» Nous deviendrons tous des hommes aériens ; nous connaîtrons la force de l’abstraction vers le haut, vers l’espace, vers le vide, et en même temps le TOUT. Lorsque les forces de l’attraction terrestre auront été dominées, nous léviterons vers une liberté physique et spirituelle. »
» Je veux créer des oeuvres qui soient nature et esprit. Les couleurs, l’époque bleu qui suivra ensuite ont été pour moi le comble de la liberté dans l’art de peindre, et je me rends compte que cette liberté n’est finalement qu’un intervalle, une frontière parce que je rentre, à nouveau, dans un autre monde, un autre pays, un autre royaume qui ne m’est pas totalement inconnu mais qui existe bien ! »
» Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art . »
Yves KLEIN


L’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence, en collaboration avec les Archives Yves Klein, va voir la vie en bleu jusqu’au 26.3.2023 au travers d’une exposition intitulée Yves KLEIN-INTIME-se référant, comme son nom l’indique, à un grand artiste célèbre du XXe siècle, un autodidacte, pionnier de l’art contemporain, plasticien, inventeur, entre autres, du Monochrome et du bleu I.B.K. , le précurseur du body art avec ses Corps Pinceaux.
C’est vrai que de nombreuses rétrospectives lui ont déjà été consacrées. Celle-ci s’attache plus particulièrement à sa vie personnelle, sa famille, ses origines, ses amis, ses liens avec les galéristes, avec d’autres artistes, sa vision de l’art, ses réflexions intellectuelles, sa spiritualité etc… Une occasion magnifique de revenir sur cet artiste assez génial mort très jeune à 34 ans ( lui qui disait vouloir passer dans l’au-delà à l’âge de Christ : 33 ans ….) – Une soixantaine de oeuvres sont présentées. Une grande partie de lui, mais également d’autres artistes
Huit ans d’une carrière fulgurante dans laquelle il a réussi, en peu de temps, à s’imposer avec une œuvre riche, prolifique, dense, visionnaire, qui l’a fait entrer dans la légende, mais qui malheureusement, vu sa durée de vie, ne lui aura pas permis de poursuivre et développer tous les projets qu’il avait encore dans sa tête.
Yves Klein a été, avec l’historien et critique d’art français Pierre Restany, le fondateur du Nouveau Réalisme un mouvement proclamé par un manifeste signé en 1960 par différents artistes aux personnalités diverses mais ayant tous une vision nouvelle de l’art comme ils l’avaient eux-mêmes : Spoeri, Arman, Dufresne, César, Rotella, Deschamps, Niki de Saint Phalle et Tinguely ( ce dernier fut l’ami intime, celui avec lequel il a parfois travailler de concert, avec lequel il a partagé des expos sur leurs oeuvres communes)


Il fut un innovateur qui a tout englobé : la peinture, la sculpture, l’architecture, l’écriture théorique, le théâtre et la performance ; un artiste contemporain de l’extrême, un radical en quête d’absolu, un théoricien qui a cherché à expliquer que l’essentiel dans la peinture c’était ce qu’elle revêtait d’invisible. On pourrait penser que son travail a eu des points communs avec le Pop Art sauf qu’il y a une petite différence dans le sens où son œuvre ne fait pas l’éloge ou la critique de la société de consommation, mais qu’elle est plutôt à la recherche d’un idéal …. d’un absolu. Yves Klein a toujours été à la recherche de l’absolu. Pour lui il sera le ciel, l’espace, le cosmos dans lequel il voulait voler, léviter, et cet absolu va prendre la forme d’une couleur : le bleu, un bleu qui le portera vers l’immatérialité et le vide.
Sa vie a été basée sur le mystique. Elle fut ponctuée de phases entre religion et méditation. Il a fortement cru aux forces de l’au-delà, celles qui dépassent l’homme. Il s’est vu comme le chef d’orchestre de ces forces qui l’ont tant fasciné et qu’il a tenté de dominer. Il a nourri son travail de tous les enseignements importants et les passions qui ont traversé sa vie : – la lecture des traités d’astronomie comme celui particulièrement de Camille Flammarion qui fut son livre de chevet – la lecture de Max Heindel avec notamment son ouvrage La Cosmogénie de la Rose Croix, chef-d’oeuvre de la littérature mystique et qui a été pour lui un élément d’études et de recherches – la lecture du philosophe Gaston Bachelard au travers de son livre Les Songes, offert par sa mère et qui faisait écho à ses pensées.
Yves Klein est né en 1928 à Nice. Son père Fred est un hollandais d’origine indonésienne, peintre figuratif plutôt doué pour la couleur. Sa mère, Marie, est née à la Colle-sur-Loup , une passionnée de yoga et peintre abstraite très portée pour la lumière. Elle a obtenu le Prix Kandinsky en 1949. En conséquence de quoi, il a baigné très tôt dans la vie de bohème et l’art pictural de ces deux artistes – » le goût de la peinture m’est venu au biberon » disait il, tout en affirmant aussi » que le fait que mon père et ma mère soient peintres m’agaçait » …
Il a grandi à Nice et a fait des études pour devenir officier dans la marine marchande. Compte tenu du fait que ses parents étaient souvent absents, il fut confié de nombreuses fois aux bons soins de sa grand-mère mais souvent à ceux de sa tante Rose (à la Colle-sur-Loup) qui n’a pas d’enfant et va le considérer comme le sien, le choyer, l’adorer et l’aider financièrement. Il entretiendra toute sa vie une correspondance assidue avec elle.

En tant que peintre la couleur pour lui ce sera le BLEU : » Jamais pour la ligne on a pu créer, dans la peinture, une quatrième dimension. Seule la couleur a réussi cet exploit. Ma monochromie est la seule manière physique de peindre et d’atteindre l’absolu spirituel. » – Le bleu des ciels de Giotto découverts en Italie et auquel il assimile une certaine spiritualité , le bleu du ciel, le bleu révolutionnaire, le bleu de la sensibilité et que jamais il n’a trouvé monotone. Au départ en 1955, il peindra des monochromes de différentes couleurs qu’il signe » Yves le monochrome « . A partir de 1957, il ne se consacrera qu’à un seul ton : le bleu-outremer.
Ce bleu si particulier fut mis au point en 1827/28 par un chimiste français Jean-Baptiste Guimet ( en fait ce dernier a créé un bleu-outremer artificiel qui coûtait moins cher que ce qui se faisait auparavant et que bien des artistes vont utiliser ) .Ce n’est donc pas Yves Klein qui l’a inventé. Par contre, cela lui prendra des années pour arriver à créer un liant composé d’un mélange de pigments, de rhodopas ( une résine) , d’alcool éthylique et d’acétone qui permettra au bleu de ne jamais plus s’assombrir lorsqu’on le mélange et qui gardera donc sa couleur intacte, lumineuse et pure de bleu-outremer, tout en apportant un bel équilibre entre le mât et le brillant. Il réalisera ce travail avec la collaboration du marchand de couleurs Edouard Adam. Une fois l’idée trouvée, elle fut déposée à l’Institut de la propriété industrielle, sous la forme d’enveloppe Soleau ( moyen simple et rapide de protéger un droit d’auteur) valable cinq ans parce qu’il n’avait pas inventé la couleur mais le liant. C’est la naissance de ce colori mythique qui reste sa propriété : BLEU I.B.K. N°1311 INTERNATIONAL BLEU KLEIN qui va être la clé, le sésame, la formule magique de son travail et lui permettra d’accéder à ce monde parallèle auquel il aspire.





Si les premiers Monochromes multicolores n’ont pas vraiment accroché , les bleus par contre vont vivement enthousiasmer, toucher, voire même captiver le public et la critique. Le support de ces toiles est en bois, contreplaqué ou isorel, recouvert d’une toile de coton fin. Son outil : le plus fréquemment le rouleau, mais le pinceau aussi. Lorsque les rouleaux sont vieux ou trop imprégnés, il en change, et des anciens fait des sculptures ou des assemblages ! De ce bleu naîtront aussi les Éponges en 1957/58 ( et qu’il travaillera jusqu’à sa mort quasiment). Les premières étaient une commande du Théâtre de Gelsenkirchen pour lequel il avait travaillé sur des sortes de fresques murales qui incarnaient bien l’imprégnation de son bleu IBK . Lorsqu’il était présent dans certaines de ses expositions, il demandait au public de » s’imprégner » de son bleu un peu » comme des éponges » pour mieux comprendre son travail : la matière concrète devient une métaphore !
Il y aura aussi les Moulages en Bleu : cela va du moulage d’oeuvres du passé comme la Vénus de Milo recouverte de bleu ou bien des moulages de personnes vivantes.



L.OR et les MONOGOLDS
La rencontre avec » l’or » s’est faite en 1949 chez un encadreur qui va lui apprendre les techniques de la dorure. Et l’or deviendra alors pour lui solaire, lumineux, merveilleux, une fascination qui permettra de donner » la vie éternelle » à ses oeuvres. Il lui faudra une bonne dizaine d’années pour réaliser ses fameux Monogolds qui traduisent le passage du » visible » à » l’invisible » , la transition entre le » corporel » et le » spirituel » qui jusque là avaient été thésorisés par le bleu. Il y a eu aussi les Monogolds relief faits à partir de feuilles d’or à l’état pur, lissées sur bois ou toiles ou les Monogolds lunaires avec des petits cratères.

Feuilles d’or sur panneau 92 x 73 cm –(Succession Yves Klein c/o ADAGP, Paris )
Les ANTHROPOMÉTRIES
C’est Pierre Restany qui trouve ce terme venant du grec anthropo : homme et métrie : mesure. Cela lui a semblé tout à fait approprié à la technique utilisée par Yves Klein . La première fois qu’il a exécuté ce type de tableau c’était en 1960 à la galerie d’Art contemporain Arquian de Paris. Un public se trouvait là, mais aussi des critiques, des collectionneurs et un orchestre …. Pourquoi un orchestre ? Tout simplement parce qu’il réalisa son travail en étant accompagné par la Symphonie Monoton ( une oeuvre de sa composition et datant de 1947) un peu dans le style de John Cage. Cette symphonie c’est en gros vingt minutes durant l’orchestre ne tient qu’une seule note : le Ré , puis vient un silence. C’est Philippe Blanchette son ami, chef et musicien, qui la dirigera ce jour-là.

Klein a toujours eu un rapport un peu spécial avec le corps humain qui pour lui. Il a utilisé des corps masculins, souvent féminins, des couples voire même des groupes. Des modèles qui devenaient des sortes de » pinceaux vivants » . Les corps étaient enduits de peinture bleue. Ils se plaquaient sur des plaques à même le sol pour obtenir les oeuvres qu’il souhaitait. Il dirigeait leurs mouvements, leurs placements, leurs déplacements. Pas de mains, pas de cheveux qui, d’après lui, » aurait donné un humanisme choquant aux compositions qu’il recherchait » . Juste le corps : le tronc et les cuisses parce que c’est là que se trouvait « l’univers réel caché par l’univers de la perception » .

La toute première fut or sur fond noir, les autres plus généralement en bleu, mais elles le seront également en rose et en or. Pour ce qui est des Anthropométries dorées c’est la référence de Klein à Baudelaire dans Les Fleurs du mal : « la chair spirituelle qui a le parfum des anges « …
Il a déposé un brevet d’invention cette fois pour ses pinceaux vivants en 1960 sous le titre : » Procédé de décoration ou intégration architectural et produits obtenus par l’application dudit procédé « .
BLEU – OR – ROSE » LA TRINITÉ PICTURALE «
Référence à la religion qui a toujours été pour lui très importante. » Le peintre, comme le Christ, dit la messe en peignant. Il réalise le mystère de la Cène dans chaque tableau » disait-il. Comme il y eut le Père, le Fils et le Saint Esprit, chez Klein il y aura le bleu, l’or et le rose, son triptyque à lui, sa Trinité chromatique. Le bleu représente le créateur céleste, l’or le spirituel, le rose l’incarnateur. Cette oeuvre qui rassemblera ces trois couleurs prendra la forme d’un ex-voto qui sera offert à Sainte Rita de Cascia en Italie. Sainte Rita béatifiée en 1628, canonisée en 1900 par le pape Léon XIII, la mère des causes désespérées. Klein expliquera s’est très souvent rendu en la chapelle Sainte Rita à Nice avec sa tante Rose et sa grand mère enfant, et adulte au monastère de la sainte à Cascia.
Il s’agit d’une boite en plexiglas transparent avec trois compartiments dans laquelle il y a du pigment rose (Monopink), du bleu IBK, et des feuilles d’or Monogold. Dans la partie inférieure de la boite, se trouve un tiroir où il a déposé des petits lingots d’or sur un lit bleu avec un texte écrit de sa main : « Le bleu, l’or , le rose, l’immatériel, le vide, l’architecture de l’air, l’urbanisme de l’air, la climatisation des grands espaces géographiques pour un retour à la vie humaine dans la nature à l’état de légende. Les trois petits lingots d’or sont le produit de ma première vente des » Zones de sensibilité . Yves Klein » – Il arrive que cet ex-voto soit prêté dans le cadre d’expositions importantes concernant le peintre.

LES PEINTURES DE FEU
Un procédé qui n’était pas nouveau puisqu’un certain Buri l’avait expérimenté avant lui sur ses oeuvres. Ces Peintures de feu traduisent l’influence que le philosophe Gaston Bachelard a eu sur son travail. La première sera réalisée en 1957 à la galerie Allendy de Paris : le soir du vernissage, dans le jardin, devant un public complètement ébahi par ceà quoi il allait assister, il a approché une allumette de l’une de ses toiles, lequel s’est enflammé. Il l’a appelé Tableau de feu en une minute.
Dans sa recherche du » dépassement de soi » il a voulu aller plus loin, et pour ce faire à remplacer l’allumette avec un bec de gaz ( plus ou moins long, c’est selon) afin d’obtenir des toiles originales et spectaculaires. Une façon de faire somme toute assez dangereuse parce qu’il risquait non seulement de se brûler mais d’anéantir également son travail.
En 1961 il se rend au centre d’essai Gaz de France pour une expérimentation : lui en costume-cravate avec son bec de gaz à la main. La toile reçoit de l’eau, il dirige le lance-flamme en direction de la toile et l’action combinée eau-feu donne des motifs divers ressemblant à des sortes de fantômes ou silhouettes auréolées. Il aurait voulu poursuivre avec des femmes nues imprégnées de peinture posées sur la toile. Une fois le tableau imprimé, il devait le transformer avec un contour brûlé. Le centre Gaz de France refuse et le congédie … Qu’importe, il continuera ailleurs ce travail et l’intitulera les Cendres de l’art.




LES COSMOGONIES – ARCHITECTURES DE L.AIR
C’est la capture des traces venues des éléments de la nature à savoir l’air, le vent, la pluie. C’est le monde qui entoure le corps. Pour ce faire, il faisait se balancer des tiges imprégnées de peintures bleue à l’air du vent et au contact de ce souffle, elles s’inscrivaient sur la toile. Il peint aussi des toiles en bleu, les dépose à l’extérieur au contact de la pluie et lorsque les gouttes tombent, elles forment des petites éclaboussures qui pour lui sont similaires aux étoiles du cosmos.

Yves Klein a été marié à Rotraut Uecker rencontrée en 1957 – Elle a 20 ans à peine, lui 29. Elle vient d’Allemagne de l’Est pour être la nounou des enfants du sculpteur Arman. Entre eux c’est le coup de foudre immédiat, l’amour passionné, intense, fusionnel. Elle est sa muse, son assistante, son modèle, celle qui va le soutenir, le comprendre, l’épauler, collaborer. Il l’épouse en 1962 en l’église St Nicolas des Champs à Paris sous une haie d’honneur composée par les chevaliers de l’ordre de St Sébastien auquel il appartient. Ils auront il fils, Yves, qui naîtra 2 mois après le décès de son père.
Rotraut se remariera six ans plus tard avec un comédien et n’aura cesse de veiller sur l’oeuvre de son ex-mari.

Yves Klein est mort d’une crise cardiaque en 1962 – Il est enterré au cimetière de la Colle-sur-Loup dans les Alpes Maritimes.
Il restera un artiste très particulier, une personnalité marquante et controversée. On a souvent dit de lui qu’il fut un » peintre mégalo » ce qu’il a été … Il a parfaitement su se mettre en scène, et à chaque fois qu’il l’a fait, les médias n’étaient pas loin. Il a toujours cherché à s’expliquer, se justifier , revendiquer le fait qu’il était animé par des motivations artistiques authentiques. Il n’a pas toujours été compris, mais la plupart du temps, il finissait par séduire, y compris les plus septiques. Il y aura des artistes, des historiens de l’art, des collectionneurs qui seront sensibles à sa pensée, à son travail, à ses idées, lui qui fut tellement en avance sur son temps ! Nombreuses seront les expos et rétrospectives le concernant. Si sa côte a baissé durant un certain temps, elle a nettement remonté depuis les années 2000.
