

« L’art est un témoignage mais aussi une invention. C’est la façon dont j’aurais vu la vie à travers les lois de la peinture. » Charles CAMOIN
Si vous êtes à Paris cet été et que vous vous promenez dans le quartier du Sacré Cœur, je vous invite à vous rendre au Musée de Montmartre, un lieu charmant, ouvert depuis 1960 dans une maison datant du XVIIe siècle, entourée de trois beaux jardins (Jardins Renoir) offrant une vue exceptionnelle sur la vigne de Montmartre et la plaine Saint-Denis. C’est un endroit chargé d’histoire, puisque différents peintres y ont loué un atelier (Valandon, Utrillon, Renoir, Poulbot, Dufy, Firesz, Reverdy etc… Sans oublier celui du post de ce jour.
On peut y admirer des expositions permanentes de qualité et temporaires qui le sont tout autant, comme celle, thématique et chronologique, qui va durer jusqu’au 11 septembre 2022 – Elle s’intitule : Charles CAMOIN – Un fauve en liberté.
Le titre a été inspiré par ce que Charles Camoin disait de lui à savoir : » en tant que coloriste, j’ai toujours été, et suis encore, un fauve en liberté, sans m’être jamais conformé à la théorie du fauvisme qui prétendait peindre avec des tons purs tels que sortis du tube. Le fauvisme s’est vite épuisé, comme tout ce ce qui ne correspondait pas à une manière profonde de sentir. »
Les tableaux de Camoin sont réellement enchanteurs, pleins de fraicheur, de soleil, de lumière, de fleurs, respirant la joie de vivre, l’optimisme, sa touche est expressivement harmonieuse, et pourtant il semblerait que l’homme n’était pas très serein, voire même qu’il avait une tendance à insatisfaction et l’anxiété.




Camoin fut un fidèle de Montmartre. Il a occupé quatre ateliers dans ce quartier : rue Lepic, rue Cortot (anciennement celui de Maurice Utrillo et Suzanne Valandon et qui est devenu le Musée Montmartre), rue Mansart, et au 2 bis avenue Junot là où est née sa fille Anne-Marie en 1933. C’est à cette dernière adresse qu’il est décédé en 1965. L’exposition aborde, d’ailleurs, les liens qui ont uni le vaillant Marseillais (comme disait de lui Cézanne) à Paris, des liens tels qu’ils ont fait de lui une figure emblématique de ce quartier.
Il se rendra dans les bistrots fréquentés assidument par la bande du Bateau-Lavoir comme Picasso, Derain, Jacob etc… dans les cafés concert, les cirques, les théâtres, les bals, les bistrots, les maisons closes réputées, les cabarets, rencontrera un grand nombre d’artistes qui vivaient sur la Butte, mais aussi des gens influents, intègrera les milieux intellectuels en vue, et se fera connaitre de plus en plus, notamment par de nombreux marchands d’art étrangers.
Il beaucoup voyagé, sillonnant non seulement la région du Midi pour de longs séjours (Marseille, Ste Maxime, St Tropez , la Corse aussi) , mais également l’Italie (Rome, Naples, Capri) et l’Orient(Tanger) , les États-Unis en 1961. Mais ce qu’il préféra toujours c’est retourner à la solitude de son atelier.
J’ai parlé de Saint-Tropez. Il s’y est installé en 1921 et il y est revenu jusqu’à la fin de sa vie, faisant de fréquents allers-retours entre la capitale et le midi. Dans cette région, il retrouvait toute une communauté d’artistes dont Colette, Signac, Marquet, Bonnard et tant d’autres. Bien sur, Saint-Tropez et ses environs lui ont apporté de nombreux sujets pour sa peinture, lesquels ont donné tout autant de variations différentes selon les changements atmosphériques etc… On sent dans ces séries, son attachement à l’esthétique impressionniste, mais tout en se rappelant de ce que Cézanne lui avait dit quant à la forme, les plans, l’espace et : » faire du Poussin avec la nature ! « . Il reste fidèle à l’harmonie et à l’équilibre entre ce qu’il voit en extérieur et ce qu’il transpose.






Il est né à Marseille en 1879, dernier d’une fratrie de quatre enfants qui seront placés sous tutelle à la mort de leur père en 1851. Après quoi, ils vivront un temps dans sa ville natale et un autre à Paris. De base, il devait suivre des études commerciales, mais sa passion pour le dessin et la peinture (encouragée par sa mère, elle-même une artiste à ses heures perdues) va l’emporter. Elle ira crescendo et l’encouragera à poursuivre dans cette voie le jour où il recevra un premier prix à l’École des Beaux-Arts de Marseille.

On peut dire que c’est réellement à Paris qu’il va faire carrière. Il s’y installe en 1898 définitivement, entre à l’École des Beaux-Arts dans l’atelier de Gustave Moreau, qui décèdera peu de temps après . C’est de là que date sa rencontre avec Marquet, Manguin, et un peu plus tard Matisse, qui était là en tant qu’élève libre. Camoin avait 20 ans, Matisse 10 de plus. Une amitié s’installe entre Marquet, Matisse et Camoin. Ensemble, ils vont des copies au Louvre, peignent en extérieur sur le motif dans les parcs et jardins de la capitale. Ils ont en commun une passion exclusive pour la couleur.

De 1900 à 1903, il va remplir ses obligations citoyennes et faire son service militaire. Durant cette période, il gardera le contact, par écrit, avec Matisse. Compte tenu qu’il est basé à Aix-en-Provence, il va rendre visite (comme beaucoup d’autres peintres de la jeune génération) à Cézanne. Un lien très amical va se tisser entre les deux hommes, ils se reverront et surtout vont s’écrire régulièrement jusqu’au décès du maître.
Le fauvisme va naître en 1905 avec Henri Matisse. Ce dernier pense que la couleur prime sur tout, qu’en utilisant des couleurs pures, rugissantes, puissantes, on obtient des sensations fortes. Lorsqu’il expose, avec ces novateurs , dont Marquet et Camoin, au Salon d’Automne, qui deviendra la mythique cage aux fauves, le critique d’art Louis Vauxcelles remarque une petite sculpture de marbre, signée Albert Marque, qui semble perdue au milieu de tableaux explosant de couleurs. Il écrira » au centre de la salle un petit buste en marbre. La candeur surprend au milieu de l’orgie des tons purs. Donatello chez les fauves » Le terme est lancé et sera repris par les peintres pour définir leur mouvement : Fauvisme.
Camoin y exposera quatre toiles qui vont être fortement appréciées et remarquées par des marchands d’art étrangers notamment. De plus, et contrairement aux autres tableaux de Matisse ou Derain par exemple, les siens ne feront pas autant l’objet de critiques. Ils plaisent malgré tout . Camoin expliquera que c’était très certainement parce qu’ il ne suivait pas systématiquement toutes les théories de ce mouvement dit fauviste. Certes, comme eux, il adopte une sorte d’improvisation, de provocation, s’affranchit de l’imitation du réel, partage avec eux la simplification des formes mais il va suivre ses propres théories, notamment son instinct personnel vis-à-vis de la couleur. Si il y a un rapprochement réel avec l’esthétique fauviste, c’est surtout dans les figures que cela se ressent.




Il donnera une importance à la couleur radieuse , et après sa visite chez Renoir en 1918 à Cagnes-sur-mer, il prendra une orientation picturale qui amènera l’historien de l’art Bernard Dorival à dire qu’il deviendra » le plus impressionnistes des Fauves. Réaliser la synthèse de l’Impressionnisme et du Fauvisme, telle a été sans doute, en dernière analyse, l’ambition suprême de l’artiste parvenu à sa maturité, et, ne craignons pas de le reconnaître, telle sa réussite. »
Avec les années, on notera un changement de direction. En 1908, il se tourne vers l’expressionnisme et fait entrer le noir dans sa palette.
L’exposition aborde les tableaux de nus de Camoin. Il s’est consacré largement à ce sujet dans les années 1900 avec des modèles qui sont bien souvent des prostituées. Il va l’abandonner durant quelques années, puis il y reviendra, plus tard, avec sa série des Baigneuses. La critique va beaucoup associer le peintre au nu féminin, probablement en raison d’un tableau qu’il a peint et qui avait beaucoup marqué les esprits à l’époque, à savoir l’érotique La Saltimbanque au repos. Curieusement, il n’a pas choqué la critique toute occupée qu’elle était à s’intéresser plutôt à la façon dont il avait traité picturalement le corps. Le petit scandale, lui, arrivera en 1939 à l’occasion du 50e anniversaire du Salon des Indépendants. Le tableau fut lacéré au couteau par Louis Stanislas Martongen, deux jours avant le vernissage, un acte dont on parlera beaucoup dans la presse.

« La saltimbanque au repos » (dite aussi » La fille endormie » ou » La cible » – 1908 – Charles CAMOIN (Musée d’Art moderne/Paris)



L’expo revient également sur une célèbre affaire qui a fait jurisprudence en matière du droit d’auteur. Elle porte le nom de L’affaire Camoin : celle des toiles coupées, à savoir : en 1914, de retour d’un voyage à Tanger en compagnie de Matisse, Camoin traverse une crise dépressive et de doute profond . Assez étonnant lorsque l’on sait qu’il avait du succès et vendait bien ses tableaux et qu’il était demandé un peu partout à l’international. Nul ne saura jamais quelle fut la raison de cet état. Il semblerait ( sans véritablement en être sur) que ce soit lié probablement à une femme, Émilie Charmy, dont il venait de se séparer, ou comme l’affirmait Baudelaire dans son article du Paris Journal qu’il n’était pas satisfait de certaines toiles.
Toujours est il qu’en rentrant dans son atelier de la rue Lépic, il va en détruire un grand nombre (env.80) en les lacérant au couteau, puis les jette à la poubelle. Le chiffonnier du coin les ramasse et les amène aux Puces de Saint-Ouen et les vend. Les toiles sont remises à un amateur pour les restaurer. Dix ans plus tard, Camoin apprend leur reconstitution et leur vente à Drouot par Francis Carco qui en avait acquis un certain nombre. L’affaire fait grand bruit. Camoin intente un procès au poète. Il obtiendra gain de cause et la justice lui donnera raison en reconnaissant la paternité de ses toiles en 1931.
Deux droits étaient opposés celui de la propriété matérielle et le droit de l’artiste sur son œuvre. Ceux qui ont acquis les toiles laissées sur la chaussée, détenaient le droit matériel. De plus pour les réparer, ils les ont abimées dans le sens où pour rapprocher les morceaux, ils ont peint sur les déchirures, ont complété ce qui manquait etc etc… donc ils se sont substitués à l’artiste sans avoir son consentement pour le faire, et faute grave elles ont été vendues sous le nom du peintre puis qu’elles portaient sa signature. Le Musée Montmartre en expose trois ( sur les quinze ) : L’indochinoise , le Moulin Rouge aux fiacres , et un autoportrait.



Côté vie privée il a vécu avec une peintre, Emilie Charmy, avec laquelle il s’était installé à Montmartre. Il se mariera en 1920 avec Charlotte Prost qui lui donnera une fille Anne-Marie. Une autre femme a compté dans sa carrière cette fois : Berthe Weill qui lui a servi de tremplin. Une galériste qui fera beaucoup parler d’elle dans le monde de l’art, une passionnée pas vraiment intéressée par la notoriété ou le gain, mais empreinte d’une envie forte de soutenir ceux à qui elle trouvait un talent certain. Elle s’intéressa, très tôt, à la jeune génération de peintres de l’époque , ceux qui n’avaient jamais fait l’objet d’une exposition dans une galerie. Elle n’est pas la seule, mais elle prend des risques avec les fauvistes dont Camoin.
Elle sera plusieurs fois découragée, notamment devant la mévente de certains peintres , mais elle tiendra bon, et déçue aussi par ceux qui la quitteront pour d’autres de ses confrères . Elle exposera Camoin plus de dix fois, lui permettra de se faire découvrir et d’avoir le succès qu’on lui connait par la suite.
Camoin est mort dans son atelier de Montmartre en 1965. Il est enterré au cimetière Saint-Pierre à Marseille.





Sublime ! Je n’en avais pas entendu parler, je vais y aller ! Merci🙏
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Voilà qui me fait plaisir ! 🙂 J’espère que vous passerez un très agréable moment : le lieu est tellement charmant et l’expo mérite le déplacement. Merci Roseleen ♥
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Une découverte pour moi ! Merci pour cette découverte !
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Je suis ravie de vous avoir permis de le découvrir et je suis heureuse qu’il ait été mis à l’honneur au Musée de Montmartre parce qu’il reste le plus « méconnu » du mouvement fauviste. Et pourtant ! Merci Tatoune et très bel après-midi à vous ♥
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Remarquable recension!
Grâce à vous, Lisa, je découvre Camoin qui « [donne] une importance à la couleur radieuse ».
Sublime! 🎨✨❣️
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Absolument ma chère Geneviève ! Vous avez tout à fait raison et je suis contente d’avoir pu vous permettre de le découvrir. Merci pour votre intérêt et passez un excellent week-end ♥
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Une belle découverte pour moi aussi, merci Lisa 🙏🖼
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Vraiment c’est un grand plaisir pour moi que d’avoir permis la découverte de ce merveilleux peintre à certains d’entre vous, dont vous faites partie chère Eveline, Comme je l’ai dit dans un précédent commentaire, ce n’est pas le plus populaire des fauvistes, mais il mérite largement que l’on s’intéresse à lui. Merci beaucoup et je vous souhaite un lumineux dimanche ♥
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Merci pour ce merveilleux article.
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Avec plaisir Marina 🙂 Merci d’avoir aimé cette exposition. Passez une excellente semaine ♥
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