» En vérité, le poète, le vrai poète, possède l’art du funambule. Écrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté : le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie. Écrire c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile ce n’est pas de s’élever du sol et tenir en équilibre aidé du balancier de sa plume sur le fil du langage. Ce n’est pas non plus aller tout droit en une ligne continue parfait entrecoupée de vertiges aussi furtifs que la chute d’une virgule, ou que l’obstacle d’un point … Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir un funambule du verbe. » Maxence FERMINE (Extrait de son livre Neige)
» La lessive » Poème extrait des Poésies franc-comtoises de Max BUCHON (1868)
» Vous demandez pourquoi je suis ainsi pensive.
Mon Dieu c’est que demain nous faisons la lessive,
et ce n’est pas petite affaire, en vérité,
quand le linge, surtout, n’est pas même compté.
Que voulez-vous ? Chacun n’est pas de ces marquises
qui n’ont à s’occuper que de choses exquises.
Nous ne sommes, chez nous, que de simples mortels,
et nous nous résignons à vivre comme tels.
Quel attirail il faut pour une buandière !
La soude, le savon, la cuve, la chaudière,
la cendre, l’indigo, l’iris, les bâtonnets …
Voyez si j’en oublie, et si je m’y connais.
Dans le fond de la cuve, en grille, l’on dispose
d’abord les bâtonnets, sur lesquels tout repose,
puis on étend dessus, aussi bien qu’on le peut ;
les draps de lit, d’abord savonnés quelque peu.
Après les draps de lit, arrivent les chemises,
tant d’homme que de femme, et quand elles sont mises,
vient le linge de table, après quoi nous mettons
les rideaux, les menus, dentelles et cotons,
jupons, bas, mantelets et mouchoirs de baptiste.
Jamais on en finit de cette longue liste ;
puis, pour couper l’ardeur trop vive du lessus,
le linge de cuisine arrive par dessus.
On commence à baigner tout ce linge d’eau tiède,
puis dans un grand linceul de grosse toile raide,
vous ajoutez la cendre, en bien l’éparpillant,
et l’on n’a plus dès lors qu’à verser tout bouillant.
Pendant que cela coule, en moussant comme bière,
on récure au lessus lèchefrite et daubière,
les cuivres, les étains, le fer-blanc, le dressoir,
si bien que tout reluit quand arrive le soir
Sitôt que le lessus fait mine de descendre
un peu plus savonneux, on enlève la cendre,
puis on couvre la cuve, afin d’être certain
que tout s’y maintiendra bien chaud jusqu’au matin.
A la pointe du jour les laveuses arrivent.
de leur doigt d’eau de vie aucunes ne se privent ;
aussi malheur à qui ne leur sert tout d’abord
leur verre à demi plein, si ce n’est jusqu’au bord.
L’eau de vie avalée, on est plus expansive,
ce qui fait qu’en lavant à peu près la lessive,
on savonne bientôt, du bec et de la main,
tous les pauvres péchés du pauvre genre humain.
Dans le fait, où trouver la chronique certaine
des cancans frais éclos, sinon à la fontaine ?
Avec une fontaine, avec un four banal,
on peut se dispenser de lire le journal.
Qu’au milieu des caquets une vieille routière
de sa poche à demi tire sa tabatière,
et chacun crie alors : Passe-la donc ici !
Eh pchie ! Oh que c’est du bon ! à vos souhaits ! merci.
Voilà le linge au bleu; vite qu’on le repêche.
Assez prisé, là-bas ! qu’est-ce qui vous empêche
de le tordre à présent ! Remuons-nous, allons !
Les jours ne sont déjà maintenant pas si longs.
Plions tous ces menus d’abord sur cette planche.
Quelle bonne lessive ! elle est surtout bien blanche,
et cet iris lui donne, outre la propreté,
je ne sais quel parfum de joie et de santé.
Les perches du grenier sont propres j’imagine.
Tenez, montez d’abord ces torchons de cuisine.
Sitôt que tout sera proprement étendu,
mesdames vous aurez tout ce qui vous est dû.
Deux ou trois jours après, on se met à dépendre.
Il faut appareiller les draps et les tendre,
en tirant tant qu’on peut en long, puis en travers,
ce qui vous met bientôt les ongles à l’envers.
Quand chaque serviette a retrouvé sa douzaine,
la lingère à son tour apparaît sur la scène,
et reprise les trous … Sage précaution,
contre tout linge un peu sujet à caution.
C’est elle qui recoud les boutons de chemises,
pour qu’ils ne sautent pas quand on les aura mises ;
car, rien ne vexe autant un hommes, prétend-on,
qu’un collet de chemise à leur cou sans boutons.
Sitôt que la lingère a fini sa couture,
la repasseuse vient pour faire la clôture,
avec ses gros paquets de pinces à rucher,
et l’empois qui dans l’eau fond au simple toucher
» La repasseuse » – Edgar DEGAS
Dès que ni le réchaud ni la table ne boite
tout se lustre en fumant sous le gros fer à boite,
les beaux gilets, les beaux pantalons de nankin,
avec lesquels bientôt l’on fera le faquin.
Sans compter les bonnets, les guimpes, les dentelles,
tout ce qu’un homme enfin traite de bagatelles,
et qu’il serait le plus ardent à réclamer,
si sa femme semblait vouloir le supprimer.
Comprenez-vous pourquoi les pauvres ménagères,
le jour de la lessive, ont des airs de mégères,
et tiennent tant alors, à se débarrasser
de tous ceux qui pourraient en rien les tracasser ?
Pour que les draps de lit, les serviettes de moire,
les nappes et le reste, arrivent dans l’armoire …
Enfin, pour n’être pas malpropre … que de maux !
C’est à faire envier le poil des animaux. «