Adieux à la scène de l’Opéra … Stéphane BULLION

Stéphane BULLION (Photo : Ann RAY)

Une grande Étoile française de la danse a fait ses adieux à la scène le 4 juin 2022 : Stéphane Bullion. A 42 ans, il avait atteint l’âge officiel de la retraite à l’Opéra de Paris. Un danseur magnifique qui est entré à l’École de danse en 1994 et qui a su, par son talent, gravir tous les échelons : Coryphée en 2001, Sujet en 2003, Premier danseur en 2008 et Étoile en 2010.

C’est un danseur infiniment touchant, dégageant énormément de justesse dans chacune de ses interprétations, qui a fait preuve de beaucoup de courage et de force lorsqu’à l’âge de 23 ans on lui a diagnostiqué un cancer des testicules. Il va lutter physiquement et mentalement et se montrer infiniment combattif pour pouvoir reprendre la danse. Les traitements et ses séances de chimiothérapie furent des moments douloureux. Cela a été très dur parfois, l’obligeant à s’arrêter, mais il est toujours revenu, soutenu par ses proches, notamment sa famille.

 » Certaines personnes me demandent parfois si la danse est une passion pour moi. Mais c’est bien plus qu’une passion, ça fait partie de moi, comme respirer, c’est un besoin. C’est vrai que danser m’a permis de me fixer des objectifs, mais si j’ai continué à suivre des cours pendant ma chimiothérapie, ce n’était pas juste pour les atteindre, mais pour me maintenir en forme. J’avais l’impression de continuer à vivre normalement. Et vivre normalement pour moi c’était danser ! « 

Après une carrière exceptionnelle couronnée de succès et de prix, après avoir dansé les plus beaux rôles du répertoire classique et contemporain, il n’a, désormais, qu’un seul désir, s’occuper plus intensément de son épouse, la danseuse Pauline Verdusen et leurs deux enfants.

(Vidéo : Stéphane BULLION dans  » La dame aux camélias  » de John NEUMEIER ))

Encadrements …

 » Dès le premier traité de peinture jamais conçu en Europe, écrit en latin par Léon Battista Alberti, on a su à quoi s’en tenir :  » Je parlerai en omettant tout autre chose de ce que je fais lorsque je peins. Je trace d’abord, sur la surface à peindre, un quadrilatère de la grandeur que je veux, faits d’angles droits, et qui est pour moi une fenêtre ouverte. » Or, une telle fenêtre ne peut qu’être entourée d’un châssis. Ou d’un cadre. Et celui-ci demeure la même (ou presque) pendant des siècles. Comment ne pas supposer que, depuis des siècles, entre peintres, menuisiers et ébénistes, la collaboration ait été très complice pour mettre en place sur un autel l’architecture de bois sculpté dans laquelle sont enchâssés les éléments d’un retable, d’un polyptyque ? Comment ne pas admettre que cette architecture, qui lance des pinacles vers le ciel à l’aplomb des prières que sont alors les peintures, soit aussi un cadre ?

Collection d’encadrements du Musée Stéfano Bardini à Florence. Ce très beau musée se situe 37 Via dei Renai

On le sait depuis des siècles, ce qui est peint ne saurait être confondu avec ce qui l’entoure. Ce que, bien évidemment, l’exercice du trompe-l’œil s’est empressé de remettre en question. Mais ça c’est une autre histoire .

Au bout du compte, un cadre ne sera devenu absolument vain, inutile et inconséquent qu’avec les œuvres de ces peintures qui se rassemblèrent au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en septembre 1970 sous l’appellation communes Supports-Surfaces. Comment encadrer ces bâches (ce mot pour n’avoir pas recours à celui de toile) qui ont été trempées et/ou teintes avec des colorants, et/ou tamponnées d’empreintes, et/ou pliées, et/ou couvertes d’aplats, ces bâches qui n’ont plus ni envers ni endroit et qui n’ont que faire de bords réguliers et d’angles droits ? Comme elles n’admettent pas d’être accrochées sur un mur parce que le recto et le verso doivent pouvoir être l’un et l’autre vus, elles n’ont que faire d’être encadrées. Le cadre est , et ne peut être, que l’attribut de cette peinture que l’on dit de chevalet.

Siècle après siècle, en Europe, la cadre a été ici, là, sombre et pourquoi pas incrusté de nacre, ou guilloché, chantourné, ciselé, sculpté, voire décoré de frises et de figures de mastic etc… et comme il se doit, doré. A la fin du XIXe siècle, un certains nombre d’artistes ne se sont pas privés de peindre eux-mêmes le cadre. Ce qui implique qu’un tel cadre soit moins une limite qu’une introduction à la peinture. Ce qui laisse entendre une précision donnée par Philipp Otto Runge dans une lettre de Mars 1806 à l’un de ses amis, à propos d’un ensemble de peintures qui évoquent Le matin – Le jour – Le soir – La nuit. Les cadres sont plus ou moins des relations et des transitions d’un tableau à l’autre. Le cadre que John Martin(1789-1854) fit réaliser pour son Pandemonium peint en 1841 d’après Le paradis perdu de John Milton, cadre sur lequel grimpent des dragons, se déroulent des serpents, tient lieu de prologue à la vision qu’il donne de la capitale des Enfers.

Tableau  » Pandemonium  » de John MARTIN avec son encadrement

A son ami Chantelou, auquel il venait d’envoyer l’un de ses tableaux, Poussin fit part d’une exigence. De Rome, le 28 avil 1639 il lui écrivait :  » Je vous supplie, si vous le trouvez bon, de l’orner d’un peu de corniche, car il en a besoin, afin que, en le considérant, en toutes ses parties, les rayons de l’œil soient retenus et non point épars au-dehors, en recevant les espèces des autres objets voisins qui, venant pêle-mêle avec les choses dépeintes, confondent le jour. »

Les siècles passent et, lorsque Vincent Van Gogh envoie au critique Albert Autier une petite toile représentant des cyprès pour le remercier de l’article qu’il vient de lui consacrer, il l’accompagne d’une lettre avec cette petite précision :  » Je ne sais trop comment il faudrait encadrer cette étude, mais tenir compte que cela fasse penser à ces chères étoffes écossaises, j’ai remarqué qu’un cadre plat très simple , mine orange vif, fait l’effet voulu avec les bleus du fond et les verts noirs des arbres. « . Sans cela il n’y aurait peut-être pas assez de rouge dans la toile et la partie supérieure paraîtrait un peu froide. »

Des décennies passent encore et Matisse confie :  » Une toile peinte à l’huile doit être entourée d’une bordure dorée, et, quand la peinture est bonne, elle est, voyez-vous, encore plus riche que l’or. » Ce propos suffit à prouver que le rôle du cadre est loin d’être indifférent. A l’attention de ceux qui en douteraient, Francis Bacon précise :  » Le cadre c’est quelque chose d’artificiel, et il est là précisément pour renforcer l’aspect artificiel de la peinture. Plus l’artifice des tableaux qu’on réalise est apparent, mieux cela vaut, et même, plus la toile a des chances de marcher, de montrer quelque chose. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est une évidence en art. On atteint son but par l’emploi du maximum d’artifice et l’on parvient d’autant plus à faire quelque chose d’authentique que l’artificiel est patient. »

Ces propos confirme qu’un cadre, s’il lui revient d’isoler ce qui l’entoure, est aussi un avertissement. On ne saurait avoir affaire à cet artificiel sans se tenir sur ses gardes. Le cadre est un appel à la vigilance. Autant le savoir !  » Pascal BONAFOUX (Historien de l’art, biographe français de peintres comme Monet ou Renoir)

Collection d’encadrements époque Louis XIV au Getty Museum
Collection encadrements Musée du Louvre