» Dans le De pictura, premier traité de peinture jamais écrit en Europe (1435), Léon Battista Alberti affirmait que Narcisse a été l’inventeur de la peinture. Comment le miroir (le plan d’eau parfaitement intact sur lequel s’est penché Narcisse en est l’évidente métaphore) ne serait-il pas essentiel ? Il l’est au point que la peinture et le miroir sont une unique chose.

Un peintre qui se regarde dans un miroir peut, s’il a lu l’ouvrage de Alberti, s’enorgueillir d’être pareil à Narcisse. Le miroir dans lequel un peintre doit nécessairement se regarder, jusqu’à l’invention de la photographie, serait-il différent de la surface de ce plan d’eau.


Léonard de Vinci n’en doute pas un instant, notant dans ses cahiers : « la peinture est une surface unique tout comme le miroir. Elle est impalpable, car ce qui semble rond et détaché ne peut s’ entourer entre les mains ; ainsi du miroir. Miroir et peinture présentent les images des choses baignées de lumière et d’ombre. L’un et l’autre semblent se prolonger considérablement hors du plan de leur surface. » Il affirme encore : « l’esprit du peintre sera comme le miroir qui toujours prend la couleur de la chose reflétée et contient autant d’images qu’il y a d’objets placés devant lui « .
Pendant des siècles, dans une Europe où la peinture a pour première raison d’être l’imitation, il est inconvenant de seulement douter qu’une peinture puisse ne pas être un miroir. Karen Van Mander dans son Livre des peintres, ne peut donc que citer les vers du poète gantois Lucas de Heere dont l’ode gravée dans la pierre a été mise en place dans la chapelle où dresse le polyptyque de Hubert et Jan Van Eyck : « Tout s’anime et paraît sortir du cadre. ce sont des miroirs, oui des miroirs et non point des peintures ! » On sait donc à quoi s’en tenir. Et pendant des siècles, il fut hors de question de remettre en cause cette certitude. Jusqu’au jour où la photographie congédia le miroir.


Le 5 juin 1888, Vincent Van Gogh écrit à Théo : ‘ Ce que dit Pissarro est vrai. Il faudrait hardiment exagérer les effets que produisent, par leur accord ou leur désaccord, les couleurs. C’est comme pour le dessin ( le dessin, la couleur juste) n’est peut être pas l’essentiel qu’il faut chercher. Car le reflet de la réalité dans le miroir, si c’était possible de le fixer avec couleur, ne serait aucunement un tableau, pas davantage qu’une photographie ».
Si le miroir a définitivement cessé d’être le critère de la métaphore de la peinture, il demeure néanmoins un outil important. Dès 1435, Alberti avait prévenu : » il est remarquable que toute erreur de peinture est accusée dans le miroir. Ce qui est emprunté à la nature, doit donc être corrigé par le jugement du miroir« .
Plus de cinq siècles plus tard, Fernando Botero confiait : Je ne suis pas le premier peinture auquel un miroir soit nécessaire. On a commencé d’utiliser des miroirs dans les ateliers à la Renaissance. En regardant la toile que je suis en train de travailler dans le miroir, en regardant le reflet, je vois la toile inversée. Cette inversion-là est implacable. S’il y a une faute dans la composition de la toile, dans le rapport entre tel ou tel élément, elle le met en évidence. Reste à reprendre et à corriger. » ¨Pascal BONNAFOUX (Historien de l’art, professeur à Paris VIII)

