» Il en est qui me disent que je nie les charmes de la campagne. J’y trouve bien plus que des charmes : d’infinies splendeurs. J’y vois, tout comme eux, les petites fleurs dont le Christ disait : « Je vous assure que Salomon même dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’une d’elles. » Je vois très bien les auréoles des pissenlits, et le soleil qui étale là-bas, bien loin par delà les pays, sa gloire dans les nuages. Je n’en vois pas moins dans la plaine, tout fumants, les chevaux qui labourent ; puis, dans un endroit rocheux, un homme tout errené, dont on a entendu les han ! depuis le matin, qui tâche de se redresser un instant pour souffler. Le drame est enveloppé de splendeurs. Cela n’est pas de mon invention, et il y a longtemps que cette expression « le cri de la terre » est trouvée…… A vrai dire, les sujets paysans conviennent le mieux à ma nature, car je dois avouer, au risque que vous me preniez pour socialiste, que le côté humain est ce qui me touche le plus dans l’art. La chose la plus gaie que je connaisse, c’est le calme, le silence, qui sont si délicieux, tant dans la forêt que dans les champs cultivés, que le sol soit cultivable ou non. Vous avouerez qu’il vous donne toujours une sensation très rêveuse, et que le rêve est triste, quoique souvent très délicieux. » Jean-François MILLET (Propos tenus dans des correspondances adressées en 1850 et 1863 au marchand d’art, critique et historien de l’art Alfred SENSIER )
Jean-François MILLET (1814/1875)- Photo prise par NADAR entre 1856/58
» C’est un tableau que j’ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne, pour dire l’Angelus pour ces pauvres morts, bien pieusement et le chapeau à la main » disait Jean-François Millet à propos de son tableau L’Angelus. Cette toile minuscule, peinte entre 1857 et 1959, longtemps méconnue, s’inscrit parmi les tableaux les plus chers et les plus célèbres au monde.
La scène se situe dans la plaine de Bière, et, le clocher au loin est celui de Chailly-en-Bière, tout près de Barbizon. Un couple de paysans en prière occupe le premier plan d’une plaine à perte de vue. Au son des cloches de l’angelus, ils ont interrompu leur travail pour se recueillir.
S’inspirant de son enfance paysanne, Millet peint, avec réalisme et délicatesse, la vie quotidienne des campagnes. A l’aube de la révolution industrielle, c’est encore la cloche qui rythme la vie des paysans. Il a exécuté ce tableau en pensant à sa grand-mère. Cette prière se récite trois fois par jour, en général à 6 h, à midi et à 18 H. Ici, les sacs dans la brouette sont remplis de pommes de terre, et la couleur du ciel indique la tombée du jour.
La scène met en exergue la dureté du travail de la terre et de la vie des paysans. L’ensemble se répartit selon une structure simple et équilibrée. On note la dimension monumentale des deux personnages par rapport au paysage. Leur présence est renforcée par leur emplacement précis, chacun dans l’alignement vertical des deux lignes de force du tableau, séparant la scène en trois parties égales.
Le tableau, lumineux, met en relief les attitudes, tandis que la tête penchée des paysans laisse les visages dans l’ombre. C’est une vision idéalisée du monde rural, qui même sentiment de recueillement et dimension universelle.
De sa création jusqu’en 1881, le tableau changera maintes fois de propriétaire. Jusque-là méconnue, l’œuvre est mise en vente aux enchères en 1889, convoitée par un acquéreur américain. L’État français enchérit alors pour 553.000 francs. L’Angélus devient alors une œuvre nationale et l’opinion s’enflamme. Les députés proposent une souscription nationale mais la droite royaliste s’y oppose, y voyant un écho à la lutte des classes. Les Américains l’emportent. Finalement, Ce tableau sera légué à l’État français , en 1909, par son dernier propriétaire, à savoir l’homme d’affaires français Alfred CHAUCHARD. Il sera placé, dans un premier temps, au musée du Louvre, puis en 1986 au musée d’Orsay.
A partir de 1889, l’Angélus entre dans l’imagerie populaire. Il est reproduit à l’infini (vaisselle, paquets de sucre, boites de chocolat, cahiers d’écolier etc etc …). Salvador Dali, fasciné par l’œuvre, écrit Le mythe tragique de l’Angelus de Millet, convaincu que le panier au sol est à l’origine un cercueil d’enfant. Il en découlera deux toiles de l’artiste catalan : L’Angélus architectonique de Millet et Réminiscence archéologique de l’Angélus de Millet.
» L’Angélus architectonique de Millet » 1933 -Salvador DALI (Musée Reine Sofia/Madrid)
» Réminiscence archéologique de l’Angélus de Millet » 1935 Salvador DALI (Salvador Dali Museum de St-Petersburg /Floride)
L’Angélus a aussi influencé le cinéma américain notamment Les moissons du ciel de Terence Malick, lents travellings, tons ocre et effets de contre-jour, ou encore Interstellar de Christopher Nolan. Par ailleurs, la bande dessinée Secrets, l’Angelus de Giroud et Homs base son scénario sur la découverte du tableau au Musée d’Orsay. Quant au manga Les gouttes de Dieu , d’Agi et Okimoto, on y compare un cru Mouton-Rotschild à L’Angelus, et de jeunes œnologues plongent au cœur du tableau. » Sophie MARTINEAUD(Journaliste et auteure française)