
» Je me trouve face à ce tableau : Monochrome bleu sans titre ( IKB 46 daté 1955/56 ). Sa matière est épaisse, grumeleuse : elle évoque la surface de la lune. Qu’est-ce que j’éprouve face à ça ? Rien … Ni hostilité, ni attraction, ni indignation, ni admiration : une sorte de stupéfaction muette, calme. Je suis à la fois touché et hors-jeu, totalement présent, totalement absent, vide et comblé. C’est comme si ce tableau avait traversé le miroir que je suis par rapport à lui. Tout proche et extrêmement lointain. Mais face à lui j’ai d’abord eu envie de me taire. Il m’inonde de silence, mais ce silence provient de lui, comme si ce silence était son rayonnement. On dit que le silence est d’or. Ce silence-là est peut-être de l’ordre du diamant.
Ce tableau n’est pas une icône, ni un ex-voto. Il n’est pas une image du monde , ni sa représentation. . Il ne critique rien, n’approuve rien, ne célèbre déclarativement rien. Il faut tout simplement partie intégrante du monde. On ne peut l’en abstraire. Il n’est donc pas abstrait . Extrêmement concret, il n’obéit pas au réalisme , mais à sa propre réalité, ou surréalité, au sens propre, toujours oublié, de plus réel que le réel . » Alain JOUFFROY ( Critique d’art, écrivain et poète français)