» En avril 1820, à Milo, l’antique Mélos, petite île de l’archipel grec des Cyclades, un paysan, en bêchant son jardin, met au jour un dépôt souterrain de marbres antiques. Une grande figure féminine attire son attention. Elle est brisée en deux à la hauteur des hanches, amputée des deux bras, de son pied gauche, de son nez, de la pointe de son sein gauche. Et pourtant, à l’évidence, cette beauté plus grande que nature, vaut mieux que le prix du matériau de construction. Elle échappera donc à l’infamant recyclage du four à chaux !
La nouvelle de la découverte parvient au marquis de Rivière, ambassadeur de France à Constantinople. Il décide de faire l’acquisition des fragments. Mais, entre-temps, la statue a été vendue et trainée sans ménagement sur un bateau en partance pour Constantinople. Après diverses péripéties, la statue est enfin expédiée à Paris. L’ambassadeur Rivière en fait hommage au roi Louis XVIII qui l’offre au Louvre.

L’enthousiasme des érudits et amateurs devant ce morceau de roi est d’autant plus grand que le Louvre, ex-musée Napoléon, vient de se vider des trésors empruntés aux nations conquises, restitués en vertu du Traité de Vienne en 1815. Pour le conservateur des antiques du musée royal, le Comte de Clarac, ce grand marbre est un astre nouveau dont l’apparition répond sur l’art des anciens des nouvelles lumières. Cette découverte marque à ses yeux, une date majeure dans l’histoire de l’art, aussi importante que l’achat des marbres du Parthénon par le British Museum de Londres en 1816.

Incontestablement, la Vénus de Milo est digne des grandes trouvailles faites depuis la Renaissance, de l’Apollon du Belvédère au groupe du Laocoon. L’arrivée de la statue à Paris coïncide avec le début de la Révolution grecque qui soulève en France et en Europe un immense courant de sympathie. Ce Contexte historique confère au chef-d’œuvre une incontestable portée symbolique.

A l’époque, la Vénus de Milo est date de la période classique, et même attribuée à Phydias. On ne prête qu’aux riches ! Dès la fin du XIXe siècle, les progrès de l’archéologique permettront de la situer à l’époque hellénistique. Datée de 150-152 avant notre ère, elle illustre le retour des artistes grecs vers les grands modèles classiques des Ve -IVe siècles avant J.C. – Du Phidias mais plus sensuel dans le rendu de l’anatomie, plus vivant, qui nous séduit aujourd’hui, comme jadis Rodin, par cette grâce et par ce calme que seule la force possède.
Reste un problème de taille : pas de bras, pas d’identification certaine ! En l’absence des attributs qu’elle tenait et dans l’impossibilité de déterminer avec certitude le mouvement de ses bras, les supputations vont bon train dès 1821. Est-elle Muse ou Danaïde ? Sapho, Némésis, Amphitrite, ou Aphrodite ? Cette dernière hypothèse prévaut, mais au nom grec de la déesse on préfère le latin Vénus. Par chance, des nouvelles recherches menées à Milo, sur le site de la découverte à l’instigation de Rivière, ont livré d’autres fragments : deux morceaux de bras, une main tenant une pomme. La pomme du jugement de Pâris, prince troyen chargé par Zeus de désigner la plus belle des trois déesses : Héra, Athéna et Aphrodite. Victorieuse, cette dernière reçut la pomme d’or en trophée. La fameuse pomme de la discorde qui allait déclencher la guerre de Troie.
Bien que des doutes subsistent sur le caractère original de ce fragment, l’identification à Vénus s’impose. Mais, la discorde survient lorsque le restaurateur des sculptures du Louvre, un certain Lange, propose de rendre des bras à la statue. S’il nous semble aujourd’hui évident d’admirer un chef’-d’œuvre mutilé, il n’en va pas de même dans les années 1820. Par le passé, les plus grands sculpteurs n’ont-ils pas été invités à compléter les antiques des collections royales ?

Mais quelle posture retenir pour la Vénus de Milo ? La question est d’autant plus épineuse que selon certains érudits, cette Vénus n’était, à l’origine, pas seule mais accompagnée. Dans la restitution proposée par le savant archéologique Quatremère de Quincy, elle appuie son bras gauche sur l’épaule d’un Mars casqué qu’elle désarme de la main droite….

Décidément, le risque d’erreur est trop grand. Devant le tollé suscité, le crime de M. Lange n’aura pas lieu. Le sculpteur se contentera de refaire le pied, le nez, et de combler les lacunes par des rebouchages en plâtre. On l’a échappé belle ! Restaurée en 2009/2010, la statue a été débarrassée des nombreux rebouchages en plâtre qui masquaient ses blessures anciennes. Soigneusement nettoyées, elle a retrouvé l’éclat magnifique du marbre de Parois, apprécié dans l’Antiquité pour sa blancheur et sa finesse exceptionnelles. Le pied gauche refait en plâtre par Lange n’a pas été replacé, mais on a, en revanche, conservé le nez tel qu’il avait été recréé.
Dans sa prudence, la commissions d’experts consultée à chaque étapes de la restauration, a préférer garder un état intermédiaire qui prend en compte l’histoire de l’œuvre au sein des collections du Louvre. Joli pied de nez à tous les dogmatiques ! » Jérôme COIGNARD (Journaliste français, historien de l’art)