» Danser c’est réactualiser les émotions vécues antérieurement. Tenir dans ses bras une femme, la faire tourner jusqu’au vertige, jusqu’à cet état altéré de conscience à deux, est une expérience sans pareille. » Rémi HESS (Historien, ethnographe et sociologue de la danse de couple, maître de conférence)
» La Blanchisseuse » – 1733 – Jean-Siméon CHARDIN ( Musée National de Stockholm )
» Chardin habitait chez ses parents quand il peignit La Blanchisseuse. La vie d’une servante était très dure, implacable. Chardin ne sublime pas le travail en lui-même, mais en montrant les femme dans une lumière chaude et, pour celle qui pend le linge, diffuse et douce, il rend leur existence moins rude qu’elle ne l’était sans aucun doute.
La cuvette posée sur le sol est en argile vernissée, derrière elle se dresse une chaise en bois grossier à siège paillé ; les planches du baquet à lessive sont maintenues par des liens d’osier fondus. Chardin a soigneusement étudié les objets utilitaires. Il accorde aussi de l’importance à ceux qui se trouvent dans la périphérie ou dans la pénombre. Les objets simples et bon marché que Chardin a fixé sur la toile étaient sans doute utilisés dans la maison du peintre.
Dans la buanderie obscure, le tablier de la jeune femme, sa coiffe, son front ainsi que le linge dans le baquet, attirent le regard du spectateur. Le blanc est ici la couleur dominante, celle qui pose les accents. Le blanc possédait une signification marquante dans la mode vestimentaire de l’époque. On pouvait reconnaître l’appartenance sociale d’une personne aux vêtements qu’elle portait. Renoncer à sa chemise immaculée ou, pire encore, aux manchettes, toujours visibles, fraîchement lavées et repassées, était bien la dernière chose que souhaitait un bourgeois ou un noble appauvri. Le blanc était donc un signal positif.
L’importance accordée au nettoyage du linge était proportionnelle à la dimension sociale du linge propre. Le blanchissage était un travail pénible et si l’eau n’était pas livrée par des porteurs, les servantes devaient aller elles-mêmes au puits ou dans la Seine. Le savon étant cher, la lessive était à base de charbon de bois. Le meilleur étant la cendre de hêtre que les servantes recueillaient dans l’âtre ou achetaient chez le marchand de cendres. Le linge était recouvert de charbon de bois et arrosé plusieurs fois d’eau chaude.
A la campagne, la grande lessive avait lieu traditionnellement deux fois par an. En ville l’opération n’avait, le plus souvent, pas lieu chez les particuliers. Rien que le séchage posait problème. Ceux qui en avaient les moyens et pour qui rien n’était trop compliqué pour obtenir un col et des manchettes éclatants de blancheurs, envoyaient leur linge en Hollande. C’est à Haarlem qu’on obtenait le blanc le plus blanc ; bien sur, les blanchisseuses étaient méticuleuses et la qualité de l’eau jouait un rôle, mais ici on mettait aussi le linge à blanchir au soleil et cela se voyait. Quant à ceux dont les exigences étaient encore plus hautes, ils envoyaient leur corbeilles de linge par bateau à la Guadeloupe ou en Martinique où l’ensoleillement était intense et les esclaves nombreux.
Par la suite, le savon dur, le grand ancêtre, en est le savon de Marseille, encore commercialisé de nos jours, devint de plus en plus répandu et c’est cela qui révolutionna pour ainsi dire la lessive. Il abîmait moins les mains que la lessive au charbon de bois, et le linge devait tremper moins longtemps. La grande lessive cédé la place au XVIIIe siècle à la petite lessive hebdomadaire ou bimensuelle, celle que le peintre a manifestement fixée sur la toile. En peignant le petit garçon faisant des bulles avec une paille, il indique que la jeune femme utilisait du savon, un produit encore très cher à l’époque. Au cours de la petite lessive, on lavait toutes les pièces de linge visibles dans la toilette, c’est-à-dire les chemises, les cols, les manchettes ; pour les femmes les fichus de gorge, les bonnets et les bas.
Les auteurs du XIXe siècle supposaient que la femme à sa lessive représentait l’épouse du peintre, mais ce n’est guère vraisemblable. Sa jeune femme, maladive, donna le jour à un fils en 1731 et une fille en 1733 avant de mourir en 1735. Même les ménages modestes, comme celui de Chardin avaient au moins une femme de charge. Les travaux ménagers étaient harassants, à peine faisables sans aide et les jeunes filles ne coûtaient pas cher : elles étaient issues de famille d’ouvriers agricoles heureux d’avoir une bouche de moins à nourrir. » Rose-Marie et Rainer HAGEN ( Tous deux sont auteurs d’ouvrages sur l’histoire de l’Art et explications sur les œuvres d’art. Elle est suisse et lui allemand)