
« Le bleu est la seule couleur qui, à tous ses degrés, conserve sa propre individualité. Prenez le bleu avec ses diverses nuances, de la plus foncée à la plus claire ; ce sera toujours du bleu, alors que le jaune noircit dans les ombres et s’éteint dans les clairs, que le rouge foncé devient brun et que dilué dans le blanc, ce n’est plus du rouge, mais une autre couleur, le rose. » Raoul DUFY
» Quand je parle de la couleur, je ne parle pas des couleurs de la nature, mais des couleurs de peinture, les couleurs de notre palette qui sont les mots dont nous formons notre langage de peintre. » Raoul DUFY
» A suivre la lumière solaire on perd son temps. La lumière de la peinture c’est tout autre chose. C’est une lumière de répartition de composition , une lumière-couleur. Ne croyez pas que je confonde la couleur avec la peinture. Mais comme je fais de la couleur l’élément créateur de la lumière, ce qu’il ne faut jamais oublier, la couleur par elle-même n’étant rien à mes yeux que génératrice de lumière, on voit qu’elle est dans ce rôle, avec le dessin, le grand bâtisseur de la peinture, le grand élément » Raoul DUFY

Quel bonheur de pouvoir revenir dans ce beau musée d’Aix-en-Provence, l’Hôtel de Caumont. Le choix de leurs expositions est toujours magnifique et très intéressant. Alors si vos vacances vous portent en Provence cet été , eh bien n’hésitez pas à aller voir Raoul DUFY-L’ivresse de la couleur qui se tiendra jusqu’au 18 septembre 2022. Une exposition née de la collaboration entre l’Hôtel de Caumont et le Musée d’Art moderne de Paris ( MAM )lequel possède de très nombreux tableaux de Raoul Dufy sur la région provençale.

Ce que l’on peut vraiment affirmer sur ce peintre aux multiples talents, et qui revient souvent lorsque l’on prend connaissance des propos exprimés sur lui par celles et ceux qui l’ont connu c’est qu’il fut un travailleur acharné au service de sa peinture. Il n’a cessé de se questionner pour découvrir encore plus de choses à son sujet. C’est quelqu’un de très curieux qui a toujours cherché à approfondir la technique que ce soit avec la peinture à l’huile, l’aquarelle, le dessin, la gravure, les illustrations, la décoration sur tissu comme sur céramique. Il a peint avec un plaisir jubilatoire.
Son œuvre picturale féconde, abondante, est primesautière, lumineuse, élégante, pleine de légèreté, de charme, de naïveté, pétillante, pleine d’esprit, et ce jusqu’à la fin de sa vie, même en étant malade. Elle respire le bonheur, un mélange savoureux de réel et d’imaginaire . Les couleurs sont vives, éclatantes, virevoltantes.
Une centaine d’œuvres (prêts du MAM mais également d’autres collections publiques et privées) sont proposées pour un parcours qui démarre en 1908 et nous permet d’une part de connaitre les liens de ce peintre avec ce coin de Méditerranée cher à Cézanne, dont la technique l’a influencée au départ. Après quoi , petit à petit, il s’est forgé son propre style.
La pratique du Maitre d’Aix-en-Provence a transformé la sienne, tout au moins durant quelques années. Elle va l’amener à plus de simplification dans les formes. Après quoi, aux environs de 1919, son langage pictural deviendra beaucoup plus personnel, original, reconnaissable désormais entre tous . On peut dire qu’il s’est épanoui avec une palette de couleurs plus large, un goût pour le décoratif, des lignes plus légères qui lui ont apporté du succès, une dissociation entre la forme et la couleur. Les deux sont complètement indépendantes et ne coïncident jamais vraiment sur la toile.
Il fut un grand admirateur du peintre Claude Lorrain. Il lui est souvent arrivé de se rendre au Musée du Louvre pour voir ses tableaux. Ce qui le subjuguait chez lui c’était la lumière et la profondeur qui s’en dégageait. Il lui dédiera une série de toiles en 1927.

Celui que l’on a surnommé le peintre de la joie ou le peintre du bonheur, voire même l’enchanteur, ce talentueux et grand coloriste, qui fut peintre, graveur, dessinateur talentueux et inventif, auteur de cartons pour tapisserie, créateur sur tissus, sur la céramique ,mais aussi décorateur pour le théâtre, affichiste, est né au Havre en 1877 dans une famille modeste . Léon, le papa, était comptable dans une usine de métaux , mais musicien et chef de chorale à ses heures perdues. C’est probablement de lui qu’il tient cette grande sensibilité artistique qui fut la sienne. Marie, la maman, s’occupait des neuf enfants qu’elle avait mis au monde et dont Raoul était l’aîné.
A l’âge de 14 ans, à la suite de problèmes financiers que rencontrent ses parents, il va devoir abandonner ses études afin trouver un travail et aider la famille. Ce sera chose faite dans une société d’importation de café. Passionné par le dessin , il décide de prendre, en parallèle, des cours du soir à l’École des Beaux Arts de la ville. C’est là qu’il rencontre celui qui deviendra un ami fidèle : Othon Friesz. Premier tableau encourageant sous la direction de Charles Lhuillier, un peintre admirateur de Ingres, première expo à 15 ans, suivie par d’autres car son travail plait. Il aime peindre en extérieur avec de nombreux sujets ayant attrait au maritime (le port, la mer, les touristes balnéaires etc…)
Grâce à une bourse d’études attribuée par sa ville natale , il part à Paris en 1900 et retrouve Friesz à Montmartre. Il entre à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de la capitale afin de perfectionner sa technique . Installation dans un atelier de l’impasse Guelma.
Au départ, on sent chez lui l’influence de Boudin, puis des impressionnistes avec une préférence pour Monet, Manet, Renoir et Pissarro. Elle s’effacera en 1904 lorsqu’il tombera en admiration devant un tableau de Matisse (Luxe, charme et volupté) dont les couleurs le subjugue : » J’ai compris toutes les nouvelles raisons de peindre et le réalisme impressionniste perdit pour moi son charme à la contemplation du miracle de l’imagination introduite dans le dessin et la couleur. » Le fauvisme sera une révélation pour lui.
Il va alors l’expérimenter en compagnie d’Albert Marquet, puis en 1907/1908 débutent les premiers voyages initiatiques dans le midi de la France, en Provence, avec le peintre Georges Braque, un autre de ses amis de jeunesse : Martigues, l’Estaque, Marseille . Tous deux, comme bien d’autres avant eux, sont fascinés par Cézanne, qui restait la grande référence avant-gardiste . Ils se lancent dans des recherches approfondies sur l’espace et les volumes. Ce travail amènera Braque vers le cubisme.
Dufy, quant à lui, souhaitera approfondir l’œuvre de Cézanne et le fera jusqu’en 1914. Il conservera malgré tout ses couleurs fauves, géométrisera ses formes. Son art va s’épanouir. En 1921, il expose à la galerie Bernheim. Les amateurs enthousiastes le découvrent et à partir de là, la célébrité arrive.



Tout ce qu’il a pu apprendre dans cette période cézanienne, ses propres travaux notamment dans l’élargissement de sa palette de couleurs, sera utilisé lorsqu’il retournera à Paris, mais également en Normandie, avec différents thèmes. Les paysages maritimes ont toujours été un sujet qui l’a passionné. Il en a toujours été entouré : le port du Havre , la plage de Sainte-Adresse , la jetée à Honfleur etc… Les bords de la Méditerranée lui en offrira bien d’autres aussi. Que ce soit la mer, les baigneuses, les paysages côtiers, les ports, les régates, les fêtes maritimes, tous les loisirs de la mer appréciés par la société de son époque, seront une source d’inspiration pour lui.








Il a également porté un grand intérêt aux fleurs et aux plantes, surtout dans sa période fauviste. On peut même dire que fut un temps il a été un grand spécialiste de thèmes floraux notamment lorsqu’il a travaillé sur tissu pour le couturier Jean Poiret ou pour la soierie lyonnaise Bianchini-Ferier, ou bien au travers de ses aquarelles de petites fleurs : anémones, coquelicots, bleuets et autres , mais aussi dans ses illustrations de livres et lithographies. Il a notamment travaillé, en tant que tel, pour L’herbier de Colette. Tout est empreint de simplicité, de fraîcheur, de gaieté. L’écrivaine fut ravie, elle dira » Que serait devenu mon petit essai botanique privé de Dufy ? » …





Apollinaire fera appel à lui en 1910/11 pour illustrer un recueil de poésies diverses sur des animaux. Une trentaine au total. Il utilisera pour ce faire une technique datant du Moyen-Âge : la gravure sur bois. Ce livre, Le Bestiaire, qui de nos jours est considéré comme un chef-d’œuvre, n’a malheureusement pas eu le succès lors de sa sortie. Très peu d’exemplaires furent vendus. Il récidivera avec Apollinaire en 1926 pour Le poète assassiné.

Si j’avais quatre dromadaires. » G.A.

Et mal vécus, à mon envie. » G.A.
Entre 1920 et 1935 ses activités seront diverses : Il illustrera, entre autres, Les Madrigaux et l’Almanach de Cocagne pour Mallarmé, des costumes pour la pièce Le bœuf sur le toit de Jean Cocteau à la Comédie des Champs-Elysées, travaillera avec le céramiste Artiga, effectuera de nombreux voyages en Italie. En 1935, il rencontre Jacques Maroger, chercheur, restaurateur de tableaux au Musée du Louvre qui a retrouvé la recette de l’huile du peintre Giorgione pour ses tableaux, Le Médium. Ses effets de transparence de lumière ressemblent à de l’aquarelle. Dufy va souvent l’utiliser.
L’exposition revient également sur la fresque La Fée Électricité. Il n’a pas été possible qu’elle fasse le voyage jusqu’à Aix-en-Provence. C’est donc au travers du numérique qu’elle est proposée. Cette œuvre est importante dans la carrière du peintre. Les organisateurs de l’Exposition internationale des arts et techniques à Paris ont contacté Dufy en 1937 pour une décoration qui raconterait l’histoire de l’électricité sur le mur d’un hall situé dans le Palais de la Lumière et de l’Électricité qui fut construit par Robert Mallet-Stevens. C’est une fresque d’inspiration mythologique de taille assez grandiose (600 M/2), composée de 250 panneaux, . Elle se trouve désormais au Musée d’Art moderne de la capitale (photo ci-dessous). Elle fut cédée au Musée d’art moderne en 1964 par EDF (Électricité de France)
» C’est un chef-d’œuvre. Dufy a une grande largeur de vue. Il propose un panorama complet entre, d’une part, la technologie, et, d’autre part, des éléments naturels. La représentation des arbres, du vent dans les feuilles par exemple, est fabuleuse ! Parallèlement il s’était documenté pour représenter des technologies très précises, aussi bien la centrale thermique d’Ivry, près de Paris, que des postes de TSF, l’ancêtre de la radio, ou des objets aujourd’hui oubliés » Fabrice HERGOTT (Historien de l’art, conservateur de musée)

Il s’est marié en 1911 avec une niçoise : Eugénie Brisson – Aucun enfant n’est né de cette union.
La fin de sa vie sera terrible car il va endurer de grandes souffrances à cause de sa maladie (polyarthrite aigüe) . Tout a commencé en 1935 par des douleurs dans les doigts, suivis au fil du temps par des phases de déformation permanente , d’engourdissement, puis de raideur qui s’étendront à toutes les articulations, pour finir par une invalidité permanente. Il sera contraint de quitter le climat froid pour un autre meilleur dans le sud. C’est ainsi qu’il vivra à Nice, puis à Céret.
Entre deux, il fait des cures thermales, s’essaie de nouveaux traitements expérimentaux à base de cortisone proposés par des médecins américains. Pour ce faire, il se rend aux Etats-Unis, très affaibli physiquement, en fauteuil roulant . Il supportera ces traitements très difficilement, fera face à des graves effets secondaires (problème digestifs, œdèmes etc…) mais, au bout du tunnel, un mieux qui lui permettra de marcher à l’aide de béquilles et ne plus avoir besoin de quelqu’un pour appuyer sur ses tubes de peinture. Il se remet à peindre et dessiner avec plaisir.
Sa maladie a quelque peu bouleversé sa façon de peindre, de dessiner, et sa technique, mais en même temps c’est une période de sa vie où son art était en pleine maturité. Beaucoup plus de transparence, de lumière, de sophistication. Beaucoup de séries et de variations diverses. La couleur est encore plus omniprésente qu’autrefois, et la musique accompagne sa peinture. Il est malade, mais il veut continuer à peindre un monde de joie, de spontanéité, d’idéal.
» Ma peinture va bien. Est-ce la cortisone ou les hormones, mais je peins, en ce moment, des sujets que j’ai étudiés quand j’étais jeune et qui ne m’avaient plus satisfait depuis longtemps. Sur des choses construites à la manière de Cézanne, j’ai ajouté des couleurs pures de mon cru que je cherchais en vain depuis plus de 30 ans ! Est-ce une renaissance ou un chant du cygne, du fauvisme ou dans l’excitation du travail réussi, une erreur de mes sens abusés ! » R.D. lors d’un séjour en Arizona pour l’un de ses traitements.
En 1949 il est nommé commandeur de la légion d’honneur. Trois ans plus tard, il remportera le Grand prix international de peinture à la 26e Biennale de Venise, qui couronne l’ensemble de sa carrière. Il meurt dans sa maison à Forcalquier d’une crise cardiaque en 1953 . Sa dernière demande fut, parait-il, qu’on ouvre les fenêtres pour qu’il regarde les montagnes. Il sera enterré au cimetière de Cimiez à Nice en 1956.
Son épouse décèdera en 1962. Elle fera des legs importants d’œuvres de son époux à différents musées de France que ce soit à Paris, Le Havre ou Nice.
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