» Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime, que toujours le bon sens s’accorde avec la rime : l’un l’autre vainement ils semblent se haïr ; la rime est une esclave, et ne doit qu’obéir. Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue, l’esprit à la trouver aisément s’habitue ; au joug de la raison sans peine elle fléchit. et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit. Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ; et pour la rattraper le sens court après elle. Aimez, donc la raison : que toujours vos écrits empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix… » Nicolas BOILEAU 1636/1711 – (Poète, critique littéraire français – Extrait de l’Art Poétique – Chant I/Edit.1672 )
» Portrait de Nicolas BOILEAU » – Jean-Baptiste SANTERRE
« La vie n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie . » SÉNÈQUE (Philosophe, dramaturge, homme d’État romain)
A gauche Wilhelm – A droite Carl – Les frères GRIMM – Un tableau de Elisabeth JERICHAU-BAUMAN
Blanche-Neige est un conte des frères Grimm, à savoir Wilhelm et Jacob, issu de leur célèbre recueil Fables pour enfants et parents publié entre 1812 et 1822. Il est inspiré de très vieilles histoires populaires dans les campagnes allemandes, que les deux frères ont arrangées et racontées à leur manière. Blanche-Neige, des sœurs Hassenpflug, par exemple, en fait partie.
Au cours du XIXe siècle, l’idée de la mise en scène de ce conte, a attiré un grand nombre d’artistes et le résultat ne fut pas très concluant , il faut bien le reconnaître, à l’exception du gros succès rencontré par le magnifique dessin animé de Walt Disney en 1937, lequel est resté, depuis, dans l’imaginatif collectif.
Le monde de la danse a, lui aussi, été sensible à cette histoire. Parmi ceux qui l’ont intégré dans l’histoire du ballet, il y aura Marius Petipa avec Le miroir magique en 1903 sur une musique de Arnesy Korenshenko, un livret d’Alexandre Pouchkine , et qui sera un véritable fiasco. A l’époque le chorégraphe était l’objet d’une guerre menée contre lui par le nouveau directeur des théâtres impériaux , Vladimir Telyakovsky, qui ne l’aimait pas du tout. L’insuccès du ballet va propulser Petipa vers la sortie et ce malgré sa nomination de» chorégraphe à vie . Il se retirera en Ukraine, à Gurzuf, où il rédigera ses mémoires et mourra en 1910.
Deux versions du XXIe siècle , très différentes, sont à retenir. Elles ont eu, toutes deux, beaucoup de succés et elles ont , en quelque sorte, réveillé Blanche-Neige dans l’univers de la danse : celle de Emilio ARAGON en 2005 et Angelin PRELJOCAJ en 2008.
VERSION : Emilio ARAGON
Emilio ARAGON
(Video : Tamara Rojo)
Aragon est né à la Havane. En 1972 il s’est installé en Espagne avec toute sa famille. Il a baigné dans un univers artistique : son père, en effet, fut le grand clown-chanteur-accordéoniste Miliki avec lequel, d’ailleurs, Emilio a débuté en 1977 à la télévision espagnole ( T.V.E.) dans une émission intitulée « Le grand cirque« .
Ce musicien-compositeur est, avant toute chose, un passionné de musique. Diplômé (piano) du Conservatoire de musique de Madrid, il a également fait des études de direction d’orchestre et de composition. Ses Fables Symphoniques est une oeuvre qui a obtenu un gros succès et qu’il a souvent dirigée.
En 2004 il fait un rêve : celui de monter un ballet à partir d’une histoire qui l’a toujours fasciné, à savoir Blanche-Neige .Pour ce faire, il fait appel au chorégraphe et scénariste Ricardo Cué, lequel possédait une très belle connaissance du répertoire classique que ce soit l’histoire de la danse comme celle du ballet en général, mais également tout ce qui pouvait avoir un rapport avec les décors, la scène, l’éclairage. De plus, chose non négligeable, il était connu pour être un grand organisateur de galas dans toutes l’Espagne et le mentor ( ne pas l’oublier ! ) de grandes étoiles de la danse comme Maïa Plissetskaïa, Roberto Bolle, José Martinez, Carlos Acosta, Lucia Camara, Agnès Letestu, Julio Bocca, Nicolas Le Riche, etc …
Aragon et Cué vont se mettre d’accord sur une chose qui leur semblait primordiale : à savoir que l’interprète du rôle principal ne pouvait être que Tamara Rojo, la muse d’Aragon. Ce dernier déclara d’ailleurs : » Ce ballet n’aurait jamais pu voir le jour sans elle parce qu’elle a su apporter une belle lumière, un grand professionnalisme et une grâce virtuose. »
Tamara ROJO
A partir de là, Aragon, Cué, Tamara Rojo, tous les autres danseurs et danseuses y participant , mais également les costumiers, les décorateurs, les techniciens ont vraiment collaboré ensemble à l’élaboration de ce merveilleux ballet et c’est ce gros travail en commun qui a réellement donné vie à ce spectacle qui est un véritable hommage à la danse classique telle que l’on pouvait la trouver du temps de Petipa et Tchaïkovsky.
Ils sont restés très proches du conte des frères Grimm, très exigeants dans le déroulement de cette chorégraphie romantique et classique à souhait, avec une danse de qualité, des séries de superbes fouettés, des brillants divertissements, des Pas de Deux magnifiques, efficaces, une pantomime réussie, l’utilisation du leitmotiv pour les différents personnages, et un très beau final. Le tout sur une une musique d’Aragon assez inventive et originale.
Tamara Rojo a non seulement inspiré les deux hommes mais elle les a beaucoup aidés dans la compréhension de la rythmique de la danse, de façon à ce qu’ils travaillent de façon étroite avec elle sur ses propres compétences et besoins afin de mieux maîtriser encore, si besoin, la chorégraphie.
La création s’est faite en 1005 au Théâtre Arriaga de Bilbao, puis peu de temps après à Madrid. Le prince aux côtés de l’étoile fut Inaki Urlezaga qui est un excellent danseur argentin.
(Video : Tamara ROJO & Inaki URLEZAGA)
Version Angelin PRELJOCAJ
Angelin PRELJOCAJ
(Vidéo : Nagisa SHIRA & Sergio DIAZ)
» J’avais envie de raconter une histoire, d’ouvrir une parenthèse féérique et enchantée pour ne pas tomber dans mes propres ornières sans doute, mais aussi parce que, comme un grand nombre d’entre nous, j’adore les histoires et les contes. Je suis resté fidèle à la version des frères Grimm, à quelques variations près fondées sur mon analyse des symboles utilisés dans cette histoire. La marâtre est pou moi le personnage central du conte. C’est elle que j’interroge au travers de sa volonté narcissique à ne pas vouloir renoncer à la séduction, à sa place de femme, quitte pour cela à sacrifier sa belle-fille. Par ailleurs, Blanche-Neige contient des » objets merveilleux » pour l’imaginaire d’un chorégraphe, comme par exemple le fameux miroir qui conseille, la pomme empoisonnée, le cercueil de verre. » Angelin PRELJOCAJ
Blanche-Neige est avec Le Parc et Roméo & Juliette, la plus grande référence chorégraphique de Preljocaj. C’est un ballet contemporain, narratif, assez spectaculaire, créatif, original, avec une touche de classique, issu d’un travail vraiment bien mené, calculé, étudié dans les moindres détails, les moindres mouvements, une gestuelle avec des déhanchements, un langage et une danse propre à chaque interprète principal afin de bien les différencier et les identifier. Il y a, par ailleurs, un gros potentiel théâtral et une belle dramaturgie.
On sent bien que ce chorégraphe aime raconter des histoires et ce même si il avoue que c’est toujours délicat de le faire. Cela reste pour lui très passionnant de se plonger dans les sentiments, les ressentis, les émotions des personnages.
Comme souvent il y a sa marque de fabrique à savoir des mouvements en décalé qui peuvent surprendre mais ils sont sans vulgarité. Sa Blanche-Neige est un ballet qui reste une évasion, le passage où la reine oblige la jeune femme à croquer la pomme est empreint d’un réalisme émouvant, l’évocation de la maternité est violente il faut bien le dire, probablement parce que c’est un sujet qui lui tient à cœur. Le moment où il la ramène à la vie sur l’Adagietto de la 5e Symphonie de Mahler est assez magnifique. Le choix de ce compositeur est un risque qu’il dit avoir pris pour émouvoir et parce qu’il correspondait à ce qu’il tenait à exprimer dans l’histoire.
Les costumes sont signés Jean-Paul Gaultier, une évidence pour le chorégraphe. Le couturier a été très heureux que l’on fasse appel à lui et une semaine après la demande, il présentait déjà 120 dessins de ce qu’il avait imaginé pour le ballet. Il n’a pas voulu être rémunéré personnellement. Seuls la fabrication des costumes a été à la charge du chorégraphe. Pour lui, la jeune fille devait rendre une » image virginale » dont vêtue d’une robe drapé blanc, échancrée. Le Prince en une sorte de torero-guerrier combattant pour son amour.
Costumes du ballet, signé Jean-Paul GAULTIER ( Robe de Blanche-Neige à gauche, robe de la marâtre au centre et costume du prince au bout, à droite – Centre National du Costume de Scène à Moulins (France)
Ce ballet a reçu le prix du meilleur spectacle de danse aux Globes de Cristal en 2009. Il fut créé un an avant à Lyon, puis au théâtre Chaillot à Paris et au bassin de Neptune dans les jardins du château de Versailles.