
» L’urgence d’être vu est d’autant plus grande que demain tout aura disparu. Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les posséder, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir. Notre travail parle de liberté. Ce sera comme un objet vivant qui va s’animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, la surface du monument va devenir sensuelle. Les gens auront envie de toucher l’Arc de Triomphe » » Christo & Jeanne-Claude.
« Accompagner la lise en place d’une œuvre comme ça, dans les circonstances qui sont celles d’aujourd’hui, c’est magique ! L’empaquetage du Pont-Neuf a été un moment hors du temps. C’est ce que l’on s’apprête à vivre une nouvelle fois. Nous veillons à ce que l’Arc de Triomphe soit protégé comme il faut, d’autant que le monument reste ouvert au public. » Bruno CORDEAU (Administrateur de l’Arc de Triomphe)
Si vous avez été à Paris cet été, vous aurez très certainement vu des grues s’affairaient autour de l’Arc de Triomphe. Pourquoi me direz-vous ? Eh bien le célèbre monument français va être empaqueté, emballé, entoilé serait le mot le plus juste, selon le projet conçu par CHRISTO. Du coup, la Place de l’Étoile sera piétonne tous les week-end durant cette période.

Christo c’est à la fois un des prénoms de Vladimir Javacheff, mais c’est aussi, selon la volonté de ce dernier, le nom du duo d’artistes contemporains formé avec son épouse Jeanne-Claude Denat de Guillebon. Tous deux sont nés le même jour (13.6) de la même année (1935)lui en Bulgarie, elle au Maroc. La dernière fois qu’ils étaient intervenus à Paris c’était en 1985 pour l’emballage du Pont-Neuf.
Christo a beaucoup aimé la capitale française, et ce depuis le jour où il est arrivé à Paris en 1958, fuyant sa Bulgarie communiste natale, après être passé par Prague, Vienne, Genève. Empaqueter l’Arc de Triomphe était son rêve depuis 1962, mais, à l’époque, il n’avait pu obtenir les autorisations. Triste est de constater que malheureusement ni lui, ni Jeanne-Claude ne seront présents, vu qu’ils sont tous deux décédés. On aurait pu alors penser que le projet tomberait à l’eau, mais il n’en fut rien. Tout au contraire, c’était leur rendre un fort bel hommage. Du reste, leur neveu suit de près les travaux afin que tous les désirs de son oncle soient scrupuleusement respectés au détail près.
Leur ouvrage sera présenté pour les Journées du Patrimoine et la Nuit Blanche. L’inauguration va avoir lieu le 18 septembre et on pourra voir l’Arc, ainsi vêtu, jusqu’au 3.10.2021.
Tout a été étudié, préparé en banlieue parisienne dans un site assez grand pour reconstituer une partie de l’Arc et pouvoir effectuer tous les tests de stabilité et sécurité du matériel, du tissu, des cordes etc… voire même de soufflerie par rapport au vent qui s’engouffrera dans le tissu . Les personnes qui travaillent sur ces essais et qui le feront sur l’Arc sont expérimentées et efficaces. Comme l’avait expliqué Christo lui même : » nous ne toucherons à aucun élément architectural, tout est réalisé grâce à un incroyable système d’échafaudage en dessous. »

Ce couple, à l’imaginaire débordant, a fait de ce type de réalisation sa spécialité, des réalisations monumentales qui nécessitent un grand nombre de dessins préparatoires, collages et maquettes. Tous les projets ont été pensés et discutés avant d’exister réellement. Pour l’Arc de Triomphe, Christo y songeait depuis 1962. Le projet avait été annulé à l’époque faute d’autorisation. Puis, il a été finalement accordé de façon assez soudaine, ce qui a mené l’artiste à trouver le financement (vente de ses œuvres) et mettre en place la préparation, dans un délai assez court, à savoir un an et demi à peine ! Après quoi, il fut reporté à deux reprises : bien sur en raison de la pandémie, mais également parce que des faucons crécerelles avaient fait leur nid sous les arches du monument.
L’emballage nécessite 25.000 m de tissu(recyclable-poids : plus d’une tonne ! ) bleu argenté en polypropylène, et 7000 m de corde rouge (50 cordistes pour déployer la toile) . Le coût est assez élevé à savoir 14 millions d’euros, mais le projet est totalement autofinancé par la vente d’objets, souvenirs, maquettes, lithos, dessins appartenant à l’artiste.
Il n’y a aucune subvention privée ou publique. La Flamme de la nation continuera de brûler avant, pendant et après les travaux et les éventuelles cérémonies d’hommage au soldat inconnu se tiendront si tel était le cas. De plus, les visiteurs pourront monter sur l’Arc et ils paieront, comme de coutume, un billet d’entrée pour le faire.

« A toutes les époques de l’histoire de l’art, l’utilisation des étoffes et des tissages a fasciné les artistes. Des époques les plus reculées à nos jours, la structure des tissus (les plis, les plissés, les drapés) a joué un rôle important dans la peinture, la fresque, le relief, la sculpture en bois, en pierre ou en bronze. Le tissu ( tout comme les vêtements et la peau) est une chose délicate. Il exprime la qualité unique de la fugacité. « Christo et Jeanne-Claude.
On peut se demander quel est le but poursuivi par ces artistes. Leurs œuvres, dans la démesure, ont pour but de faire sortir l’art des musées. En 50 ans de carrière, 23 de leurs projets se sont réalisés, 37 furent refusés. Tout n’a pas été rose pour les mettre au point car ils se sont souvent trouvés confrontés aux caprices de la météo par exemple. Compte tenu que leurs œuvres sont dans le paysage et la nature, on l’a souvent classé parmi les artistes du Land Art. Ce sur quoi il n’était pas d’accord , et répondait : » moi je ne fais pas de Land Art. Je ne joue pas avec l’abstrait mais avec le concret. »
On peut aimer, critiquer, détester leur travail. Nombreux furent les débats autour de ces réalisations. Eux, ont été heureux de réaliser l’impossible et ont laissé à chacun le soin de leur vision et de leur interprétation, et tiennent compte de ce que Christo affirmait à savoir » l’œuvre d’art est un cri de liberté . Il n’y a aucun message politique ou autre.
« Si tout tourne autour de la liberté, c’est parce que je me suis échappé seul pour faire de l’art, tout simplement. Mon art. Je ressens un plaisir incroyable à faire de l’art. » Christo
Beaucoup de personnes attribuent l’adjectif éphémère à leurs œuvres. Lui n’appréciait pas ce terme pour décrire leur travail. Tout simplement parce qu’à ses yeux l’éphémère suggère quelque chose d’instable. Certes, elles sont en place pour peu de temps, mais pour eux c’est comme si elles étaient là indéfiniment. Ce qui reste de chacune d’entre elles après qu’elles soient démontées, ce sont les dessins préparatoires, les livres, les maquettes, les collages, les photos qui désormais sont conservées dans des musées ou dans des collections privées.
Chacun de leurs projets, urbains ou ruraux, a été imaginé pour un endroit bien spécifique, et chacun d’entre eux a une histoire reliée à un moment de leur vie. Ce n’est pas un coup de tête à la légère, c’est tout au contraire mûrement réfléchi.

Ils sont nés tous deux, comme je l’ai dit, en 1935. Lui à Grabrovo en Bulgarie, père patron d’une usine de produits chimiques et mère, secrétaire à l’Académie des Beaux-Arts de Sofia. Elle à Casablanca au Maroc, son père était militaire. Ses parents ont divorcé à sa naissance.
Il a étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Sofia, à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne. De son côté, elle a obtenu son baccalauréat et fera des études de latin et philosophie plus tard à l’Université de Tunis.
Ils se rencontrent tous deux en 1958 à Paris. Christo Vladimir était venu livrer au général Jacques de Guillebon, directeur de l’École polytechnique, père de la jeune fille, le portrait de son épouse qu’il lui avait commandé . Les deux ont un coup de foudre réciproque. Elle était mariée, mais divorcera pour lui. Il lui insuffle sa passion de l’art, surtout celui qui a pour but d’emballer des bâtiments, des ponts, des sites naturels etc…. Il est l’artiste, l’audacieux, le déterminé, et elle l’organisatrice. Ensemble ils travaillent sur les dessins préparatoires, les maquettes etc….
« J’avais de l’argent mais il ne m’avait jamais servi à faire des choses passionnantes, alors que Christo, sans argent, pouvait me donner une vie passionnante » Jeanne-Claude
Ce fut un couple très fusionnel, uni par un amour passionnel. Chaque œuvre a été signée ensemble et ce même après qu’elle fut décédée. De leur union naîtra un fils, Cyril, en 1960. Quatre ans plus tard, ils s’installent définitivement à New York, obtiennent la nationalité américaine et c’est à partir de là que débute leurs grands projets XXL.
Ils vivaient à New York dans le quartier de Soho.
De nombreuses réalisations verront le jour à partir de là, dans les années qui suivront : Arbre empaqueté (Eindhoven/Pays-Bas 1966) – Fontaine, sol, escaliers empaquetés (Chicago 1968) – Monument à Victor Emmanuel empaqueté Piazza dei Duomo et Monument à Léonard de Vinci empaqueté ( Milan1970) – Curtain Valley (Colorado 1970/72) – Mur romain empaqueté Via Veneto et Villa Borghese (Rome 1973/74) – Ocean Front (Newport Rhode Island 1974) – Running Fence comtés de Sonoma et Marin (Californie 1972/1976) – The Mastaba Abu Dhabi Emirats arabes (1977 en cours) – Wrapped Walk Ways (Kansas 1977/78) – Surrounded Island (Miami 1980/83) – Pont-Neuf empaqueté (Paris 1985 – The Umbrellas Japon et Etats-Unis (1340 parasols à Ibaraki et 1760 en Californie 1991) – Over the River (prévu au Colorado, annulé) – Le Reichstag empaqueté (Berlin 1995) – Arbres empaquetés Fondation Beyeler (Suisse 1997/98) – The Wall (13000 barils de pétrole Oberhausen en Allemagne 1998/99) – The Gates Central Park (New York 2005) – Big Air Package gazomètre Oberhausen (Allemagne 2010/2013) – The Floating Piers Lac Iseo Italie 2014.2016) The London Mastaba Lac Serpentine Hyde Park de Londres ( 2018 )







La dernière mission du neveu de Christo, Vladimir Yavachev, sera de voir se réaliser un dernier projet de Christo et Jeanne-Claude, à savoir la construction du Mastaba d’Abu Dhabi, une sorte de grande pyramide, couleur sable, réalisée avec des barils de pétrole (environ 410.000 . Le seul problème reste le refus, depuis 1977, des autorisations par les émiraties pour que cela se fasse à la frontière saoudienne. Les discussions pour arriver à les faire changer d’avis risquent de prendre encore beaucoup de temps. Il reste confiant en se disant qu’après tout il a fallu 60 ans pour concrétiser l’Arc, donc il reste une marge de 15 ans pour y arriver.