




» Une anecdote voudrait qu’à l’inauguration du palais Garnier, le 5 Janvier 1875, le Tout-Paris eût été invité …. sauf Charles Garnier. Obligé de payer sa place, il aurait assisté au baptême de son palais depuis le fond d’une seconde loge, mis à l’écart pour avoir été trop courtisan sous le Second Empire. Légende ou réalité ? Peu importe car ce paradoxe est bien à l’image de cette IIIe République naissante qui célébrait là l’un des ultimes projets du régime précédent, en travaux depuis quatorze ans.
Dans le cadre des immenses chantiers lancés par le Baron Haussmann, Napoléon III avait exigé l’édification d’un nouveau théâtre d’opéra. De tout temps la première salle lyrique parisienne avait été un miroir du pouvoir en place. Elle avait beaucoup changé de lieu depuis la fondation de l’Académie royale de musique par Perrin et Cambert en 1669 : rue Jacques Callot, aux Tuileries, au Palais-Royal, Porte Saint-Martin, rue Richelieu, rue Le Peletier. Le second Empire voulait, à son tour, une salle qui fût digne de lui, et le ministre Walewski avait lancé un concours d’architecte. Contre toute attente, le 6 juin 1861, le projet du célèbre Viollet-le-Duc avait été attribué au profit d’un jeune inconnu nommé Charles Garnier.
Le voilà à trente-six ans, à la tête d’un des projets phares du Second Empire. Sans doute le classicisme de son plan cruciforme avait-il séduit le jury. Une fois son projet validé, Garnier s’était assuré la collaboration de certains des meilleurs artistes de son temps. Les travaux auraient dû s’achever cinq ans plus tard, mais en 1867 seule la façade est montrable. On n’en décide pas moins de l’inaugurer en grande pompe, provocant un scandale instantané ! L’impératrice Eugénie grimace : » quel affreux canard, ce n’est ni du style, ce n’est ni grec ni romain. » … » C’est du Napoléon III » aurait répondu Garnier.
Est-ce ainsi qu’il faut résumer cet empilement de marches, d’arcades, de loggias, de colonnes ? Et cette accumulation de statues qui illustrent le savoir-faire de tous les grands artistes du moment ? : Le Drame de Falguière – Le Chant de Dubois – La Cantate de Chapu – La Musique instrumentale de Guillaume – La Poésie lyrique de Jouffroy – Le Drame lyrique de Pernaud – La Danse de Carpeaux ….


Danse – Paul BELMONDO ( original de Jean-Baptiste CARPEAUX se trouve au Musée d’Orsay)

Avec la chute du Second Empire, l’Opéra faillit ne jamais voir le jour. Durant les terribles années de 1870- 1871, son sous-sol devint même une prison de fortune où il semblerait que l’on est torturé. Le projet était heureusement trop avancé pour qu’on l’interrompît, et l’incendie de l’Opéra le Peletier le 28 Octobre 1873 accéléra la reprise des travaux. Nous voici enfin au 5 janvier 1875 : il faut se figurer ce que fut la découverte de l’Opéra pour Mac Mahon et tous les Parisiens ! C’était alors le plus grand théâtre du monde ! Tout y semblait pittoresque : les trente colonnes de marbre du grand escalier, une scène de soixante mètre de hauteur, cinquante-cinq de largeur et vingt-cinq de profondeur. Un bâtiment de onze mille mètre carrés et qui avait demandé quelques trente-trois kilomètres de plans !
Le palais de Charles Garnier reste à jamais le symbole de l’art lyrique : par sa poésie, son faste, sa pompe, sa douce lourdeur, ses lambris poussiéreux, ses sombres couloirs, ses allures de bordel en déclin et de maison hantée. Il est à l’opéra ce que la tour Eiffel est à Paris. Et ce n’est pas près de changer ! »Nicolas D.ESTIENNE D.ORVES ( Écrivain et journaliste français )


