« Si le livre ne vaut rien, bien qu’avec des dehors spécieux, un bon esprit ne s’y trompe pas. S’il est bon, c’est un inestimable trésor, c’est une félicité de tous les moments. Combien les livres ne nous font-ils pas oublier des chagrins, par le spectacle des hommes vertueux livrés au malheur. Combien ne nous élèvent-ils pas, en nous montrant leur constance et leur grand caractère. C’est une chose qui m’étonne de voir si peu de gens qui lisent dans ce sens. Ils ne cherchent dans la lecture qu’à repaître le vide de leur esprit. Les lignes leur passent devant les yeux comme des aliments dans un gosier, pourvu qu’ils passent c’est assez. Moi, je trouve dans les livres des passages que je voudrais saisir avec autre chose qu’avec les yeux. Je sens si bien ce qu’ils me disent, je vois si bien ce qu’ils me peignent, que je m’indigne à la fin contre cette page muette d’un vil papier qui m’a remué si fortement et qui me reste seule entre les mains et sous les sens.
Les livres sont de vrais amis. Leur conversation silencieuse est exempte de querelles et de divisions. Ils vous font travailler sur vous-même, et, chose rare dans les discussions avec les amis de chair et d’os, ils vous insinuent tout doucement leur avis, et vous font goûter la raison, sans que vous vous regimbiez contre son évidence et sans que vous ayez l’air d’être vaincu à vos propres yeux. » Eugène DELACROIX ( Peintre français / Extraits de ses Lettres Intimes ( 1819 ) – Cet extrait provient d’une correspondance adressée à son ami, directeur des postes, Achille PIRON )
