» Il y a des livres écrits de telle sorte que, parfois, il font, sur certains lecteurs, un effet semblable à celui de ces coquillages que l’on presse contre son oreille ; et soudain, on entend la rumeur de son sang mugir en sourdine dans la conque. Le bruit de l’océan, le bruit du vent, le bruit de notre propre cœur. Un bruissement de limbes. Il a lu ce livre qui à d’autres ne raconte qu’une histoire étrange, confuse, dont ils ne franchissent pas le seuil, et le livre se sera posé contre son oreille ; un livre en creux, en douve, en abîme, où une nuée d’échos se sera mise à chuchoter … » Sylvie GERMAIN ( Romancière française, essayiste et dramaturge / Extrait son livre Magnus )
» Livres et coquillages » – Photo/Nature-morte de Benedict RAMOS
» La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager. » Paul ÉLUARD ( Poète français / Extrait de son recueil Derniers poèmes d’amour )
Monument dédié à Antoine WATTEAU – Jardin du Luxembourg à Paris – Une œuvre réalisée par Henri Désiré GAUQUIÉ
» Comment, dans un temps où l’Antiquité dont David a voulu qu’elle soit la seule source d’inspiration, pourrait-on encore prêter la moindre attention aux peintures de Jean-Antoine Watteau ? Et comment, pendant des années, pourrait-on prendre conscience de la singularité d’un peintre pour lequel l’Académie royale, qui le reçut en 1717, dut concevoir un genre inédit : celui des Fêtes Galantes ?Son œuvre est dispersée dans les collections d’amateurs.
Le 3 avril 1847 c’est chez le duc de Morny qui se dit arrière-petit-fils de roi, petit-fils d’évêque, fils de reine et frère d’empereur (en l’occurence, après 1852, Napoléon III), que Delacroix peut longuement regarder » un Watteau magnifique. J’ai été frappé de l’admirable artifice de cette peinture. La Flandre et Venise y sont réunies, mais la vue de quelques Ruysdaël, surtout un effet de neige et une marine toute simple où on ne voit presque que la mer par temps triste, avec une ou deux barques, m’ont paru le comble de l’art, parce qu’il y est caché tout à fait. » Le 11 janvier 1857, Delacroix note encore dans son Journal : »Watteau.Très méprisé sous David et remis en honneur. Exécution admirable « .
Pour voir, de leurs propres yeux cette exécution admirable, pour qu’à Paris les peintres puissent voir au Louvre, enfin, d’autres toiles de Watteau que le Pèlerinage à l’île de Cythère, l’Embarquement pour Cythère ( qui fut son morceau de réception à l’Académie Royale de peinture) , il faudra attendre encore jusqu’en 1869 pour qu’y rentrent les huit toiles de la collection du docteur Louis La Caze.
» Pélerinage à l’île de Cythère » dit l’Embarquement pour Cythère – Antoine WATTEAU
C’est alors que des jeunes peintres qui se nommaient Renoir, Bazille, Pissarro, Monet, aimeraient sans doute que l’on entende à nouveau la voix de David qui, à la tribune de la Convention nationale, prononçait ces mots le 8 août 1793 :« Prouvons d’abord le tort réel que les Académies font à l’art même, combien elles sont loin de remplir le but qu’elles se sont proposé ; démasquons l’esprit de corps qui les dirige, la basse jalousie des membres qui les composent, les moyens cruels qu’ils emploient pour étouffer les talents naissants … » Mais il n’y a alors personne pour s’en souvenir parmi les membres du jury qui refusent leur entrée au Salon et pour lesquels David demeure un Maître.
C’est au Louvre que Renoir ne cesse de consulter la peinture de Watteau comme celle d’autres peintres du XVIIIe siècle qui ont comme lui été, je reprends les mots de Delacroix : très méprisés sous David. A son fils, Renoir confiera : « A Watteau et Boucher j’ajouterai Fragonard, surtout les portraits de femmes. Ces bourgeoises de Fragonard ! distinguées sans être des bonnes filles « . De pareilles bonnes filles posent pour Renoir aux Collerettes.
Au Louvre, à la fin d’une visite faite au début du XXe siècle, Clemenceau qui s’arrête devant l’Olympia de Manet, confie à Monet : « Eh bien moi si après tout ce que nous venons de voir on me permettait d’emporter une toile, c’est celle-ci que je choisirais. » Réponse de Monet : » Et moi ce serait L’embarquement pour Cythère « . Comment douter que la peinture de Watteau ait permis à Renoir et à Monet de comprendre leur place dans une tradition de la peinture française dont le XVIIIe siècle leur donnait l’exemple ?
Parmi les toiles de Watteau entrées au Louvre avec le legs du docteur La Caze, il y a le Gille ( rebaptisé Pierrot ). Il n’a pas fini de provoquer l’admiration des peintres. Devant cette toile Chagall s’exclama : » ça dépasse tout le monde. Ça touche à Rembrandt. Je donnerais tout Corot pour ce pantalon. Ça c hante et ça pleure comme Cimabue. Corot a le chant, pas les larmes. Ce que l’on sent dans le Gilles, ce n’est pas le sentiment de la mort, mais de la vie. » – Et quelques années plus tard, le peintre américain Sam Francis fait ce commentaire : « Magnifique ! Il est aisé de voir que c’est l’œuvre d’un homme jeune. Pas de désillusions. »
» Pierrot » ( Gilles ) 1717/1719 – Antoine WATTEAU
Au cours de la même visite au Louvre, Sam Francis faisait encore ce commentaire : » les musées devraient ressembler à la rue. Ils devraient être ouverts tout le temps. Pas de mystère, pas de mise en valeur. Rien qui proclame : ceci est un chef-d’œuvre. Les choses sont là, c’est tout. » Le Gilles ( ou le Pierrot ) de Watteau était là … Ce n’est pas un hasard si c’est devant lui que Sam Francis s’arrêtera. Ce n’est pas par hasard s’il ne s’arrête ni devant un Pater, ni devant un Lancret. Leurs fêtes galantes n’ont appartement qu’au XVIIIe siècle. Pas celles de Watteau … Sir Joshua Reynolds rendit hommage à sa singularité dans le cinquième discours prononcé devant la Royal Academy le 10 décembre 1772 : » il compte parmi tous ceux qui sont à la tête d’un genre et qui ont eu une école d’imitateurs, depuis Michel Ange jusqu’à Watteau « . » Pascal BONNAFOUX ( Historien de l’art, professeur à Paris VIII , auteur de nombreux ouvrages sur l’art et biographies de peintres)
» Mezzetin » Antoine WATTEAU » La gamme d’amour » Antoine WATTEAU
» Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
plein de plume choisie, et blanc ! et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !
Beaucoup, beaucoup d’enfants pauvres et nus, sans mère,
sans maison, n’ont jamais d’oreiller pour dormir ;
ils ont toujours sommeil. Ô destinée amère !
Maman ! douce maman ! cela me fait gémir.
Et quand j’ai prié Dieu pour tous ces petits anges
qui n’ont pas d’oreiller, moi j’embrasse le mien.
seule, dans mon doux nid qu’à tes pieds tu m’arranges,
je te bénis, ma mère, et je touche le tien !
Je ne m’éveillerai qu’à la lueur première
de l’aube ; au rideau bleu c’est si gai de la voir !
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière :
donne encore un baiser, douce maman ! Bonsoir ! » Marceline DESBORDES-VALMORE (Poétesse française / Extrait de son recueil Les pleurs/1833)
» J’ai une passion profonde pour la musique. Le goût de la musique m’est venu par le fort intérêt que portaient mes parents à cet art. Ma mère dirigeait un petit chœur dans notre église . C’est ainsi que j’ai pu, très jeune, écouter Bach, Haendel, Purcell, etc… Cela a fortement marqué mon éducation musicale et mon goût pour la musique. La musique baroque a été, dès cette époque, une évidence pour moi, puis j’ai suivi des cours de piano, j’ai découvert des musiques plus modernes, mais l’engagement pour le baroque des XVIIe et XVIIIe siècles était déjà acquis pour moi. J’ai commencé en pensant défendre davantage la musique française qui, à l’époque, était abandonnée, mal-aimée par le public français. C’était Charpentier, c’était Lully, c’était Rameau. J’avais, par ailleurs, des idées sur la manière d’interpréter Monteverdi ou Haendel, et je me suis dit : » Pourquoi ne pas donner au public mon point de vue « .
Je n’aime pas le mot authentique pour interpréter de la musique baroque. Je ne l’utilise jamais. Je préfère une performance historiquement informée, c’est une bien meilleure expression pour décrire ce que nous faisons avec mon ensemble Les Arts Florissants. Nous essayons de nous rapprocher le plus possible d’un compositeur, c’est-à-dire de ses intentions. Cela commence par un examen aussi proche que possible de ce qu’il a écrit. Cela signifie rechercher les meilleurs sources . Il y a une façon d’aborder la musique de Rameau, Haendel, Monteverdi avec des instruments d’époque, et une réflexion sur la pratique d’interprétation qui a totalement changé la façon qu’ont pu avoir ces compositeurs.
Il s’agit de faire sonner la musique sur des instruments qu’ils auraient pu connaître, pas sur des instruments qu’ils auraient dû aimer. Je pense que si les compositeurs de l’époque étaient confrontés à des interprètes actuels, ils apprécieraient, avant toute chose, de voir que leurs œuvres continuent d’être données et seraient parfois intéressés de voir également comment les interprètes seraient capables d’adapter leur musique à leurs talents particuliers. » William CHRISTIE ( Claveciniste, chef d’orchestre franco-américain ( naturalisé français en 1995) , fondateur de l’ensemble Les Arts Florissants)
(Vidéo : Prologue/Ouverture – Interprétation Les ARTS FLORISSANTS direction William CHRISTIE )
« Il est déplorable que cet ouvrage, sans contredit le plus savant et le plus recherché de tous ceux qui ont été imprimés, du moins depuis la mort de Lully, ait été victime des cabales des envieux et des ignorants, alors qu’il est celui de tous les opéras sans exception, dans lequel on peut apprendre plus de choses essentielles à la bonne composition. » Sébastien de BROSSART ( Musicologue et compositeur français / Déclaration faite en 1724)
Charpentier fut un compositeur merveilleux, un incontestable maître de la forme académique, un talentueux et expressif mélodiste, qui , malheureusement, resta de son vivant , dans l’ombre de celui qui régnait littéralement sur la musique à l’époque mais également profita du privilège que le roi lui avait accordé pour l’opéra français : à savoir Jean-Baptiste Lully. Charpentier dut se contenter de n’écrire que des musiques pour des pastorales, des divertissements, des cérémonies royales ou religieuses ou celles accompagnant les pièces de théâtre de Molière, notamment le Malade Imaginaire.
Charpentier fut même complètement oublié durant des siècles jusqu’au jour il ressuscita, dans les années 50, grâce à son Te Deum, lequel deviendra célèbre par le Prélude qui a été très souvent repris pour le générique de l’Eurovision. A partir de là, la magnifique palette de ses couleurs orchestrales n’a cessé de suscité un vif intérêt.
Médée sera présenté en 1693 à l’Académie Royale de Musique. Le livret est de Thomas Corneille, auteur dramatique et juriste français, frère de Pierre Corneille. Le sujet met en évidence la tragique et mythique Médée, magicienne, infanticide, régicide, fratricide.
Le roi Louis XIV reçut cet opéra avec plaisir, ce qui lui permettra de connaître un beau petit succès lors de sa création à l’Académie. Toutefois, l’œuvre ne tiendra pas plus de dix représentations car le public ne l’apprécia absolument pas. N’ayons pas peur des mots : ce fut un échec, et ce tout simplement parce que Lully était bien trop présent dans les cœurs et les esprits. On la traitera même de méchant opéra, voire même de musique dure, sèche et guindée à l’excès.
Après avoir tenter d’être à nouveau présentée en 1700, elle tombera dans l’oubli et renaîtra de ses cendres en 1984, à l’Opéra de Lyon, grâce à la mise en scène et réalisation de Michel Corboz (musicien, chef de chœur, chef d’orchestre et enseignant suisse) et Robert Wilson (metteur en scène américain) . En 1993, la brillante version des Arts Florissants sous la direction de leur fondateur et chef baroque William Christie à l’Opéra Comique de Paris. Ce dernier l’avait déjà interprétée en concert et enregistrée en 1989.
« Nous avons peut-être là, le dernier chef d’œuvre inconnu du répertoire français. Médée représente la fin d’une tradition » dira William Christie. Il est vrai que c’est vraiment un opéra magnifique, avec une écriture raffinée, une partition d’une grande richesse musicale et vocale. La musique est, en effet, brillante, éclatante. Charpentier a su fort bien tirer le meilleur de la déclamation à la française, et de ce que l’on pouvait entendre de mieux dans le lyrique italien de l’époque.
(Vidéo : Quel prix de mon amour / Acte III – Lorraine HUNT – Accompagnée par les ARTS FLORISSANTS sous la direction de William CHRISTIE )
» Être Ange
C’est Étrange
Dit l’Ange
Être Âne
C’est étrâne
Dit l’Âne
Cela ne veut rien dire
Dit l’Ange en haussant les ailes
Pourtant
Si étrange veut dire quelque chose
étrâne est plus étrange qu’étrange
dit l’Âne
Étrange est !
Dit l’Ange en tapant du pied
Étranger vous-même
Dit l’Âne
Et il s’envole. « Jacques PRÉVERT ( Poète et scénariste français / Tiré de son recueil Fatras)
» Un des privilèges de ma bibliothèque, c’est qu’elle m’a libérée d’un complexe de culpabilité : celui de ne pas me souvenir de tous les livres que j’ai lus. J’ai oublié le début, la fin, l’histoire entière de tas de livres, ce qui me permet d’en relire certains comme si c’était la première fois. » Paola CALVETTI ( Écrivain et journaliste italienne)
» J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un supplice si horrible. De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible.
Ainsi s’écoule toute la vie, on cherche le repos en combattant quelques obstacles. Et si on les a surmontés, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état propre de sa complexion.
Dire à un homme qu’il soit en repos, c’est lui dire qu’il vive heureux. » Blaise PASCAL (Physicien, mathématicien, philosophe, moraliste, théologien français – Extraits des Pensées / Le Divertissement(1670)
» Blaise PASCAL étudiant la cycloïde – A ses pieds à gauche des feuilles des Pensées et à droite le livre des Lettres provinciales. » / Sculpture de Augustin PAJOU ( 1785 )
« Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance : Keep your distance ! Par ce moyen le besoin de se réchauffer n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais, en revanche, on ne ressent pas la blessure des piquants. Cependant celui qui possède assez de chaleur intérieure propre préfère rester en dehors de la société pour ne pas éprouver de désagréments, ni en causer. » » Arthur SCHOPENHAUER ( Philosophe allemand / Extrait de son recueil Parerga et Paralipomena ( Accessoires et restes)
Arthur SCHOPENHAUER (1788/1860) – Portrait de Jules LUNTESCHÜTZ en 1855