Outils (mots) posés sur une table …

 » Mes outils d’artisan
sont vieux comme le monde
vous les connaissez
je les prends devant vous :
verbes adverbes participes
pronoms substantifs adjectifs.

Ils ont su ils savent toujours
peser sur les choses
sur les volontés
éloigner ou rapprocher
réunir séparer
fondre ce qui est pour qu’en transparence
dans cette épaisseur
soient espérés ou redoutés
ce qui n’est pas, ce qui n’est pas encore,
ce qui est tout, ce qui n’est rien,
ce qui n’est plus. Je les pose sur la table
ils parlent tout seuls je m’en vais. » Jean TARDIEU (Poète et écrivain français- Extrait de son recueil Poèmes pour la main droite/1976)

Jean TARDIEU 1903/1955

Danseur …

 » L’harmonie trouve le chemin de ses muscles, l’éclairage tourbillonne, il regarde, furieux, le chef d’orchestre qui corrige son tempo, et il poursuit, en toute maitrise d’abord, chaque figure précise et soignée. Les pièces commencent à s’assembler, son corps est élastique, trois jetés tournés, prendre garde en retombant. Il allonge sa ligne, le beau mouvement ici , oui , violoncelle vas-y … Les lumières fonctionnent, pirouettes enchainées, il respire l’air, le corps sculpté par la musique, une épaule à la recherche de l’autre, l’orteil droit distingue le genou gauche, stature, profondeur, forme, contrôle, la souplesse du poignet, la courbure du coude, l’inclinaison du cou, les notes qui fouillent dans ses artères. Il est soudain suspendu en l’air, pousse ses jambes au-delà des mémoires gestuelles. Un dernier développé des cuisses, prolongement de figure dansée, galbe humain dénoué, il vole plus haut encore et le ciel le retient …  » Colum MCCANN ( Écrivain irlandais -Extrait de son livre Danseur)

Sergei POLUNIN pour le film  » Dancer  » réalisé par Steven CANTOR (2016) Photo de Johan PERSSON

Histoire d’un ballet : EXCELSIOR …

«  C’est un ballet pour public intelligent, qui décrit le triomphe de la lumière sur les ténèbres, de l’intelligence sur l’ignorance, à travers les âges. Si l’obscurité prédominait durant l’inquisition, la lumière et sa légèreté triompheront au Siècle des Lumières. Elle sera présente lors des grandes inventions du XIXe siècle et rassemblera l’humanité dans une atmosphère heureuse et paisible. » Luigi MANZOTTI (Mime, danseur et chorégraphe italien)

Luigi MANZOTTI (1835/1905) – Photo de Giovan Battista GANZINI
(Vidéo : Isabel SEABRA & Roberto BOLLE)

Luigi Manzotti est né à Milan en 1835, fils d’un négociant en fruits et légumes. Son coup de cœur à 20 ans pour une danseuse, va le faire entrer dans le monde artistique. Il décide alors de ne pas suivre la tradition familiale pour se tourner vers une carrière de mime (Il deviendra d’ailleurs premier mime à la Scala de Milan) . C’est un personnage très créatif  qui, un jour, finira par se lancer dans la danse et la chorégraphie.

Durant les années qui suivront ,  il travaillera , petit à petit, au projet d’un grand ballet qui célébrerait toutes les découvertes, avancées technologiques, et progrès qui voyaient le jour au XIXe siècle  (appelé le Siècle d’Or ) comme le développement du bateau à vapeur, l’électricité, la construction puis inauguration du Canal de Suez, le tunnel du Mont Cenis entre la France et l’Italie )-  Un sujet très riche d’autant que Milan était en passe de devenir un grand centre industriel et culturel en Italie à cette époque. La guerre entre la France et la Prusse (1870) avait pris fin et avait permis, en Europe, une grande ouverture sur plus de solidarité sociale, de possibilités scientifiques et techniques qui permettraient d’améliorer la vie de tout à chacun.

Ce ballet ce  sera donc :  Excelsior . Il demande à son ami violoniste et  compositeur Romualdo Marenco, avec lequel il avait déjà travaillait pour un spectacle à Turin, de s’occuper de la musique.

Il est un peu différent des autres ballets, d’une part en raison du sujet et d’autre part sa présentation en différents tableaux allégoriques. C’est  une histoire d’amour, de haine, de lutte  entre l’Obscurité (sous les traits d’un homme en noir à l’aspect parfois squelettique)   qui est lié au passé et la Lumière pleine de richesse, de générosité et d’espoir ( une ballerine belle et tout de blanc vêtue) . Il  se terminera sur la victoire du bien contre le mal. C’est aussi la gloire du progrès, la foi en la fraternité, l’optimisme de la bourgeoisie de cette époque qui pensait qu’avec autant de progrès on allait vers un avenir libérateur et merveilleux. On assiste, par ailleurs, à toutes les grandes découvertes du siècle.

Pour beaucoup c’est un ballet qui semble un peu kitsch, rétro, mais en 1881 lors de sa création il fut ovationné avec un grand enthousiasme, recevra un véritable triomphe   et fera l’objet d’une centaine de représentations avant d’être repris dans différents pays un peu partout en Europe. Par la suite, il tombera un peu dans l’oubli,  avant d’être redécouvert en 1967 lors du Mai musical florentin dans une version de Ugo Dell’Ara. La musique fut retravaillée par Fiorenzo Carpi et Bruno Nicolaï. A partir de là, on l’a classé comme étant l’un des plus beaux témoignages culturels italiens de la fin du XIXe siècle. Il fait partie désormais du répertoire de la Scala de Milan.

Excelsior est un ballet  optimiste, riche en couleurs, divertissant, touchant et vraiment spectaculaire .

(Vidéo : en scène Roberto BOLLE – Marta ROMAGNA – Isabel SEABRA & Riccardo MASSIMI )