Histoire d’un ballet :  » L »OISEAU DE FEU  » …

(Vidéo :Ekaterina KONDAUROVA (Oiseau) – Ilya KUZNELSOV(Ivan)

L’Oiseau de feu est un ballet chorégraphié par Mikhail Fokine, sur une musique de Igor Stravinsky. Les décors et une partie des costumes furent réalisés par Alexandre Golovine, sauf celui du Prince Ivan, de l’Oiseau et de la princesse qui l’ont été par Léon Bakst.

La création a eu lieu à l’Opéra de Paris en 1910. C’est Anna Pavlova qui devait être l’Oiseau au départ, mais elle refusera car elle n’appréciait absolument pas la musique de Igor Stravinsky. On fit donc appel à Tamara Karsavina. Toutes les personnalités les plus en vue de la capitale française se déplacèrent le soir de la première. Le ballet obtiendra un immense succès et une longue standing ovation à la fin.

Tamara KARSAVINA dans l’Oiseau

Il s’agit d’un ballet dans lequel l’oiseau est une créature légendaire du folklore russe, un oiseau magique doté d’un plumage lumineux avec des couleurs qui font penser à des flammes. C’est le poète Piotr Potiomkine qui soumettra le sujet à Serge Diaghilev, directeur des Ballets Russes, s’inspirant d’une part d’une fable de Piotr Jershov, et d’autre part d’un conte d’Alexandre Afanassiev (dit le Grimm russe) à savoir Le prince Ivan, l’oiseau de feu et le loup en 1864.

Diaghilev fut séduit par cette idée et demanda à Mikhail Fokine d’en être le chorégraphe et le librettiste. En ce qui concerne la musique, sa première idée fut de la confier à Maurice Ravel, mais ce dernier déclina l’offre. Diaghilev choisira alors Igor Stravinsky qu’il avait entendu durant un concert et qu’il avait beaucoup apprécié. Il lui dira : « faites moi de l’imprévisible ! « 

Le compositeur va travailler d’arrache-pied et dans l’urgence, fragment par fragment. Il rendra sa partition deux mois plus tard. On peut dire qu’elle obéit aux contraintes du ballet avec une rythmique bien installée dans la danse. On sent les influences de celui qui fut son maître : Rimsky-Korsakov.

La collaboration entre Fokine et Stravinsky se révèlera plutôt sereine, enthousiaste et fructueuse. Ils s’entendront assez bien, dans un respect réciproque, chacun ayant grand soin de prendre en considération les désirs et suggestions de l’autre, se concertant souvent …. Et pourtant, à la fin de leur collaboration, Stravinsky trouvera que le travail de Fokine était un vrai désordre, trop chargée en danses diverses et qu’elle ne rendait pas justice à sa musique !

Fokine travaillera sa chorégraphie avec une certaine dévotion car il était réellement « amoureux » de l’histoire. Elle est d’une grande liberté, mélange de classique et folklorique, caractérisant chaque personnage, expressive, enchanteresse, ardente, voluptueuse, exotique, moderne avec des mouvements riches, inventifs. La danse est réellement belle, originale, théâtrale, dramatique. La pantomime sert bien l’action.

Histoire d’un ballet :  » BELLA FIGURA  » …

(Vidéo : Le NEDERLANDS DANS THEATER)

Jiri Kylian est un merveilleux et éminent chorégraphe contemporain, d’origine tchèque, très musical, avec une inventivité sans limite pour entrer dans le complexe, l’humour, l’émotion, la vulnérabilité de l’humain. Il a sa façon bien à lui, très particulière, d’exprimer le côté impulsif romantique, le nostalgique embrasé, le passionné tendre. Il ne se contente pas de travailler sur une seule ligne : il explore. Il a été durant près de 25 ans le directeur du Nederlands Dans Theater de La Haye. Depuis 2018, il est membre de l’Académie des Beaux-Arts à Paris.

Bella figura : faire belle figure. Dans le cas précis de ce ballet c’est une question sur l’identité, celle de l’interprète notamment. Quoi que ses danseuses ou danseurs ressentent en tant qu’êtres humains, quels que soient leurs soucis dans la vie, leurs tourments, mais aussi quelles que soient leurs émotions, sur la scène ils se doivent de faire belle figure.

C’est un ballet entre fiction et réalité, exprimé de façon assez juste, très connu, souvent repris , original, virtuose, avec des ensembles fluides, complexes, délicats, des mouvements parfois assez brusques, angoissés. Il y a toujours cette sorte de  » malaise  » propre à Kylian dans son univers de la danse.

Bella figura ce sont les rouges éclatants des costumes de scène qui contrastent avec la nudité des interprètes, hommes ou femmes. Le torse nu est utilisé pour marquer la vulnérabilité et la fragilité des êtres.

Il y a une grande diversité de musiques pour accompagner ce ballet , diversité qui sert parfaitement bien la danse. Pour ce chorégraphe musique et danse doivent fusionner avec les danseurs. Cela va de Giovanni Battista Pergolesi, Alessandro Marcello , en passant par Antonio Vivaldi, Giuseppe Torelli et Lukas Foss.

(Vidéo : BALLET DE L.OPÉRA DE LYON)

Histoire d’un ballet : Le Jardin aux lilas … Antony TUDOR

(Vidéo : Le Ballet national du Rhin / Düsseldorf)

Ce très beau ballet a pour sujet une attirance sentimentale dans la rigidité et le moralisme de la société du XVIIIe siècle. Le renoncement à un amour fort et sincère d’une jeune femme promise pour un mariage arrangé dans la haute bourgeoisie. Elle gardera l’espoir de pouvoir se soustraire à tout cela mais n’y arrivera pas.

Premier chef-d’œuvre chorégraphique de Tudor, créé en 1936 au Mercury Theater de Londres. Depuis lors, il a , très souvent, été repris dans de nombreuses compagnies. Il est musicalement accompagné par la magnifique musique du romantique Poème pour violon & orchestre Op.25 de Ernest Chausson.

C’est une chorégraphie émotionnellement riche, subtile, nostalgique, pleine de sens, de sentiments, délicate, expressive, mélancolique. Une rencontre dans un jardin public entouré de lilas …

Pierre LACOTTE s’en est allé … Sa dernière reconstruction  » Le rouge et le noir « 

 » Le travail de reconstruction des ballets s’apparente à une tâche d’ordre familial. Je considère, en effet, les chorégraphes et les danseurs, présents sur ces archives, comme de lointains arrière-grands-parents. La danse permet d’établir cette filiation entre les générations. En traduisant ainsi la pensée et le travail des anciens, j’accomplis une tradition familiale gratifiante et non frustrante. Ce travail sur des œuvres passées m’a, en outre, permis d’acquérir une reconnaissance bien plus universelle que si je m’étais cantonné à la création contemporaine.

La base de la danse est partout la même : la danse classique française, née à la Cour de Louis XIV est progressivement diffusée partout dans le monde. Jean-Baptiste Landé, maître de ballet français, fut envoyé en Russie sous les ordres de l’impératrice Catherine II afin d’y introduire la danse académique. Noverre, autre maître de ballet français, partit en Allemagne pour former les Allemands aux rudiments de la danse classique française. Ce phénomène a abouti à une diffusion de la terminologie française partout dans le monde. Certes le langage n’est pas resté tout à fait le même partout et certains différencient les écoles. Cependant la danse française reste à la base de tout et se porte bien aujourd’hui.

On voit que l’école classique permet d’aborder tous les rôles et que le clivage danse classique/danse moderne est ridicule. Ces deux formes de danse sont complémentaires et la seconde ne peut rien sans la première. Ceux qui ridiculisent les anciens ballets sont eux-mêmes ridicules et ne parviendront jamais à en découdre avec le classique : les chiens aboient, la caravane passe …  » Pierre LACOTTE (Danseur français, chorégraphe, directeur de compagnie, reconstructeur émérite de ballets anciens)

Pierre LACOTTE ( 1932/ 10.4.2023)

Surnommé l’archéologue du ballet, Maître Lacotte (puisqu’on l’appelait ainsi à l’Opéra de Paris) s’en est allé rejoindre le paradis des Étoiles de la danse, le 10.4.2023, à l’âge de 91 ans.

Danseur, éminent chorégraphe, il s’était spécialisé, depuis 1968, dans la reconstruction de ballets anciens, et s’est révélé être merveilleux en la matière, un vrai magicien ! La dernière sera Le rouge et le noir.

Dans ce domaine, il a travaillé pour de nombreuses compagnies dans le monde dont, bien sur, l’Opéra de Paris, mais aussi, entre autres, : le Bolchoï de Moscou, le Mariinsky de Saint-Pétersbourg ou le Staatsoper de Berlin.

On l’appelait pour ce travail car on savait qu’il allait être le fruit de recherches approfondies, minutieuses et que le rendu n’en serait que magnifique.

Pierre Lacotte était marié à la danseuse Étoile Ghislaine Thesmar.

(Vidéo : Dorothée GILBERT )

Il y a bien longtemps que Pierre Lacotte rêvait d’amener à la danse le beau roman de Stendhal paru en 1830. Après cinq ans de travail, il a porté son rêve à la réalité parce que, comme il l’a expliqué, le livre captivant, avec sa grande variété dans les caractères des personnages, pouvait être traité dans une œuvre chorégraphique. C’était ambitieux, mais il a réussi, rendant ainsi un vibrant hommage au ballet classique français. Si vous avez un jour l’occasion de le voir, et je l’espère de tout cœur, il faut bien s’accrocher car il dure trois heures, réparties en trois actes et seize tableaux. Une véritable fresque, l’œuvre testamentaire de Lacotte.

Pour la musique, Pierre Lacotte a fait appel au compositeur français Benoît Menut. Ensemble, ils ont choisi, de façon très judicieuse, des extraits opératiques et des mélodies de Jules Massenet. Pas obligatoirement les plus connus mais ceux qui pouvaient le mieux servir la danse. Les costumes et décors ont été pensés par le chorégraphe,, assisté par Xavier Ronze (costumes) et Jean-Luc Simonini (décor). C’est l’Étoile française (à la retraite désormais) Karl Paquette qui a été chargé de faire répéter les danseurs. Lacotte a également signé le livret.

La chorégraphique est fort bien pensée. Bien sur il y a le mélodrame de l’histoire avec amour, désir, passion, religion, politique, pouvoir comme toile de fond à l’époque de la Restauration , de la profondeur, de l’émotion, de la tendresse, de la fraicheur, de la spontanéité, diversité, beauté, quelques petits moments contemporains dans un ensemble techniquement romantique, des danseurs absolument magnifiques car le ballet est un véritable morceau de bravoure qui a valu quelques blessures.

Comme toujours, il y a celles et ceux qui sont émerveillés, et d’autres qui lui ont reproché d’en faire trop. La deuxième me semble injustifiée car c’est un ballet magnifique dans lequel Pierre Lacotte a su mettre en lumière les qualités de chaque danseur et il les a parfaitement utilisées pour rendre crédible chaque rôle. Pas facile d’entrer dans la peau de Julien Sorel, Madame de Rénal, Mathilde de la Molle etc etc.., mais chacun d’entre eux a sa façon pour vivre le rôle qui lui a été attribué. Pour encore mieux les aborder, le chorégraphe leur a demandé de lire ou relire le roman.

(Vidéo : Dorothée GILBERT & Hugo MARCHAND )

Histoire d’un ballet : ONDINE …

CIS:S.101-1986
Fanny CERRITO dans Ondine

Ondine est un récit féerique publié en 1811, né de la plume de l’écrivain allemand, ami de Schiller et de Goethe : Friedrich Heinrich Karl de la Motte Fouqué.

Le premier ballet qui s’en soit inspiré, et a repris ce thème, fut celui créé par Jules Perrot en 1843,  tout spécialement pour la danseuse Fanny Cerrito, sur une musique de Cesare Pugni à Londres. Le public en ressorti complètement émerveillé, notamment par l’abondance des effets spéciaux utilisés à l’époque et les décors magnifiques confiés à William Grieve.

Version LACOTTE / VAZIEV :

(Vidéo : Version Pierre LACOTTE / Makhar VAZIEV avec Evgenia OBRAZTSOVA & Vladimir SHKLYAROV)

Pierre Lacotte, autrefois danseur, est, on le sait, un éminent spécialiste des ballets perdus et oubliés. Il a toujours eu à cœur de les reconstruire à partir de documents d’époque, de recherches, de rencontres, de témoignages lorsque cela se peut, et il le fait réellement avec minutie, passion, rigueur. Ondine est le fruit de quatre années de travail approfondi.

C’est Makhar Vaziev, danseur et chorégraphe russe, directeur du ballet du Mariinsky puis du Bolchoi, qui lui a demandé de remonter Ondine en 2006 : l’histoire d’amour d’une naïade amoureuse d’un mortel, un pêcheur nommé Mattéo, et déjà engagé auprès d’une autre.

Sa version est tout à fait charmante, délicieuse, séduisante, pleine de charme, de romantisme, avec une danse brillante, techniquement exigeante, en variations difficiles. Il y a de l’originalité, du mystérieux, des Pas de Deux magnifiques, dramatiques, passionnés, de la beauté, de la fluidité, de la grâce et une certaine forme de sérénité.

Voices of Spring … Opéra & Danse avec STRAUSS et ASHTON

(Vidéo : Merle PARK & Wayne EAGLING )

Ce merveilleux Pas de Deux fut au départ, en 1977, un des deux « divertissements » inclus dans l’acte II des représentations de l’opérette de Johann Strauss II La chauve souris. Le succès sera tel, qu’il sera repris tous seul un an plus tard, et continuera de l’être jusqu’à nos jours. Un délicieux moment plein d’élégance, de grâce et de virtuosité, .

Comme je l’ai indiqué, la musique est de Johann Strauss II. Elle est répertoriée sous l’Opus 410. Il s’agit d’une valse-aria pour voix de soprano-colorature qui fut créée, lors d’un concert caritatif, en 1883 par la diva de l’Opéra de la Cour à Vienne : Bertha Schwarz dont le nom de scène était Bianca Bianchi. C’est sa voix magnifique qui a inspiré le compositeur pour écrire cette partition.

(Vidéo : Kathleen BATTLE sous la direction de Herbert V.KARAJAN)

Histoire d’un ballet : Daphnis et Chloé …

» Oh comme dorment ses yeux ! Comme sa bouche respire ! Pommes ni aubépines fleuries n’exhalent un air si doux. Je ne l’ose baiser toutefois. Son baiser pique au cœur et fait devenir fou comme le miel nouveau. Puis, j’ai peur de l’éveiller. Ô fâcheuses cigales ! Elles ne la laisseront jamais dormir, si haut elles crient. Et d’un autre côté, ces bouquins ici ne cesseront aujourd’hui de s’entre-heurter avec leurs cornes. Ô loups plus couards que renards, où êtes-vous à cette heure, que vous ne les venez happer ?  » LONGUS ( Auteur grec / Extrait de son ouvrage Daphnis et Chloé (Les Pastorales) – Traduit en français par Jacques AMYOT(Prélat français et traducteur de la Renaissance)

Daphnis et Chloé – Une sculpture de Jean-Pierre CORTOT

Les amours contrariées racontées dans la pastorale en prose de l’auteur grec Longus (IIe siècle) ont inspiré la danse, plus particulièrement Serge Diaghilev et ses Ballets russes. La chorégraphie fut confiée à Mikhail Fokine, les costumes à Léon Bakst et la musique à Maurice Ravel. Les interprètes, lors de la version présentée en 1912 au Théâtre du Châtelet, furent Tamara Karsavina et Vaslav Nijinski. Le livret sera écrit par Fokine en collaboration avec le compositeur.

Si ce ballet n’a pas été spécialement apprécié à l’époque, la musique, elle, a conquis tout le monde, tant elle est magnifiquement magique et pleine de couleurs. Ravel dira qu’il la vue : « comme une vaste fresque musicale, moins réfléchie d’archaïsme que de fidélité à la Grèce de mes rêves, qui s’identifie volontiers à celle imaginée et dépeinte par les peintres français de la fin du XVIIIe siècle. » Il avouera également que tout ne fut pas facile pour la préparation de ce ballet, compte tenu du fait que  » Fokine ne parlait pas français et que moi je ne savais que jurer en russe !  » .

Beaucoup de versions chorégraphiques suivront jusqu’à nos jours, notamment celle de George Skibine, danseur charismatique, chorégraphe amoureux de l’harmonie des lignes et maître de ballet en France, qui créera son ballet pour l’Opéra de Paris en 1959 , toujours sur la musique de Ravel, mais avec des décors de Chagall. C’est lui qui l’interprètera avec Claude Bessy. Ce sera une réussite !

(Vidéo : Version Skibine – Juliette Gernez et Nicolas Paul / Opéra de Paris)

Mais également celle de Frédéric Ashton, pour le Royal Ballet de Londres, en 1951 avec sa muse Margot Fonteyn. C’est une version vraiment très belle, qui revient souvent au programme tant elle est passionnante elle aussi.

(Vidéo : Thiago Soares – Alina Cojacaru – Federico Bonelli – Marianela Nunez / Pour le Royal Ballet de Londres)

Histoire d’un ballet : PETROUCHKA …

(Vidéo : Rudolf NOUREEV – Noëlla PONTOIS – Charles JUDE & Serge PERELLI)

Après le succès de L’Oiseau de feu , vient Petrouchka, nouveau ballet réunissant Serge de Diaghilev, Igor Stravinsky, Mikhail Fokine et Alexandre Benois. Ce sera le triomphe absolu de Vaslav Nijinski, bouleversant et émouvant dans le rôle.

Vaslav Nijinski dans Petrouchka

Ce ballet fut le plus représentatif de la première période des Ballets Russes, dont Serge Diaghilev disait souvent que c’était le ballet porte-bonheur de sa compagnie de danse . Il sert, surtout, le travail musical audacieux et innovant du compositeur Igor Stravinsky et d’un décorateur talentueux : Alexandre Benois, tous deux co-auteurs du livret également.

Il se présente en quatre tableaux. Burlesque, très coloré, porté sur le réalisme et le merveilleux. Un conte folklorique narrant l’histoire d’une sorte de polichinelle des contes populaires russes, entre le Pasquarello italien et le Pierrot français. Tout comme il y eu Arlequin, Colombine et Pierrot, il y aura Petrouchka, la Ballerine et le Maure.

Tamara KARSAVINA (Ballerine) – Vaslav NIJINSKI (Petrouchka) & Alexandre ORLOV (Maure)

L’idée viendra de Stravinsky. C’est lui, en effet, qui proposera le sujet. Il travaillait sur quelques esquisses du Sacre du Printemps , et avait une envie de se « divertir » un peu. C’est ainsi qu’il écrira une petite pièce pour piano. Il expliquera un jour qu’il chercha longtemps le titre qu’il pouvait lui donner, un mot qui pourrait exprimer le caractère et le visage ce ce qu’il était en train de composer. Et soudain dit-il  » il lui apparut, éternel et malheureux héros des fêtes foraines de mon pays, pantin qui me dictais des arpèges diaboliques et des fanfares menaçantes qui exaspéraient l’orchestre. Le mot était un nom : Petrouchka !. » Il appellera donc son morceau  » Le cri de Petrouchka  » .

Il en fit part, un jour, à Diaghilev qui était venu lui rendre visite en Suisse, dans sa maison près du Lac Léman. Celui-ci en fut enchanté et trouva même l’idée géniale. Ensemble, ils eurent l’idée d’un vaste projet qui rendrait vivant, en danse, ce pantin. Il choisiront pour époque : 1830, comme lieu : Saint-Pétersbourg sur la place du marché un jour de Mardi Gras, avec un théâtre et des marionnettes, des pantins qui s’animeront grâce à un magicien.

Le chorégraphe sera Mikhail Fokine. Ce dernier va introduire, dans sa chorégraphie, l’univers fantasque du cirque, l’ivresse de la fête foraine. Chaque personnage sera bien défini par la danse et la musique, laquelle fera corps avec la danse. Les Pas seront classiques pour traduire les sentiments humains, l’amour et le désespoir de Petrouchaka, et contemporains, saccadés pour les pantins. Il y ajoutera une bonne dose de folklore russe en inventant même une gestuelle qui puisse bien aller avec le type de musique proposée.

Le rôle de Petrouchka exigeait des qualités extraordinaires d’acteur. Vaslav Nijinski les avait. Il restera inoubliable dans le rôle. Il faut dire qu’il le connaissait très bien, en ce sens qu’avec sa sœur Bronislava et son frère Stanislas, ils assistaient souvent à des représentations de marionnettes à la foire de Novgorod en Russie, et le soir venu, de retour à la maison, ils donnaient un petit spectacle de ce qu’ils avaient vu, à leurs parents. Lui tenait toujours le rôle de Petrouchka. Il aimait tant ce rôle, que c’est ce personnage qui fut sculpté sur sa tombe au cimetière Montmartre à Paris.

Vaslav – Bronislava – Stanislas
Tombe de Vaslav NIJINSKI au Cimetière Montmartre

La force chorégraphique de ce ballet, c’est vraiment le désespoir de ce pantin. Fokine a su parfaitement l’exprimer dans une danse cohérente, magnifique, imaginative, inventive, qui n’a pas laissé beaucoup de place, plus tard, à d’éventuelles relectures. Toutes les versions que l’on peut trouver sont infiniment proches de la sienne.

Petrouchka fut créé à Paris en 1911 au Châtelet avec dans les rôles principaux : Vaslav Ninjinski – Tamara Karsavina – Alexandre Orlov. Pour les décors et costumes : Alexandre Benois, lequel dira avoir trouvé son inspiration dans le guignol russe de son enfance.

La musique , comme je l’ai dit, est de Igor Stravinsky. C’est une partition d’une grande dynamique, très énergique. C’est la partition de la nouveauté avec une harmonie assez inédite, un instrumental strident, un rythme changeant. Elle se révèle tantôt lyrique, tantôt parodique, foisonnante. Il a été inséré des thèmes du folklore russe et l’emploi d’une balalaïka. Le public fut assez fasciné par cette musique. Mais la critique musicale fut, quant à elle, plus sévère à son égard. On la jugera même ridicule, poussant Diaghilev à demander en quoi la musique avait pu autant les déranger.

Il n’y aura pas de Suites pour cette partition. Toutefois, en 1821 Stravinsky fera une transcription pour piano à l’attention d’Arthur Rubinstein (Les trois mouvements de Petrouchka) – Puis en 1932, il fera de même avec La danse russe du premier tableau en un morceau de violon et piano à la demande de Samuel Dushkin.

Dans ses écrits musicaux, le compositeur louera la richesse scénique de Benois, le jeu incroyable d’acteur du danseur Nijinski, et considèrera la danse de Fokine comme étant l’une de ses meilleures.

(Vidéo : Arthur RUBINSTEIN au piano – « Petrushka’sroom » (Extraite de : Les trois mouvements de Petrouchka)
(Vidéo : Samuel DUSHKIN au violon – Igor STRAVINSKY au piano –  » La danse russe  » (Petrouchka)

Patrick DUPOND …

Du 21.2. au 23.2.2023 , l’Opéra de Paris rend un hommage largement mérité à l’une de nos merveilleuses Étoiles françaises de la danse : Patrick DUPOND

Patrick DUPOND 1959/2021

«  Je m’appelle DUPOND comme beaucoup en France. Moi c’est Dupond avec un D comme danseur …. Étoile je fus, Étoile je suis, Étoile je resterai jusqu’à la fin de mes jours. Cela devait être écrit avant je sois né. Je suis né pour vivre de la danse et je ne peux m’en passer. Dès que le rideau se levait, je ne touchais plus terre, j’étais au-dessus, au-delà de tout ce qu’un être humain normalement constitué accomplit d’ordinaire.  » Patrick DUPOND (Danseur Étoile français, chorégraphe, directeur du Ballet de Nancy, directeur de la danse à l’Opéra de Paris)

Ce merveilleux danseur, passionné par son art, solaire, rayonnant, déterminé, musical, très endurant, doté d’une force aérienne, nommé étoile à l’âge de 21 ans, est décédé en 2021 à l’âge de 61 ans. Outre ses qualités de danseur, il été très également très apprécié pour ce côté sympathique qui l’a rendu si populaire auprès du public.

Enfant hyperactif, très dissipé, parfois colérique, difficile à canaliser, sa maman l’inscrira au départ dans un club de foot, puis il apprendra le judo. Deux disciplines qui ne lui plaisent absolument pas. Entre deux prises sur le tatami, il s’éloigne pour se rendre de l’autre côté de la salle pour regarder, admiratif, le cours de danse classique d’une classe de filles. En les voyant, il eut une certitude : c’est la danse qui le passionne. Qu’à cela ne tienne, sa mère l’inscrit, seul garçon au milieu des filles : premiers exercices à la barre, premiers pas tout à fait encourageants et spectaculaires. Sa professeur conseille à ses parents de lui trouver quelqu’un qui le fera progresser car il est doué.

C’est ainsi qu’il rencontre Max Bozzoni (ex-danseur Étoile de l’Opéra). Cet homme ne cessera d’être pour lui, jusqu’à son décès en 2003 : son grand ami, son père spirituel, un conseiller précieux. Il le trouve tellement doué qu’il le prépare pour le concours d’entrée à l’École de danse de l’Opéra. Il est accepté trois mois à l’essai en stage. La danse classique ce n’est pas un secret, reste, dans les premières années d’apprentissage, quelque chose de très difficile pour un enfant à qui l’on demande, tout jeune et de façon journalière, de fournir de gros efforts. Certains n’y arrivent pas, d’autres se découragent et s’en détournent, d’autres résistent et persévèrent parce que la danse est véritablement une passion. Dupond fera partie de ces derniers.

En 1975 il passe le concours d’entrée dans le corps de ballet. Premier à y être accepté à l’âge de 15 ans 1/2 alors que l’obligatoire est 16 ans. C’est là qu’il rencontre Roland Petit qui lui confiera un premier rôle dans Nana. Un an plus tard, il se présente au Concours international de la danse à Varna. Il obtiendra un triomphe lors de sa prestation. Il passe sans problème tous les échelons et se voit consacré Étoile. On lui confie alors des premiers grands rôles. De nombreux chorégraphes font appel à lui : Béjart, Neumeier, Petit, Baryshnikov pour qui il dansera la Bayadère à l’American Ballet, Noureev qui créera pour lui Roméo et Juliette etc…

En 1978 il est appelé à diriger le Ballet de Nancy. Il y restera trois ans, des années qu’il qualifiera « d’époustouflantes, exténuantes, difficiles, mais tellement enrichissantes !  » En 1990, la direction de l’Opéra de Paris, lui demande de remplacer Rudolf Noureev . Il est jeune, il pensera dans un premier temps à refuser l’offre parce que c’était important, lourd à porter, mais finalement il accepte. Il relèvera le défi et le public acclamera sa venue avec enthousiasme. Toutefois, beaucoup de bonnes âmes bien intentionnées le mettront en garde, lui feront des recommandations, surtout par rapport à la rigidité, l’obéissance, et la discipline de l’Opéra …. il n’en tiendra pas compte.

Il va assumer sa tâche avec beaucoup de joie et de détermination, faisant monter des grands classiques. On peut affirmer qu’il a vraiment été au service de la danse, et ce malgré son caractère assez rebelle face aux codes régis par l’Opéra. En 1994, un nouveau directeur général de l’Opéra est nommé : Hugues Gall, lequel va décider de donner son congé à Dupond et nommer à sa place Brigitte Lefèvre. Il demande une indemnité de départ et signe un nouveau contrat en tant que danseur Étoile au service de l’Opéra.

En 1996/97 il est consigné pour danser le Sacre du Printemps de Pina Baush. Or il se trouve que l’actrice Isabelle Adjani l’appelle pour être membre du jury qu’elle va présider au Festival de Cannes. Il doit, pour ce faire, s’absenter trois jours et donc manquer les répétitions du Sacre. Pina Bausch l’autorise à le faire même si elle n’est pas ravie. Elle le prévient que des changements pourraient arriver à son retour. Dupond avertit la direction. Brigitte Lefèvre et Hugues Gall s’y opposent catégoriquement, mais il part quand même.

A son arrivée à Cannes à l’Hôtel Martinez, il trouve sa lettre de licenciement. On crie au scandale. Même le président de la République s’en même pour trouver un accord à l’amiable. Dupont est complètement anéanti par la nouvelle. Il se retrouve sans travail, sans ressource, ne peut (de par son contrat) danser ailleurs et les dettes s’accumulent car l’affaire va durer des mois. Les accords avec l’Opéra ne viennent pas.

Le sort s’acharne car il fait face à de gros problèmes de santé : hospitalisation, opération, rééducation etc… Il retrouve un peu la forme, s’entraîne avec Max Bozzoni et finalement Maurice Béjart lui propose un rôle dans Salomé à l’Opéra d’Helsinski. Entre temps, il est assigné devant le tribunal. Le jugement lui donne tort et déboute toutes ses demandes. On le dit capricieux et n’en faisant qu’à sa tête.

S’ouvre devant lui une grande période de doutes et une solitude immense. Il est terriblement déçu d’être rejeté par ce monde de la danse qu’il aime tant et à qui il a tant donné. C’est alors que la chorégraphe Carolyn Carlson le contacte, en 1999, de venir danser un ballet-hommage à Jorge Donn au Théâtre des Champs Elysées avec une tournée au Japon à la clé. De nombreuses Étoiles françaises seront là pour l’applaudir et le complimenter. La presse nippone quant à elle ne manquera pas de l’encenser dès le lendemain de la première.

Malheureusement en janvier 2000 il s’endort au volant de sa voiture et c’est l’accident, violent. Il a failli y laisser la vie, mais ressort complètement brisé corporellement, fractures graves nécessitant plusieurs opérations chirurgicales, des mois d’hôpital et de rééducation. Il a pensé ne pas pouvoir s’en remettre, surtout moralement, mais il fera preuve de volonté, d’assiduité et de courage et soutenu par les siens et réussira à remonter sur scène pour une comédie musicale en 2001.

« J’ai été polytraumatisé, j’ai eu plusieurs fractures du crâne, des vertèbres et cervicales explosées, une paralysie partielle et le premier pronostic qui a été donné, c’était une paraplégie et une paralysie partielle. »

Mais sa vraie carrière, sa vie de danseur-Étoile va s’arrêter là. C’est un homme complètement changé que l’on retrouve, très amaigri, faisant des apparitions dans diverses émissions de télévision.

A partir de 2004, il a vécu une belle histoire d’amour avec la danseuse orientale Leila Da Rocha qui va lui redonner l’envie de remonter sur scène et de danser à nouveau. A l’époque où il la rencontre, il tente de se débarrasser de son addiction pour l’alcool. Il prévoyait même d’aller vivre ailleurs qu’en France. Elle était directrice d’une école de danse à Soissons et l’invite à la rencontrer. Il accepte et sa vie change complètement. Coup de foudre réciproque. Elle quitte son mari pour lui, et lui constate qu’il aime une femme pour la première fois. :  » :« Ça m’arrangeait de me mentir à moi-même. En ce qui me concerne, l’homosexualité a été une erreur..  » des propos qui feront polémique et auxquels il répondait qu’ils ne parlaient pas à la généralité, mais à son cas en particulier.

Patrick DUPOND est décédé d’un cancer en 2021 à l’âge de 61 ans.

Flamenco …

 » Elle affirme son pas
Planté comme une lame.
Le tremblement du corps
précède l’immobile de l’arc
tendu à se briser.
Flèches d’un regard retenues

Elle cible l’étincelle au loin
Peut-être au fond d’elle-même.
Un pas claque sur l’estrade
Un autre plus vite
Pas à pas, elle gravit le crépitement
Le cœur à fleur de planches

Et son corps devient flamme
Danse l’enfer à l’orée du ciel
Percussion des courbes
Étreinte du regard

Vibration du beau
Flamenco. » Serge DINERSTEIN (Poète français)

(Vidéo : Compagnie Maria PAGÉS :  » La poésie est très liée au flamenco. Ce que le chanteur chante, c’est de la poésie pure. Une poésie populaire et anonyme qui se transmet de génération en génération. » Maria PAGÉS ( Danseuse de flamenco souvent primée pour ses interprétations, chorégraphe et directrice de compagnie)