ne seront pas les seuls puisque seront également accrochés, entre autres, des tableaux de Pavec Tchelitchew, de Kristian Tonny, et de Thérèse Derain. C’est à cette occasion qu’on attribue à leur travail le nom de néo-romantisme.

Bérard va exposer ses tableaux à la Galerie Bonjean notamment, avec des œuvres de Salvador Dali et de Giacometti. Gertrude Stein, une collectionneuse très connue dans le milieu pictural, va être charmée par son travail. L’avis favorable qu’elle émet sur ses tableaux, va avoir un impact assez important puisqu’il va le propulser, rapidement, vers l’international.

Et pourtant …Pourtant la reconnaissance et le succès pictural de Bérard vont prendre fin. Explication : la rencontre avec deux hommes : en 1924 avec le poète Jean Cocteau avec lequel il développera profondément son amour du théâtre, de l’opéra, du ballet, du cinéma bref tout ce qui touche à la scène. Il surprendra non seulement en tant que décorateur dans les pièces de Cocteau, mais également comme réalisateur pour les films La Belle et la Bête ou l’Aigle à deux têtes. Son talent lui apportera d’autres opportunités en tant que décorateur par la suite. En 1929 deuxième rencontre importante : celle avec l’ancien secrétaire de Diaghilev, l’imprésario et scénographe Boris Kochno en 1929. Il devient son amant, son compagnon. Ils formeront un couple très célèbre dans le tout Paris de l’époque.

A côté de cela, c’est un exubérant excentrique qui a mené une vie tumultueuse, s’adonnant à toutes sortes de paradis artificiels, arrivant souvent à ses rendez-vous à ses rendez-vous professionnels etc… Mais , à côté cela, dans son travail, il était incroyablement performant , débordant d’énergie créative . Du coup, on lui pardonnait beaucoup. Il s’investira dans le domaine de la mode, notamment auprès de Christian Dior lorsque ce dernier sera couturier. La mode est un domaine qui lui plait, et il imposera ses amis (Dior, Coco Chanel, Balmain, Schiaparelli, Lanvin ou Patou) pour des costumes dans des pièces de théâtre sur lesquelles il travaille.

Il meurt subitement en 1949 et sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

Giovanni BELLINI – Influences croisées …

 » Tous m’avaient dit qu’il s’agissait d’un grand homme, et il l’était, incontestablement. Il était âgé, mais restait le meilleur des peintres. » Albrecht DÜRER en 1506, lors de l’un de ses voyages à Venise. Dürer fut l’un de ses grands admirateurs.

 » C’est dans le paysage, ou plus exactement dans l’accord de la figure et du monde de la nature, perçu comme forme et lumière, que Giovanni Bellini fut incomparable  » André CHASTEL (Historien de l’art)

 » Buste de Giovanni Bellini ‘ » réalisé par Luigi BORRO en 1853 (Galerie dell Academia à Venise)
 » Portrait d’un jeune homme » (Probablement un autoportrait) – Giovanni BELLINI (Collections de la Pinacothèque Capitolina à Rome)

Ce semestre 2023 est vraiment très riche en expositions magnifiques. S’il en est une, parmi les autres, qu’il faut retenir, c’est celle que nous propose le Musée Jacquemart-André. Elle s’intitule Giovanni BELLINI – Influences croisées – Jusqu’au 17.7.2023 . Elle présente environ une cinquantaine de tableaux, mais également des sculptures et dessins, prêts de la Gemälde Galerie/Berlin , Petit Palais/Paris , Musée Thysen-Bonnemisza/Madrid , Galleria Borghese/Rome, Museo Correr, Galleria dell’Academi/ Venise , Scuola Grande di San Rocco/ Venise – Fondation Querini-Stampalia /Venise , Musée du Louvre /Paris, Musée Bagatti Valsecchi/Milan , le Kunsthistorisches Museum/Vienne, la Galleria regionale Palazzo Abatellis/Palerme, la Pinacothèque Sforzesco/Milan et des collections privées.

Pourquoi est-elle très intéressante ? D’une part, parce que c’est première, en France, consacrée à ce peintre merveilleux qui fut, ne l’oublions pas, un des Maîtres de la Renaissance italienne, le fondateur de l’École d’art de Venise, le peintre officiel de la Sérénissime de 1470 à 1516, le mentor de Titien et Giorgione, ses élèves. Certes, certains de ses tableaux ont pu se retrouver dans des expositions, mais aucune ne lui avait été réservée seul.

D’autre part, elle nous permet de mieux comprendre son langage pictural, mais aussi de mieux connaitre le contexte de la période dans laquelle il a évolué. Car les influences et les correspondances artistiques ont eu de l’importance. C’est aussi une occasion de voir le dialogue installé entre son beau-frère Andrea Mantegna et lui.

Avant de commencer il est bon de préciser que la Renaissance italienne s’est divisée en différentes périodes : La Pré-Renaissance ou Trecento qui se situe entre le XIIIe et le XIVe siècles // La Première Renaissance ou Quattrocento au XVe siècle // et celle dite Haute Renaissance au XVIe siècle. Chacune a eu son lot d’artistes qui se sont distingués, des précurseurs, des maîtres, des initiateurs. La Renaissance est née en Italie, puis elle s’est diffusée dans toute l’Europe. Elle se terminera au XVIe siècle avec l’arrivée du Maniérisme.

A l’époque de la famille Bellini, Venise baigne dans le Quattocento. A cette époque la Sérénissime n’est plus à l’écart de l’Italie comme elle le fut durant cinq siècles, mais définitivement entrée dans ce pays. La peinture va fortement évoluer à Venise entre 1470 et 1500 et l’art vénitien sera à son apogée au XVIe siècle. Il va fortement rivaliser avec celui de Rome et de Florence. Les ateliers sont prospères. Giovanni va être le trait d’union entre la Première Renaissance et la Haute Renaissance.

Grâce à Giovanni Bellini, la peinture du XVIe siècle , à Venise, va offrir de merveilleux paysages. Rien ne lui a permis de s’intéresser aux paysages compte tenu du fait qu’il est né à Venise et n’est jamais allé ailleurs. Ce qu’il voyait c’était surtout des palais ou des églises et bien entendu la lagune. Il va découvrir le paysage avec son père qui a ramené de Florence des dessins avec en arrière-plan des paysages. Il va donc s’influencer de cette découverte et la faire évoluer à sa manière.

Plus tard, il en découvrira d’autres plus architecturaux avec Mantegna . Ensuite ce sera avec des tableaux venus des peintres des Flandres, lesquels utilisaient la technique de la peinture à l’huile qui produisait des effets miraculeux. Il apprendra cette technique grâce à Antonello de Messine qui avait séjourné à Venise vers 1475. A partir de là, Bellini en prendra grand soin, et la développera. Il laissera alors de côté la tempéra sur bois pour l’huile sur bois, et l’huile sur toile. Du coup son horizon pictural va considérablement s’élargir.

 » Jeune femme à sa toilette  » 1515 env. (Huile sur bois) Giovanni BELLINI ( Collections du Kunsthistorisches Museum de Vienne)

Les paysages de Bellini vont prendre place, tels un décor, derrière des figures sacrées. Ils jouent un rôle symbolique. Ce sont souvent des paysages d’endroits qu’il connait et donc on peut facilement les identifier. On peut vraiment dire que le paysage a été légitimé par Bellini. Avant lui dans la peinture vénitienne, c’était comme si il n’existait pas parce que l’on n’ faisait pas vraiment attention . Après lui, il va être reconnu comme important dans un tableau.

La peinture a été la grande passion de ce peintre jusqu’à la fin de sa vie (mort à 81 ans), et l’envie ardente de peindre ne l’a jamais quitté. Il fut le premier peintre vénitien qui, à son époque, s’intéressera à la peinture à l’huile, une technique qu’il va considérablement perfectionner. Cette technique a été mise au point vers 1420 par les Frères Hubert et Jan Van Eyck, avec un liant à base d’huile qui a pour effet de diluer les pigments en couches transparentes. Ce qui a pour effet d’apporter des variations dans la lumière . C’est un procédé révolutionnaire ! Du coup, pour tenter de la comprendre, les peintres de Venise essaieront d’interroger des peintres venus des Flandres. Bellini, lui, le fera auprès de Antonello de Messine qui connaissait le secret de cette technique.

Bellini a eu un style dramatique, expressif, empreint de subtilité, d’un merveilleux lyrisme, avec de belles couleurs intenses. Son monde pictural est méditatif, serein, profond. C’est vraiment un peintre d’une grande sensibilité qui a marqué la rupture avec le gothique. On découvre aussi qu’il était très ouvert aux autres mais assez casanier, aimant beaucoup rester chez lui ou dans son atelier à Venise, ou bien se rendre dans sa maison de campagne non loin de la ville.

Son but aura été de susciter des émotions et on peut dire qu’il a réussi car il a parfaitement su les traduire. C’est un artiste très ouvert d’esprit qui s’est énormément intéressé au travail des autres, mais également aux tendances nouvelles qui avaient cours dans son art. A aucun moment ce ne fut pour copier, mais pour stimuler son propre esprit créatif, étudier, développer, créer les siennes.

C’est ce qui lui a permis, d’ailleurs, de non seulement évoluer, mais se renouveler aussi sans altérer son originalité et son style personnel. Il sera donc toujours en quête de renouveau. C’est souvent chez les jeunes peintres notamment qu’il prend connaissance d’innovations picturales, comme il le fera, par exemple, chez Titien ou Giorgione qui furent ses élèves.

Bellini était déjà âgé et un peintre très réputé de Venise lorsqu’il accueillera, dans son atelier, deux élèves brillants : Titien et Giorgione. Non seulement il va être leur maitre, mais il sera heureux d’apprendre des choses picturales nouvelles de leur part. Malheureusement, Giorgione sera emporté très jeune par la peste. Titien restera, et c’est lui qui remplacera Bellini lorsque ce dernier décèdera.

Il est né très probablement vers 1435 (on lit parfois 1431) . On peut dire que la peinture est une affaire familiale. Jacopo, son père, était un artiste très connu à Venise, l’un des plus réputés du début de la Renaissance. Giovanni, surnommé Giambellino, est son fils naturel (né hors mariage, mais reconnu ) , mais non celui d’Anna avec laquelle Jacopo a eu deux enfants : un fils Gentile, et une fille Nicolosia.

 » La Vierge d’humilité adorée par un prince de la Maison d’Este » Tempera sur bois datant de 1435 env. Jacopo BELLINI (Collections du Musée du Louvre/Paris)
 » Annonciation  » Tempera sur bois datant de 1464 env. Gentile BELLINI ( Collections du Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid)

Son demi-frère et lui vont travailler ensemble dans l’atelier du père dont la formation était plutôt gothique, un spécialiste des fresques, fortement intéressé par l’art pictural florentin. L’atelier est prospère et compte de très nombreux apprentis. En 1453, ce lieu verra arriver Andrea Mantegna, un surdoué formé à Padoue, qui va s’amouracher de la fille, Nicolosia (peignant, elle aussi, à ses heures perdues) et l’épousera.

 » Portrait d’un jeune homme/Probablement Andrea Mantegna » 1475 env. Giovanni BELLINI ( Collections de la Pinacothèque Castello Sforzesco de Milan)

Le travail de Mantegna sa maîtrise dans la perspective et les formes, vont subjuguer Giovanni et l’influence de son beau-frère sera forte. C’est difficile de parler de réelle rivalité entre eux. Toutefois, lorsque Mantegna quittera Venise pour devenir peintre officiel de Mantoue, en 1460, Bellini va  » respirer  » et profiter de la place que laissera son beau-frère. Il n’y aura pas de coupure familiale pour autant car le lien entre les deux peintres va durer. Mantegna fut un peintre remarquable qui a bénéficié d’une longue, et multiple carrière (60 ans).

L’influence de Mantegna sur Bellini va durer une dizaine d’années . Elle a été telle qu’à un moment donné on en est venu à hésiter sur la paternité des tableaux de Bellini, notamment dans la Présentation du Christ au temple. Qui a peint ? La question s’est posée souvent. On ne peut pas dire que l’un des deux fut meilleur que l’autre. Ils restent différents. Une chose est reconnue par un grand nombre d’historiens de l’art : Bellini a été un génie, probablement pour cette soif de toujours apprendre et se renouveller , même lorsqu’il sera âgé, pour faire évoluer son amour viscéral de la peinture.

Lorsque Jacopo vient à mourir, Gentile continuera le travail à la façon de Jacopo, et Giovanni lui n’a qu’une idée en tête : innover ! Il dessine merveilleusement bien, peint de la même façon. La mère, Anna, ne lui laissera rien à sa mort. Elle lèguera tout à ses deux enfants légitimes.

Du coup, Bellini va préférer partir, suivre sa vie et sa carrière seul. Il choisira de rester à Venise, si riche artistiquement parlant ! Il s’intéressera fortement à l’art flamand qui lui permettra de découvrir la peinture à l’huile, mais aussi à l’art Byzantin. En effet, lors de la Chute de Constantinople en 1453, nombreux seront les réfugiés à Venise, lesquels viendront avec un grand nombre de leurs œuvres : icônes, reliques, manuscrits etc… qui ne laisseront pas indifférents les artistes de Venise, dont Bellini, lequel intègrera, dans sa peinture, les nouveautés qu’ils proposent, notamment le fond d’or.

Le départ de Gentile à Constantinople (qui avant de quitter Venise donnera à son frère toutes ses commandes en cours) et celui de Mantegna à Mantoue vont lui permettre une plus grande liberté. En 1483, il deviendra le peintre officiel de Venise, bénéficiera de nombreuses commandes de mécènes à qui il fera toujours bien comprendre que certes il entend leurs exigences , mais que lui seul voyage à son gré dans ses tableaux . A savoir qu’il n’a pas de limite et fait ce qu’il veut.

Mis à part Mantegna, il y a eu un autre peintre qui a compté dans la vie de Bellini, ce fut Antonello de Messine, formé à Naples, très inspiré par l’art flamand et espagnol, dont les nombreux voyages lui auront permis de nourrir son art de nombreuses influences étrangères. On pourrait dire qu’il fut l’âme sœur de Bellini tant, lui aussi, aimait s’enrichir de nouveautés. Il apprendra beaucoup à Bellini dans l’art du portrait. Il ne sera que de passage dans la Sérénissime mais il laissera une empreinte indélébile et fructueuse.

 » La Vierge de l’Annonciation » 1475/77 Antonello de MESSINE (Collections de la Galleria regionale Palazzo Abatellis à Palerme)

Une chose importante est à retenir sur Antonello de Messine : c’est que c’est lui qui a introduit la peinture à l’huile à Venise. Une légende affirme (bien que personne ne puisse en attester la véracité) que Bellini se serait présenté à lui afin de découvrir cette technique nouvelle , non comme un peintre, mais comme une personne souhaitant lui passer une commande.

Parmi ses grands mécènes, on compte une princesse, la fille du duc de Ferrare, Isabelle d’Este, épouse du marquis de Mantoue. Elle a longtemps été la protectrice de Mantegna. Elle fut l’une des personnes à s’affronter souvent avec Bellini à propos de cette envie de liberté d’inspiration qu’il exprimait pour les commandes qu’il recevait.

De fils oublié un jour, il deviendra celui qui portera haut le nom de Bellini. Ce qui le touchera, à la fin de sa vie, c’est de recevoir, de la part de son frère Gentile, mort en 1507, un carnet de dessins de leur père qu’il avait reçu de sa mère lorsqu’elle était décédée.

On dit de lui qu’il est le peintre des Madones. C’est vrai que l’on en compte beaucoup dans son œuvre. Des Madones, des Saints, des Saintes, la Passion du Christ, des Rétables etc… tout autant de tableaux religieux qui lui ont valu de recevoir de très nombreuses commande de la part du Palais des Doges.

 » Sainte Justine Borromée  » 1475 – Giovanni BELLILNI ( Collections de la Fondation Bagatti Valsecchi à Milan)
 » Vierge à l’enfant (Madone Lochis)  » 1470/75 Giovanni BELLINI (Collection de l’Accademia Carrara à Bergame)
 » Pietà  » 1460 env. – Giovanni BELLINI ( Collection de la Pinacothèque de Bréra à Milan)
 » Crucifixion  » 1459 env. Giovanni BELLINI (Collections de la Fondazione Musei Civici -Museo Correr à Venise)

Il a été marié à Ginevra Bocheta en 1465. Leur fils Alvice naitra en 1469. Tous deux vont mourir avant lui. Bellini décèdera à Venise, en 1515, à l’âge de 81 ans. Il sera inhumé, auprès de son frère Gentile, en la Basilique San Zanipolo de Venise.

Si vous allez à Venise, vous aurez le grand bonheur de voir un grand nombre de ses œuvres dans certaines églises de la Cité comme par exemple : San Pietro Martire sur l’île de Murano, San Giobbe dans le quartier de Cannareggio, San Zaccaria dans le quartier de Castello, Santa Maria dei Frari dans le quartier San Polo, San Giovanni et Paolo près de la Scuola Grande de San Marco …. Sans oublier les Musées : l’Accademia, le Museo Correr, le Palais des Doges.

Et si vos vacances estivales se passent en Italie, sachez que vous pouvez également le découvrir à Florence dans le Musée des Offices, à Milan à la Pinacothèque de Bréra, à Bergame à l’Académie Carrara, ou à Pesaro dans les Musei Civici.

Autel à San Zaccaria – Il s’agit d’une œuvre de Giovanni BELLINI datant de 1505
Le Polyptyque de Saint Vincent Ferrier a été exécuté par Giovanni BELLINI et son atelier vers 1464 – Il se trouve à l’Église Santi Giovanni et Paolo de Venise
 » L’annonciation  » 1500 env. Giovanni BELLINI ( Cette œuvre se trouve à la Galerie de l’Accademia de Venise)
Le portrait du Doge Giovanni Mocenigo a été réalisé par les frères BELLINI , Gentile et Giovanni- 1478/1483- Il se trouve au Museo Correr de Venise

MATISSE-Cahiers d’art (Le tournant des années 1930)…

Henri MATISSE ( 1869/1954) – En 1938 dans son appartement du Régina à Nice – Photo de Pierre BOUCHER
Couverture de la revue Cahiers d’art V-VI (un spécial Matisse) 1931 – Collections Cahiers d’art /Paris

Tout le monde connait Henri Matisse. Il a, très souvent, fait l’objet d’expositions en France. C’est la raison pour laquelle on peut être amené à se demander  » que peut-on dire de plus sur lui « Est-ce qu’il y a une période de sa carrière ou de sa vie qui n’a pas été abordée ?  » Et bien c’est le cas ! Le Musée de l’Orangerie, en collaboration avec le Musée Matisse de Nice et le Philadelphia Museum of Art, a décidé de revenir sur les années 1930. Une époque importante et décisive dans son œuvre puisqu’elle est celle de son tournant moderniste, dans sa vie personnelle aussi , et surtout elle n’a jamais été évoquée lors d’une exposition.

Elle s’intitule « MATISSE -Cahiers d’art-(Le tournant des années 1930) – jusqu’au 29.5.2023 au travers d’une cinquantaine d’œuvres picturales et sculpturales (dont certaines jamais exposées en France) , documentations, dessins, gravures et des numéros de la revue Cahiers d’art, prêts de grands musées français, étrangers, et collections particulières.

Pourquoi Cahiers d’art : Christian Zervos fut un érudit grec, naturalisé français, philosophe, historien de l’art, critique d’art, galériste, collectionneur, éditeur, rédacteur , fondateur en 1926 de la revue Cahiers d’art. Ce visionnaire a su, très vite, reconnaitre le talent de certains artistes avant-gardistes de son époque. Il a tout fait pour que l’on puisse parler d’eux : Chagall, Kandinsky, Gris, Mondrian, Klee, Léger, Matisse, Picasso et autres , et s’est fait le porte-voix de l’art moderne international.

Christian ZERVOS (1889/1970)

Dans cette revue dans laquelle il s’est occupé de tout avec beaucoup de maîtrise et de goût : la fabrication, la mise en page, l’impression, rédigeant certains articles, faisant des comptes-rendus d’expos, des critiques éventuelles, des enquêtes sur l’art abstrait, etc… On y parlait d’art français cubiste, surréaliste, mais également d’art africain, sumérien, océanien.

Celles et ceux qui la lisent peuvent voir les œuvres des différents artistes qu’il défendait (peintures et sculptures), mais ce ne sont pas les seuls sujets. On y trouve aussi des articles sur le théâtre, l’archéologie, la préhistoire, l’ ethnologie, le cinéma, l’architecture, la photographie (avec notamment Man Ray) , des questionnements sur la culture et la vie artistique de l’époque. Des écrivains comme Desnos, Char, Eluard lui soumettent quelques textes également. Au fil des années, elle ne se lira pas qu’en France, mais en Allemagne , en Suisse et aux Etats-Unis aussi.

Elle ne sera pas la seule dans le genre et se retrouvera, au fil du temps, face à quelques rivales comme Documents en 1929 créée par Georges Bataille, puis Minotaure en 1933, ou Verve en 1937, mais aucune ne pourra véritablement être meilleure qu’elle ne l’a été. De l’avis général, elle a été une œuvre d’art à elle toute seule.

Elle ne sera plus publiée durant la seconde guerre mondiale, reprendra en 1945 mais moins fréquemment qu’auparavant. Son activité cessera définitivement en 1960, après 97 numéros. Zervos lèguera toutes ses collections personnelles, l’année de son décès, en 1970 à la commune du Vézelay.

Revue N.5/6 Cahiers d’art / Exemple d’intérieur où l’on parle notamment de Matisse

Matisse fut un peintre très expressif, graveur et sculpteur. Le chef de file des Fauvistes. Il a surtout fait partie de ces artistes qui ont défini l’évolution assez révolutionnaire des arts plastiques. Et malgré cela, il a longtemps été perçu comme souvent défendu la tradition picturale classique. Il été réputé pour être quelqu’un de très exigeant et audacieux. Il n’a eu cesse de s’intéresser à la couleur, de vouloir la simplifier, la styliser.

On peut dire que son travail a considérablement influencé l’art de la seconde partie du XXe siècle, ainsi que tous les artistes français (mais pas que) qui viendront après lui. Il a eu , de son vivant, du succès, a été reconnu et ses œuvres sont entrées dans de très nombreuses collections. En 1917 il était un artiste réputé, les collectionneurs l’admiraient, les critiques d’art le soutenaient, le prix de ses œuvres ne cessaient de grimper.

Il est né en 1869 à Cateau-Cambresis. Après des études de droit, il a travaillé comme clerc de notaire. Alité à la suite d’une opération de l’appendicite lorsqu’il avait 20 ans, il découvre la peinture. Elle va le passionner. Il prend des cours, monte à Paris en 1891. Là étant, il intègre l’École des Arts Déco après avoir échoué, préalablement, au concours d’entrée de l’Académie Julian. C’est à cette époque qu’il rencontre son ami Albert Marquet.

En 1894, il a une liaison avec son modèle Caroline Joblaud qui sera la mère de sa fille Marguerite. Puis il épousera, en 1898, Amélie Parayre qui lui donnera deux fils, Jean et Pierre.

Matisse avec son épouse Amélie et sa fille Marguerite en 1917

S’en suivront de nombreux voyages. Puis les premières expositions, au milieu d’autres peintres, au Salon des Indépendants en 1903, puis seul à la Galerie Vollard. Après sa rencontre avec Signac, il va profondément s’intéresser à l’usage de la couleur et s’atteler surtout à sa simplification. Entre 1905/1907 c’est l’aventure fauviste. Dix ans plus tard, c’est la période niçoise, la rencontre avec Renoir qui vit à Cagnes-sur-Mer. Il peint beaucoup de natures-mortes, de nus, des odalisques et fait ses premiers pas dans la gravure.

En 1917 il est un artiste réputé, les collectionneurs l’admirent, les critiques d’art le soutiennent, le prix de ses œuvres ne cessent de grimper. Nice est une ville qui l’enchante et le fascine par sa lumière. Il décide d’y rester. Il est dans une période assez active, avec la couleur au centre de tout, et son évolution picturale est assez voluptueuse.

 » Quand j’ai compris que chaque matin je reverrais cette lumière, je ne pouvais croire à mon bonheur. Je décidai de ne pas quitter Nice, et j’y ai demeuré pratiquement toute mon existence.…  » H.M.

 » L’Odalisque à la culotte grise » 1926/27 – Henri MATISSE (Collections du Musée de l’Orangerie/Paris)
Femme à la voilette » 1927 Henri MATISSE ( Collections du Museum of Modern Art de New York) Ce tableau illustre l’affiche de l’expo –

Quelques années plus tard, son travail se tiendra à l’écart de l’actualité artistique, on parle moins de lui. Il reviendra au travers de la revue Cahiers d’art. Zervos aimait le travail de Matisse, et tout particulièrement Matisse le dessinateur d’ailleurs. Il le trouvait indémodable, et souhaitera le remettre  » au goût du jour  » !

Le peintre sera donc très présent dans cette revue jusqu’en 1929, faisant très souvent la couverture . Nombreux seront, en effet, les articles le concernant : tableaux, dessins, écrits etc… Son travail est confronté à d’autres formes d’art, ancien et contemporain , mais aussi à celui de Picasso. Leur duo (surnommé Pôle Sud et Pôle Nord par Matisse) va leur apporter mutuellement une émulation réciproque. Picasso va le pousser dans la modernité. Leur rivalité est très féconde !

Dans l’édition Cahiers d’art de 1935, seront publiées des planches de dessins préparatoires de La Danse – Celle de 1936, sera consacrée uniquement à Matisse. On pourra y voir 50 lithographies du peintre. Zervos dira un jour, dans cette édition, à son propos  » que son pouvoir est aussi puissant et aussi multiple que son imagination et ses rives  » étayant ses propos avec des vers d’un poème de Tristan Tsara (écrit pour Matisse) .

La période de l’expo est importante aussi car, à cette époque, Matisse traversait une période de doute. Il faisait le bilan de sa vie, de sa carrière surtout et c’était assez angoissant pour lui. De plus, il ne se sentait plus tellement créatif. Il faisait beaucoup de recherches pour essayer de se réinventer en quelque sorte.

Il va décider de partir en voyage, d’abord aux Etats-Unis, puis à Tahiti. Ce voyage c’est en quelque sorte une pause qui va mettre un terme à ce que l’on a appelé la période niçoise, même si Nice reste la ville où il vit et où se trouve ses ateliers. Une période importante, dense, complexe et décisive, on pourrait même dire décorative car elle va le rapprocher des Surréalistes et de Picasso.

Matisse aux Etats Unis ( New York)

Ce voyage c’était aussi un besoin. Il le dira lui-même :  » devant la toile je n’ai plus aucune idée …  » Il lui fallait donc partir vers une nouvelle quête artistique. Une façon pour lui d’y voir plus clair selon ses termes. Donc première étape les Etats-Unis. C’est un Matisse heureux qui foulera le sol américain en juin 1930. Il n’y avait jamais été et pourtant nombreuses furent les expositions sur lui là-bas. De plus, l’un de ses fils s’y était installé en tant que marchand d’art. Amélie, souffrante, ne l’accompagnera pas.

 » New York m’apparaissait comme une pépite d’or. En touchant le trottoir de la Cinquième avenue, je fus véritablement électrisé. Les gratte-ciels ne sont pas du tout ce que l’on figure d’après les photographies. A partir du dixième étage, c’est le ciel qui commence. La lumière, et ses reflets, enlève la matérialité du bâtiment.  » – Après New York ce sera San Francisco, puis Chicago, toujours avec le même enthousiasme. On peut dire que les Etats-Unis l’ont revigoré ! Puis viendra le voyage à Tahiti.

Matisse à Tahiti 1930 Photo Friedrich W. MURNAU (Collections Murnau-Stiftung/Weisbaden

Il ne va pas rester longtemps en Polynésie , mais il comprendra combien ce voyage là-bas l’avait marqué.  » Les souvenirs de mon voyage à Tahiti ne me sont revenus que maintenant, quinze ans après, sous forme d’images obsédantes : madréportes, coraux, poissons, oiseaux, méduses, éponges … Il est curieux n’est-ce pas que tous ces enchantements du ciel et de la mer ne m’aient guère incité tout de suite. Je suis revenu des îles les mains absolument vides. Je n’ai même pas ramené de photos. J’avais acheté un appareil très coûteux. Mais là-bas, j’ai hésité. Si je prends des photos me suis-je dit, de tout ce que je vois en Océanie, je ne verrai désormais que ces pauvres images. Les photographies empêcheront, peut-être, mes impressions d’agir et de vouloir les saisir sur le vif. Tous ces éléments je les découpe et les fixe aux murs provisoirement….  »

Aujourd’hui on sait que Matisse n’a pas tout à fait dit la vérité à Brassaï au travers de ces quelques lignes, car il a pris beaucoup de photos sur les endroits qu’il a visités, sur les bateaux, la végétation luxuriante, le ciel, la mer, les lagons, les plages, les pêcheurs et bien sur les belles tahitiennes. Il a surtout aussi énormément dessiné dans des carnets. Tout ce qu’il a pu ressentir, tous les sentiments éprouvés, il ne les retrouvera qu’à son retour en France et cela l’a indiscutablement marqué puisque jusqu’à sa mort il aimait s’entourait d’objets venus de là-bas.

Huile sur toile  » Fenêtre à Tahiti  » (ou Papeete-Tahiti) 1935 Henri MATISSE (Collections du Musée Matisse à Nice)
 » Corselet sur fond de Tahiti  » 1936 – Henri MATISSE (Collection Alan Memorial Art Museum / Oberlin )
 » Polynésie, le ciel  » 1946 (Marouflage – papiers collés ) Henri MATISSE (Collection du Centre Pompidou/Paris)
 » Le Tiaré Bronze 1930 – Henri MATISSE ( Collections du Musée d’Orsay/Paris)

Tous ces paysages lui ont procuré les nouvelles sensations dont il avait besoin pour son art. Ils ont confirmé son envie de créer, d’aller à l’essentiel, d’être au plus près de chaque chose . L’expérience tahitienne se retrouve beaucoup dans ses panneaux préparatoires et tableaux dans Océanie. Toutes les images nostalgiques de ses ressentis visuels ressurgiront sur la toile avec ampleur et intensité.

Une chose à savoir c’est que la Polynésie de Matisse n’est pas celle de Gauguin. Elle ne lui ressemble pas. Mais cet éden restera ancrée en lui , c’est un rêve qui ne le quittera plus. En parlant de Gauguin, bien sur Matisse n’a pas manqué de se rendre à Mataiea, a visité l’archipel de Tuamotu. Il a même rencontré le fils du peintre.

Le voyage a duré six mois . Il métamorphosera l’artiste , changera la perception de l’espace qu’il pouvait avoir auparavant. Du reste, il se consacrera alors à des commandes décoratives comme par exemple La danse. Cette œuvre, célèbre, est une commande du collectionneur Albert Barnes en 1930. Ce dernier lui demandera de réaliser une décoration pour une salle assez vaste dans son château de Merion en Pennsylvanie. Matisse peint alors ce qui sera un de ses chefs-d’œuvre.

Matisse travaillant sur La Danse / 1931-32 Rue Niel à Nice (Collections-Archives Henri Matisse à Issy-Les-Moulineaux)
 » La Danse  » Version définitive Barnes de 1932 (Collections de la Fondation Barnes à Philadelphie)
 » La danse harmonie ocre  » 1930/31 – Henri MATISSE (Collections du Musée Matisse / Nice)

C’était la première fois qu’il s’attaquait à quelque chose d’aussi monumental – Pour se faire, il se fait fabriquer une sorte de toile afin d’y travailler dès son retour à Nice. La danse n’était pas un motif nouveau pour lui, puisqu’elle avait déjà fait partie de ses sujets , et la décoration non plus puisqu’il l’avait déjà abordée dans sa jeunesse . Du reste il se décrivait comme peintre décorateur.

Il a fait de nombreux dessins préparatoires et a travaillé avec la technique des papiers découpés préalablement gouachés, ce qui lui permettait de mieux travailler la mise en place dans cet espace décoratif assez important. Avec ces papiers, il pouvait mieux composer et décomposer à sa guise sur la toile, modifier, enlever, remettre, épingler etc… bref la version définitive sera celle de 1932.

 « Le papier découpé me permet de dessiner dans la couleur. Il s’agit pour moi d’une simplification. Au lieu de dessiner le contour et d’y installer la couleur, l’un modifiant l’autre. Je dessine directement dans la couleur » H.M

Henri Matisse et ses  » papiers découpés  » en 1952

Il utilisera cette technique jusqu’à sa mort :  » Il n’y a pas de rupture entre mes anciens tableaux et mes découpages.  » . Il la reprendra pour le décor de la Chapelle du Rosaire à Vence (terminé en 1951) . A partir de 1941, suite à une très grave opération pour un cancer de l’intestin, il était très fatigué. Cette technique était plus facile pour lui vu son état physique car il pouvait l’appliquer en étant alité. Et, petit à petit, elle va l’amener à quitter la peinture dite de chevalet.

Je ne terminerai pas cet article sans parler d’une personne qui est entrée dans sa vie durant cette période 1930 à savoir Lydia Delectorskaya, fille d’un médecin russe. Une très belle femme, mystérieuse. Elle avait 22 ans, lui 62.

Lydia à Vence

Ils se croisent une première fois en 1932. Elle voulait être l’assistante d’un artiste. Elle le sera, puis s’en ira une fois le travail terminé. Matisse la rappelle six mois plus tard pour tenir compagnie à son épouse qui était souffrante. De garde-malade, elle va devenir, à partir de 1935, sa muse, sa collaboratrice, son modèle, sa secrétaire, celle qui nettoie les pinceaux, range les tubes de peinture, organise les expos, gère l’administratif, l’aide même pour gratter les surplus de couleurs qu’il souhaitait reprendre sur certaines toiles. Un acte qui lui était difficile de faire, à l’époque, en raison de sa névrite à l’épaule.

Elle devait rester peu de temps, finalement elle va s’installer 22 ans, traversant aussi les crises matrimoniales du couple. mais surtout assistera à l’évolution artistique de celui qu’elle appelle Monsieur Matisse. Elle va lui apporter une aide précieuse dans son œuvre La Danse .

Lydia va acquérir toute la confiance du peintre. Il a énormément besoin de l’avoir à ses côtés. Elle le soutiendra même lorsqu’elle assiste aux conflits du couple. Amélie, jalouse, s’en offusque profondément et Lydia est renvoyée en 1939. Lorsque le couple Matisse se sépare par la suite, Lydia revient auprès du peintre jusqu’à son décès. « Elle est pour moi un tremplin. C’est une porte pour accéder au jardin dans lequel je suis seul et si bien  » .

Henri Matisse meurt en novembre 1954 . Il est enterré dans le cimetière de Cimiez à Nice.

« Quand les moyens se sont tellement affinés, tellement amenuisés, que leur pouvoir d’expression s’épuise, il faut revenir aux principes essentiels qui ont formé le langage humain. Ce sont alors les principes qui  » remontent  » et reprennent vie, qui nous donnent la vie. Les tableaux, qui sont des raffinements, des dégradations subtiles, des fondus sans énergies, appellent des beaux bleus, des beaux rouges, des beaux jaunes, des matières qui remuent le fond sensuel des hommes …  » Henri MATISSE en 1932

Quelques Tableaux de cette période ( expo ) :

« La dame en bleu et mimosas » 1937 Henri MATISSE (Collections du Philadelphia Museum of Art)
 » Odalisque à la robe persane jaune, anémones  » 1937 Henri MATISSE (Collections du Philadelphia Museum of Art)
 » Femme au manteau violet » 1937 (Collections du Museum of Fine Arts / Boston)
 » Danseuse au repos » 1940 – Henri MATISSE ( Collections du Toledo Museum of Art )
« Intérieur au vase étrusque » 1940 Henri MATISSE ( Collection du Cleveland Museum of Arts )
 » Nu en peignor » 1933 – Henri MATISSE (Collection particulière)

CA’D’ORO – Chefs-d’œuvre de la Renaissance à Venise …

Si vous avez envie de faire un beau voyage dans la Venise du XVe et XVIe siècle, en ce début d’année 2023, je vous invite à vous rendre à l’Hôtel de la Marine, Place de la Concorde à Paris, un très bel ensemble architectural réalisé au XVIIIe siècle par l’architecte Ange-Jacques Gabriel, afin d’admirer l’expo sublime que ce lieu vous propose, à savoir CA’D’ORO -Chefs-d’œuvre de la Renaissance à Venise … Jusqu’au 26.3.2023.

Une évasion intimiste dans l’âge d’or de la Sérénissime au travers d’environ 70 œuvres d’éminents artistes ( Bellini, Carpaccio, Mantegna, Titien, Guardi, Tintoret, Van Eyck, Vittoria, Bergamasco, Riccio, Tati, Le Bernin, Cima, Lombardo, Fantoni … j’en passe et des meilleurs . A noter que pour la première fois le Saint Sébastien de Andrea Mantegna quittera son écrin vénitien. Elles occupent quatre salles de la Fondation Al Thani à l’Hôtel de la Marine;

Palais Ca’d’Oro à Venise –  » C’est une des principales vertus des bâtisseurs gothiques qu’ils ne souffrirent jamais que des idées de symétrie et de concordances extérieures vinssent se mettre en travers de l’usage réel et de la valeur de ce qu’ils faisaient …  » John RUSKIN dans son ouvrage  » Les Pierres de Venises  » en 1853

Bien sur Venise est au centre de l’expo, étoffée par des dates importantes comme sa naissance en 421, l’arrivée du premier doge entre 726/27, la construction d’un premier palais ducal en 814, le corps de San Marco ramené d’Alexandrie 14 ans plus tard , la construction de l’arsenal en 1104 après avoir gagné la bataille contre les Normands, le début du chantier du Palais des Doges en 1384, la bataille de Lépante en 1571, les épidémies de pestes en 1575 et 1630, les premiers travaux importants sur la lagune en 1744 avec la mise en place de digues, la fondation de l’Académie de peinture et de sculpture de la ville en 1756, la chute de la Sérénissime en 1797 par les troupes de Napoléon qui vont piller et saccager pour la faire tomber, la domination autrichienne en 1815 ….. Tant d’évènements qui nous amènent à la ville magnifique que nous connaissons et chérissons aujourd’hui et qui se bat pour sa sauvegarde. Sans oublier, bien sur, le carnaval que l’on commence à entrevoir vers 1094, et qui se concrétise avec l’autorisation des déguisements en 1269.

 » Venise ! Est-il une ville qui ait été plus admirée, plus célébrée, plus chantée par les poètes, plus désirée par les amoureux, plus visitée, et plus illustre ? Venise ! Ce seul mot semble faire éclater dans l’âme une exaltation. Il excite tout ce qu’il y a de poétique en nous, il provoque toutes nos facultés d’admiration …  » Guy DE MAUPASSANT (Poète et écrivain français)

Peut-être que certains d’entre vous ont déjà visité le Palais Ca’ d’Oro. C’est un endroit magnifique, chef-d’œuvre du gothique vénitien, avec une façade qui ressemble à de la dentelle, l’un des plus élégants et raffinés du Grand Canal de la Sérénissime, quartier de Cannaregio. C’est vraiment une œuvre d’art à lui tout seul.

Une petite chose à savoir : Ca (casa) est placée devant de nombreux palais vénitiens pour qualifier leur statut de riches demeures.

Il doit son nom Maison d’or aux merveilleuses, audacieuses et luxueuses décorations, autrefois, recouvertes de feuilles d’or et de lapiz-lazulli, qui embellissaient les murs. Nombreux furent les propriétaires . Il sera même transformé et divisé en appartements !Parmi eux, il y a eu celle qui fut une grande Étoile de la danse, la première à le faire véritablement sur les pointes : Marie Taglioni. Le palais lui avait été offert par l’un de ses plus fervents admirateurs, le prince Alexandre Troubetzkoy.

Portrait de Marie Taglioni (Peintre inconnu) – XIXe siècle – ( Collections de la Bibliothèque de l’Opéra de Paris)

A son emplacement actuel, se trouvait au XIIe siècle, une demeure appartenant à la famille Mastelli, des négociants en épices qui avaient quitté la Grèce pour venir s’installer à Venise en 1112 . Puis elle deviendra le palais d’une noble famille vénitienne, les Zeno. La fille de cette famille l’apportera en dot lors de son mariage avec Marino Contarini, un riche marchand, en 1406. Lorsqu’elle décèdera, son époux, fera édifier un nouveau palais sur l’ancienne construction dont les pieux serviront de fondations. Les travaux vont durer de 1421 à 1434 . De nombreux architectes et sculpteurs vont travailler à cette construction, dont certains étaient réputés pour avoir travailler pour le Palais des Doges . Souhaitant placer son prestige à égal niveau, voire même au-dessus de celui des grands de sa ville, Contarini voudra un palais éblouissant, flamboyant . C’est lui qui souhaitera une façade avec un crénelage semblable à de la dentelle et qui le fera recouvrir de 23.000 feuilles d’or et lapis-lazuli.

Après sa mort, la demeure va se dégrader au fil du temps et elle verra de nombreux propriétaires s’y installer, dont, comme je l’ai dit en début de ce post, la grande ballerine romantique Marie Taglioni. Grâce à l’argent qu’elle obtiendra du prince Troubezkoy, elle fera procéder à des gros travaux de restauration et ce même si, finalement, elle vivra très peu dans le palais . La malchance du lieu viendra de l’architecte peu scrupuleux qu’elle choisira : Giovanni Battista Meduna, et des choix qu’elle fera.

Ce dernier, au lieu de l’embellir, va complètement dénaturer le palais, voire même le saccager. Il fera retirer, bien souvent à la demande de la ballerine, toutes les superbes finitions en or de la façade, vendra tous les éléments gothiques ( dont l’escalier de la cour intérieure) et les revendra à des antiquaires vénitiens. Il enlèvera également les colonnes et chapiteaux en marbre. Devant un tel spectacle, il sera accusé de vandalisme et emprisonné. Après quoi, la décision fut prise de se servir du palais pour le diviser en plusieurs appartements. Ce qui ne va arranger son état.

La demeure devra sa beauté et sa renaissance au baron Giorgio Franchetti, un mécène, musicien et collectionneur italien, qui, on peut le dire, l’a sauvé, avec passion, de ceux qui souhaitaient l’acquérir à des fins peu recommandables. Il rachètera le palais en 1894 et entreprendra de gros travaux pour lui redonner son aspect original et l’éclat de sa beauté passée.

Le Baron Giorgio FRANCHETTI

En 1916, se sachant très malade et dans l’incapacité de poursuivre son œuvre, il en fera don à l’État avec toutes ses collections d’art personnelles, notamment des peintures, sculptures, objets d’art et céramiques signés par de prestigieux artistes. Lorsqu’il meurt en 1922, il ne quittera pas ce lieu qu’il a tant aimé puisque ses cendres seront placées dans une urne en porphyre ayant une forme de colonne (cippe). Elle se trouve au rez-de-chaussée dans la cour du palais.

Le Palais Ca’d’Oro deviendra un musée en 1927 après de très minutieuses et sérieuses réparations pour colmater des détériorations de salpêtre, dues probablement à l’humidité. Il abrite la Galerie Franchetti et toutes ses merveilles. Durant la 59e biennale de Venise qui a eu lieu cette année à Venise, la Fondation Vuitton, mécène du Venetian Heritage a organisé des soirées caritatives afin d’obtenir des fonds pour une nouvelle restauration de la Galleria Franchetti

L’objectif du baron fut donc de non seulement redonner au palais sa beauté d’autrefois, mais également de placer les œuvres issues de ses merveilleuses collections. Dans un premier temps, il a souhaité retrouver certains éléments architecturaux qui avaient été vendus comme par exemple la margelle du puits. Durant les travaux, il n’a pu faire entrer les pièces de ses collections. Du coup, elles furent conservées dans le palais de la famille Cavalli et au Palais Duodo qui se trouvait tout à côté.

C’est en recevant le don de la demeure et des collections, que l’État se rendra véritablement compte de la richesse des pièces qui venaient de leur être confiées. Il faut dire que le baron venait d’une famille très riche et qu’en conséquence il avait les moyens financiers pour pouvoir satisfaire ses passions . De plus, il bénéficiera des conseils d’une part les conseils de sa femme Marion Von Hornstein passionnée par l’art, et des avis très affutés de critiques et historiens de l’art comme les réputés Adolfo Venturi et Giovanni Morelli.

Sa très belle collection sera enrichie au fil des années par d’autres chefs- d’œuvre venus des dépôts précieux faits par des musées de Venise très connus. Je vous invite à en découvrir certaines qui font partie de l’expo :

 » Saint-Sébastien  » 1431/1506 Tempera sur toile – Andrea MANTEGNA (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro ) – Pour ce joyau de la peinture, le baron fera construire une chapelle de marbre. C’est l’ultime toile peinte par Mantegna, la plus célèbre.  »Nous vacillons encore sur le sol instable. Et voici l’arc de marbre, l’ouverture superbe d’une sorte de tabernacle glorieux, tout de marbres veinés aux grenades d’or  » écrira Gabriele d’Annunzio pour décrire cet écrin. / Il y a trois Saint-Sébastien : celui-ci, un à Vienne et un à Paris, tous signés par Mantegna.
 » Double portrait  » Marbre – Tullio LOMBARDO (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro) – Cet artiste fut l’un des premiers introducteurs du portrait sculpté, dit aussi rondo-bosse ou bas-relief, à Venise. Un art qui avait déjà beaucoup de succès à Florence.
 » Vierge à l’enfant  » Michele GIAMBONO (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
 » Flagellation du Christ » Luca SIGNORELLI ((Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
 » Vierge au miroir  » ( ou à la fourrure) Atelier de Tiziano VECELLIO dit TITIEN ((Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
« Allégorie » Marbre Antonio RIZZO (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
« Apollon du Belvédère » Bronze de Pier JACOPO ALARI BONACOSI dit l’ANTICO ((Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro) – C’est son visage qui illustre l’affiche de l’expo – Ce bronze est une réplique du marbre qui fut trouvé à Rome à la fin du XVe siècle dans le jardin du Cardinal San Pietro qui deviendra pape. ((Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
« Le Christ ressuscité » Marbre de Jacopo FANTONI ((Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
 » Vierge à l’enfant  » marbre de Pietro LOMBARDO – Elle se trouvait autrefois en l’église Santa Maria degli Agneli à Murano. Un édifice qui n’existe plus de nos jours. (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
« Vénus au miroir  » Atelier de Tiziano VECELLIO dit TITIEN (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
 » Vénus découverte par l’Amour » Paris BORDON (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
« Nicolo Priuli » par Jacopo ROBUSTI dit LE TINTORET (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro) – Cet homme faisait partie de l’une des riches familles vénitiennes de son époque. Il occupa une fonction assez haut placée dans le gouvernement de la République.
 » Le cardinal Pietro Valier » Marbre datant de 1627 – Gian Lorenzo BERNINI dit LE BERNIN ((Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
 » Marino Grimani « Terre cuite vers 1592/93 – Alessandro VITTORIA (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)
« Saint Martin » Bronze de Andrea RICCIO (Galleria Giorgio Franchetti Ca d’Oro)