« Pendant toute ma vie de photographe ce sont des moments tout à fait aléatoires que j’ai retenir. Ces moments savent me raconter bien mieux que je ne saurai le faire. Ils expriment mon regard, ma sensibilité. Mon auto-portrait ce sont mes photographies. A chaque photo, il pouvait se passer quelque chose comme il pouvait ne rien se passer. Ma vie a été un pavé de déceptions mais aussi d’immenses joies … Je ne voudrai retenir que ces moments de joie qui consolent de tous les autres. Quand la vie, furtivement, vous fait un signe de reconnaissance, vous remercie, il y a alors ne grande complicité avec le hasard que l’on ressent profondément. Alors on le remercie aussi. C’est ce que je nomme la joie de l’imprévu. Des situations minuscules, comme des têtes d’épingle. Juste avant il n’y avait rien et juste après il n’y a plus rien. Alors il faut être toujours prêt. » Willy RONIS
L’objectif est tourné ce jour vers un merveilleux et talentueux photographe-reporter qui a eu une très longue carrière couronnée de nombreux prix ( Prix Kodak 1947 – médaille d’or à la Biennale de Venise 1957 – Grand prix national des Arts et des Lettres 1979 – Prix Nadar 1981 ) ; un œil sûr qui a su magnifiquement bien capter les gens et leur vie quotidienne. Il fut membre de la Royal Photographic Society of Great Britain ( 1993 ).
Un passionné de dessin et de peinture qui a souvent déclaré que le photographe se rapprochait du peintre dans ce qu’il fallait de patience, de réflexion et de temps à réaliser une œuvre : ‘‘ La photo est fille de la peinture. Je mets ces deux disciplines sur un pied d’égalité. Lorsque l’on est artiste, on produit de l’art, peut importe lequel. » – La photo de son épouse, nue devant un lavabo, prise à Gordes dans leur maison en 1948 et qui fait partie d’une série, a eu beaucoup de succès, elle fut publiée par l’agence Rapho. On l’a souvent comparée à un tableau.

Ses clichés sont de véritables portraits, à la fois intimistes, pleins de tendresse, d’émotion, de réflexion, de fraîcheur, profonds et poétiques. Ils semblent nous raconter l’histoire des personnes qu’il rencontre, sur lesquelles il a posé, très souvent, un regard d’enfant, un regard attendri. Au-delà d’eux il y a eu aussi toutes les rues et les ruelles des quartiers de la capitale où il a aimé se promener, flâner , des patineurs au bois de Boulogne, des promeneurs, le froid , la neige qui tombe , la Pyramide du Louvre, les Puces de St Ouen, les Halles, les trains , les manifestations et grèves dans les usines , les enfants, les amoureux ( » chaque fois que je rencontre des amoureux, mon appareil sourit : laissons-le faire ! « ) la guerre, la Provence, les paysages industriels.
» j’aime mieux tâter un peu de tout, quitte à porter mon effort sur ce que je fais volontiers et refuser ce qui m’intéresse moins. Être libre ? Oui, mais ça n’est pas tant la question de liberté que le goût des choses diverses. » W.R.
Un travail très éclectique, empreint d’une grande liberté d’exécution, sans contrainte aucune, sans le souci de devoir se conformer à une mode quelconque, sans devoir obéir à qui que ce soit. Ce fut un artiste authentique, sincère, avec juste le désir, niché au plus profond de lui-même, de donner une image de ce qui présentait à lui. Il a nettement préféré que son travail ait du sens et que ses photos restent des moments de vérité éternelle, sans vulgarité aucune.
Son œuvre photographique n’a jamais été empreinte de tristesse et même lorsque la gravité était là, elle fut humainement lumineuse, constellée de cet émerveillement qui fut le sien pour nous offrir ces cadeaux que sont ses photos. Il nous a , en quelque sorte, ouvert son journal intime car ses clichés sont non seulement liés à sa vie, mais aussi à ses idéaux politiques et idéologiques, aux découvertes qu’il a faites dans le monde, un monde dont il a tellement aimé explorer les mystères ! Il fut un optimiste, un peu espiègle, humoristique, et tendre.
Il n’a pas de trépied mais photographie appareil en bandoulière, tenu à la main. Il observe, patiente, réfléchit, calcule le bon angle, puis capture l’instant avec émotion. Ses photos excellent dans l’art de la composition. Elles jouent à merveille dans les jeux de l’ombre et de la lumière. Lui dira que ce qui l’a inspiré c’est ce que la lumière éclaire et surtout comment les gens ressortent de ce clair-obscur.
La photo a été une véritable passion : » j’ai remercié le destin de m’avoir fait photographe. Cela m’a probablement préservé de souffrances intolérables. » – Ce qui a été merveilleux chez lui c’est d’avoir su s’émerveiller de tout ce qu’il a approché dans cet univers et toute sa vie durant.
Willy Ronis est né dans une famille juive en 1910, d’une mère lithuanienne très croyante et d’un père ukrainien agnostique. Sa maman était musicienne et jouait du piano. Non seulement elle lui apprendra à en jouer, mais il suivra, également, des cours de violon dès l’âge de 7 ans. Il a beaucoup aimé la musique et d’ailleurs à une certaine époque il aurait voulu en faire son métier, être compositeur. Lorsqu’il dit : » La majorité de mes photographies sont composées en hauteur, car je travaille en surplomb pour faire émerger les différents plans distinctement. C’est pour moi comme les trois ou quatre portées d’une Fugue de Bach » on est tenté de croire que finalement la musique a » accompagné » ses photos.
Son père était photographe en Ukraine et trouvera un emploi de retoucheur-photos en arrivant à Paris. Après avoir travaillé pour d’autres, il ouvrira un magasin rue Voltaire. C’est lui qui a guidé les premiers pas de Willy dans le monde de la photo..
Il a donc baigné et grandi dans cet univers. Pourtant à ce moment là il ne se voyait pas épouser une carrière dans la photo, mais plutôt dans le monde de la composition musicale. Par ailleurs il suit des cours de droit à la Sorbonne;
Les choses prendront une autre tournure lorsqu’il devra, un jour, remplacer son père, atteint d’un cancer, dans le magasin Une période de 4 ans durant laquelle il avouera s’être beaucoup ennuyé . Le père meurt en 1936, le studio se retrouve face à de nombreuses dettes, le magasin est vendu, les créanciers s’en empare. Toute la famille part dans les 11e arr. Il lui faut trouver du travail.
La photographie de presse l’intéresse et retient son attention. Premiers clichés pour la SNCF, et l’ Office du tourisme. L’arrivée du Front populaire va lui offrir l’opportunité de beaux clichés comme ceux du 14 juillet à la Bastille, un événement qu’il qualifiera de » fabuleux « ! – A partir de là, il prend son envol et se lance en 1937 dans ce métier de façon officielle en tant que photographe-reporter-illustrateur et fait l’acquisition de son premier Rolleiflex.
En 1938/39 il couvrira les grèves de l’industrie automobile ( Citroën ) ainsi que différents mouvement sociaux , immortalise une déléguée syndicaliste qui va plaire et qui sera publiée . Elle fera le tour du monde entier. Il va rencontrer de grands photographes , se lier avec certains comme par exemple Henri Cartier-Bresson avec lequel il rejoindra , à peu près à cette époque, l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires ( assez proche du parti communiste) –

Communiste il l’a été lorsqu’il était jeune mais sans y adhérer au départ. Les photos faites pour le Front populaire au 14 juillet feront l’objet d’une publication dans une revue de ce mouvement. Il se sentira, par ailleurs, très proche du monde ouvrier et compatira à leurs problèmes, il sera membre du parti très peu de temps (1945/1951) , préférant rester indépendant. Même si il a partagé leurs idéaux , il n’a pas milité ni jamais fait passer un quelconque message de ce parti au travers de ses photos.
» Mes idées ont été et sont toujours fondées sur la libération des hommes du joug capitaliste. J’ai été membre du parti communiste un certain temps et j’ai travaillé quelques années pour ce mouvement tout en restant indépendant. J’étais orienté certes, mais je suis resté libre ! » W.R.
Durant la guerre, face au régime de Vichy il passera outre le fait de devoir rester à Paris et porter l’étoile jaune. Il franchit la ligne de démarcation et partira vivre dans le midi de la France en faisant différents petits métiers. Son appareil photographique sera rangé durant toute cette période.
La seconde guerre mondiale avait interrompu ses activités photographiques , il les reprendra à la libération en travaillant alors pour le Time, Life, Point de vue et image du monde et rejoint en 1946 l’agence Rapho dans laquelle de grands photographes sont en poste notamment Doisneau et Brassaï. Avec eux, dans les années 50 naîtra la mouvance des photographes humanistes, s’intéressant nettement plus aux gens.

Cette année-là il épouse une peintre Marie-Anne Lansiaux qui avait un fils Vincent. Ronis va l’élever comme s’il était le sien. Malheureusement, il aura la douleur de le perdre en 1988 lors d’un accident de deltaplane . Trois ans plus tard, c’est sa femme qui décèdera atteinte depuis quelques années de la maladie d’Altzeimer.
Différents reportages voient le jour , notamment sur le retour des prisonniers de guerre et donc, par conséquent, de nombreux voyages dans toute l’Europe – Avec son épouse ils feront l’acquisition en 1949 d’une maison à Gordes.

Après avoir quitté son agence dans les années 55 , il se tournera vers la photo de mode et la publicité.
C’est là que commenceront un peu les années » galère « . En refusant de faire des concessions sur la présentation de ses photos, en voulant rester avant toute chose le créateur de son travail, d’avoir un droit de regard sur lui, de vouloir en conséquence » se mettre en retrait » pour rester très indépendant, il va se marginaliser et on ne fera plus trop appel à lui. On pensera qu’il n’a plus trop envie de travailler et lui-même dira qu’il a dû taper aux portes : » j’ai fait du porte-à-porte, mes photos sous le bras. Les rédactions ne m’appelaient plus. » – Ces difficultés dans sa profession vont entraîner des problèmes financiers. Il quittera Paris et se réfugiera avec femme et enfant à Gordes puis à L’isle sur Sorgue.
Les photos de mode qu’il propose ne retiennent pas l’attention, tout simplement car désormais ce qui plaisait à l’époque eh bien c’était le scoop ! Mais il n’a pas l’âme d’un paparazzi : » j’ai sérieusement songé à quitter le métier. J’étais une espèce de maniaque inadapté. »
Dans les années 70 il enseignera la photo à l’Ecole des Beaux Arts d’Avignon, dans les facultés d’Aix en Provence et Marseille. Elles seront les années du succès revenu, celles des récompenses et des titres . En 1983 c’est le retour dans la capitale. Il fait l’objet de nombreuses expositions en France, en Russie, en Angleterre, aux Etats Unis et même au Japon où aura lieu une grande rétrospective de son travail à Tokyo en 1985.
Après tant d’années vouées à son art, Il arrêtera sa profession entre 2000/2001 en jugeant que l’heure était venue pour lui d’y mettre un terme. D’autres expositions suivront. En 2009, il décède, presque centenaire, à l’âge de 99 ans.
Avant cela il avait fait don à l’État en 1983 et 1985 de ses archives photographiques afin d’une part qu’elles ne quittent pas la France, et d’autre part, il reçoit un engagement du paiement de son loyer jusqu’à la fin de ses jours ( il traversait alors de grosses difficultés financières) . Pour cela, c’est lui qui a repris toute son oeuvre et trié beaucoup de photos et rassemblé celles qui lui ont semblé être les meilleures. Pour que l’utilisation qui en sera faite soit optimum, il écrira un testament dans lequel il nomme quatre exécuteurs. Son petit-fils Stéphane Kovalsky a été héritier d’une part réservataire.

P.S : Les explications de Willy RONIS sous les photos sont extraites de son livre » Ce jour-là » aux Editions Mercure de France)