» Plein de colère et de raison
Contre toi barbare saison
Je prépare une rude guerre,
Malgré les lois de l’Univers,
Qui de la glace des hivers
Chassent les flammes du tonnerre
Aujourd’hui l’ire de mes vers
Des foudres contre toi desserre.
Je veux que la postérité
Au rapport de la vérité
Juge ton crime par ma haine,
Les Dieux qui savent mon malheur
Connaissent qu’il y va du leur,
Et d’une passion humaine,
Participant à ma douleur
Promettent d’alléger ma peine.
La Parque retranchant le cours
De tes Soleils bien que si courts,
Rien que nuit sur toi ne dévide ;
Puisses-tu perdre tes habits,
Et ce qu’au parc de nos brebis
Peut souhaiter le loup avide
T’arrive, et tous les maux d’Ibis
Comme le souhaitait Ovide.
Cérès ne voit point sans fureur
Les misères du laboureur,
Que ta froidure a fait résoudre
À brûler même les forêts ;
Les champs ne sont que des marais,
L’été n’espère plus de moudre
Le revenu de ses guérets,
Car il n’y trouvera que poudre.
Tous nos arbres sont dépouillés,
Nos promenoirs sont tout mouillés,
L’émail de notre beau parterre
A perdu ses vives couleurs,
La gelée a tué les fleurs,
L’air est malade d’un caterre,
Et l’oeil du Ciel noyé de pleurs
Ne sait plus regarder la terre.
La nacelle attendant le flux
Des ondes qui ne courent plus,
Oisive au port est retenue ;
La tortue et les limaçons
Jeûnent perclus sous les glaçons,
L’oiseau sur une branche nue
Attend pour dire ses chansons
Que la feuille soit revenue.
Le Héron quand il veut pêcher,
Trouvant l’eau toute de rocher,
Se paît du vent et de sa plume,
Il se cache dans les roseaux,
Et contemple au bord des ruisseaux,
La bise contre sa coutume,
Souffler la neige sur les eaux,
Où bouillait autrefois l’écume.
Les poissons dorment assurés,
D’un mur de glace remparés,
Francs de tous les dangers du monde,
Fors que de toi tant seulement,
Qui restreins leur moite élément,
Jusqu’à la goutte plus profonde,
Et les laisses sans mouvement,
Enchâssés en l’argent de l’onde.
Tous les vents brisent leurs liens,
Et dans les creux éoliens,
Rien n’est resté que le Zéphyre,
Qui tient les aeillets et les lis
Dans ses poumons ensevelis,
Et triste en la prison soupire
Pour les membres de sa Phyllis
Que la tempête lui déchire.
Aujourd’hui mille matelots,
Où ta fureur combat les flots,
Défaillis d’art et de courage,
En l’aventure de tes eaux,
Ne rencontrent que des tombeaux,
Car tous les astres de l’orage,
Irrités contre leurs vaisseaux,
Les abandonnent au naufrage ;
Mais tous ces maux que je décris
Ne me font point jeter des cris,
Car eusses-tu porté l’abîme
Jusques où nous levons les yeux,
Et d’un débord prodigieux
Trempé le Ciel jusqu’à la cime,
Au lieu de t’être injurieux,
Hiver je louerais ton crime… » Théophile DE VIAU (Poète français)
Pour l’illustration j’ai choisi ces paysages d’hiver signés Jacob RUISDAEL (1626/1682) un peintre et graveur néerlandais. « Ses hivers ne sont pas ceux qui éveillent nos espérances : sous des cieux lugubres, on ne se livre pas aux plaisirs du patinage ; maisons, arbres et forêts semblent condamnés à la nuit et au gel éternel. » Bernard LAMBLIN ( Auteur d’ouvrages sur l’art, professeur de philosophie, français.)