
» Depuis toujours, je suis fasciné par le plus bel animal sur terre : l’être humain. J’ai utilisé tous les outils qui étaient à ma disposition pour le sublimer : la mode, la mise en scène de spectacles, les parfums, la photographie, la vidéo. La mode a été un vrai véhicule émotionnel et artistique dans les années 1970/1980 et 1990. Le look était extrêmement important. C’était un vrai jeu, mais ça ne l’est plus. J’ai poussé la mode jusqu’à son maximum, mais aujourd’hui la création est limitée par l’argent, le marketing, et le rythme fou des collections …. Je ne suis pas un homme qui regarde le passé, mais le MBAM et Nathalie Bondil ont été les premiers à me proposer de mettre en scène mes créations et imaginer ensemble une vision artistique globale, libre et réinventée. Je me suis donc plongée dans cette aventure créative ! Aujourd’hui, un très beau chapitre s’ouvre à nous avec Paris, ville qui m’a ouvert ses bras et le Musée des Arts Décoratifs qui est pour moi le plus beau des écrins. » Thierry MUGLER
C’est une très grande rétrospective qui nous est proposée par le Musée des Arts Décoratifs de Paris sur Thierry Mugler, artiste pluridisciplinaire, polyvalent avant-gardiste en bien des domaines, toujours aux frontières du réel et de l’extravagant, grand couturier, styliste, créateur de parfums cultes, mais aussi un metteur en scène, réalisateur (pour ses propres campagnes de pubs) et un photographe. C’est un peu un savant fou, un homme absolument à fond dans l’utopique. .
Il va toujours au-delà des apparences, là où on ne l’attend pas. Un créateur audacieux, novateur, avec un imaginaire sans limite, toujours dans l’énergie, à la recherche de nouveautés, un extravagant audacieux, irrévérencieux, aimant mélanger les genres, bref on aime ou on aime pas, mais il reste un artiste marquant . Ses défilés de mode (environ 80) furent spectaculaires, sensationnels, et ils sont restés dans les mémoires. Certains furent mêmes légendaires, de véritables shows ! Et dans ce domaine, il fut le premier à inviter des stars sur ces podiums.
« Mes visions n’ont pas de limites, mon seul rêve est de transporter, envouter et fasciner l’esprit humain » T.M.
A la demande de l’administrateur de la Comédie Française, il a signé, il y a quelques années, les costumes de Macbeth de Shakespeare qui fut donné dans la Cour du Palais des Papes à Avignon. Pour ce faire, un budget énorme(le plus gros de l’institution) lui avait été alloué d’ailleurs. Il a également créé des clips mémorables pour des chanteurs, notamment pour celui de George Michael (Too funky) , des courts métrages pour Canal +, des costumes pour le spectacle du Cirque du Soleil, pour la comédie musicale Émilie jolie, les concerts de Bowie, Beyoncé, Sylvie Joly, Diana Ross, Céline Dion, Liza Minelli, Lady Gaga, Mylène Farmer… etc … et qui n’a pas oublié le fameux costume au col mao que Jack Lang portait en 1985 à l’Assemblée Nationale de Paris et qui a fait scandale lorsqu’il est entré, ainsi vêtu, dans l’hémicycle !
Il a travaillé avec de très grands noms de la photo : Helmut Newton, Bruce Weber, Sarah Moon, Paola Kudacki, Paolo Rovesi, David La Chapelle, Pierre & Gilles, Herb Ritts, Ellen Von Unwerth , Guy Bourdin, Richard Avedon, Dominique Issermann, Patrick McMullan, et divers autres … J’ai d’ailleurs fait le choix d’illustrer mon article avec leurs superbes photos.











Cette expo vous fait entrer dans un monde complètement fou, spectaculaire, imaginaire. Elle s’intitule Thierry MUGLER – Couturissime et elle se tiendra jusqu’au 24.4.2022 – Soit environ 150 tenues, robes, costumes de scènes etc…, des superbes photos, documents, archives, vidéos de clips, bien sur ses parfums dont le merveilleux Angel, couvrant la période allant de 1973 à 2001. Elle se présente sur deux étages, en différentes salles thématiques.
Durant longtemps, il refusait catégoriquement d’être le sujet d’une exposition retraçant les quarante années de son parcours. Et puis la première a vu le jour, avec son accord, en 2018 au Musée des Beaux-Arts de Montréal (Canada). Elle s’est envolée pour Rotterdam et à Munich avant de s’interrompre pour les problèmes liés au virus, et enfin arriver dans la capitale française.
Ce fils de médecin est né en 1948 à Strasbourg. Enfance solitaire. Il dit s’être beaucoup ennuyé et avoir trouvé refuge dans sa passion pour le dessin, la danse classique et l’architecture intérieure, qui lui permettait de fuir le monde . C’est ainsi qu’il entre en 1962, dans le Ballet de l’Opéra national du Rhin en tant que danseur professionnel. En parallèle, il suit des cours de décoration intérieure à l’École supérieure des Arts Décoratifs de sa ville natale. Cinq ans plus tard, il décide de se rendre à Paris pour intégrer, si possible une troupe de danse contemporaine . C’est à cette époque qu’il commence à dessiner des vêtements.
Alors débute pour lui, dans la capitale, une vie de bohème à Saint Germain des Près, avec des petits boulots pour vivre. Pas évident de vouloir s’affirmer en tant que styliste lorsque l’on est complètement inconnu. Il vend ses croquis à des marques comme par exemple Cacharel ,et réussit à se faire engager pour créer des vêtements dans une boutique branchée. Dès le départ, ce sont des tenues originales, manteaux longs et grosses carrures aux épaules. Il surprend, mais on aime.
Première collection en 1973 : Café de Paris. Succès. Elle sera suivie de beaucoup d’autres tout aussi surprenantes les unes que les autres. Trois ans plus tard il collabore avec Helmut Newton pour sa première campagne publicitaire. Sur les conseils avisés du photographe, il se lancera lui-même dans la photo et réalisera sa propre campagne en 1976. En 1978, ouverture de sa première boutique, Place des Victoires à Paris(2e arr.) et quasiment dix ans après, il fête l’anniversaire de cette dernière, avec l’incroyable show du Zénith de Paris qui a présenté 350 tenues, 60 mannequins et 6000 spectateurs !
» Pour moi la mode a été une mise en scène quotidienne avec les femmes comme héroïnes. Je chercher à les sublimer. Il ne s’agissait pas de mes fantasmes, comme la presse a pu le dire à maintes reprises, mais d’un besoin de révéler leurs forces enfouies, leur puissance. Je les aimais et je voulais leur rendre hommage. En mode, j’ai toujours penser au processus entier. J’emmenais mes collections vers une véritable scénarisation, je concevait le casting, le jeu, la musique, la chorégraphie. La mode est sa propre philosophie. Un jeu, une surprise, une carte de visite. Cela s’applique à l’élégance, où il s’agit d’être en harmonie avec le contexte. C’est là sa première définition. Il faut penser à la météo, à l’occasion, à l’image que vous voulez donner de vous-même. Cela s’accompagne du langage du corps. Parfois, certains personnes ne donnent aucune indication vestimentaire au sujet de leur personne, et c’est une sorte de manipulation . Finalement, l’élégance doit faire partie d’une réflexion plus large : si vous êtes en manteau de fourrure au Sahara, vous n’êtes pas élégant. L’éthique est une composante considérable. » T..M.
L’aventure continue avec la première collection en 1992 et la sortie du parfum Angel. Il est propriétaire de sa propre usine de fabrication pour les vêtements du prêt-à-porter. Il devient membre de la Chambre syndicale de la Haute Couture de Paris. La collection de 92 est arrivée à une époque où l’art de la mode s’endormait un peu. Il va la réveiller avec un premier défilé organisé autour de la piscine de l’hôtel Ritz de Paris. Elle s’intitulera Les Cow-boys : femmes à moto, habillées de cuir, corsetées, cuissardes. La pièce maîtresse sera le fameux bustier Harley Davidson qui devra sa célébrité au clip Too Funky de George Michael. Ce sera tellement incroyable qu’il ne manquera pas de se faire remarquer


Il a voulu que les femmes de ses collections soient plutôt futuristes, super héroïnes, sexuelles, sulfureuses, irrévérencieuses, extravagantes, si possible avec des silhouettes robotiques ou carrément carrossées ( Collection Hiver Buick hommage aux voitures des années 50 aux Etats Unis et dans ce domaine à l’inventeur de la Cadillac, Harley J .Eal) tailles fines, corsetées, faisant bien ressortir la poitrine, vêtues souvent de latex, de PVC, de caoutchouc, de chrome, de résine, de plexiglas ou de métal fondu, coiffées de perruques fluos ou de grands chapeaux etc.. il n’a pas lésiné sur tout cela. On baigne dans la science fiction, le futurisme assumé, la femme robot dite libérée ! Certains n’y voient plus totalement de la mode, mais de l’art.

Il a beaucoup choqué dans la mode à une époque où les défilés étaient très traditionnels. Les siens furent de véritables spectacles offerts au public. Tout y était à la fois amusant et hallucinant : les vêtements, la scénographie, la chorégraphie, la musique. Il a voulu une mode libre, provocante, instinctive, inédite, basée, dit-il, sur la nature, la beauté plurielle, l’être humain. Il n’y a pas de message particulier et surtout pas politique.
Sous son côté extravagant, passionné par les extrêmes à un point tel qu’il n’a pas hésité à se transformer lui-même : à la suite d’un grave accident de gymnastique au visage, il décide de subir un relooking total avec au programme chirurgie esthétique, corps remusclé à l’extrême, tatouages, implants, lifting (personnellement, je trouve sa transformation assez désolante) – Beaucoup disent que derrière cet homme extravagant, il y a un homme pudique, un mélomane averti et une personne érudite.
Les bestiaires de Mugler, que l’on peut voir dans l’une des salles de l’expo, ce sont des femmes aux allures d’insectes, d’oiseaux, de papillons de reptiles, avec des inspirations qu’il dit venir, entre autres, du tableau de Botticelli La naissance de Vénus, mais aussi des films La Mouche ou Microcosmos. Tout y passe : des antennes, des carapaces, de très grosses lunettes pour donner l’impression des yeux des mouches. On hallucine, mais le succès commercial est là.




Il n’en restera pas là dans le fantastique puisqu’il y partira pour un ailleurs qui le sera tout autant, avec une collection qui restera dans les mémoires grâce à une robe incroyable, représentant une créature hybride : la célèbre Chimère (la plus chère de l’histoire) . Il s’agit d’une robe-sirène, réalisée avec la collaboration du corsetier Mr Pearl et du maître sculpteur Jean-Jacques Urcun.

En 2001, fatigué par le rythme stressant qu’il mènait dans le monde de la mode depuis presque vingt ans, et malgré le succès, il décide de se retirer. La Maison sera rachetée, pour la majorité des parts, par les Cosmétiques Clarins. Il a fait ses adieux à la mode, en 2002, avec le défilé Les Fauves, décidant de se lancer à fond dans le spectacle et les costumes de scène , ne plus être Thierry Mugler mais Manfred T. Mugler. Son style en a inspiré plus d’un dont John Galliano, Dolce Gabbana, ou Alexander McQueen.
En 2020, L’Oréal fait l’acquisition des parfums et de la mode de la Maison Mugler.
Parmi les différentes salles de l’expo, il y a bien sur celle qui parle de son célébrissime parfum ANGEL, créé en 1992, et son flacon en cristal poli, en forme d’étoile, rechargeable afin d’être accessible au plus grand nombre (une première !), et pour ce faire il a été créé la Fontaine Mugler, présente dans toutes les parfumeries.
« Le parfum, selon moi, fait partie des outils à notre disposition pour apporter de la magie dans le quotidien des gens. Il complète l’univers d’une personne, l’aura quelque part. C’est la touche finale. L’idée de créer un parfum gourmand est quelque chose que je voulais depuis toujours, avec du chocolat et de la barbe à papa. En créant un parfum, je cherchais un lien qui unirait, le plus possible, les êtres humains à travers l’amour et l’enfance, et créait un objet mythique. Après des centaines d’essais, Angel a été créé » T.M
Le flacon a été dessiné par l’artiste Jean-Jacques Urcun et réalisé par les Verreries Brosse. La forme étoile n’a pas été facile à obtenir et a nécessité deux ans de travail, de la technique, avec un moule rotatif créé tout spécialement pour arriver à ce résultat. Pourquoi une étoile me direz-vous ? Explication de Mugler : » L’ange est le messager qui met en relation le ciel et la Terre. Chaque étoile a son ange gardien et chaque femme est un ange. »
La couleur bleue entoure l’étoile Angel. Elle non plus n’a pas été facile à obtenir et qu’il décrit ainsi : » ce bleu se trouve à ce point de rencontre insaisissable entre mer et ciel dans l’infini de l’horizon «
Le parfum a pu voir le jour grâce au nez célèbre de Olivier Polge. On pourrait dire qu’avoir du nez est une affaire de famille chez les Polge compte tenu du fait que son papa, Jacques, fut celui de la Maison Chanel. Mugler avait fait appel à de nombreux parfumeurs pour la création de son parfum qu’il voulait gourmand, addictif, sensuel, voluptueux, sucré, chocolaté, et visionnaire etc… et tous avaient refusé. Polge a relevé le défi et avec lui le parfumeur Olivier Cresp. Pour pouvoir recréer ce parfum d’enfance, de chocolat, de bonbon et de barbe à papa dont se souvenait Mugler, il a été utilisé une molécule mise au point par un laboratoire suisse pour l’industrie alimentaire, lequel l’utilise notamment pour ses arômes caramel, praline et fruits confits à savoir d’Ethyl-maltol.
Nombreux furent les essais pour arriver à l’obtenir (plus de 600 semble t-il). Noix de coco, melon, ananas, Bergamote, et mandarine en notes de Tête – Miel, Fruits rouges, mûre, prune, jasmin, abricot, pêche, orchidée, muscade, rose, muguet en notes de Cœur – Vanille, fève Tonka, ambre, santal, caramel, chocolat et patchouli en notes de Fond. C’est un parfum unique en son genre et le plus vendu dans le monde !

» Je ne veux surtout pas être passéiste. Le dicton » le bonheur c’est une bonne santé et une mauvaise mémoire » me convient tout à fait. Le passé ne sert qu’à une seule chose : tirer des leçons, c’est tout. C’est vers demain qu’il y a du bon et qu’il faut aller. Ce pour quoi il faut travailler. Mes rêves du futur ne changent pas beaucoup. Je traverse des périodes plus ou moins opaques ou obscures. Je vis ces visions comme une énergie qui me parle et que je veux transmettre. Il suffit d’avoir une technique de vie et de physique pour pouvoir capter cette lumière, la garder constante, telle une pile atomique qui s’accumule et que l’on nomme amour. J’essaye de rendre hommage à ces forces qui nous dépassent, tout comme la notion de perfection qui est un travail d’humilité au service de quelque chose de divin, qui est là pour nous rappeler que personne n’est parfait mais que les possibilités sont infinies. Cela me convient très bien car je n’aime pas les barrières. Je veux tout vivre. » Thierry MUGLER