

« Curieux de tout, Cini ne collectionnait pourtant pas l’art de son temps. Pas un Picasso, pas un De Chirico, aucun portrait de lui par un grand artiste. Il ne cherchait pas à se glorifier. C’était une tradition familiale de ne pas mettre en avant son pouvoir. La Fondation a fait poser une plaque de marbre dans le cloître de Palladio sur l’Île de San Giorgio. Elle porte en latin cette inscription » Si vous voulez savoir qui était Vittorio Cini, regardez autour de vous « . Luca Massimo BARBERO (Directeur de l’Institut d’histoire de l’art à la Fondation Cini)
Je ne sais si certains d’entre vous auront la possibilité de se trouver dans le sud de la France durant ce mois de décembre (ou plus tard puisqu’elle dure assez longtemps) , mais si c’est le cas, je vous conseille vivement cette superbe exposition qui nous est proposée par le Centre d’art Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence. Elle nous permet d’admirer les merveilleux tableaux de la superbe collection de celui que l’on surnommait le dernier Doge de Venise, à savoir Vittorio Cini, riche homme d’affaires , financier, mécène, entrepreneur, philanthrope et collectionneur.
Il a beaucoup œuvré pour Venise que ce soit dans le milieu artistique en aidant et soutenant les artistes, mais également en s’investissant dans des travaux de consolidation des terres et la menace des eaux et il a activement participé à la création du port de Marghera.
L’expo, réalisée pour les 70 ans de la Fondation Giorgio Cini (fils de Vittorio) , s’intitule : » Trésors de Venise-La Collection Cini » …. Jusqu’au 27 mars 2022. soit 90 pièces environ, des petits trésors, (tableaux, dessins, sclptures, porcelaines, émaux, ivoires, enluminures) portant sur des grands noms de la peinture italienne toscane, mais aussi œuvres plus contemporaines , tous sont les témoins du goût raffiné de cet homme qui fut un collectionneur vraiment très avisé, très pointu, n’hésitant jamais de s’informer auprès de personnes compétentes en matière d’art, des historiens notamment . Les œuvres exposées proviennent de la Fondation et du Palais Cini à Venise.
Cette collection, reconnue comme étant l’une des plus importantes d’art ancien italien , rassemble des tableaux (notamment ceux de Della Francesca, Da Pontormo, Lippi, Veronèse, Mazzolino , di Cosimo, Botticelli, Fra Angelico et tant d’autres …. des dessins (de Guerchin, Tiepolo, Piranèse) , sculptures, manuscrits, livres, objets divers, vaisselle, porcelaines, cuivres, verrerie, enluminures, ivoires, miniatures, livres, meubles etc…







Alors qui est ce Vittorio Cini et quelle est l’histoire de sa collection et de sa Fondation à Venise ?
Cini est né à Ferrare (Italie) en 1885. Il a vécu à Venise et c’est dans la Sérénissime qu’il s’éteindra en 1977. Destiné à suivre la voie familiale d’entrepreneur dans les mines et les travaux publics, on l’envoie en Suisse pour suivre des études commerciales, puis en Angleterre pour parfaire ses connaissances bancaires.
En 1915 il prend la direction de l’entreprise et il épouse, trois ans plus tard, une actrice du cinéma muet , Lyda Borelli, qui lui donnera quatre enfants : Giorgio, Mynna, Yana et Ylda. Elle mettra un point final à sa carrière pour se consacrer à sa famille, lui est connu pour être un homme certes séducteur, mais assez discret, ne s’épanchant pas trop sur sa vie privée, plutôt mystérieux. Il est, toutefois, admiré comme étant entreprenant et audacieux en affaires. Il va très rapidement faire fortune en diversifiant ses activités et en dirigeant de nombreuses autres sociétés. Il côtoie de personnalités très riches, deviendra le Comte de Monselice, et s’impliquera beaucoup dans la vie de Venise dont il deviendra sénateur, et même ministre de la Communication plus tard.
Son épouse décèdera en 1959. Huit ans plus tard, il se marie avec la marquise Maria Cristina Dal Pozzo d’Annone.

Installation à Venise, sur le Grand Canal, et pour ce faire, il fera l’acquisition de deux palais : le palais Foscari qui fut construit entre le XIVe et le XVe siècle, et le palais Grimani qui lui le fut entre 1564 et 1567. Il les fera réunir. Le tout est relié au Campo Vio par un pont privé. Tout l’intérieur a été également rénové . Après quoi, il se lancera dans la restauration d’autres vieux palais vénitiens , conseillé dans ces achats par des historiens de l’art, des érudits , et des éminents architectes. Ces restaurations et les différentes personnes qui travaillent avec lui, le portent à s’intéresser vivement à l’art sculptural, architectural, pictural etc… notamment lorsqu’il va acquérir le célèbre Palazzo Grassi parce que c’est à cette époque qu’il achète aussi une assez importante partie de la collection de Giancarlo Stucky.

Pour celles et ceux qui se rendraient à Venise un jour, sachez que vous pouvez visiter son palais car il est ouvert au public depuis 2014. Il se trouve dans le quartier de Dorsoduro.
Ce palais ne deviendra un musée qu’en 1980. C’est Yana, l’une des filles de Vittorio, qui fera don à la Fondation d’une part de deux étages du palais, et d’autre part un important legs de tableaux, sculptures et objets, en demandant expressément de restituer l’ambiance qu’il pouvait y avoir du temps où son père y vivait. Quelques années plus tard, une autre fille du collectionneur, Ylda, va également léguer un très bel ensemble d’œuvres. Toutes ces donations (car il y en aura d’autres venues de la famille Cini) sont installées dans six salles de l’un des étages.
Il ne s’arrêtera pas là ! Les œuvres acquises, au fil des années, sont placées dans son palais du Grand Canal, dans ses demeures , un peu comme le faisaient les grands collectionneurs vénitiens de l’époque. En matière d’art, il aime le beau, le raffiné, l’ancien, notamment les artistes de la Renaissance et n’hésite pas à acheter …. encore et encore … revend pour acheter mieux etc… Il a des contacts fréquents avec des marchands d’art très connus. Ce n’est pas un simple acheteur d’ailleurs, il examine de près les œuvres avec une grande minutie, puis demande conseil sur leur origine.
Durant la seconde guerre mondiale sa vie va changer. Il va démissionner de son poste de ministre des la Communication parce qu’il ne s’entend pas avec le Duce, Benito Mussolini, et ne partage pas ses idées. Les deux hommes vont souvent se heurter. Cini était furieux de l’état de l’Italie, de sa gestion par Mussolini et ne manquait pas de le faire savoir y compris publiquement. Cela aura, malheureusement, une conséquence : il sera arrêté dans la capitale romaine par des SS, puis transféré en camp de concentration à Dachau. Compte tenu de ses amitiés avec des grosses fortunes vénitiennes, de la résistance en place, mais surtout grâce à l’intervention courageuse de son fils Giorgio à bord d’un avion, il réussira à s’évader, quitter le camp et gagner la Suisse où il se réfugiera en 1945.
Vu certaines de ses connaissances allemandes passées, il fut accusé, à tort, de collaboration, mais lavé de tout soupçon par la Haute Cour de justice, ce qui lui permettra de rentrer en Italie. Ce retour ne se fera pas dans le bonheur et la joie car, malheureusement, il apprend, en 1949, la mort de son fils Giorgio dans un accident d’avion près de Cannes. Pour la petite histoire, Giorgio était marié avec deux enfants. Ce grand combattant fit parler de lui lors de sa relation avec l’actrice Merle Oberon. Ils devaient se marier lorsque tous deux se seraient séparés de leurs conjoints respectifs. Malheureusement, son avion privé s’écrasera, après le décollage. Il venait juste de quitter l’actrice avec laquelle il avait passé quelques jours.
Une tragédie pour son père . Vittorio décide alors de créer une Fondation au nom de son fils . Ce sera chose faite deux ans plus tard. Le siège de cette Fondation, très centrée sur des valeurs humanistes, dédiée en grande partie à l’histoire de Venise et celle de l’art, se trouve sur l’ile San Giorgio. Sur l’île vivaient autrefois, dans un monastère, des moines bénédictins. Lors de la chute de la République de Venise (1797) ils durent la quitter.

Après la guerre , l’île et les bâtiments étaient sérieusement endommagés. En 1951, Vittorio Cini propose de tout restaurer pour créer sa Fondation, et faire du lieu un beau centre culturel. Il y avait beaucoup à faire que ce soit le monastère, le réfectoire, le cloitre, l’escalier monumental , le couvent (détruit par Napoléon) etc etc… Il va s’occuper de tout et devenir le lieu superbe que connaissent celles et ceux qui ont pu le visiter.
C’est un endroit qui accueillent de nombreuses expositions, des concerts, et qui possède deux incroyables bibliothèques (300.000 ouvrages comprenant des livres, des enluminures, des précieux manuscrits musicaux, environ 6000 pièces d’art graphiques, mais aussi des tableaux de grande valeur, instruments de musique et autres objets ) , des instituts de recherche, mais également une école et un centre universitaire, tous deux réputés pour l’étude des civilisations vénitiennes.



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Il y a aussi un très beau jardin-labyrinthe récent puisque datant de 2011 en hommage au poète et essayiste argentin José Luis Borges, avec une vue incroyable sur la lagune.

Sur le mur du réfectoire du Couvent à la Fondation, vous pourrez voir une copie du célèbre tableau Les noces de Cana de Véronèse . Autrefois, au même endroit se trouvait l’original. Il fut rapatrié en France par Napoléon Bonaparte selon les accords du traité de 1797. La France avait du, en contrepartie, céder une toile peinte par Charles Le Brun. Beaucoup d’italiens et d’historiens ont souvent réclamé le retour du tableau de Véronèse en son lieu d’origine. Mais bon , un jour qui sait … En attendant, c’est donc un fac-similé auquel on a droit, mais qui a son importance car il nous rappelle l’histoire.

Vittorio Cini est décédé à Venise en 1977 à l’âge de 93 ans . La tombe familiale se trouve en le cimetière de la Certosa à Ferrara (Italie)


