Le monde de Steve McCurry …

«  Je pense que pour être un bon photographe, il faut avoir un esprit curieux. Personnellement je reste plutôt simple et j’essaie de traiter les personnes avec la plus grande dignité et le plus grand respect lorsque je les photographie. J’essaie toujours de créer une atmosphère de confiance. Il y a une qualité contemplative ou méditative dans la photographie, comme une sorte d’état pacifique. Quand je pars pour un travail photographique, j’entre alors dans un état d’esprit particulier, plus en phase avec le monde qui m’entoure. Je suis présent dans l’instant, je suis en vie ! Je regarde mon environnement et je vois alors ce qui est spécial et différent dans cet endroit. J’examine, j’explore et je vois ce qu’il en ressort, même ce qui n’est pas nécessairement humain. Ce peut être une fissure sur un trottoir ou un animal qui joue. C’est l’appréciation d’un moment dans le temps  » Steve McCURRY (Photographe américain)

Après avoir été le sujet de différentes expos en Europe ces derniers mois, c’est le Musée Maillol de Paris qui accueille une très belle rétrospective consacrée à Steve McCurry, célèbre photographe contemporain, reporter de guerre, membre de l’agence Magnum depuis 1985, aujourd’hui conférencier, directeur d’expéditions et d’ateliers photographiques. Il a travaillé pour de grands magazines comme Time, Life, Newsweek, Geo et le National Geographic – Son métier, mais aussi sa passion pour les voyages, l’ont amené à se rendre dans différents pays : Cambodge, Nouvelle Guinée, Jordanie, Togo, Yémen, Japon, Chine, Bhoutan,, Brésil, Etats-Unis, Cuba, Népal, Indonésie, Italie, Birmanie, Pakistan, Afghanistan, Malaisie, Tibet, Allemagne, Chine, Guatemala, Mongolie, Ethiopie, Ecosse etc etc …

L’expo est annoncée comme étant l’une des plus importantes et des plus complètes qu’il y ait pu avoir sur lui jusque là . Elle s’intitule Le monde de Steve McCurry et se tiendra jusqu’au 29 mai 2022. Alors certes, ce n’est pas la première fois qu’il fait l’objet d’une exposition en France. Mais, c’est toujours un bonheur que de pouvoir admirer ses superbes photos.

McCurry a toujours été en partance pour un ailleurs, traversant le monde et ses conflits, et ce bien souvent au péril de sa vie, se penchant sur la fragilité mais aussi la force humaine, animale aussi , à la recherche d’un paysage, d’un visage, d’un regard, d’une expression, d’un mouvement, d’un moment difficile ou d’un autre plus teinté d’humour, dans des environnements divers.

« Je pense que le rôle d’un photographe est de nous faire voyager, de nous faire ressentir des émotions que ce soit dans le rire, le bonheur, la richesse ou la joie. Ma vie est façonnée par le besoin d’errer, d’observer, mon appareil photo est mon passeport  » Steve McCurry

 » Chameaux et champs de pétrole au Koweïtt  » 1991 Steve McCURRY :  » Tout était pollué, l’air, la nature, les animaux, c’était comme si le diable était passé par là. On ne parlait pas encore d’écologie, mais la catastrophe était bien réelle, avec tout ce pétrole qui se déversait dans le golfe. Quel homme peut créer une marée noire intentionnelle. On est dans l’inhumanité totale. Mon job est de montrer cela. Pas l’inverse. Pour qu’il y ait des prises de conscience. Le problème actuel de notre société est que l’opinion est de plus en plus distraite. »
Lome Togo 2017 Steve MCCURRY
Fishermen at Weligama. Sri Lanka, 1995 Steve MCCURRY
Morondova Madagascar 2019 Steve MCCURRY
Wadi Rum Petra Jordanie 2019 Steve MCCURRY
Antarctique 2019 Steve MCCURRY
Taj Mahal et train 1983 Inde Steve MCCURRY

Sa carrière a été couronnée par de nombreux prix comme, à différentes reprises, le prestigieux World Press Photo Award (sorte de Nobel de la photo) , le prix Robert Capa Gold métal, le Grand Prix de reconnaissance spécial du jury au concours Phaidon Press, le Prix Leica Hall of Fame, à deux reprises le prix Olivier Rebbot etc etc … Il a reçu la médaille d’or du centenaire par la Royal Photographic Society de Londres, a été fait Chevalier des Arts et des Lettres en 2013 et a publié de nombreux livres.

C’est un vraiment un beau voyage qui nous est proposé. Un parcours qui couvre plus de 40 ans de sa carrière, au travers d’environ 150 clichés dont certains sont inédits, en couleur ou en noir et blanc, avec un petit plus à savoir une explication audio de la photo par McCurry. Ils sont magnifiques, symboliques, originaux, pleins de sensibilité, d’émotion, de sincérité, de nostalgie, de poésie, témoins que leur auteur a toujours été très doué pour la composition, la technique, la couleur, le contraste, doté pour un grand sens de l’observation et de l’émerveillement .

« lorsque l’on attend, les gens oublient votre appareil et leur âme s’ouvre à votre regard  » Steve M.Curry

C’est un grand curieux , toujours émerveillé par celles et ceux qu’il rencontre dans le monde, un amoureux des paysages, du risque, du danger, reconnu aussi comme un excellent portraitiste . Ce sont des visages de personnes connues dans leur région, ou plus généralement des anonymes, mais tous sont très expressifs, assez saisissants, touchants, nostalgiques .

Cashmire 1996 Steve MCCURRY
Havana Cuba 2010 Steve MCCURRY
Dust Storm Rajasthan. 1983 Steve MCCURRY
Shaolin Henan province Chine 2004 Steve MCCURRY
Kolkata India 2018 Steve MCCURRY

La majorité de ses photos, quel qu’en soit le sujet, reste un témoignage sur les humains, leur façon de vivre au quotidien, avec leurs joies, leurs peines, leurs blessures, leurs espoirs ou leur désespoir. sur leurs traditions ancestrales, leur culture, leur ethnie, sur des pays torturés . Comme il le dit lui-même je cherche à capter l’âme profonde et l’expression gravée sur le visage de mes sujets. C’est très enrichissant !

Tout le monde connait, je pense, cette célèbre photo, ces grands yeux verts magnifiques, immenses, perçants appartenant à Sharbat Gula surnommée La Mona Lisa afghane , une jeune réfugiée de 12/13 ans qui avait perdu ses parents et vivait dans le camp de réfugiés de Nasir Bagh à Peschawar, un cliché de Steve McCurry qui fera la couverture du National Geographic en 1985 et le tour de la planète.

« C’est mon image la plus iconique. Sur le moment, dans ce camp de réfugiés, j’ai le pressentiment que c’est quelque chose de fort, d’important  » Steve MCCURRY

Après bien des recherches, il l’a retrouvera presque vingt ans plus tard, en 2002, au Pakistan. Nul ne sait quand ni comment elle est arrivée là. Elle était mariée et avait eu trois enfants. McCurry et la National Geographic vont l’aider financièrement notamment pour des soins apportés à son époux qui était très malade . Depuis cette ultime rencontre, elle a perdu son mari et l’un de ses enfants, a été arrêtée pour détention de faux papiers, condamnée à de la prison et une forte amende. Elle retournera finalement dans son pays, en Afghanistan. Sa notoriété (grâce à la photo) l’aurait, semble t-il, précédée et lui aurait permis d’obtenir une maison.

Steve McCurry est né en 1950 à Philadelphie (Etats-Unis). Études au Collège d’art et architecture à l’Université de Pennsylvanie. Son souhait, à l’origine, était de devenir cinéaste documentaire. C’est avec Dorothea Lange et Walker Evans qu’il découvre cet art, mais les gens qu’il admire le plus dans ce domaine sont Henri Cartier-Bresson et Margaret Bourke-White.

Après avoir travaillé pour un magazine local, il décide de se faire globe-trotter et part voir le monde pour s’enrichir de nouvelles cultures. Cela l’amène d’abord en Europe, puis en Inde, et entre clandestinement, en Afghanistan peu de temps après que l’invasion russe dans ce pays. Sur place, il se lance dans un grand reportage photos qui, dès son retour, va être fortement apprécié, publié dans le monde entier et lui vaudra de recevoir le Robert Capa Gold Métal qui l’amène la reconnaissance internationale.

« Je me suis nourri tout particulièrement de couleurs, henné sombre, martelé, curry et safran, noir intense du laqué et nuances des matières. Si j’y réfléchis bien, je dois conclure que ce sont les vibrantes couleurs de ces pays qui m’ont appris à regarder et à écrire avec la lumière. On ne peut trouver qu’extraordinaire le troisième œil, celui de l’appareil photo qui métamorphose et recueille dans la poussière de précieuses transparences.  » Steve McCurry

A partir de là, il décide de couvrir différents conflits armés sur le terrain (guerre en Afghanistan-guerre Iran/Irak-guerre civile au Liban-guerre du Golfe) , pas vraiment le conflit lui-même, mais plutôt les conséquences, la condition humaine des civils qui en sont les victimes innocentes. Durant des années, ce travail accentuera sa renommée, sera très prisé, et lui vaudra d’être, à nouveau, primé et récompensé à différentes reprises.

Comme je l’ai indiqué en début de cet article, il est membre de la très célèbre agence Magnum depuis 1986. De base, un grand photojournaliste, une véritable icône dans ce domaine. Photojournaliste ou reporter-photo implique de devoir se plier à certaines règles éthiques comme, par exemple, ne pas retoucher les photos, ne pas supprimer des détails etc…

Or en 2016 il tombe en disgrâce. Il s’est retrouvé face à une polémique : Paolo Viglione, un photographe italien, se rend à Turin pour y voir une exposition le concernant. Elle regroupe plus de 250 clichés se référant à ses voyages au Brésil, aux Etats-Unis, à Cuba, en Italie, et en Afrique. Son regard s’arrête sur une photo prise à Cuba et certains détails le troublent. Il en déduit que la photo a été retouchée.

Photo objet de la polémique (Cuba) – Steve McCURRY

Une tornade d’attaques et de critiques s’abat alors sur McCurry. Il y répondra en précisant 1) qu’il a toujours été freelance dans sa profession – 2) pour son travail sur place :  » je n’ai pas fait un travail de news, je n’ai pas cherché à donner des informations sur un lieu, je ne prétends pas faire comprendre comment est Cuba aujourd’hui, je n’ai pas ces contraintes ... 3) que l’initiative de retouches ne venait pas de lui, mais de l’un de ses employés qui travaillait pour lui, mais qu’il en assumait, quoiqu’il en soit, l’entière responsabilité : »  À l’avenir je vais devoir mieux contrôler ce qui peut l’être »

Il a été soutenu par certains de ses confrères de Magnum, critiqué par d’autres.«  La photographie est une profession incroyablement subjective. Dans les critiques faites à l’égard de McCurry, les mots vérité et subjectivité, très forts, reviennent beaucoup. Je ne crois pas vraiment en ces mots. S’il avait voulu manipuler des images, pourquoi aurait-il approuvé un travail si incroyablement mal fait ? Son explication selon laquelle quelqu’un de son studio a agi unilatéralement semble aussi plausible.  » Peter Van AGTMAEL (Photographe agence Magnum)

Ce genre de « chasse aux sorcières » ne s’est pas produit uniquement sur lui. D’autres photographes (Robert Capa notamment) en ont fait les frais à un moment de leur carrière. Ces attaques l’ont amené à redéfinir son statut : désormais il se considère comme un visual storytelling, a savoir «  je suis un conteur visuel, un poète s’exprimant ,non par des mots, mais par des images , ce qui me rend libre de faire ce que je veux avec mes photos en terme d’esthétique et de composition  » Il ne se définit donc plus comme un photojournaliste. Du coup, ses commanditaires sont à présent des galeries, des musées, des collectionneurs.

Si il a été profondément touché par ses attaques, elles n’ont en rien changé sa popularité . Il reste un géant, une icône dans son domaine, un créateur. Son travail est toujours très apprécié par le grand public et on se presse à chacune de ses expositions.

En 2001, il se trouvait à New York lorsque les tours du World Trate Center sont percutées par des avions. Il s’est rendu sur place assez vite, et a réalisé un très grand reportage pour traduire sur la pellicule ce que je ressentais, l’horreur et la perte. Il fut dédié à l’héroisme et l’humilité des citoyens new-yorkais.

World Trate Center 2001 Steve MCCURRY

Il est actuellement et jusqu’à l’été 2022 le sujet de différentes expositions, mis à part celle de Paris : du mois d’octobre à mars à Conegliano en Italie (Icones) – de novembre à février à Madrid en Espagne (Icones) – de novembre à mars à Vienne en Autriche (Les yeux de l’humanité) – de novembre à mai à Turin en Italie (Animals). Il envisage de retourner en Afghanistan durant l’été pour témoigner encore et encore des bouleversements de ce pays.

Si vous offrez des livres à l’occasion des fêtes de Noël, il y en a un que je trouve magnifique (parmi les nombreux qu’il a publié) c’est Animals (Éditions Taschen) . Après avoir tant photographié l’homme, il a voulu aborder la photographie animalière et surtout la relation qui existait entre l’humain et l’animal. Ce sont des photos vraiment incroyables, pleines de tendresse, émouvantes aussi. Un travail d’une grande profondeur .

Kaboul Steve MCCURRY (Animals)
Thaïlande Steve MCCURRY (Animals)
Mongolie Steve MCCURRY (Animals)
Rome – Steve MCXC