
Vivian Maier n’a jamais été connue de son vivant. Elle est décédée, à 83 ans, en 2009, dans l’anonymat et la précarité. Et pourtant, aujourd’hui, elle a une renommée mondiale, reconnue comme une photographe de génie , une légende de la Street photography. Son travail est encensé par le public, la critique, et ses clichés exposés aux quatre coins de la planète.
Le musée du Luxembourg propose de mieux la connaître grâce à une superbe rétrospective (la plus importante qui lui ait jamais été consacrée) : plus de 260 photos (connues et inédites, issue pour certaines d’un prêt de la collection John Maloof ) , vidéos, enregistrements audios, documents etc.… Elle est organisée par : 1) par la réunion des musées français/Grand Palais – 2) Chroma Photography , une société privée qui se trouve à Madrid et qui s’est déjà occupée, à diverses reprises, d’expositions la concernant La commissaire, Anne Morin est, du reste, la directrice de cette agence, et c’est elle qui est à l’origine de l’expo qui avait eu lieu au Jeu de Paume de Tours en 2013 – 3) la collaboration du marchand de photographies de New York, Howard Greenberg, Elle s’intitule :
» Vivian MAIER » et se tiendra jusqu’au 16 janvier 2022 – Les photos ci-dessous font partie des collections : ESTATE VIVIAN MAIER – MALOOF COLLECTION AND HOWARD GREENBERG GALLERY de New York.

Vivian Maier fut une autodidacte. Son œuvre est atypique, éclectique, dense, pleine d’humanité, intemporelle, mais en même temps, il y a une belle et intéressante évolution logique dans son travail. Elle est secrète aussi car son auteure n’a jamais voulu la montrer à quiconque. Il y a fort à penser qu’elle ait pu voir le travail de certains autres photographes, voire même s’y intéresser. Mais en ce qui la concerne, elle n’a jamais cherché à montrer le sien .
La rue fut son théâtre. Il y a très peu de photos en intérieur. En les regardant, on se rend très vite compte du talent qu’elle avait à savoir saisir l’instant, capturer les détails , un œil avisé, une facilité à rendre la rue vivante, une technique sachant merveilleusement joué avec l’ombre, la lumière, l’espace, faire d’un moment banal quelque chose de beau . Elle a aimé les portraits (souvent des marginaux, des enfants qui jouent en extérieur, ou bien des femmes et des hommes d’une classe sociale aisée ) et on sent qu’elle n’a jamais voulu les idéaliser, préférant les montrer tels quels, y compris avec leurs éventuels défauts.
Elle a aussi réalisé des autoportraits avec des miroirs et des vitrines, qui sont très intéressants et parfois assez drôles.










Son succès est arrivé vraiment par hasard : deux ans avant qu’elle ne décède en 2009, et compte tenu du fait qu’elle traversait une période difficile financièrement, elle met toutes ses affaires photographiques en consigne dans un garde-meuble. Malheureusement, faute de paiement, ses biens et les photos sont mis aux enchères, et dispersés .
Un jeune agent immobilier de 26 ans, qui deviendra cinéaste et historien par la suite, John Maloof, cherche à se procurer des cartes postales anciennes sur Chicago pour illustrer un de ses livres à venir. C’est ainsi qu’il découvre et fait l’acquisition , en 2007, lors d’une vente aux enchères, d’une grosse boite contenant plus de 30.000 clichés des années 60 et 70 (prises à Chicago et New York) et un très grand nombre de négatifs, des films super 8 . Un autre lot fut mis à la vente et ira au collectionneur d’art Jeffrey Goldstein. Lorsque les problèmes de droits d’auteur et autres réclamations verront le jour, ce dernier vendra sa collection de négatifs à la Bulger Gallery de Toronto.
Certes, Maloof ne connaît rien en photographie, mais ce qu’il découvre va vraiment l’intéresser, au point qu’il décide d’en savoir un peu plus sur cette photographe inconnue, secrète et mystérieuse. Pas de trace de famille, de proches, pas de testament non plus. Elle l’intéresse beaucoup ce qui le pousse à poursuivre et persévérer dans ses recherches. Grâce à une petite annotation sur une enveloppe d’un laboratoire, il finit par connaitre son nom. Il apprendra un peu plus tard qu’elle est décédée grâce à une information nécrologique faite par la famille Gensburg, découverte sur internet, famille chez laquelle elle fut nounou durant plus de 17 ans. Il va les contacter pour en savoir davantage.
« Vivian Maier , originaire de France et fière de l’être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l’ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis, ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendront toujours de la longue et formidable vie. » Notice chronologique des frères Gensburg en 2009
A force de poster des photos de Vivian Maier sur le net, il arrive à prendre contact également avec d’autres personnes qui furent notamment ses employeurs, reçoit même des demandes pour des interview etc… Ses recherches lui permettent même de retrouver des effets personnels de la photographe à savoir des enregistrements et autres photos dont il fait l’acquisition. Devant l’amplitude de son travail de recherches, il finit par acheter du matériel pour la numérisation de tout ce qu’il possède, et embauche aussi des généalogistes pour lui permettre d’approfondir les recherches familiales. Il avouera que cela lui a coûté beaucoup de temps et d’argent, et qu’au départ, il n’a rien gagné.
Les archives de l’État civil, vont lui indiquer sa date de naissance, où elle a vécu, ses origines françaises etc…. Plus il en sait sur elle, et plus sa passion d’en savoir encore plus va aller crescendo. Sur les photos qu’il trouve, il comprend qu’elle ne quittait jamais son appareil, qu’elle soit seule ou même avec les enfants dont elle avait la garde.
Et au gré des témoignages recueillis, il apprend que c’était une femme secrète, avec un caractère compulsif, cultivée, curieuse, intelligente, chaleureuse, toujours prête à les amuser et leur faire des surprises comme une sorte de Mary Poppins ! Et d’autres affirment qu’elle pouvait se montrer instable, et que parfois ils la craignaient un peu. Il semblerait qu’elle ait beaucoup voyagé un peu partout dans le monde et qu’elle se soit rendue en France, à plusieurs reprises, dans ce coin des Hautes-Alpes où elle avait passé son enfance.






Lorsqu’elle va se retrouver à la rue, bien des années plus tard, les fils Gensburg, devenus grands, apprendront sa détresse et s’occuperont de la faire placer dans une maison de retraite de Chicago. C’est là qu’elle décèdera après avoir malencontreusement glissé sur une plaque de verglas.
Lorsqu’il aura récolté un grand nombre d’informations , Maloof rédigera un livre sur elle, et réalisera aussi un documentaire la concernant , lequel, d’ailleurs, sera nominé aux Oscars en 2015 . Grâce à lui, elle connaîtra une gloire posthume. En effet, compte tenu du fait que, de son vivant, elle avait fait peu de tirages, John Maloof et Howard Greenberg, un galériste et marchand, vont décider un jour de montrer et publier ce qui avait déjà été développé.
Elle obtiendra la reconnaissance internationale en 2011, lors de l’exposition du Chicago Cultural Center. D’autres manifestons itinérantes, de ce type, suivront.
Beaucoup de questions se posent sur elle : comment elle a pu rester bonne d’enfants et n’ai pas chercher à se faire connaître en tant que photographe dans une ville comme Chicago où existait l’Institute of Design qui était doté d’un département photo ? Pourquoi a t-elle voulu garder tout cela pour elle ? Ce travail photographique magnifique, petits morceaux de poésie pris avec une grande finesse d’exécution.
Vivian Maier est née en février 1926 à New York. Son père, aux origines austro-hongroises, portait le nom de Charles Mayer, qui deviendra Maier lors de sa naturalisation en 1912. Sa maman, Maria, est française, née dans une commune des Hautes-Alpes. Elle deviendra américaine lors de son mariage avec Charles en 1919. Ils auront deux enfants, un fils né en 1920, et Vivian née en 1926. Lorsque ses parents se séparent, son frère est confié aux bons soins de ses grands-parents paternels.
Quant à elle, elle reste avec sa maman et part vivre, au départ, dans le Bronx. Elles trouvent à se loger chez Jeanne Bertrand, française immigrée aux Etats-Unis, qui est photographe professionnelle et sculptrice. En 1932, sa mère l’emmène en France, dans son village natal où elle retrouve certains membres de sa famille, dont une grand-tante. Elle inscrit sa fille à l’école. En 1938, elle repart à New York avec sa fille, afin de revoir son fils. Elle trouve un emploi. On ne sait si la famille a pu se reconstituer.
Vivian retournera en France à diverses reprises, notamment dans les années 50 pour régler la succession de sa grand-tante, qui en avait fait son héritière, ce qui l’amènera à vendre aux enchères les terres et le domaine. Une partie de la somme obtenue lui a permis d’acquérir, une concession au cimetière de St Julien-en-Champsaur afin que sa grand-tante, qui avait été placée dans une fosse commune, soit exhumée et replacée dans une tombe correcte.
Avec l’autre partie de l’argent, elle a assouvi ses deux passions : les voyages et la photographie. Mais ce n’est malheureusement pas avec la photo qu’elle peut gagner sa vie. Elle décide donc de garder des enfants, d’abord à New York, puis à Chicago où elle s’installe définitivement en 1956. C’est là qu’elle deviendra la nanny des enfants de la famille Gensburg. Elle a sa propre chambre et une salle de bains qui lui sert de laboratoire et chambre noire. Très secrète, elle ne montrait jamais ce qu’elle avait photographié. De temps à autre, dès que ses moyens le lui permettent, elle part voyager, parfois même durant plusieurs mois.
Son plaisir fut de se promener au travers des petites rues mais aussi des avenues de New York d’abord, puis de Chicago par la suite, et, munie de son Rolleiflex, pour tenter de capturer l’instant, les détails, dans le quotidien urbain de celles et ceux qu’elle croisait, d’où la diversité sociale de ces photos : des sans-abris, des enfants qui jouent, des couples d’amoureux, des personnes très élégantes, etc….. Des clichés en noir et blanc pour un maximum d’entre eux. Elle viendra à la couleur fin des années 50.



Après bien des années passées, sa situation financière sera plus que précaire. Elle se voit contrainte de mettre toutes ses affaires dans un garde-meuble. Lorsque les fils Gensburg la retrouvent, ils ignorent tout de ses affaires. C’est ainsi que faute d’avoir payé le loyer, elles seront mises aux enchères. Elle laisse derrière elle plus de 140 000 clichés qu’elle n’aura jamais pu trier ou classer.
Vivian Maier est morte en 2009 sans avoir fait de testament ou sans héritier connu et si il n’y avait pas eu cette vente aux enchères et la popularisation de son travail par Maloof ou Goldstein ( Sur 80.000 clichés, Maloof en a acheté 85 % et le reste fut acquis par Goldstein qui l’a revendu à la Galerie Bugler de Toronto) , elle n’aurait jamais été connue. Il n’y aurait pas eu d’expositions, il n’y aurait pas eu de collectionneurs pour acheter ses photos etc….
Mais il se trouve qu’un ancien photographe devenu avocat, David Deal, a fait des recherches généalogiques pour tenter de retrouver des héritiers de la photographe, et il est parvenu à en trouver un (Francis Baille) dont le père était le grand-oncle de Maier et du coup une procédure a été lancée devant la juridiction de Chicago. Un autre, du même village que la mère de la photographe, s’est lui aussi déclaré.
Affaire à suivre pour savoir à qui appartiennent vraiment les droits. La bataille dure depuis huit ans, les sommes en jeu sont colossales. Normalement, on devrait connaître le dénouement avant la fin de l’année.


