
« La tête, une merveille, était l’objet d’une coquetterie particulière. Elle était toute petite et sa mère, comme disait Musset, semblait l’avoir ainsi faite pour la faire avec soin. Dans un ovale d’une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d’un arc si pur qu’il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu’ils s’abaissaient, jetaient de l’ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière dont les lèvres s’ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu’aucune main n’a touchées et vous aurez l’ensemble de cette charmante tête » Alexandre DUMAS Fils ( Extrait de La Dame aux camélias )
(Vidéo : Rudolf NOUREEV et Margot FONTEYN – Marguerite et Armand de Frederick ASHTON )
Ashton a souvent déclaré avoir été littéralement amoureux de cette histoire. Il avait lu le roman de Dumas, vu l’opéra de Verdi , applaudi Vivien Leigh dans ce rôle au théâtre , et admiré Greta Garbo et Robert Taylor dans le drame cinématographique Camille.
Par ailleurs, il était musicalement fasciné et séduit par Franz Liszt et se rappelait avoir lu que Marie Duplessis avait, elle aussi, beaucoup apprécié ce compositeur. Tout s’éclaira alors dans sa tête : il avait l’idée, la musique ( la Sonate de Liszt) , le sujet et surtout la danseuse en la personne de son incroyable muse : Margot Fonteyn. Dans le rôle d’Armand, il n’en voyait qu’un seul : Rudolf Noureev.
On peut dire que ce chorégraphe a fort bien réussi ! Son ballet réunit l’amour passionné, la fougue, le charme, l’émotion, le talent et la noblesse du cœur. C’est touchant, sincère, et techniquement excellent.
La création eut lieu au Covent Garden de Londres en présence de la Reine Mère en 1963. Il y eut plus de 20 rappels ! Margot et Rudolf ont dansé dans ce ballet durant de très longues années sur de grandes scènes internationales : Opéra de Paris, Metropolitan de New York, Scala de Milan etc … La dernière eut lieu en 1977.
Personne n’avait jamais osé danser Marguerite et Armand après eux au Royal Ballet de Londres. Probablement en raison du fait que Frederick Ashton répétait sans cesse que personne n’en serait capable à part ces deux incroyables danseurs . De ce fait, le ballet resta, en quelque sorte, intouchable.
Et puis un jour, Anthony Dowell ( danseur, chorégraphe, directeur du Royal Ballet durant une quinzaine d’années ) va oser le faire en demandant à la française Sylvie Guillem de se glisser dans la peau de Marguerite, ce qu’elle acceptera à la condition qu’Armand soit le danseur étoile français Nicolas le Riche.
Tous deux ont donc relevé ce défi que l’on pensait impossible à réaliser. On peut même dire qu’ils ont été talentueux. S’ils l’ont été c’est parce que l’un comme l’autre sont restés eux-mêmes, donnant leur interprétation personnelle sans que celle-ci soit un remake de ce qui avait été fait auparavant. Ils obtiendront un très beau succès le soir de la première en 2003 sur la scène de l’Opéra de Paris.
( Vidéo : Sylvie GUILLEM et Nicolas Le RICHE )