Opéra & musique à Venise au XVIIIe siècle …

MUSIQUE le concert entre amis Pietro Longhi
 » La musique entre amis  » 1741 –  Pietro LONGHI
Opéra répétition d'opéra marco RICCI
 » Une répétition d’opéra  » Marco RICCI

 » On a peine à imaginer aujourd’hui ce que fut la vie musicale à Venise tout au long du XVIIIe siècle. Combien l’éblouissante cité des Doges, même brûlante des derniers feux de sa République déclinante, pouvait transpirer l’art mélodique par toute ses pierres. Lors de son séjour vénitien en 1739, Charles de Brosses s’étonne de l’affolement de la nation pour cet art inconcevable … Dans les casini, chaque soirée de divertissement se déroule sur fond de danse et de concerts improvisés. L’excellence de l’éducation musicale des ospedali est admirée par toute l’Europe. Enfin, les ruelles et les canaux bruissent de la ligne virtuose de quelque instrument échappé de la fenêtre ouverte d’un palazzo, et des chansons des gondoliers. Ces derniers incarnent à leur manière le passé populaire de la poésie lyrique en musique qui se perpétue depuis le XVe siècle, la justiniana. Les gondoliers sont aussi les premiers supporteurs d’un opéra vénitien dont ils grossissent les parterres, tandis que l’aristocratie se réserve les loges louées à l’année.

En ces temps de déclin économique, l’opéra est encore une réjouissance très prisée, attisée par la rivalité des riches familles qui se disputent théâtres et compositeurs, y compris ceux venus de l’étranger. C’est ainsi que Georg Friedrich Haendel y crée, en 1709, son Agrippina sur un livret de Vincenzo Grimani, membre de la toute puissante famille du même nom.

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(Vidéo : Interprétation par l’AKADEMIE FÜR ALTE MUSIK de BERLIN – Direction René JACOBS )

On estime à 1200 les créations données à Venise au cours du XVIIIe siècle. Au début du siècle, la ville compte une quinzaine de salles dédiées à l’art lyrique. Au point que le Conseil des Dix décide, en 1765, d’en limiter le nombre à sept. Si Florence et Mantoue sont aujourd’hui considérées comme les berceaux de l’opéra italien en tant que forme artistique, Venise voit naître le premier théâtre public d’opéra : Il Teatro San Cassiano;

VENISE Théatre SAN CASSIANO
Théâtre San Cassiano à Venise

Pour son inauguration en 1637, on fait donner Andromède de Francesco Manelli, sur un livret du poète et compositeur Benedetto Ferrari. Claudio Monteverdi, qui y assiste, ne tarde pas à rejoindre Manelli et la cohorte de compositeurs qui, durant tout le XVIIIe siècle, feront de la Sérénissime une capitale pionnière pour l’opéra en Europe.

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Reprenant à son compte les idées de retour à l’antique développées par la Camerata fiorentina, l’école lyrique vénitienne y ajoute une propension singulière aux personnages et aux situations bouffes. Car l’opéra, sur la lagune, veut bien traiter des sujets historiques et politiques, mais s’épanouit avant tout dans l’ambiance et au moment du carnaval.

C’est dans ce contexte de bouillonnement lyrique que Vivaldi livre son premier opéra vénitien : Orlando finto pazzo au Teatro San Angelo, en 1714.

ANTONIO VIVALDI 2

( Vidéo : interprétation par l’ACADEMIA MONTIS REGALIS – direction Alessandro DI MARCHI )

Si la postérité reconnaîtra en lui la grande figure de la musique vénitienne au XVIIIe siècle, son génie opératique est à l’époque largement éclipsé par celui d’une autre star du genre : Baldassare Galuppi : 70 opéras-bouffes à son actif, une collaboration fructueuse avec Goldoni, le soutien de Casanova et l’admiration de rousseau comme de Haydn. Galuppi est vraiment considéré, dans les années 1740, comme le roi du divertissement musical dans la cité des Doges.

Baldassare GALUPPI

Dans une Venise où les crédits font de plus en plus défaut, le spectaculaire des voix a remplacé celui des décors et du théâtre à machines. Tout le monde se prend désormais de passions pour les castrats. Carlo Broschi, dit Farinelli, y séjourne à cinq reprises, précédé par le triomphe de son maître Nicola Porpora et du poète Métstase qui ont préparé le terrain pour lui dès le milieu des années 1720.

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( Vidéo : Alto Giove ( Acte III ) de l’opéra Polifemo de Nicola PORPORA / Acte III – Interprétation Philippe JAROUSSKY accompagné par le VENICE BAROQUE ORCHESTRA – Direction Andrea MARCON )

Le duel entre l’opéra vénitien et l’art lyrique du reste de la péninsule, trouve l’une de ses plus sublimes incarnations dans la guerre que se livrent deux grande diva : la Vénitienne Faustina Bordoni ( future épouse du compositeur Johann Adolf hasse) et la Parmigiana Francesca Cuzzoni. Rivalité qui se perpétue jusqu’à Londres

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La Bordoni, que l’on donnait aussi bonne comédienne que chanteuse, a commencé sa carrière en 1716. Servie par ses origines nobiliaires elle ne tardera pas à se faire l’ambassadrice, dans toute l’Europe, de l’excellence de l’École vénitienne du chant. Mais celle-ci a d’autres orte-drapeaux : les orphelines des quatre ospedali de la Sérénissime. Toutes offraient alors des concerts de musique sacrée les samedis et dimanches, et pour les fêtes. S’y bousculaient les membres du clergé mais aussi ceux de la noblesse et même les classes populaires. Elles impressionnent tout autant par leur virtuosité à la flûte, au violon, à l’orgue, au hautbois ou au violoncelle. Et même ( fait peu commun à l’époque) par leur capacité à diriger l’orchestre et les chœurs.

CONCERT DES FILLES DE LA PIETA
 » Concert des filles de la Pietà   » 1720 env. Gabriele BELLA

Près de la piazza San Marco, le plus célèbre de ces ospedali, celui de la Pietà, a cédé aujourd’hui sa place à un hôtel de luxe : le Metropole. Fondé en 1346 pour y accueillir les nouveau-nés de la cité des Doges laissés pour compte par les guerres à répétition et le développement de la prostitution, il aurait compté, au XVIIIe siècle, un millier d’enfants. Les garçons y restaient jusqu’à l’adolescence pour y apprendre un métier. Les filles, quant à elles, recevaient une éducation musicale rigoureuse. Pour peu qu’elles aient du talent, elles y restaient jusqu’à leur majorité.

( Photos ci-dessous : Ospedale della Pietà à l’époque – Hôtel Métropole  qui l’a rempalcé – – Puis l’escalier qui se trouve à l’intérieur de l’hôtel Métropole et qui est une relique. Aujourd’hui il permet de descendre au cellier, autrefois Vivaldi l’empruntait pour aller dans la salle de musique de la Piétà)

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Le conservatoire municipal de Venise conserve lui aussi plusieurs cahiers des filles de la Pietà. Y figurent 1700 pièces et motets. Preuve, s’il en fallait, qu’à Venise la musique religieuse égale, en volume de création, la musique profane. En audace aussi. En témoignent aussi ces œuvres monumentales qui virent se produire dans la basilique San Marco jusqu’à 400 exécutants, parfois répartis en six orchestres, lors de cérémonies qui pouvaient s’étaler sur cinq heures. Car dans la cité des masques, l’autorité de Rome est loin. La démesure était partout, surtout dans l’amour de la musique. Il n’était pas rare de voir des prêtres, parfois bons instrumentistes, se produire au sein des orchestres d’opéra. »Thierry HILLERITEAU( Journaliste au magazine La Croix, chroniqueur dans Musique matin sur France Musique, chanteur à Notre-Dame de Versailles,collaborateur au Figaro,  il possède également  une Maîtrise en Poésie et Poétique des XIXe et XXe siècle,