
La boule de cristal rassemble tous les éléments qui ont fait la renommée de Waterhouse dans la dernière décennie du XIXe siècle. Une de ses typologies les plus prisées était celle de la femme seule, magicienne, ou enchanteresse le plus souvent, au type idéalisé instantanément reconnaissable, placée dans un espace intérieur structuré par l’architecture, quelques meubles et objets, ouvrant sur une baie en plein cintre ou un miroir sur un paysage (La dame d’Escalot/1894) ou Circé/1911-14).
Son dessin puissant et net, les contrastes de couleur font toujours ressortir la magnifique silhouette. La composition joue sur l’opposition nette entre les lignes circulaires et les verticales qui s’unissent dans la longue figure souple.
Waterhouse donne ici un léger contexte de fin du Moyen-Âge à la scène, avec la coupe caractéristique de la lourde robe de velours grenat aux légers motifs de serpents enroulés, le fauteuil droit, la lampe à huile. La jolie magicienne est en pleine action rituelle : devant elle le crâne et le livre ouvert à la page décrivant le rite à accomplir, retenue par une longue aiguille. Elle est tout occupée à déchiffrer ce que lui montre la boule qu’elle tient avec précaution, semblable à celles que l’on plaçait parfois dans les tombes des femmes au Moyen-Âge.
Dans l’esprit du mouvement esthétique et, par-delà, de la tradition classique occidentale, Waterhouse a créé un type de beauté idéale à partir des modèles qui posaient pour lui ; au risque de devenir monotone, car ce ne sont pas des figures multiples ou secondaires, mais, à chaque fois, l’héroïne unique. Il reprend très souvent le même canon du corps et le même visage créant un « type Waterhouse » : la femme est élancée, a des formes légèrement rondes, le visage ovale avec menton allongé, des yeux en amande et une petite bouche, mis en valeur par les épais bandeaux de cheveux.
A peine terminé ce tableau fut accroché à l’exposition d’été de 1902 de la Royal Academy avec un pendant de même dimensions, Le Missel aujourd’hui non localisé, mais connu par la photographie en couleur du supplément de Noël que l’Art Journal consacra en 1909 à Waterhouse et confia à sa première spécialiste, Rose Sketchley. Sans être rigoureusement parallèles, les deus compositions se répondent. Les deux jeunes femmes concentrées, l’une sur un missel, l’autre sur la boule, le vase de fleurs remplace la tête de mort, le cloître ensoleillé, le rideau d’arbres.
Tenant compte du fait qu’on les retrouve tous les deux en 1909 dans la collection de l’armateur Frederick Pyman, il a été suggéré qu’il pouvait s’agir d’une commande précise, ce que Waterhouse faisait en général que pour les portrait. La demeure de Pyman, où ses tableaux furent accrochés, Densley House, dans le port de Whitby (North Yorkshire) nous incite à se souvenir de cette hypothèse.
Or Whitby a deux caractéristiques : la ville est dominée depuis la Réforme par les impressionnantes ruines d’un monastère féminin, fondé au VIIe siècle par Sainte Hilda, et a, par ailleurs, une longue tradition de magie blanche. On sait qu’au début du XIXe siècle, huit magiciennes y travaillaient à leur compte . Les deux toiles représentent clairement cette double spécificité, suffisamment rare pour ne pas avoir été une invention spontanée d’un artiste qui, par ailleurs, n’a guère fait d’autres peintures de femme en prière. » Véronique GÉRARD-POWELL (Agrégée d’histoire et titulaire d’un doctorat de 3ème cycle en histoire de l’art. Spécialiste de l’art européen des XVe-XVIIIe siècles et de l’Histoire des collections des XVIe- XXe siècles)
