Nous sommes …

 » Nous sommes un corps. Une existence d’esprit . Nous sommes une conscience et une existence de discours : nous sommes ce dont les autres parlent. La première existence, celle du corps ne nous doit rien. Nous ne choisissons ni d’être petit ou bossu, ni de grandir, ni de vieillir, pas plus que de naître ou de mourir. La deuxième existence, celle de la conscience, se montre très décevante à son tour : nous ne pouvons prendre conscience que de ce qui est, de ce que nous sommes, autant dire que la conscience n’est qu’un pinceau gluant, docile, qui colle à la réalité. Seule la troisième existence nous permet d’intervenir dans notre destin. Elle nous offre un théâtre, une scène, un public : nous provoquons, démentons, créons, manipulons les perceptions des autres et pour peu que nous soyons doués, ce qu’il disent dépend de nous. »  Eric-Emmanuel SCHMITT ( Romancier, dramaturge, nouvelliste, réalisateur franco-belge)

EMMANUEL SCHMITT
Eric-Emmanuel SCHMITT

Il pleut sur mon cœur …

« Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s’écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?…
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine ! » Paul VERLAINE (Poète français – Extrait de son recueil Romances sans paroles/1874)

Tableau Steve HANKS

Les Varations Goldberg/Jean-Sébastien BACH … De Rosalyn TURECK à Glenn GOULD

 » Je pense qu’elle et moi avons une vision différente de cette musique, et peut-être avez-vous raison de trouver son jeu  » rigide  » et la superposition des strates polyphoniques  » artificielle « . Mais dans les années quarante, pendant mon adolescence, elle a été la première à jouer Bach d’une manière qui me paraissait raisonnable. A l’époque, à quatorze , quinze, seize ans, je menais un combat sur la manière dont on doit jouer Bach, sans espérer voir jamais mon professeur Alberto Guerrero brandir le drapeau de la reddition. Les disques de Rosalyn Tureck m’ont montré que je n’étais pas le seul sur ce front. C’était un jeu tellement intègre, pour user d’un terme ressortant au domaine moral. Il s’en dégageait un tel sentiment de quiétude, cela n’avait rien d’une langueur mais plutôt d’une droiture morale au sens religieux. » Glenn GOULD parlant de Rosalyn Tureck

Glenn Gould  a eu une façon de voir, de comprendre, d’aborder Bach, qui ne ressemble à personne : génial, inventif, précis, intense, rythmiquement jubilatoire, virtuose, pertinent, flamboyant, réunissant, comme beaucoup l’ont affirmé ( avec exactitude )  » le coeur et l’esprit. »

Bien des années avant lui, Rosalyn Tureck a fait preuve, elle aussi,  de rigueur, d’émotion, d’ampleur, de précision rythmique, d’expressivité, d’un grand sens des nuances, d’un toucher magnétique dans ses interprétations du Cantor . On la surnommait » la grande prêtresse de Bach « . Il l’a beaucoup appréciée et elle l’a influencé.

Avec un zeste d’amertume et un peu de déception au fond du cœur devant les louanges que l’on ne manquait pas de faire au jeune et brillant Gould, elle disait « qu’ il lui avait beaucoup emprunté mais qu’il n’avait pas assez pénétré son art pour mieux le comprendre. »…. Quoi qu’il en soit, tous deux ont été très inspirés face à cette musique et les écouter est un réel bonheur.

Les Variations Goldberg sont parues en 1741 sous le nom :  » Exercices pour clavier (Übung) consistant en une aria avec différentes variations pour clavecin accompagnés de deux manuels « . C’est incontestablement un des sommets de la production de Bach.

L’histoire raconte qu’elles furent composés pour un ancien ambassadeur de Russie à la Cour de Saxe à savoir Hermann Carl Von Keyserlingk. Il était toujours accompagné de son protégé, le  claveciniste Johann Gottlieb Goldberg. Sa présence à ses côtés était quelque peu thérapeutique. En effet, le comte Keyserlingk  souffrait de maux divers très difficiles à supporter qui l’empêchaient de dormir, et, pour le calmer,  il faisait appel ( à n’importe quel moment du jour ou de la nuit )  à ce musicien qui dormait dans une chambre tout à côté de la sienne.

Pour le remercier, il demanda à Bach une composition pour son claveciniste . Quelque chose d’assez serein et heureux qu’il aurait beaucoup plaisir à entendre.  Il va parfaitement réussir  et le comte va vraiment adorer cette partition . Il affirmera même « ne jamais s’en lasser et pouvoir l’ écouter sans cesse ».

On peut le comprendre car c’est une page assez exceptionnelle, exigeante, contrapuntiquement dense,  à la fois complexe,  de construction rigoureuse, impressionnante dans la richesse de ses idées,  expressive, sensible, audacieuse, virtuose, poétique, et tout aussi incroyable  que l’a été son merveilleux compositeur. Par ailleurs elle ne manque pas d’un petit soupçon  de légèreté et d’humour notamment dans la reprise de mélodies allemandes très connues ce qui la rend assez irrésistible .

(Vidéo : Rosalyn TURECK au piano)
(Vidéo : Glenn GOULD au piano)