Expo d’été : Jeff KOONS – Œuvres de la collection Pinault …

Sixième et dernière expo de l’été – Celles annoncées pour la fin d’année 2021 sont très intéressantes et je serai très heureuse de vous en parler dès le mois de septembre .

« Jeff Koons a le sens de la fin du monde. Comme tous les artistes, c’est un moraliste. Depuis les régions de l’artificiel, il allume la flamme de la vie. » Jean-Christophe AMMAN(Historien de l’art, critique d’art, commissaire d’expositions)

«  J’ai toujours aimé l’histoire des readymade. J’ai suivi cette voie en tentant de créer des œuvres qui pourraient célébrer l‘ouverture de nos expériences individuelles. » Jeff KOONS ( Readymade : ce sont des objets dont on dit qu’il sont une œuvre d’art parce que l’artiste qui les créé a décidé qu’il en serait ainsi- Koons a été influencé par Marcel Duchamp pour cette pensée)

 » Jeff Koons avec une couronne de fleurs  » 2013 – Martin SCHOELLER

Pour cette dernière expo d’été, direction Marseille. Rien que le musée vaut vraiment le détour croyez moi : il s’agit du Mucem, à savoir le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, assez récent puisque inauguré en 2013 . Conçu par Rudy Ricciotti, en collaboration avec Roland Carta, tous deux architectes français . il est situé à l’entrée du Vieux-Port. Son architecture, telle un cube de dentelle métallique est assez incroyable je dois dire. Il se compose de plusieurs salles réparties dans différents endroits de la structure, chacune ayant sa spécificité. La lumière et la vue sur la mer sont sublimes. Vous avez une passerelle vers le Fort St Jean, un beau restaurant, bref c’est une agréable promenade.

La particularité de ce musée est sa temporalité à savoir le savoureux mélange de l’ancien et du contemporain. Il en est ainsi des incroyables et très nombreuses collections d’objets qu’il détient aussi bien anciens que modernes, mais aussi de sa structure puisqu’une passerelle ( 115 m au dessus de l’eau ) a été érigée entre les deux avec d’un côté l’historique fort Saint Jean et de l’autre ce cube de béton et sa célèbre dentelle.

Une promenade qui vous amènera à découvrir un plasticien, sculpteur, designer, photographe, collectionneur avisé (il possède de nombreux Monet, Manet et Courbet, Fragonard, Picasso, Magritte ) et peintre américain très controversé : Jeff KOONS. On aime ou on aime pas cet incontournable ultra-médiatique , ce caméléon espiègle, artiste contemporain polémique, pape du kitsch, roi du néo-pop, star de la démesure, un excentrique, anticonformiste, extravagant, provocant.

Contrairement à ce que l’on peut penser, il est assez perfectionniste, efficace, capable de tout pour arriver à surprendre, taper à toutes les portes et contacter les plus éminents scientifiques pour réaliser certaines de ses pièces, comme ce fut le cas en 1985 en voulant faire tenir un ballon de basket en équilibre sous de l’eau de mer distillée.

Aux yeux de certains il incarne le mauvais goût, la décadence. Lui avoue souvent que sa volonté n’est pas de choquer. Devant les critiques, les polémiques etc… il dit se référer uniquement à une citation de l’historien de l’art autrichien Aloïs Riegl : « l’œuvre appartient uniquement à celui qui la regarde « .

« One ball totale Equilibriumtank  » 1985 Jeff KOONS (appartenant à un industriel chipriote) – Il a notamment reçu l’aide du prix Nobel de physique le professeur Feynman pour la réaliser. Pourquoi un ballon de basket me direz-vous ? Tout simplement parce qu’aux yeux de Koons il représentait l’ascension sociale des personnes défavorisées.

Ses œuvres sont pleines de diversité, d’une grande inventivité, amusantes. Même si beaucoup les jugent sans intérêt, elles se vendent très chères, voire même les plus chères au monde pour un artiste encore vivant. Koons emploie différentes matières : bois, verre, marbre, plexiglass, inox (sa préférée) , laine, verre de Murano, porcelaine, éponge etc… Dans un maximum de cas, elles font parler de lui, amènent l’interrogation, la controverse, le scandale aussi, et pourtant elles séduisent et ne laissent personne indifférent.

« Blue bird planter » est en acier inoxydable au poli miroir, assortie de fleurs naturelles 2010/2016 (Collections Pinault)

La particularité du MUCEM avec son mélange d’ancien et de contemporain ne pouvait que séduire Koons, éternel enfant. Il a eu plaisir à mélanger les genres. C’est ainsi que ses suspensions gonflables comme son dauphin par exemple se tient proche d’une batterie de casseroles, ou que son homard est entouré de photographies d’acrobates, ou que son chien-bouée et sa chenille sont heureux de dialoguer avec des objets ayant un rapport avec le cirque et les manèges, ou bien encore que ses bouées flirtent avec des sirènes etc etc… Tout ce petit monde semble être à l’aise. C’est fantaisiste, plein de couleurs, enchanteur. On sent le côté nostalgique et émotif de l’artiste.

 » Caterpillar chains  » 2003 Jeff KOONS (Collections Pinault) avec un cheval en bois d’un manège (collections du Mucem)
« Dolphin » 2002 Jeff KOONS (Collections Pinault) avec une batterie de casseroles et autres ustensiles de cuisine (collections du Mucem)

Quoi que l’on puisse penser de son travail, il n’en reste pas moins un artiste vraiment passionné par ce qu’il fait, et comme je l’ai dit c’est quelqu’un de très méticuleux et d’exigeant, notamment sur les matières qu’il utilise, la finition du produit etc… Pour répondre à la demande qui, à partir de 1995, s’est faite de plus en plus nombreuse et pressante, il lui a fallu s’entourer d’une équipe de collaborateurs travaillant avec lui dans son atelier (laboratoire disent celles et ceux qui l’ont visité) de New York. A l’équipe d’assistants vient s’ajouter tous les fournisseurs, les fabricants, les scientifiques, les chercheurs, les experts etc… qui sont là pour bien répondre à ses demandes particulières , comme j’en ai parlé pour le ballon de basket. Toutes les pièces de la plus petite jusqu’à celles monumentales sont fabriquées là. C’est son travail et sa façon très professionnelle de concevoir et de produire qui lui a permis de véritablement s’imposer, à l’échelle internationale, sur la scène artistique.

En regardant les œuvres de Koons on peut être amené à croire que ce ne sont que de vulgaires pièces en plastique ou bien encore gonflées à l’hélium etc… avec des couleurs criardes, bref que c’est pas très compliqué de créer cela. Certes cela a l’air d’être facile, mais ça ne l’est pas. Chacune d’entre elles nécessite des mois de travail, voire des années (jusqu’à trois ans parfois) pour les plus imposantes. Du reste la fabrication est financée par ses mécènes, car elle coûte très cher. Elles font appel à des techniques très avancées, à la pointe de ce qui se fait de mieux dans tous les domaines.

«  Il n’y a pas cinquante artistes comme lui dans le monde. En travaillant avec lui, j’ai pu constater à quel point il est rigoureux et précis. Il aime vraiment ce qu’il fait et il est très attiré par tout ce qui a trait aux métiers de l’artisanat. Il n’a rien d’un faiseur, son art est réfléchi et il s’appuie sur une véritable connaissance de l’histoire de l’art. » Laurent LE BON (Directeur du Musée Picasso)

L’expo s’intitule : Jeff KOONS – Œuvres de la collection Pinault et se tiendra jusqu’au 18 octobre 2021. Il s’agit de 19 pièces qui font partie, comme son nom l’indique, de la collection de l’homme d’affaires français François Pinault, collection dont le directeur général (et conseiller culturel) est Jean-Jacques Aillagon qui fut ministre de la Culture et de la Communication de 2002 à 2004, mais aussi président de l’Établissement du château, du musée et du domaine national de Versailles . Elles dialoguent avec diverses pièces appartenant au musée.

Le but de l’expo est d’amener le public à s’intéresser à ce qui est à la base même de Koons, une personne fortement intéressée par les objets du quotidien, quelqu’un qui pense que lesdits objets ont une existence et qu’il est possible de la vivre de différentes façons. Des objets divers et variés, eh bien , comme je l’ai dit, e Mucem n’en manque pas dans ses réserves. Koons est venu en 2019 et en 2020 pour choisir ceux (350 env.) qui pourraient accompagner ses pièces personnelles dans cette expo, lesquelles font partie des collections Pinault. Je suis tentée de dire que certes c’est un mélange surprenant, mais judicieux, harmonieux et même, d’une certaine façon, poétique. La vingtaine de pièces proposée représente environ 40 ans de sa carrière.

Jeff Koons est né en 1955 en Pennsylvanie (Etats Unis) . Sa mère est couturière . Son père architecte-décorateur d’intérieur avait un magasin de meubles. Il dira souvent que c’est lui qui lui a donné le goût de l’esthétique, lui a appris le sens des couleurs, et c’est auprès de lui qu’il a découvert de nombreux objets . Son intérêt pour l’art a débuté très tôt semble t-il puisqu’il peignait, assez petit, des tableaux que son papa, très fier, mettait dans la vitrine de son magasin et ce même si ces toiles n’étaient pas vraiment des œuvres d’art !

« l’art m’a permis de développer ma personnalité d’abord au sein de ma famille. J’ai une sœur, de trois ans mon ainée, qui faisait toujours mieux que moi, meilleure en maths et en langues, mais en art c’était l’inverse, j’étais plus doué. C’est d’ailleurs le domaine où mes parents me valorisaient un peu. J’était encore un enfant, je devais avoir 5 ans et cela m’a donné une grande force et une confiance en moi. » J.k

Le premier objet qui l’a véritablement fasciné est un cendrier découvert chez ses grands-parents : un cendrier très original avec une femme nue, sensuelle, sur le dessus et qui bougeait avec l’introduction d’une cigarette.

 » je m’amusais à faire bouger les jambes d’avant en arrière. Cet objet de porcelaine m’a fasciné. Je suppose que cet émerveillement, cette utilisation, ne sont finalement pas si éloignés de l’excitation que l’on éprouve face à une sculpture de Michel-Ange ou du Bernin. On peut avoir la même expérience face à des objets du quotidien. » J.K.

A 17 ans il entre à l’École des Beaux-Arts du Maryland Institute de Baltimore pour étudier le design et l’art. Puis, à 18 ans, ce sera la School of Art Institute de Chicago. Il part ensuite à New York. C’est là qu’il rencontre Salvador Dali (qui exposait à la Knoeder Gallery) pour lequel il a une profonde admiration. Nul ne sait comment il s’y est pris, et si l’histoire est réelle ou une légende, mais il dira avoir obtenu du maître un rendez-vous et a pu s’entretenir avec lui. C’est vraiment à partir de là, qu’il décidera que l’art fera définitivement partie de sa vie.

Le fameux Lobster, réalisé en 2003, qui est une des pièces très célèbres de Koons, est un hommage rendu à Dali, avec la reproduction des moustaches du peintre et un petit clin d’œil à son Téléphone-Homard.

Confiant de son potentiel talent, il arrive à décrocher à l’âge de 22 ans un travail au MoMa de New York. Indépendamment de cela, il est courtier à Wall Strett . C’est à cette époque qu’il va sortir sa série The News mettant en scène des aspirateurs et autres appareils ménagers. On ne peut pas dire que le succès sera au rendez-vous.

‘ Cette série, utilisant des aspirateurs, a été exposées dans plusieurs lieux alternatifs dont Artists Space et White Columns. Personne ne m’achetait rien. J’ai dû rentrer chez mes parents et habiter chez eux. Quand je suis revenu, j’ai commencer alors à m’imposer, la scène artistique de l’East Village se mettait en place. J’ai exposé la série Equilibrium et c’est alors que les choses ont commencé à avancer pour moi. » J.K.

« Nex Hoover Convertible, New Schelton Wet/dry 10 Gallon doubledecker  » 1981 Jeff KOONS (Collections Pinault)

Les années suivantes naitront de nouvelles réalisations : Equilibrum (ballon de basket) – Inflatable Rabbit – Série Luxury et degradation – Statuary –

1985 : première exposition. C’est là que son travail est remarqué. Koons aime le kitsch et on peut dire que c’est par ce biais qu’il va attirer et charmer les acheteurs et collectionneurs dont celui qui est l’un des plus grands collectionneurs d’art contemporain au monde : Dakis Joannou.

En 1991, c’est par sa vie privée qu’il va en scandaliser plus d’un ! Il épouse la star du porno de l’époque, Anna Ilona Staller dite la Cicciolina. Elle l’inspire pour une série de sculptures érotiques(Made in Heaven) le représentant avec elle dans différentes positions sexuelles. On en parle et elles outragent tellement, que finalement le public se presse pour aller les voir. C’est obscène mais tant pis, on y va !. Elle lui donnera un fils, Ludwig en1992 . Divorce 2 ans plus tard. Après des années de batailles juridiques , il obtiendra sa garde, mais on la lui retirera plus tard.

Désormais il est marié avec Justine Wheeler . Ils ont six enfants.

« Bourgeois Bust Jeff and Ilona  » 1991 marbre Jeff KOONS (Collections Tate and National Galleries of Scotland)

Quelques années après, il présentera les fameuses et imposantes sculptures en acier poli avec des couleurs très vives (Série Celebration) parmi lesquelles Ballon dog, un espèce de gros caniche royal qui devient le chef-d’œuvre de l’artiste. Il a été réalisé en différentes couleurs. Différents collectionneurs en obtiennent une, dont François Pinault (Magenta). De nombreuses autres pièces, dans le même esprit, verront le jour. Celle qui s’est vendue la plus chère a été la couleur orange (58,4 millions d’euros) !

 » Balloon Dog(Magenta » 1994/2000 Jeff KOONS (Collections Pinault)
 » Titi  » Série Popeye – 2009/2010 Jeff KOONS (Collections Pinault)
« Moon light blue » 1995/2000 Jeff KOONS (Collections Pinault) – Il existe en différentes couleurs : bleu, rose, violet, jaune – Pour la collection Pinault c’est bleu)

En 2008 Il va créer une grosse polémique en venant exposer au château de Versailles. De nombreuses personnes associées au Collectif de défense du patrimoine de Versailles vont venir manifester devant la royale demeure pour l’artiste choisi, mais aussi pour son financement par François Pinault. Jean-Jacques Ailiagon était à l’époque le président de l’Établissement public du château, et il ne cèdera pas devant la pression affirmant même que à l’époque de Louis XIV le château était un formidable laboratoire de l’art. C’est vrai que sa majesté était un mécène de l’art, mais il faut bien reconnaître que ce fut difficile et un peu choquant, de voir Titi, le Homard et autres amis de Koons, dans les si beaux salons de Versailles.

« C’est vraiment un sommet de ma vie. Voir mes œuvres dans les jardins et dans différentes pièces est quelque chose d’extraordinaire. C’est un moment extrêmement fort parce que le dialogue qui s’établit ici, semble naturel. Avec toute l’histoire de Versailles et tout l’aspect esthétique, il se créé des échanges, des interactions, des connexions multiples sous de nombreux angles, à commencer par celui concernant aussi bien le contrôle que l’absence totale de contrôle « J.K.

Et malgré les mécontents, l’expo va attirer plus d’un millions de visiteurs. Le succès va aller crescendo par la suite et de nombreuses rétrospectives se tiendront un peu partout dans le monde. : Whitney Museum of American Art à New York, Centre Pompidou à Paris, Guggenheim Museum Bilbao, Fondation Beyeler à Bâle, Punta della Dogana et Palazzo Grassi à Venise etc…

 » Hanging Heart  » 1994/2006 – Jeff KOONS (Collections Pinault)

En 2019, il va offrir à la ville de Paris, son fameux Bouquet of Tulips, hommage aux victimes des attentats qui avaient eu lieu dans la capitale en 2015/2016 . C’est l’Ambassade américaine qui a proposé l’œuvre de Koons. Une polémique s’est installée quant à l’emplacement. Elle se trouve désormais non loin du Petit Palais, dans les jardins des Champs-Elysées. Koons a décidé de légué ses droits d’auteur : 80 % aux familles des victimes et 20 % à la ville de Paris. Que ce soit l’œuvre elle-même, avec ses 12 m de hauteur et ses 60 tonnes ou le geste des droits d’auteur, l’ensemble n’a finalement pas été tellement apprécié. Les critiques d’art ont trouvé que les fleurs ressemblaient à des saucisses ou de sucettes, qu’une fois de plus on enlaidissait des lieux historiques , et que ce don n’était qu’une vaste opération de promotion.

« Bouquet of Tulips  » Œuvre inaugurée en 2019 à Paris – Jeff KOONS