
» Je ne le crois pas timide, même si l’on se sert de sa couleur et de son nom pour évoquer une personne modeste et embarrassée. Bien que très visible, il est secret et furtif, ne dure pas longtemps. Éclat éphémère de l’été, le coquelicot se dresse dans les champs, préférant le bord des talus, les pentes herbues et les terrains vagues où les pesticides ne peuvent l’accabler. Tête haute, il apparaît soudain pour mon plus grand bonheur et m’étonne par sa vie couleur qui donne envie de lui parler.
Sa manière bien particulière de n’être point groupe avec ses confrères, d’être un peu isolé des autres sans l’être tout à fait, agit sur moi comme un appel à le regarder, comme l’éblouissement de la lumière d’un phare, le soir venu, sur une mer calme. Un phare ne se cueille pas … De même qu’on ne cueille pas un coquelicot, à moins de désirer qu’il s’éteigne.
Rouge d’une rare intensité, que mes mots peinent à décrire, il s’érige le long de son pédicule velu, dépassant avec grâce les herbes folles. Il lui arrive de dodeliner sous la brise et le vent, sans rencontrer où s’appuyer. Les livres et les dictionnaires le décrivent comme un petit pavot sauvage à fleur rouge vif et son cœur est rempli d’une légère substance hallucinogène. Ce n’est pas ce qui m’importe. En fait, j’aime sa liberté de surgir là où ce sera le plus confortable pour lui quand viendra le printemps, quand s’éloignera l’été.
Grâce aux graines qui s’échappent du fruit, il ressème seul où bon lui semble, tel un fugitif. Cela ne fait que renforcer mon désir de l’approcher, sans le cueillir bien sur tant j’aurai crainte qu’il ne s’étiole ou se chiffonne. Jamais, on le sait, on ne pourra en faire des bouquets à mettre dans des vases comme on le fait avec les roses ou les pivoines. Quelque chose me dit que c’est un peu sa fierté d’être ainsi et me plaît son refus d’être en quelque sorte apprivoisé. Il pressent que de n’être point objet d’appropriation permet sa flamboyante beauté solitaire et tendre, son aspect radieux et gorgé de soleil. En promettant l’été, en lui disant au-revoir, il rappelle que les sensations offertes aux promeneurs ont le goût allègre et leste de l’indépendance.
Je crois aimer le coquelicot pour sa fragile audace : n’est-il pas téméraire de vouloir être au monde en sachant qu’on ne saura durer dans aucune main, fût-elle bienveillante ? Mais comment avertir les enfants et les promeneurs de n’être point son prédateur, ni celui de ses frères logés un peu plus loin ? En fait, il a pour délicate défense d’inciter chacune et chacun à une admiration aussi attendrie que respectueuse, et à le laisser debout, planté dans les champs herbus, tel l’emblème intouchable d’une verticalité si belle qui est son essence même.
Savez-vous : le mot coquelicot est surprenant à prononcer. Essayez. Sans fermer la bouche, sans même que se rejoignent vos lèvres, prononcez. Les syllabes surviennent comme le son d’une clochette, en avalant d’ailleurs l’une d’entre-elles. Ne dit-on pas co-qli-cot abandonnant le que. Je ne suis pas musicienne, mais les son émis, rythmés et pimpants disent toute notre connivence avec son élan et sa légèreté. Un peu comme des notes de piano…. » Arlette FARGE ( Historienne spécialiste du XVIIIe siècle)
Très beau texte. J’adore les coquelicots. ♥️🌹🥰
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Je les aime beaucoup moi aussi 🙂 Merci pour votre commentaire Ugetse ♥
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