» Chaud là, les marrons, chaud ! Il gèle. Le bitume Craque sous les pieds froids du passant qui s’enrhume. Chaud là, les marrons, chaud ! La bise en sifflant tord Les arbres dépouillés du boulevard et mord, Féroce, tous les nez qu’en route elle rencontre. Chaud là, les marrons, chaud ! Dans l’ombre, appuyé contre Un réverbère éteint par le vent, un petit, Que sans doute décembre a mis en appétit, Demande en grelottant un petit sou pour vivre, Mais il voit, un par un, tous les passants se suivre, Et pas le moindre sou ne tombe dans sa main. Chaud là, les marrons, chaud ! Il mangera demain.
Mais, là-bas, un monsieur — qu’une pelisse immense Enveloppe des pieds à la tête, s’avance. L’enfant quitte sa place et court à lui tout droit ! Un sou ? Non J’ai faim ! Non. Monsieur ! Il fait trop froid. Et le monsieur, plongeant son museau dans sa loutre, Fait deux petits brrr, brrr, et, guilleret, passe outre. Chaud là, les marrons, chaud ! Le savoyard du coin, Le marchand de marrons, voit la scène de loin : Approche ici, petiot ! Viens-t’en chauffer tes pattes ! Et le pauvret, au feu, tend ses mains écarlates. Il rayonne : oh ! c’est chaud ! oh ! ça brûle ! oh ! c’est bon ! Et puis il rit tout haut des tic-tic du charbon. Prends des marrons, va, mange ; un peu de vin, tiens, liche, Dit le vieux savoyard, j’en serai pas moins riche. Et l’enfant mange et boit en regardant le vieux, Le vieux qu’il remercie en clignotant des yeux… » Ernest GRENET-DANCOURT (Poète et auteur français. Extrait de ses Monologues comiques et dramatiques en 1887)
» Qui peut dire si un moment heureux d’amour , ou la joie de respirer par un beau matin et de sentir l’air frais, ne vaut pas toute la souffrance et l’effort que la vie implique ? Erich FROMM (Sociologue et psychanalyste américain d’origine allemande)
« Pour jouir pleinement de la musique, il faut être dans un jour d’abandon de soi-même, et pour en juger, c’est au principe par lequel on est affecté qu’il faut s’en rapporter. Ce principe est la nature même. C’est d’elle que nous tenons ce sentiment qui nous meut dans toutes nos opérations musicales. Elle nous fait un don qu’on peut appeler instinct : consultons-la donc dans nos jugements, voyons comment elle nous développe ses mystères avant de se prononcer, et s’il se trouve encore des hommes assez pleins d’eux-mêmes pour oser en décider de leur propre autorité, il y a lieu d’espérer qu’il ne s’en trouvera plus d’assez faibles pour les écouter. Un esprit bien préoccupé, en entendant de la musique, n’est jamais dans une situation assez libre pour en juger. » Jean-Philippe RAMEAU (Compositeur français, théoricien sur la musique / Préface à son livre Observations sur notre instinct pour la musique et sur son principe paru en 1754 )
Statue de Jean-Philippe RAMEAU ( Opéra Garnier/Paris) – par Jean-Jules ALASSEUR
(Vidéo : « Ouverture » Marc MINKOWSKI à la direction de l’Ensemble LES MUSICIENS DU LOUVRE)
Ce superbe opéra fut présenté la première fois à l’Académie royale de musique en 1739. Il sera remanié en 1744. Le livret était signé d’un jeune écrivain galant Charles Antoine Le Clerc de Bruère.
L’accueil fut assez mitigé et fera l’objet de 26 représentations. Il sera la victime de la guerre qui régnait entre les fervents admirateurs de Lully et ceux qui défendaient Rameau. Les premiers n’hésitèrent pas à critiquer l’œuvre, affirmant que c’était un opéra vraiment soporifique. Du coup, quelques années plus tard, on procéda à une révision assez importante, mais elle n’aura pas plus de succès que la précédente.
Un jour, ce petit trésor sera apprécié à sa juste valeur ! Ce qui est absolument magnifique dans cette œuvre lyrique, c’est que chacun des actes est un petit opéra à lui tout seul. Elle est éclatante, vivace, limpide, puissante, ne manque pas d’ampleur et révèle tout le talent dramatique de Rameau. L’orchestral est varié, plein de couleurs. Par ailleurs, à l’époque, la danse y tenait une place de premier choix.
(Vidéo : « Cesse cruel amour de régner sur mon âme » Acte I scène I – Véronique GENS accompagnée par l’Ensemble LES MUSICIENS DU LOUVRE – Direction Marc MINKOWSKI
« Un habile sculpteur détache de la pierre En s’aidant d’un burin, d’innombrables lambeaux, Pour créer la statue d’une vierge en guêpière, Elevant vers le ciel ses lumineux flambeaux.
Dans les musées des mots, trésors de la culture, Un Poète en secret promène ses désirs, Impatient d’exploiter les dons que la nature Offre à tous les Humains en quête de plaisirs.
L’imagination, en outil pictural, Multiplie les croquis pour parfaire l’épure, Estimant précieux tout produit scriptural Qui ne s’envole point comme une offense impure.
Ainsi, la Poésie s’inscrit dans l’art parfait ; La rythmique des mots anime un bon poème, Enrichissant l’esprit d’un musical bienfait, Sculpturale splendeur d’une brillante gemme ! Louis FONTAS (Poète français)
En juin 2021 je vous avais parlé de l’expo du Musée Jacquemart-André Les Harmonies colorées concernant le peintre Paul Signac . Je ne reviendrai donc pas ici sur toutes les différentes étapes de sa vie car, pour celles et ceux que cela intéresse, j’en ai longuement parlé dans l’article du lien ci-dessous : https://pointespalettespartition.wordpress.com/?s=Signac
Paul SIGNAC 1863/1935(Peignant le tableau Les Andelys en 1923)
Le revoilà, dans une autre exposition qui s’intitule » SIGNAC collectionneur « jusqu’au 13.2.2022 Le Musée d’Orsay a souhaité attiré notre attention sur le fait qu’en dehors d’avoir été un grand peintre , Signac fut aussi un grand collectionneur. C’est une facette de lui qui est assez méconnue. Pourtant il a eu une véritable passion pour la collection et s’est avéré être un excellent connaisseur. Le choix des tableaux qu’il a fait en tant que tel, continue de beaucoup intéresser les historiens de l’art.
N’oublions pas que Signac fut un autodidacte ayant appris la peinture en observant minutieusement celle des autres (notamment les impressionnistes (fortement présents dans la collection) au départ avec Monet qui deviendra son ami, mais aussi avec Degas, Caillebotte et Guillaumin , et qu’il a été, des années plus tard, théoricien de l’art (son essai De Eugène Delacroix au néo-impressionnisme a été publié et beaucoup apprécié) , puis Président de la Société des artistes indépendants(de 1908 jusqu’à son décès) et ce durant de très longues années.
Du coup, en peinture il avait l’œil ,quasiment celui d’un historien de l’art affirment les intéressés, s’attachant aux techniques, aux détails, aux façons de peindre etc…. Il a toujours porté un regard très attentif sur l’évolution picturale en général et observait beaucoup le travail des autres, pas uniquement celui de son groupe ou de ses amis. Les tableaux de sa collection ont chacun une histoire. Les premiers tableaux entrés dans la collection (des impressionnistes) l’ont été sur un coup de cœur affectif envers ces peintres.
Signac a aimé collectionner soit des peintres qui partageaient ses idées picturales ou celles de l’anarchiste rebelle anticonformiste qu’il a été , soit ceux pour qui il avait une grande affection ou une profonde amitié, ceux qui comme lui aimaient particulièrement la mer, soit certains autres pour lesquels il avait beaucoup de respect et d’admiration . C’est ainsi que l’on pouvait trouver dans cette collection : Monet, Degas, Cézanne, Manet, Matisse, Valloton, Pissarro, Roussel, Van Dongen, Camoin, Valtat, Pissarro, Luce, Guillomin, Delacroix, Boudin, Barthold Jongkiind, Van Gogh, Cross, Denis, Seurat, quelques femmes femmes peintres aussi, et des estampes japonaises.
Il appréciait de la montrer aux personnes qui venaient le voir que ce soit dans ses appartements à Paris ou dans sa maison à Saint-Tropez. Il recevait des artistes, des critiques d’art, des historiens de l’art et leur faisait découvrir tous ces trésors en leur expliquant et justifiant ses choix.
Même si on le savait très irritable, susceptible et intransigeant, beaucoup ont vivement apprécié l’excellent ami qu’il fut. Toujours prêt à rendre service aux peintres de sa connaissance, les soutenant, usant d’une grande générosité à leur égard en achetant leurs œuvres, les aidant à exposer, les dépannant financièrement, voire même les hébergeant chez lui à l’occasion.
C’est une expo qui a demandé du temps, voire des années au Musée d’Orsay, tout simplement parce qu’elle a nécessité un gros travail de recherches notamment dans les documents personnels du peintre, et en particulier ses précieux carnets d’achats et l’inventaire après décès.
Pour bien la comprendre, il faut avoir en tête que , certes, Signac a aimé collectionner mais que cette passion a été bien au-delà du simple plaisir. En effet, lorsqu’un peintre de ses connaissances disparaissait, il achetait pour continuer à faire vivre l’artiste au travers de ses tableaux. Une façon pour lui de défendre la mémoire du peintre. Il l’a beaucoup fait avec Seurat (mort en 1891) puisqu’il a acquis plus de 80 des œuvres de son ami (tableaux, les dessins, et autres esquisses), mais avec d’autres, et ils furent nombreux !
A la mort de Signac, sa collection a été un peu dispersée partout dans le monde, mais nous avons la chance qu’un grand nombre de ses tableaux se trouvent dans les collections du Musée d’Orsay et ce grâce, notamment, à la donation de Ginette Signac, la fille du peintre ; ainsi qu’au Musée de l’Annonciade à Saint-Tropez.
« Luxe, calme et volupté » 1904/1908 Henri MATISSE (Collections du Centre Pompidou) (Paul Signac a enseigné les théories de son mouvement, le néo-impressionnisme, à Matisse. Ce dernier, même s’il apprécie, ne va pas vraiment y adhérer. Signac décide de lui acheter ce tableau)
« Le troupeau de moutons à Éragny-sur-Epte » 1888 Camille PISSARRO (Collection particulière) – (Les deux peintres se sont rencontrés en 1885 chez le marchand d’art et galériste Paul Durand-Ruel. Tous deux sont fortement intéressés par cette façon de peindre, ce divisionnisme inventé par Seurat. Pissarroadoptera la méthode mais sur une courte durée. Cela ne l’empêchera absolument pas de rester amis après avec Signac et Seurat, voire même de faire tout ce qu’il pouvait pour qu’ils soient acceptés, même au sein des dernières expos impressionnistes.)
« La plaine de Saint-Ouen-l’Aumône, prise des carrières du Chou dans la vallée de l’Oise » 1890 env. Paul CÉZANNE (collection particulière)
» En mer « ( ou Paul Signac à la barre de son bateau l’Olympia) 1896 Théo VAN RYSSELBERGHE (Collection particulière )
« Pommiers en fleurs au bord de l’eau » 1880 Claude MONET (Collection particulière)- Il a obtenu ce tableau chez un marchand d’art de Marseille. Ce dernier était ruiné à cause de la crise. Il devait beaucoup d’argent à Signac et ne pouvait le rembourser. Il lui cèdera ce tableau en échange.
« Avant l’orage » 1907/08 Henri-Edmond CROSS (Collection particulière)
« Les baigneuses ou la Joyeuse baignade » 1899/1902 Henri-Edmond CROSS (Collection particulière)
« Deux harengs » 1889 Vincent VAN GOGH (Les deux peintres se sont rencontrés en 1887. C’est la passion de la couleur qui va les rapprocher. Ce tableau a une histoire entre eux : en 1889 Van Gogh est interné. Signac lui rend visite. Ils vont se rendre dans l’atelier de Vincent mais les portes ont été mises sous scellés. Qu’importe, ils les forcent et rentrent. Pour marquer ce jour inoubliable, Van Gogh lui offre un tableau. C’est celui-ci.)
« Femmes au bord de la mer » 1904 env. Louis VALTAT (Collection particulière)
La collection était importante à une certaine époque puisqu’elle comptait environ 450 pièces (réunies en 50 ans) entre les tableaux , les dessins, des gravures et des céramiques, exposées dans sa maison de Saint-Tropez ou ses appartements (celui d’Auteuil ou celui de Saint Germain des Près) . A celles et ceux qui se poseraient la question sur ses possibilités financières pour tant acheter, sachez que Signac ne venait pas d’une famille riche mais plutôt d’une famille de commerçants aisés. Cette aisance lui permettra de pouvoir acheter mais toujours, semble t-il, en y réfléchissant bien avant, pour ne pas se retrouver dans une situation financière trop difficile. Et lorsqu’il rencontra des problèmes de cet ordre, ou qu’il avait un besoin d’argent pour un usage plus privé, il vendait un tableau avec énormément de tristesse. Donc cela se produira rarement !
Le virus de la collection lui est venu vers l’âge de 21 ans (avec un Cézanne ) et en fait, il n’a fait que s’accroître au fil du temps avec une période de calme au moment de la guerre. Comme beaucoup de peintres collectionneurs, il y a des tableaux ou des dessins achetés, mais il y avait aussi beaucoup d’échanges avec d’autres peintres (pratique courante) , ainsi que des cadeaux qu’on lui faisait en lui offrant une œuvre . Par exemple, il a énormément soutenu Maximilien Luce en lui achetant certains de ses tableaux ce qui lui apportait une aide intéressante pour continuer sa peinture . Avec Luce, ils ont partagé les mêmes idées politiques de peintres engagés et d’anarchistes , le même but pictural esthétique. Ils auront des différends aussi, mais se retrouveront.
Cross fit également partie des peintres les plus nombreux dans sa collection. Il a acquis de nombreux tableaux, des aquarelles, des dessins. Il appréciait fortement qu’il ne se soit jamais écarté du divisionnisme comme d’autres ont pu le faire notamment Luce et Van Rysselberghe en se rapprochant d’un côté plus classique. Cross lui reprochera son autoritarisme et tentera d’aplanir les conflits. Cela agacera Signac mais ne viendra jamais obscurcir leur amitié.
« L’air du soir » 1893 env. Henri-Edmond CROSS (Musée d’Orsay) Cette toile a fortement inspiré Marisse pour Luxe, Calme et Volupté.
Il y avait aussi dans cette collection des tableaux de peintres dont le travail n’était pas pas forcément du goût de Signac comme par exemple Redon, Vuillard, Roussel , mais en raison de l’amitié complice qu’il avait pour eux, il essaiera toujours de s’y intéresser, donc acheter pour mieux comprendre.
« L’homme à sa toilette » 1887 – Maximilien LUCE (Collections du Petit Palais à Paris) – Signac a acheté ce tableau à 50 francs. Sa façon de peindre l’avait complètement séduit. Luce deviendra son ami et intègrera le groupe des néo-impressionnistes.
« Le café » 1892 Maximilien LUCE (Collection particulière)
Une salle est consacrée à Georges Seurat, avec des dessins, mais aussi 40 tableaux magnifiques achetés par Signac dont le célèbre Cirque que la France a la chance d’avoir. Il l’avait acquis en 1900 lorsque la famille du peintre mit en vente un certains nombre de ses œuvres quelques années après sa mort . Pour Signac, Le cirque était très important parce que c’était, en quelque sorte, le tableau testamentaire de son ami.
Il le vendra à un collectionneur américain en ajoutant une clause au contrat à savoir que le tableau serait remis au Musée du Louvre lorsque cette personne, John Quinn, décèderait .Ce sera chose faite en 1924. Il le lui avait vendu afin de pouvoir réunir une somme convenable destinée à la dot de sa fille Ginette.
» Le cirque » 1891 – Georges SEURAT (Collections du Musée d’Orsay)
Les deux peintres se sont rencontrés en 1884. Un parcours différent : d’un côté un autodidacte (Signac) et de l’autre un artiste sorti tout droit des Beaux-Arts (Seurat), mais réunis par une profonde amitié. Seurat sera son âme sœur, l’ami fidèle. Le premier comprendra très vite que le second avait énormément de talent et que son influence agirait immanquablement sur son travail . C’est avec lui qu’il se détachera petit à petit de l’impressionnisme.
De son côté, il lui apportera sa vision picturale et ses idées. Ils vont énormément s’apprécier, visiteront de nombreuses expositions ensemble, s’intéresseront aux mêmes théories scientifiques sur la perception de la couleur, son harmonisation mais aussi celle des lignes, des contrastes etc…
Malheureusement Seurat décèdera jeune, à 31 ans. Signac en sera profondément affecté. A partir de là, il fera tout ce qu’il pourra que le travail de son ami continue d’être connu et compris, notamment auprès des plus jeunes. C’est une des raisons qui le pousse a acquérir un grand nombre de ses tableaux. Il organisera également des expositions posthumes en hommage à Seurat.
Pour finir cet article, je voulais vous signaler la parution du Journal de Paul Signac aux Éditions Gallimard. L’idée lui venue après avoir lu celui de Eugène Delacroix.
« La Seine à Courbevoie » 1885 Georges SEURAT (Collection particulière)
« Modjesko Soprano Singer « 1908 – Kees VAN DONGEN (Collection du Museum of Modern Art de New York) (Modjesko était un transformiste avec une très belle voix de soprano. Signac va acheter le tableau car complètement sous le charme de ces couleurs vives.
« La rue Bouterie » 1904 – Charles CAMOIN (Collection particulière)
« Chacun a ses propres instants de bonheur. Il s’agit simplement d’en multiplier la conscience et les occasions. » Albert MEMMI (Écrivain, sociologue, essayiste français d’origine tunisienne)
La Fantaisie Op.17 est une très belle page pour piano écrite en 1835 par Robert Schumann. Elle fut dédiée à Liszt qui la trouvait empreinte d’un grand lyrisme. Schubert disait qu’elle était fantastique, passionnée et que c’était de cette façon qu’elle se devait d’être interprétée.
Robert l’enverra à Clara à une époque où le père de la jeune fille refusait leur union . C’est quasiment un poème empli de l’amour qu’il éprouvait pour celle qui deviendra un jour son épouse. Elle l’interprètera bien des années plus tard, après la mort de son mari.
C’est une pièce, certes guidée par l’amour, la passion, la tendresse, mais elle est aussi énergiquement empreinte aussi du côté dépressif de Schumann et pianistiquement exigeante, technique et virtuose.
» Chez certaines personnes, préparer une valise prend presque plus de temps que le voyage en lui-même » David FOENKINOS (Romancier, dramaturge, scénariste et réalisateur français – Extrait de son livre La famille Martin)
» Un jardin, deux femmes et un homme. La femme assise sur le banc est rapidement identifiée. Il s’agit de Camille Monet, l’épouse du peintre et son modèle favori. Le buste légèrement fléchi, elle est tournée vers le spectateur et fixe sur lui ses grands yeux sombres. Un bouquet de fleurs est posé à côté d’elle, peut-être apporté par l’homme vêtu d’une veste noire et qui se trouve derrière elle.
Un trait de pinceau horizontal (blanc) indique que Camille tient une lettre dans sa main. Les historiens d’art pensent qu’il pourrait s’agit d’un message lui annonçant la mort d’un proche ou d’une lettre de condoléances. » Une mauvaise nouvelle attendait ma femme, son père était mort hier » écrit Monet le 23 septembre 1874 à l’époque où le tableau (non daté) devrait avoir été réalisé.
Un tableau comme Le Banc trouble la quiétude du spectateur, incapable de percer à jour les relations entre les personnages. Il présume qu’il y a une histoire la-dessous, mais il ne sait pas laquelle.
A l’arrière-plan une femme, portant une ombrelle, contemple les géraniums à hautes tiges. Mais elle se tient de telle manière que le couple et le banc sont dans son champ de vision. Au-dessus de son ombrelle, on distingue un coin de la maison que Monet loue depuis 1871. La maison et le terrain se trouvaient dans les meilleurs quartiers d’Argenteuil.
Quelques interprètes ont vu dans l’homme à la barbe noire, en redingote noire, penché vers Camille de manière presque intime. Monet se souvenait qu’il s’agissait d’un voisin d’Argenteuil. On retrouve ce personnage sur deux tableaux célèbres de Manet. Il est l’un des hommes du Déjeuner sur l’herbe. Beaucoup plus formel et sombre, coiffé d’un haut-de-forme, il déambule en 1862, au milieu de la foule élégante dans Musique aux Tuileries. Ici la ressemblance avec le personnage qui s’appuie sur le banc, est encore plus flagrante : même barbe brune, mêmes favoris, même buste légèrement incliné en avant.
Le bouquet de fleurs est jeté sur la toile en quelques légers traits de pinceaux avec des couleurs liquides sur fond humide et sans retouches. Il n’est qu’un attrait pour l’œil, un accent de couleur sur le banc sombre. » Rose-Marie & Rainer HAGEN ( Historiens de l’Art)