
« Ce qui nous intéressait c’était un théâtre de l’affect, un théâtre de la façon dont les individus sont affectés dans leur propre personne, avec une résonnance affective. La manifestation change avec le temps, se complexifie, s’approfondit. » Georges VIGARELLO (Historien, agrégé de philosophie, co-commissaire de l’exposition avec Dominique LOBSTEIN)



C’est vraiment une exposition assez étonnante, passionnante et très intéressante à laquelle nous convie le Musée Marmottan-Monet de Paris. Elle s’intitule Le théâtre des émotions … Jusqu’au 21.8.2022. Elle traite, en huit espaces, de la représentation des émotions en art. Un sujet qui avait été abordé, jusqu’ici, de façon partielle, jamais dans sa globalité. Ce n’était pas facile de le faire car il s’agit d’une thématique assez vaste, mais elle est dotée d’une grande richesse d’interprétation . D’où l’intérêt de celle-ci qui va du XVe siècle à nos jours au travers de 70 œuvres magnifiques : peintures, sculptures, objets, gravures, dessins, photographies, prêts de différentes institutions muséales internationales et de collections privées.
Cette exposition a vu le jour grâce au travail remarquable et la collaboration d’un historien agrégé de philosophie : Georges Vigarello, et un historien de l’art : Dominique Lobstein. Elle s’est bâtie autour de différentes questions : qu’est-ce que l’émotion ? – Comment a t-elle été représentée en art au fil des siècles ? – est-ce que sa représentation a évolué comme les mœurs l’ont fait ? – Différentes sections sont là pour nous l’expliquer.
Une chose à savoir avant de commencer : le mot émotion (qui revient souvent dans l’expo comme dans mon article ) est apparu en français au XVIe siècle. Attention : il ne faut pas confondre émotion et sentiment. La première c’est quelque chose de soudain, de fugace, un ressenti sur l’instantané, alors que le second se développe davantage dans la durée. Un lien existe entre émotion et sentiment, parce que de l’émotion peut faire naitre un sentiment et à l’inverse un sentiment peut faire vivre une émotion.
Les émotions se retrouvent dans chaque personne. On peut avoir une émotion de joie, de plaisir, une émotion face à la douleur, la souffrance, la tristesse, la peur, la surprise, la colère. . Elles nous habitent, nous dépassent aussi parfois. Elles sont là dans notre vie de tous les jours. On les exprime, on les contient et on arrive à les maitriser aussi parfois.
En art, l’émotion s’est faite soit dans l’expression du visage, le regard, ou les gestes, voire le corps tout entier , mais cela est venu petit à petit car chaque siècle l’a traitée à sa façon, parce qu’elle a changé et qu’avec le temps , elle a évolué. Plus on a mieux connu l’homme et plus on a souhaité connaitre ses mystères et plus on a pu différencier ses émotions.
En peinture au Moyen-Âge par exemple, cela se faisait avec timidité, retenue et réserve. On ressentait une émotion, mais on ne la montrait pas, juste on la comprenait au travers d’une larme, de l’esquisse d’un sourire, une main posée sur une épaule, d’ une contraction de la bouche, d’un objet tenu dans les mains comme un mouchoir, une bague, une fleur, un document . C’était du domaine du symbolique ou de la manière allusive. Les visages peints à cette époque se ressemblent tous un peu et on ne peut pas dire qu’ils soient très expressifs, tout au contraire ils sont souvent impassibles.




Quand on regarde La Joconde de Léonard de Vinci, dont une copie a été prêtée pour l’expo (original trop fragile), qui pourrait réellement traduire l’émotion de Mona Lisa ? On ne sait pas vraiment si elle est heureuse ou mélancolique. Depuis des siècles les historiens de l’art se le demandent et son émotion exacte reste un mystère.
Les peintres baroques et caravagesques, spécialistes du clair-obscur, vont théâtraliser les émotions. En effet, l’expression de celles ressenties par dégoût, par haine, ou par la colère, est mise en scène. Il y a toujours plus d’exacerbation. Certains peintres fréquentent les bas-fonds, sont fascinés par tout ce qui gravite de miséreux, de vice, de sulfureux dans l’âme humaine et reproduisent sur la toile.


Au XVIIe siècle, les émotions en peinture sont de plus en plus importantes. Des traités voient le jour à ce sujet. Le peintre Charles le Brun a mis au point une Méthode où il donne des conseils pour bien dessiner une émotion de plaisir ou de tristesse. Il ne s’agit plus de ce qu’on peut lire sur un visage, mais sur le corps et la gestuelle. Lors d’une Conférence sur l’expression des passions en 1668 à l’Académie royale de peinture et de musique, il s’exprimera là-dessus et tout ce qu’il a pu étudier ou dont il a parlé, sera édité 30 ans plus tard et servira à de nombreux artistes dans le futur.

Au siècle dit Des Lumières le sujet se développe encore plus. Les émotions sont fortement présentes dans la poésie, la littérature, la musique, et ce sera le cas dans la peinture aussi – Dans ce dernier cas, on s’attache à plus d’expressivité encore afin de faire passer les émotions de l’âme au travers d’une œuvre, dans le but qu’elles soient ressenties par celles et ceux qui la regardent . Les œuvres doivent parler en quelque sorte.

Dans les peintures galantes du XVIIIe siècle, les émotions sont traitées avec plus de douceur, de grâce, de délicatesse, de sensibilité. Il y a souvent des couleurs plus claires, des décors champêtres. Une place de choix est donnée à l’enfant et à la morale. On veut alors tout autant émouvoir que séduire. Les gestes sont très affectifs, les regards plus intenses, on a même droit à de l’érotisme, de la frivolité, de la légèreté, du plaisir, une entrée intimiste dans les intérieurs, le tout auréolé de grâce. Tout cela se ressent, par exemple, dans les tableaux de Boucher, de Fragonard, Greuze, Aubert, ou de Watteau.





On assiste à un développement des émotions à l’époque du Romantisme. Au travers des pièces de théâtres, des opéras, de la danse, on véhicule les idées et les comportements y compris ceux les plus excessifs . Toutes les classes sociales s’y retrouvent et avec eux toutes sortes d’émotions qui inspirent l’art sous toutes ses formes.


C’est durant cette époque que le paysage va acquérir ses lettres de noblesse. La nature va donc être présente au cœur des émotions tout simplement parce que les tableaux montrent des vues propices à la sérénité méditative. La nature y apparait immense, magnifique, sauvage et l’homme, face à elle, semble fragile.

Pour les héroïnes peintes au début du XIXe siècle, les peintres vont très largement être influencés, et fascinés, par celles de la littérature (notamment la mythologie et le théâtre shakespearien) , souvent tragiques, désespérées, ou qui finiront par basculer dans la folie , ou bien encore par la représentation de la misère sociale avec tout ce qu’elle amène de dramatique. On peut ainsi lire l’effroi, la peur, l’épouvante, la tristesse etc…



La photographie pointera le bout de son objectif en 1839. Avec, à son actif, la possibilité de capter l’instant. Elle jouera un rôle important pour diffuser des images. Elle intéressera fortement la peinture car elle lui permettra d’avoir un éventail assez vaste d’expressions faciales et corporelles venant , notamment, avec les travaux scientifiques sur la physionomie humaine. comme la folie qui a intéressé la peinture au XIXe siècle.
En effet, différents ouvrages scientifiques, neurologiques, anatomistes etc… comme celui cité ci-dessous de Duchenne de Boulogne, ou ceux de Paul Richer à savoir : Études cliniques sur la grande hystérie et Nouvelle anatomie artistique du corps humain, seront illustrés de nombreuses photographies très réalistes. Ils traitent et décrivent les causes et effets des comportements de l’humain.


Fin du XIXe et début du XXe siècle, les drames des guerres, le deuil, la souffrance, la misère mais aussi le développement de la psychanalyse autour des travaux de Freud en ce qui concerne le rêve et l’inconscient, vont amener d’autres émotions fortes qui n’échapperont pas à la peinture. Dans ce domaine on va la traiter autrement, on la provoquera, on va même la caricaturer. On ne cherchera plus l’émotion naturelle mais plutôt celle qui s’exprime par un moyen plastique.

La bohème, vécue par de nombreux artistes, sera, elle aussi, une source d’émotions véhiculées par les ravages de l’alcoolisme, de la drogue et de la prostitution. La peinture se sent plus libre, s’empare des mœurs pour exprimer, parfois même avec outrance et provocation , les plaisirs interdits, les désirs. Elle laisse loin derrière elle la bienséance morale de l’académisme.


Au XXe siècle, avec l’avènement de la modernité, certains mouvements picturaux comme les dadaïstes, les surréalistes, traitent surtout les émotions de l’inconscient, de l’absurde, de l’ambiguïté, ils favorisent beaucoup les pulsions et n’ont que faire de la morale, de l’idéalisation, ou de la vérité.





Magnifique recension, Lisa! Merci, merci… ✨❣️
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Merci d’avoir aimé Geneviève. J’en suis d’autant plus ravie que c’est un sujet qui peut, au départ, ne pas être très attirant en peinture, mais qui, au final, se révèle tellement intéressant, vaste et riche. Très belle journée à vous ♥
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Fabulosa entrada!!!!!!
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Tanto mejor si te ha gustado y muchas gracias por tu entusiasta comentarioAna . Les deseo una muy linda tarde ♥
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C’est passionnant comme toujours ! 🤍 J’ai encore appris et découvert tant de choses ici ! Mille mercis !
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Je le dis souvent, mais soyez assurée que cela me touche beaucoup lorsque l’un (ou l’une) d’entre vous me dit avoir pu découvrir quelque chose au travers de mes articles. C’est un réel plaisir pour moi … Merci beaucoup Hélène . Passez un merveilleux week-end à venir ♥
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Très beau partage ! Que d’émotions ! Merci Lisa.
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C’est exactement ce que l’on se dit en sortant de l’expo » que d’émotions » 🙂 Merci beaucoup Eveline. Je vous souhaite un beau week-end, je pense ensoleillé et chaud si l’on s’en tient à ce que la météo française nous annonce 🙂 ♥
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