» La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager. » Paul ÉLUARD ( Poète français / Extrait de son recueil Derniers poèmes d’amour )
Jour : 30 mars 2020
Antoine WATTEAU …

» Comment, dans un temps où l’Antiquité dont David a voulu qu’elle soit la seule source d’inspiration, pourrait-on encore prêter la moindre attention aux peintures de Jean-Antoine Watteau ? Et comment, pendant des années, pourrait-on prendre conscience de la singularité d’un peintre pour lequel l’Académie royale, qui le reçut en 1717, dut concevoir un genre inédit : celui des Fêtes Galantes ?Son œuvre est dispersée dans les collections d’amateurs.
Le 3 avril 1847 c’est chez le duc de Morny qui se dit arrière-petit-fils de roi, petit-fils d’évêque, fils de reine et frère d’empereur (en l’occurence, après 1852, Napoléon III), que Delacroix peut longuement regarder » un Watteau magnifique. J’ai été frappé de l’admirable artifice de cette peinture. La Flandre et Venise y sont réunies, mais la vue de quelques Ruysdaël, surtout un effet de neige et une marine toute simple où on ne voit presque que la mer par temps triste, avec une ou deux barques, m’ont paru le comble de l’art, parce qu’il y est caché tout à fait. » Le 11 janvier 1857, Delacroix note encore dans son Journal : »Watteau.Très méprisé sous David et remis en honneur. Exécution admirable « .
Pour voir, de leurs propres yeux cette exécution admirable, pour qu’à Paris les peintres puissent voir au Louvre, enfin, d’autres toiles de Watteau que le Pèlerinage à l’île de Cythère, l’Embarquement pour Cythère ( qui fut son morceau de réception à l’Académie Royale de peinture) , il faudra attendre encore jusqu’en 1869 pour qu’y rentrent les huit toiles de la collection du docteur Louis La Caze.

C’est alors que des jeunes peintres qui se nommaient Renoir, Bazille, Pissarro, Monet, aimeraient sans doute que l’on entende à nouveau la voix de David qui, à la tribune de la Convention nationale, prononçait ces mots le 8 août 1793 :« Prouvons d’abord le tort réel que les Académies font à l’art même, combien elles sont loin de remplir le but qu’elles se sont proposé ; démasquons l’esprit de corps qui les dirige, la basse jalousie des membres qui les composent, les moyens cruels qu’ils emploient pour étouffer les talents naissants … » Mais il n’y a alors personne pour s’en souvenir parmi les membres du jury qui refusent leur entrée au Salon et pour lesquels David demeure un Maître.
C’est au Louvre que Renoir ne cesse de consulter la peinture de Watteau comme celle d’autres peintres du XVIIIe siècle qui ont comme lui été, je reprends les mots de Delacroix : très méprisés sous David. A son fils, Renoir confiera : « A Watteau et Boucher j’ajouterai Fragonard, surtout les portraits de femmes. Ces bourgeoises de Fragonard ! distinguées sans être des bonnes filles « . De pareilles bonnes filles posent pour Renoir aux Collerettes.
Au Louvre, à la fin d’une visite faite au début du XXe siècle, Clemenceau qui s’arrête devant l’Olympia de Manet, confie à Monet : « Eh bien moi si après tout ce que nous venons de voir on me permettait d’emporter une toile, c’est celle-ci que je choisirais. » Réponse de Monet : » Et moi ce serait L’embarquement pour Cythère « . Comment douter que la peinture de Watteau ait permis à Renoir et à Monet de comprendre leur place dans une tradition de la peinture française dont le XVIIIe siècle leur donnait l’exemple ?
Parmi les toiles de Watteau entrées au Louvre avec le legs du docteur La Caze, il y a le Gille ( rebaptisé Pierrot ). Il n’a pas fini de provoquer l’admiration des peintres. Devant cette toile Chagall s’exclama : » ça dépasse tout le monde. Ça touche à Rembrandt. Je donnerais tout Corot pour ce pantalon. Ça c hante et ça pleure comme Cimabue. Corot a le chant, pas les larmes. Ce que l’on sent dans le Gilles, ce n’est pas le sentiment de la mort, mais de la vie. » – Et quelques années plus tard, le peintre américain Sam Francis fait ce commentaire : « Magnifique ! Il est aisé de voir que c’est l’œuvre d’un homme jeune. Pas de désillusions. »

Au cours de la même visite au Louvre, Sam Francis faisait encore ce commentaire : » les musées devraient ressembler à la rue. Ils devraient être ouverts tout le temps. Pas de mystère, pas de mise en valeur. Rien qui proclame : ceci est un chef-d’œuvre. Les choses sont là, c’est tout. » Le Gilles ( ou le Pierrot ) de Watteau était là … Ce n’est pas un hasard si c’est devant lui que Sam Francis s’arrêtera. Ce n’est pas par hasard s’il ne s’arrête ni devant un Pater, ni devant un Lancret. Leurs fêtes galantes n’ont appartement qu’au XVIIIe siècle. Pas celles de Watteau … Sir Joshua Reynolds rendit hommage à sa singularité dans le cinquième discours prononcé devant la Royal Academy le 10 décembre 1772 : » il compte parmi tous ceux qui sont à la tête d’un genre et qui ont eu une école d’imitateurs, depuis Michel Ange jusqu’à Watteau « . » Pascal BONNAFOUX ( Historien de l’art, professeur à Paris VIII , auteur de nombreux ouvrages sur l’art et biographies de peintres)

