» Il est parfois beaucoup question de nourriture entre artistes. Une façon bien à eux de se comprendre pour éviter toute fausse note :
« Vas-y mets une pêche » : cette expression vient probablement de la formule avoir la pêche, être plein d’énergie. On demande aussi à son instrumentiste d’accentuer une note ou un accord, en général joués par tout le groupe. On précise aussi sa position : à contretemps sur le fa. Sur une partition classique, cela s’appelle un sforzando (de l’italien sforzare : forcer)
« Ce soir on joue les saucissons » : cette allusion à la charcuterie désigne un air composé dans un but purement mercantile, uniquement pour remplir le garde-manger. Dans les orchestres de bal, de jazz ou de classique, à force de les jouer, on finit par ne plus les supporter. Mais le mot s’applique également à des compositions de qualité, des standards que l’on a trop interprétés. En 1957, Boris Vian a remplacé le mot par tube dans la chanson du même nom chantée par Henri Salvador, pour évoquer des créations aux paroles creuses. Le tube renvoie aujourd’hui à un énorme succès commercial ou public, qui peut devenir un…..saucisson pour les musiciens !
« Il a mis beaucoup de pains« : dans l’orchestre de l’Opéra de Paris, à partir du XIXe siècle, chaque instrumentiste qui faisait une faute de lecture de partition, devait payer une amende. A la fin du mois, la somme récoltée permettait d’acheter une belle brioche partagée entre les musicien. Le public ayant appris cette tradition, s’écriait à chaque fausse note : » encore une brioche ! » – Par ailleurs, en boulangerie, les pains cornus sont considérés comme des erreurs de cuisson. Brioche et pain cornu ont fini par s’assembler en pain, qui désigne aujourd’hui une erreur de rythme, de note ou d’accord. On peut la rapprocher de l’expression mettre du pain « , asséner un coup de poing en argot. C’est une action aussi violente qu’une fausse note à l’oreille d’un musicien. Certes, l’erreur est humaine, et peut parfois faire rire les autres membres de l’orchestre, mais trop c’est trop !
« Il a servi la soupe » : pas question de potage ici. La réplique n’est pas propre aux musiciens. Elle signifie qu’on adopte une attitude complaisante pour faire plaisir. En concert, elle concerne un instrumentiste qui est juste embauché comme accompagnateur, sans prendre part aux décisions artistiques, ce qui est très frustrant. On peut la relier à ce que l’on appelle la soupe en musique : des compositions médiocres des marchands de soupe qui songent qu’au profit, au mépris de la qualité.
« On fait le bœuf« : dans un club ou en privé, on improvise à partir des accords de morceaux connus ou en liberté totale. C’est un exercice obligé et un réel plaisir pour les jazzmen. L’expression viendrait du Bœuf sur le toit un cabaret parisien créé en 1921 et existant encore. De nombreuses personnalités venaient pour y faire un bœuf après leurs concerts ou lors d’un séjour dans la capitale.
« Celle-là je la fais en yaourt » : les yéyés des années 1960 voulaient chanter en anglais pour se donner un genre, et ce même sans savoir manier cette langue. Ils émettaient alors des sons et syllabes sans signification, mais avec l’accent très british : c’est le yaourt. On l’utilise depuis pour trouver la mélodie d’une chanson dont les textes ne sont pas encore écrits. Mais c’est aussi ce que l’on fait en fredonnant sous la douche son titre anglo-saxon préféré sans en connaître les paroles. » Philippe ISTRIA (Journaliste français)