
« La photographie est une construction de son auteur. Elle est par essence une fiction, mais une fiction bien ancrée dans le réel, le temps et l’histoire, de façon complexe et souvent problématique. » Eugène ATGET

» Dès que l’homme est absent de la photographie, pour la première fois, la valeur d’exposition l’emportera décidément sur la valeur culturelle. L’exceptionnelle importance des clichés d’Atget, qui a fixé les rues désertes de Paris autour de 1900, tient justement à ce qu’il a situé ce processus en son lieu prédestiné. On a dit, à juste titre, qu’il avait photographié ces rues comme on photographie un lieu de crime. Le lieu d’un crime est lui aussi désert. Le cliché qu’on prend a pour but de relever des indices. Chez Atget, les photographies commencent à devenir des pièces à conviction pour le procès de l’histoire. C’est en cela que réside leur secrète signification politique. Elles en appellent déjà à un regard déterminé. Elles ne se prêtent plus à une contemplation détachée. Elles inquiètent celui qui les regarde. Pour les saisir, le spectateur devien qu’il lui faut chercher un chemin d’accès. Dans le même temps, les magazines illustrés commencent à orienter son regard, dans le bon sens ou le mauvais peu importe. Avec ce genre de photos, la légende est devenue pour la première fois indispensable et il est clair qu’elle a un tout autre caractère que le titre d’un tableau. » Walter BENJAMIN (Extrait de son livre L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction technique)
La fondation Cartier-Bresson, en collaboration avec le Musée Carnavalet et Paris Musées ( l’expo s’étant construite à partir des collections de ces institutions muséales) a vraiment eu une excellente idée en mettant à l’honneur un merveilleux photographe, un photographe considéré comme étant le père de la photographie moderne : Eugène Atget. L’expo s’intitule Eugène ATGET-Voir Paris et elle se tiendra jusqu’au 19 Septembre 2021. Un bonheur que de partir pour une promenade dans le Vieux Paris de cet, je ne dirai pas artiste, mais artisan qui aimait tant flâner dans les rues de la capitale, le plus souvent au petit matin.
Atget a mis plus de trente ans pour réaliser ces clichés qui sont un véritable travail de mémoire. Des images simples au demeurant, mais éloquentes, intenses, émouvantes, profondes, pleine de sensibilité esthétique, poétiques également et qui vont en inspirer plus d’un dans le milieu de la photographie, à commencer par celui dont la Fondation le met à l’honneur à savoir Henri Cartier-Bresson.
Ce sont des photos qui couvrent le Paris à la fin du XIXe et début du XXe siècle. On y sent le souci des détails. Ce sont quasiment des documentaires. Du reste, un grand nombre d’entre elles sera vendu à des institutions publiques comme la Bibliothèque nationale de Paris, le Musée Carnavalet, le Musée des Arts-Décoratifs, l’Institution Nationale d’Histoire de l’Art, l’École supérieure des Beaux-Arts, le Musée de l’Île de France (qui se trouve à Sceaux) , non pas comme de banales photos mais comme de vrais documents historiques.
» On se souviendra de lui comme un historien de l’urbanisme, un véritable romantique, un grand amoureux de Paris, un Balzac de la caméra dont l’œuvre nous permet de tisser une vaste tapisserie de la civilisation française. » Bérénice ABBOTT (cette photographe américaine a acquis en 1927, après la mort de Atget, un grand nombre de ses albums photos, ainsi que de nombreux négatifs. Elle revendra le tout en 1968 au Muséum of Modern Art de New York. C’est Ray Man qui lui avait fait connaitre Atget et son travail l’avait fortement séduite)
Eugène Atget fut un autodidacte qui s’est lancé dans la photographie en 1888 après avoir été comédien est s’être essayé à la peinture. Triste est de constater que son talent ne fut, malheureusement, pas reconnu de son vivant. Cela viendra dans les années 1920 lorsque Man Ray et les surréalistes vont se l’approprier. De nombreuses personnalités de la photographie affirmeront alors que Atget avait été une source d’inspiration pour eux et qu’il était important de lui rendre hommage.
Entre 1897 et 1898 Paris subissait pas mal de démolitions. Atget décida donc de fixer non seulement ce que Paris fut autrefois, mais également les devantures des magasins, les cours intérieures des immeubles, les fenêtres (avec parfois des habitants qui se refusaient à partir) , les vieux cabarets et cafés, les parcs, les squares laissés à l’abandon, et n’oublions pas les vieux métiers appelés à disparaitre eux aussi. Il y avait un grand nombre de peintres qui avaient besoin, eux aussi, de photos pour leur travail et ils faisaient appel à Atget. Le problème restait que les clichés étaient vendus pour une somme modique et que sa situation financière restait bien précaire. La Commission du Vieux Paris, elle aussi, le chargera d’une commande de différentes séries (Paris Pittoresque, l’Art dans le vieux Paris et ses environs) –





Il est né en 1857 à Libourne (Gironde) – Orphelin à l’âge de 5 ans, il sera élevé par ses grands-parents maternels. Après être parti sur les mers et les océans en tant que mousse sur des bateaux de la marine marchande, il se fixe dans la capitale en 1878. Études au Conservatoire de musique et d’art dramatique (c’est un passionné de théâtre qui malheureusement échouera à l’examen final du Conservatoire en 1881) , puis il s’essaye à la peinture.
C’est au théâtre qu’il rencontre celle qui sera sa compagne jusqu’à la fin de sa vie à savoir la comédienne Valentine Delafosse-Compagnon. Lorsqu’elle décède en 1926, un an avant lui, il en sera profondément affecté. Ils ont vécu 17 bis rue Campagne Première dans le XVIIe arr. de Paris.
Il deviendra directeur d’un hebdomadaire en 1881, continuera à jouer, de temps à autre, dans des pièces de théâtre, des petits rôles qui ne lui permettent pas de vivre de cet art qui le passionne tant. Il lui a donc fallu trouver un autre moyen de gagner sa vie .Il décide donc de se tourner vers la photographie en 1888. Du coup, on ne peut pas affirmer qu’il se soit lancé dans cet art par vocation ou passion au départ. Nul ne sait, d’ailleurs, qui l’a initié techniquement dans la photographie et dans le développement.
Il ne sait jamais véritablement intéressé aux techniques à la mode en matière de photographie. Il a toujours préféré continuer avec le même équipement et la même façon de faire qu’à ses débuts.
Débuts dans la Somme, puis retour à Paris deux ans plus tard en tant que photographe professionnel. Sur la porte d’entrée de son studio situé 5 rue de la Pitié , il inscrit Documents pour artistes pour les raisons expliquées plus haut dans mon article. Il utilise des plaques en gélatino-bromure d’argent dans sa chambre photographique, lesquelles nécessitent un très long temps de pose. Il a la réputation de produire des photos d’une grande clarté, voire même d’une qualité assez exceptionnelle pour l’époque et qui ne faisaient l’objet d’aucune retouche. Une publicité propose ses services dans La Revue des Beaux-Arts en 1892, une époque où il photographiait des paysages, des fleurs, des animaux, des monuments qui intéressaient fortement les peintres notamment.
Après quoi, il va se tourner vers des vues de Paris, des extérieurs, mais aussi des intérieurs, s’attardant sur les ferronneries, les marbres, les serrures, puis proposera des indications topographiques etc… Ces photos vont intéresser le Musée Carnavalet , ainsi que la Bibliothèque nationale, qui lui passeront des commandes. Son travail va se diriger ensuite vers tout ce qui concernait l’architecture des vieilles maisons, des cours intérieurs, des anciennes fontaines, des fenêtres, des églises, des escaliers etc…. tout autant de sujets très intéressant dans ce Paris qui plongeait dans l’urbanisme moderne.




Les avant-gardistes ont vu en Aget le père de la photographie moderne. Ils l’ont reconnu en tant que tel après sa mort. Les surréalistes, quant à eux, l’on considéré comme un précurseur du surréalisme. Cela a commencé avec le poète Robert Desnos qui, pour justifier la filiation de Atget avec le surréalisme, établira, dans l’un de ses articles paru dans le journal Le Soir en 1928, une association entre le photographe et le peinture de Henri Rousseau dit Le Douanier Rousseau : « Atget a tout vu avec un œil qui mérite les épithètes de sensible et de moderne. Son esprit était de la même race que celui de Rousseau, Le Douanier. » Pour lui, le travail des deux se dirigeait vers la modernité.
Desnos ne fut pas le seul. Autre surréaliste, Man Ray appréciait beaucoup le travail de Atget. Il avait un grand nombre de ses photographies dans son atelier et c’est chez lui que la photographe américaine Bérénice Abbott va les découvrir et s’enthousiasmer.
Comme je l’ai expliqué, Atget, a toujours vécu de façon plutôt précaire et il n’a pas vraiment cherché le succès ou la gloire. On reconnaitra son talent tardivement. Sa réputation viendra après sa rencontre avec Man Ray et Bérénice Abbott dans les années 1920. Les deux apprécient énormément son travail et lui achètent un grand nombre de photos. Bérénice Abbott va même rédiger des ouvrages sur son travail. Atget, photographe de Paris va connaitre un gros succès et sa renommée s’envolera de la France vers les Etats-Unis.
Il a réalisé 17.000 photos tout au long de sa carrière. Il est pourtant resté cet homme discret, humble et modeste qui n’a jamais véritablement parlé (ou très peu) sur son travail. Il affirmait, à propos de ses clichés, à la fin de sa vie, lorsque le succès vint enfin taper à sa porte : ce ne sont que des documents, des documents que je fais … Nous avons envie de lui répondre Des documents certes ! Mais quels documents ! des véritables petits trésors historiques.
Dès 1910, il a regroupé son travail en différents albums de Séries : L’art dans le vieux Paris – Enseignes et vieilles boutiques de Paris – Zoniers – Fortifications – La voiture à Paris – Intérieurs parisiens – L’arrivée de la première guerre mondiale ralentira considérablement son travail en tant que photographe. Il va beaucoup s’occuper de regrouper ses clichés, d’envisager ce qu’ils allaient devenir après sa mort et pour ce faire, proposera l’achat d’un grand nombre de ses collections. Son amour du théâtre ne cessera jamais de l’accompagner puisqu’il donnera des conférences sur ce sujet de 1904 à 1913.
Il est mort à Paris à Paris en août 1927 dans la misère la plus totale. Il fut enterré dans le cimetière parisien de Bagneux mais sa tombe a aujourd’hui totalement disparu. C’est son plus fidèle ami l’acteur André Calmettes qui sera son exécuteur testamentaire.



« Le Paris d’Atget n’est plus pour beaucoup parmi nous qu’un souvenir d’une délicatesse déjà mystérieuse. Il vaut tous les livres écrits sur ce sujet. Il permettra, sans doute, d’en écrire d’autres. « Pierre MAC ORLAN (Écrivain français – Extrait de son livre Atget Photographe de Paris –1930