Frida KHALO – Au delà des apparences …

La photo, utilisée pour l’illustration de l’affiche, est un cliché de Toni FRISELL pour le magazine Vogue américain en 1937
Magdalena Frida Carmen KAHLO CALDERÓN dite Frida KAHLO 1907/1054 -Peintre mexicaine

Le Palais Galliera, à Paris, nous propose d’aller, du 15.9.2022 au 5.3.2023 /  » AU-DELA DES APPARENCES  » d’une artiste mexicaine très talentueuse, combattive, originale, excentrique, inventive : Frida KAHLO., d’entrer dans son intimité, dans sa façon de se vêtir, et d’essayer de comprendre comment elle a réussi à se construire une identité, car son style vestimentaire est porteur de beaucoup de sens, comme l’a été son art. Il exprime sa dualité, ses croyances, ses opinions politiques, ses racines, ses valeurs. Elle a vu la mode comme un moyen capable de lui donner la force mentale et émotionnelle dont elle a eu besoin pour surmonter ses problèmes physiques.

L’expo a été réalisée en collaboration avec le Musée Frida Kahlo de Mexico : 200 objets provenant de ce lieu qui fut le domicile de l’artiste à savoir La Casa azul . Un lieu où elle est née, où elle a grandi et où elle est morte , et qui désormais a été transformé en musée (inauguré en 1958). La plupart d’entre eux, vêtements ( (notamment ses robes traditionnelles Tehuana) , cosmétiques, parfums, boite à couture et médicaments, fioles d’onguents, médicaments, corsets et prothèses (décorés par elle), correspondances, et accessoires divers avaient été mis sous scellés par son époux Diego Rivera lorsqu’elle est décédée .

La Casa Azul – Désormais Musée Frida Kahlo

C’est son père qui avait fait construire la maison dans le village de Coyoacàn, près de Mexico en 1904 . Un lieu ravissant entouré de bougainvilliers et d’orangers, un lieu cher à son cœur qui sera racheté en 1929 par Diego Rivera . Il deviendra leur demeure, le refuge de Frida, le lieu de leur amour, celui de leurs séparations, de leurs retrouvailles. Après son divorce, elle va le redécorer à son goût. Elle aime y peindre, alitée ou attachée à un fauteuil roulant, et elle y mourra. C’est aussi l’endroit où sont venus se réfugier des artistes en exil, comme Trotsky qui restera deux ans là-bas avec son épouse. Frida et lui auront une liaison.

Frida Kahlo fut une existentialiste qui a transformé sa vie brisée par un accident et sa douleur, en art pictural. Un art dont elle fera une philosophie de vie. On a essayé de la classer parmi les artistes surréalistes, mais elle ne sera pas d’accord , préférant affirmer que son travail est le résultat de ce qu’elle vivait personnellement, de ses états d’âme, ses ressentis. Pour elle, la peinture sera un peu comme un journal intime, à la fois réaliste, drôle aussi parfois.

 » Certains critiques ont tenté de me classer parmi les surréalistes, mais je ne me considère pas comme telle. En fait, j’ignore si mes tableaux sont surréalistes ou pas, mais je sais qu’ils sont l’expression la plus franche de moi-même. Je déteste le surréalisme. Il m’apparait comme une manifestation décadente de l’art bourgeois. Une déviation de l’art véritable que les gens espèrent recevoir de l’artiste. J’aimerais que ma peinture et moi-même nous soyons dignes des gens auxquels j’appartiens et des idées qui me donnent de la force. J’aimerais que mon œuvre contribue à la lutte pour la paix et la liberté. «  Frida KAHLO (Peintre mexicaine – Extrait de son livre Lettres )

C’est en 1939 qu’elle se rend à Paris et rencontre les membres du mouvement surréaliste, invitée par la peintre, décoratrice , plasticienne Jacqueline Lamba et son premier mari André Breton. Elle fut l’amie de Frida et vivra, également, une courte liaison avec elle. Selon des accords préalables, André Breton devait préparer une expo pour elle, mais il ne le fera pas, ce qui va non seulement la vexer, mais attisera une vive colère vis-à-vis du mouvement surréaliste en général. Une colère très forte si l’on se réfère à ses paroles :  » Ces gens sont des putes, ils me font vomir, j’aimerai mieux rester assise par terre à vendre des tortillas sur le marché de Toluca plutôt que d’avoir à faire à ces salopes artistiques ! Ils s’assoient des heures dans des cafés à réchauffer leurs précieux derrières, et parlent sans arrêt de culture, d’art, de révolution. Ils se prennent pour les dieux du monde. Ils rêvent les idioties les plus fantastiques et empoisonnent l’air de théories qu’ils ne réalisent jamais. Le lendemain ils n’ont rien à manger à la maison vu que pas un seul ne travaille. Ils vivent comme des parasites, des merdes, rien que des merdes, c’est tout ce qu’ils sont » …

Et sa colère ne s’apaisera pas , même lorsque Marcel Duchamp organisera, enfin, pour elle, l’exposition qu’elle attendait. Cela se fera chez le galériste Pierre Colle. Malheureusement, Duchamp aura la maladresse de placer des objets mexicains que André Breton avait rapporté de ce pays. Ce qui va la vexer et la contrarier. Elle rentrera dans son pays où malheureusement elle apprendra une nouvelle infidélité de Diego. Divorce, suivi d’un remariage un an plus tard !

Une femme libre, rebelle, forte, effrontée, entière, avant-gardiste, visionnaire, qui va non seulement être peintre, mais qui a beaucoup aimé écrire aussi, lire également ( Proust, Bergson et de la poésie chinoise notamment) et portera une grande attention à des peintures comme Cranach, Botticelli ou Bruegel. Elle fut aussi une militante acharnée et une enseignante surnommée La Esmeralda par ses élèves . Elle donnait des cours à l’École de peinture et de sculpture du Ministère de l’Éducation nationale.  » Elle nous faisait percevoir et comprendre une certaine beauté du Mexique dont nous n’aurions pas pris conscience nous-mêmes » dira l’une d’entre elles. Trop fatiguée pour se rendre régulièrement dans cette école, elle continuera à donner des cours particuliers chez elle.

Elle est née officiellement en juillet 1907, mais elle affirmera toujours l’avoir été en juillet 1910. Pourquoi me direz-vous ? Tout simplement parce que la seconde date correspondait à la révolution mexicaine. Frida fut infiniment patriote tout au long de sa vie ! Son père est germano-hongrois, et sa mère une indigène mexicaine. Elle a fait de ce métissage une force.

Elle a passé son enfance auprès de ses trois sœurs Matilde, Adriana et Cristina, élevée par une mère tyrannique et sujette à la dépression nerveuse. Dès qu’elle le peut, elle retrouve son père qui a un atelier de photographie en centre ville.

Frida et ses sœurs ( elle se trouve à l’extrême droite, debout)
 » Mes parents, mes grands-parents et moi  » 1936 – Frida KAHLO (Collections du Museum of Modern Art de New York)

Les souffrances de sa vie ont commencé très tôt. En effet, à l’âge de 6 ans, elle est touchée par la poliomyélite et perd partiellement non seulement l’usage de sa main droite, mais son pied cessera de grandir. Malgré ce handicap et les moqueries de ses petits camarades de classe, elle continuera d’être une brillante élève et intègrera des écoles réputées.

A 18 ans, sa vie va basculer dans un drame : lors d’une promenade avec son petit ami de l’époque, Alejandro, elle est victime d’un grave accident : le bus, dans lequel ils se trouvent, percute un tramway. Elle est grièvement blessée : colonne et jambes brisées, épaule démise, pied écrasé et , de plus, elle est empalée sur une barre de fer. S’ensuivront des mois d’hospitalisation, une trentaine d’interventions chirurgicales. Tout cela verra s’écrouler son rêve de devenir un jour médecin.

Elle va se retrouver enfermée dans un corset durant quasiment toute son existence. Fort heureusement, la peinture la sauvera. En effet, pour l’aider à surmonter tout ce qui lui arrivait, ses parents feront fabriquer un chevalet sur mesure qui lui permettra de pouvoir peindre en restant allongée. C’est dans l’art pictural qu’elle va pouvoir exprimer tous ses états d’âme , toutes ses souffrances, avec , notamment ses nombreux autoportraits, qui deviendront célèbres, permettant que l’on se souvienne d’elle, que l’on apprécie son travail et qui marqueront les mémoires de l’histoire de l’Art. On compte environ 50 d’autoportraits sur la totalité de ses 150 œuvres.

Dans ces tableaux elle s’est mise en scène, seule parfois, avec son double souvent, avec ses parents, ses grands-parents, lors d’évènements douloureux comme ses fausses-couches, en femme nourricière d’une plante sortant de son corps, en femme libérée après son divorce avec Rivera, avec un corset et un corps où sont plantés des clous référence à des saints martyrs, en cerf blessé par des flèches etc…

 » Autoportrait au collier d’épines  » 1940 Frida KAHLO (Humanities Research Center University à Austin )
« Les deux Fridas  » 1939 – (Museo nacional de Arte moderno à Mexico)
 » L’hôpital Henry Ford  » 1932 – Frida KAHLO (Collections du Museo Dolores Olmedo à Mexico)
 » Racines  » 1943 – Frida KAHLO (Collection particulière)
 » La colonne brisée  » 1944 – Frida KHALO ( Collections du Museo Dolores Olmedo à Mexico)

Son état s’améliorera un peu vers 1928. C’est aussi à cette époque qu’elle s’engagera dans le parti communiste mexicain. Elle n’a alors qu’un désir : c’est défendre le droit des femmes, leur émancipation, et la condition de vie des opprimés. Elle n’hésitera jamais à défendre sa bisexualité;

Côté vie privée, son grand amour sera le peintre Diego Rivera. Une relation qui ne sera pas un long fleuve tranquille, mais plutôt un va-et-vient incessant d’amour et de haine, car les infidélités réciproques seront légion. Elle fera deux fausses couches et comprendra qu’elle doit abandonner définitivement son désir d’être maman. Rivera restera son ami, son frère, ses parents, son amant, mais aussi, quelque part, ce fils qu’elle n’a jamais eu. Ils se marieront en 1940.

On les surnommera La colombe et l’éléphant . Elle dira les concernant :  »J’ai eu deux accidents dans ma vie, l’un c’est quand un tramway m’a écrasée et l’autre c’est Diego  » – Il s’étaient rencontrés lors d’une soirée organisée par une amie commune, communiste, qui recevait chez elle tout l’intellectuel engagé de Mexico. Connaissant la réputation picturale de Diego, Frida souhaitera avoir son avis sur son propre travail. Non seulement il va l’encourager, mais elle lui plait. Il a 22 ans de plus qu’elle et une sacrée réputation de coureur, de menteur, un homme sacrément intelligent et travailler acharné. Qu’importe les défauts, la passion les emporte.

Les premières années seront malgré tout assez heureuses. Ils ont en commun leur art, leur idéal politique dans le communisme et leur culture mexicaine. Mais les disputes, les déchirements et les infidélités de Diego vont aller crescendo. Ils divorceront mais sont incapables de vivre l’un sans l’autre, donc se remarieront.

Frida et Diego

C’est en voyageant beaucoup dans son pays qu’elle va développer son identité, ses racines, son origine métis, sa culture. Elle va s’inspirer du folklore du Mexique. C’est pour rendre hommage à tout cela qu’elle portera toute sa vie le fameux ensemble Tehuana (une blouse brodée-huipil- , jupe longue-enagua- , un châle à franges-le rebozo- et coiffe) dont on la voit parée dans ses tableaux. En s’habillant de la sorte, elle a voulu montrer que ses vêtements étaient porteurs des valeurs culturelles de son pays et quelque part c’était aussi pour elle une forme d’art.

Ce type de vêtements très « couleur locale » , et son œuvre , vont faire d’elle une emblématique, charismatique, peintre révolutionnaire mexicaine. C’est quelque chose qu’elle revendique pleinement  » J’espère être digne du peuple auquel j’appartiens. Je veux que mon œuvre soit une contribution à la lutte du peuple pour la paix et la liberté. S’habiller de la sorte lui plait, ce n’est en rien une frivolité, mais elle l’a fait aussi parce que Diego aimait les belles femmes Tehuana qui revendiquaient leurs origines mexicaines , leur émancipation, leur intelligence, leur fort caractère au travers de leurs vêtements.

Autant elle n’a jamais craint de faire des autoportraits où elle ne cachait rien de ses cicatrices corporelles, autant , avec ses larges tenues, elle a voulu aussi cacher son corps meurtri (dès l’enfance à cause de sa poliomyélite) et ce, tout en gardant une certaine part de féminité et coquetterie. Elle était coquette dans sa façon de se vêtir, avec des tissus très colorés qui rendaient ses ensembles assez heureux, cheveux tirés en arrière avec beaucoup de fleurs en couronne aussi, des bijoux imposants, des sourcils épais, une audacieuse moustache pour bien montrer qu’elle était tout autant à l’aise avec sa part féminine que masculine . Finalement, il fallait qu’on la reconnaisse ! De plus, la mode a été une façon de pouvoir s’exprimer (comme sa peinture) et elle a su parfaitement l’utiliser. . Elle aurait pu en choisir d’autres, mais vouloir des vêtements traditionnels mexicains, c’était aussi affirmer son identité, sa personnalité.

 » Ma robe est suspendue là-bas  » 1932/38 Frida KAHLO (Collection particulière)
 » Autoportrait ou Diego en pensée  » 1943 – Frida KAHLO (Collections de Jacques et Natasha Gelman à Mexico) – Elle a revêtu un  » resplandor  » qui est exclusivement porté par les femmes Tehuana du peuple Zapothèque
Frida portant le « Resplanor » et costume Tehuana 1940 env. Photo de Bernard SILBENSTEIN
« Tomicoton » en laine – broderies au point de croix – Frida KAHLO
 » Huipil « coton brodé & jupe imprimée – Frida KAHLO
 » Rebozo et Huipil  » de coton avec jupe en soie – Frida KAHLO
 » Manteau guatémalthèque sur Huipil mazatèque et jupe longue – Frida KHALO

Lorsqu’elle a été amputée en 1953, certes elle a beaucoup moins souffert physiquement parlant, mais c’est un acte chirurgical qui l’a profondément marqué, et elle en a fait une dépression nerveuse. C’est à partir de là qu’elle a dû porter une prothèse en forme de botte rouge, ainsi qu’un corset, les deux décorés par ses soins. Pour les rendre les plus agréables possible et quelque part moins contraignant à sa propre vue, elle peignait dessus pendant qu’elle les portait.

Corset en plâtre peint par Frida KHALO
 » Prothèse de jambe avec botte en cuir et soie brodée  » Frida KHALO (Musée Frida Khalo / Mexico)
Collier en perles de jade précolombien avec pendentif central sculpté en forme de poing – Frida KHALO (Musée Frida Khalo à Mexico)
Son surnom était « Xochiti » qui voulait dire fleur. Il est vrai qu’elle a beaucoup aimé se parer de fleurs, celles qui poussaient dans son jardin, notamment pour faire des tresses avec ses cheveux ou des coiffes comme on le voit sur la photo.

De nos jours, de nombreux créateurs de mode s’inspirent de sa façon de s’habiller, notamment la Maison Dolce & Gabbana (collection de bottes) – Alexander McQueen – Jean-Paul Gaultier – Carolina Herrera – Alberta Ferretti – Etro – Maya Hansen entre autres exemples.

Collection  » Frida  » 1988 par Jean-Paul GAULTIER
Collection Frida Khalo – Maya HANSEN 2013

Elle est morte jeune, à 47 ans. Il y a deux versions : une attestant qu’elle est décédée des suites d’une broncho-pneumonie, et l’autre qu’elle se serait suicidée en avalant de nombreux cachets. Quelle que soit la bonne , c’est Diego Rivera qui lui coupera les veines afin de confirmer sa mort. Sur son cercueil sera placé le drapeau du parti communiste . A sa demande elle sera incinérée car elle ne souhaitait pas se retrouver couchée comme elle l’avait été si souvent. Ses cendres reposent dans sa maison natale.

L’histoire raconte que Diego aurait avalé une poignée desdites cendres et décidera que jamais plus il ne reviendrait dans cette maison. Il rangera toutes les affaires de son épouse dans une pièce de leur maison et demandera qu’elles restent enfermées jusqu’à 15 ans après sa propre mort. Elles le resteront davantage car ce n’est qu’en 2004 que le Musée Kahlo décidera de les cataloguer et en 2007 qu’elles seront rendue publiques.

Il se remariera quelques temps plus tard. Il meurt en 1957. Il avait émis le souhait que ses cendres rejoignent celles de Frida, mais ce vœu ne sera pas exaucé . Il sera enterré au Panteon Civil de Dolores à Mexico.

De par sa vie, son œuvre emblématique très particulière, et son style vestimentaire richement coloré, elle est devenue une artiste à part.

« Tellement absurde et éphémère est notre passage dans ce monde, que la seule chose qui me rassure c’est la conscience d’avoir été authentique. D’être la personne la plus ressemblante à moi-même que j’aurais pu imaginer.  » F.K.

Chaise et toile / Casa Azul Mexico