Photographie électorale ..

 »Certains candidats-députés ornent d’un portrait leur prospectus électoral. C’est supposer à la photographie un pouvoir de conversion qu’il faut analyser.D’abord, l’effigie du candidat établit un lien personnel entre lui et les électeurs ; le candidat ne donne pas à juger seulement un programme, il propose un climat physique, un ensemble de choix quotidiens exprimés dans une morphologie, un habillement, une pose. La photographie tend ainsi à rétablir le fond paternaliste des élections, leur nature représentative , déréglée par la proportionnelle et le règne des partis (la droite semble en faire plus d’usage que la gauche).   Dans la mesure où la photographie est ellipse du langage et condensation de tout un ineffable social, elle constitue une arme anti-intellectuelle, tend à escamoter la politique (c’est-à-dire un corps de problèmes et de solutions) au profit d’une manière d’être, d’ un statut socialo-moral.

La photographie électorale est donc avant tout reconnaissance d’une profondeur, d’un irrationnel extensif à la politique.  Ce qui passe dans la photographie du candidat, ce ne sont pas ses projets, ce sont ses mobiles, toutes les circonstances familiales, mentales, voire érotiques, tout ce style d’être, dont il est à la fois le produit, l’exemple et l’appât.   II est manifeste que ce que la plupart de nos candidats donnent à lire dans leur effigie, c’est une assiette sociale, le confort spectaculaire de normes familiales, juridiques, religieuses, la propriété infuse de ces biens bourgeois que sont par exemple la messe du dimanche, la xénophobie, le bifteck-frites et le comique de cocuage, bref ce qu’on appelle une idéologie.   Naturellement, l’usage de la photographie électorale suppose une complicité : la photo est miroir, elle donne à lire du familier, du connu, elle propose à l’électeur sa propre effigie, clarifiée, magnifiée, portée superbement à l’état de type.   C’est d’ailleurs cette majoration qui définit très exactement la photogénie : l’électeur se trouve à la fois exprimé et héroïsé, il est invité à s’élire soi-même, à charger le mandat qu’il va donner d’un véritable transfert physique : il fait délégation de sa race.

Les types de délégation ne sont pas très variés.   II y a d’abord celui de l’assiette sociale, de la respectabilité, sanguine et grasse , ou fade et distinguée . Un autre type, c’est celui de l’intellectuel (je précise bien qu’il s’agit en l’occurrence de types signifiés et non de types naturels : intellectualité cafarde du Rassemblement national, ou perçante du candidat communiste.   Dans les deux cas, l’iconographie veut signifier la conjonction rare d’une pensée et d’une volonté, d’une réflexion et d’une action: la paupière un peu plissée laisse filtrer un regard aigu qui semble prendre sa force dans un beau rêve intérieur, sans cesser cependant de se poser sur les obstacles réels, comme si le candidat exemplaire devait ici joindre magnifiquement l’idéalisme social à l’empirisme bourgeois.   Le dernier type, c’est tout simplement celui du beau gosse, désigné au public par sa santé et sa virilité.   Certains candidats jouent d’ailleurs superbement de deux types à la fois : d’un côté de la feuille, tel est jeune premier, héros (en uniforme), et de l’autre, homme mûr, citoyen viril poussant en avant sa petite famille.   Car le plus souvent, le type morphologique s’aide d’attributs fort clairs : candidat entouré de ses gosses (pomponnés et bichonnés comme tous les enfants photographiés en France), jeune parachutiste aux manches retroussées, officier bardé de décorations.   La photographie constitue ici un véritable chantage aux valeurs morales : patrie, armée, famille, honneur, baroud.

La convention photographique est d’ailleurs elle-même pleine de signes.   La pose de face accentue le réalisme du candidat, surtout s’il est pourvu de lunettes scrutatrices. Tout y exprime la pénétration, la gravité, la franchise : le futur député fixe l’ennemi, l’obstacle, le problème.   La pose de trois quarts, plus fréquente, suggère la tyrannie d’un idéal : le regard se perd noblement dans l’avenir, il n’affronte pas, il domine et ensemence un ailleurs pudiquement indéfini.   Presque tous les trois quarts sont ascensionnels, le visage est levé vers une lumière surnaturelle qui l’aspire, l’élève dans les régions d’une haute humanité, le candidat atteint à l’olympe des sentiments élevés, où toute contradiction politique est résolue : paix et guerre , progrès social et bénéfices patronaux, enseignement libre et subventions betteravières, la droite et la gauche (opposition toujours « dépassée » !), tout cela coexiste paisiblement dans ce regard pensif, noblement fixé sur les intérêts occultes de l’Ordre. » Roland BARTHES (Philosophe, critique littéraire, sémiologue français –  Extrait de son texte  Photogénie électorale  tiré du recueil  de Mythologies / 1954/56 )

BARTHES Roland
Roland BARTHES (1915/1980 )

 

 

Le monde enchanté d’Antoon KRINGS …

 » Je suis très attaché à la petite enfance et je voudrais que les enfants ne grandissent pas trop vite. Il y a des auteurs qui font des livres pour que les enfants grandissent et apprennent des choses, moi j’ai envie de leur apporter du rêve et qu’ils gardent, en grandissant, cette nostalgie de l’enfance. Pour moi ce qui compte c’est la magie, la féérie d’une histoire. Mon goût pour la nature, cette passion que j’éprouve depuis l’enfance font de moi le témoin attristé d’un monde où le vivant disparaît inexorablement. Parfois, j’ai l’impression de parler d’un univers révolu où les oiseaux, les insectes, les abeilles n’ont plus leur place. Par leur présence même, ce qu’ils sont, ce qu’ils font, mes personnages sensibilisent les enfants à toutes ces questions. Et c’est en cela qu’ils portent une parole « écologique » au même titre qu’ils sont porteurs avant toute chose de beauté, de complexité et de mystère. » Antoon KRINGS

Antoon KRINGS 2
Antoon KRINGS

Écologiste ? Pas militant en tous les cas , juste un grand passionné de nature, d’animaux, de jardins, de fleurs. Quelqu’un qui, au travers de son œuvre, souhaite que les enfants puissent regarder le monde autour d’eux différemment, développer une envie de découvrir la nature, l’aimer et la protéger.

Antoon Krings est un merveilleux auteur-illustrateur, mais pas que ! C’est aussi un peintre naturaliste, un fabuliste contemplatif dont l’œuvre peut paraître simpliste, mais qui ne l’est pas. Elle est bien plus profonde qu’on peut le croire. Au milieu des difficultés de l’époque dans laquelle nous vivons, son œuvre nous apporte une part de rêve enchanteur, de sérénité. Je dis nous parce que je ne crois pas qu’elle touche uniquement les enfants.

Il est né en 1962 dans le nord de la France, à Fourmies. Sa passion de la nature a commencé dès son plus jeune âge, dans le jardin de ses parents à Douai où, dit-il, il aimait observer attentivement toutes les beautés de la nature, du monde animal et végétal, mais aussi se plonger dans la lecture d’ouvrages concernant sa passion, ou admirer des tableaux et des illustrations s’y référant, notamment des planches naturalistes ou botanistes, ainsi que des natures-mortes.

Études en Art graphique à l’École Penninghen de Paris, débuts comme designer textile avant de revenir vers cette passion qui est réellement la sienne à savoir l’écriture et l’illustration, et nous faire entrer dans son monde, au milieu des jardins fleuris, de la verte nature, bercé  par les chants d’oiseaux, écoutant le bruissement des feuilles, la musique de l’eau, et surtout rencontrer des petites bêtes tellement adorables : Omar prince de la lune, Léon le bourdon, Mireille l’abeille, Siméon le papillon, Loulou le pou, Carole la luciole, César le lézard, Fennec le futé, Valérie la chauve-souris, Merlin le merle,   Apollon le grillon, Nora la ballerine etc etc …

KRINGS Contes d'été des drôles de petites bêtes
 » Les drôles de petites bêtes  » Antoon KRINGS

 » Quand je commence à écrire une histoire autour d’un personnage, j’ai besoin de le dessiner, de le visualiser, de l’animer à ma façon. Le texte et l’image, sous forme de crayonné, sont présents dès le début. C’est comme ça que je développe mes histoires, en dessinant dans les marges, finalement ce que je faisais lorsque j’étais écolier  »

Premiers albums très vite récompensés. Ses Drôles de petites bêtes (1995) par exemple, vont connaître un succès planétaire, traduit en plusieurs langues. Ses attendrissantes petites bestioles  séduisent à un point tel que certains d’entre elles  seront les héros d’un film qui sortira en 2017 réalisé par Antoon Krings et Arnaud Bouron.

A ce jour, soixante-cinq albums sont parus, une série télé a été créée. Une très belle exposition lui a été consacrée en 2019 au musée des Arts Décoratifs de Paris. Lui rêve à présent d’une comédie musicale …

 » Ce n’est pas parce que l’on fait de l’illustration jeunesse que l’on est pas un véritable artiste. C’est pourquoi on a replacé Antoon Krings dans l’histoire de l’art. Il a une culture visuelle incroyable. » Anne MONIER ( Conceptrice de l’expo qui lui a été consacrée au musée des Arts Décoratifs de Paris)

KRINGS Capucine la coquine
Capucine la coquine
DROLES DE PETITES BETES D'ANTOON KRINGS
Mireille l’abeille
KRINGS Apollon le grillon
Apollon le grillon
KRINGS Léo le Lérot
Léo le lérot
KRINGS Nora petit rat de l'Opéra
Nora petit rat de l’Opéra
KRINGS Louis le papillon de nuit
Louis papillon de nuit
KRINGS
Merlin le merle

 

Le cordonnier …

 » D’un caractère très bon
je fais la mule et le sabot
et pour Achille les talons
sans rien connaitre des chevaux.
Pour toute ma clientèle
j’ai un pied beau à mon enseigne
pour qu’ bientôt les cul-de-jatte
viennent chez moi en toute hâte.
Je chausse ainsi avec malice
le pied de grue, le pied de biche
en me riant d’un pied de nez
de toutes les difficultés.
Je fais un métier qui me botte
et que jamais je ne sabote.
Et en poète cordonnier,
j’aime les octo pour leurs huit pieds.
En ch’ville avec chacun,
j’ai un pied dans tout’s les affaires :
qu’il soit anglais ou bien marin
j’les connais tous même sous terre.
Des pieds, yen a en paquet :
des pieds d’ veau, des pieds d’ cochon
y’en a qui en sont très gourmets
mais moi j’en ai l’indigestion.
Lors pour mon steak que j’aime tendre
je me mets au pas, à vos pieds,
et tapant du pied sans attendre
je bats la semelle de vos souliers.
Je fais un métier qui me botte
et que jamais je ne sabote ;
lors en cordonnier chansonnier,
je ficelle des poèmes de huit pieds.
Je fais des pieds, non des mains
ça suffit à mon turbin.
Grâce à moi les psychopathes
sont bien dans leurs godasses;
Je prends tout au pied de la lettre,
je suis à pied d’oeuvre et mon maître
me fait du zèle sans ambition
pour rester dans mes petits chaussons.
Je fais un métier qui me botte
et que jamais je ne sabote ;
lors en poète cordonnier,
j’aime les octo pour leurs huit pieds.
Je fais un métier qui me botte
et que jamais je ne sabote;
lors en poète cordonnier,
je ficelle des poèmes de huit pieds. » Louis VIBAUVER ( Poète français)
CORDONNIER

L’usage du thé …

 » L’usage du thé est souverainement recommandé aux gentilshommes d’intelligence aiguë. Ainsi la continuité des idées distinctes pourra être préservée, grâce à son pouvoir inégalé d’éliminer ou de prévenir la somnolence et l’objectivité, troubles du cerveau et des facultés intellectuelles. Le thé génère une promptitude ardente, disperse l’oppression, maintient vigilant l’œil et brille la tête; anime la pensée, insuffle une vigueur renouvelée à l’invention, réveille les sens, purifie le cœur et l’esprit, maintient et accroît les idées déjà vives, excite les pouvoirs de l’intellect.  » Thomas SHORT ( Médecin, physicien / Extrait de son ouvrage Discours sur le thé (1750) 

TEA 1

L’art du pli et des éventails … Sylvain Le GUEN

«  L’éventail m’offre une grande liberté de création car les possibilités de formes, de choix et de combinaisons des matières sont infinies. Un éventail, c’est tout d’abord, la mécanique de l’objet : sa densité et son caractère compact quand il est fermé. Intriguant car on ne sait pas ce qu’il cache. Puis à l’ouverture, son changement d’état, la révélation de son intimité, de son apparente fragilité, de l’expression de son caractère. Pour moi, il s’agit d’une éclosion de forme, d’un développement qui a attrait au végétal, à la géométrisation du vivant. L’image de l’éventail véhicule beaucoup de préjugés : entre la Sévillane, la Geisha et Marie-Antoinette.

Dans son histoire, il est un objet utilitaire, mais aussi symbolique. Peu de gens savent, en effet, que l’éventail fut d’abord utilisé par des hommes. Véritable attribut de pouvoir du chef de clan, de guerre, l’éventail pouvait servir autant à maintenir le feu de la horde que chasser les insectes ou guider les troupes lors d’un combat militaire. Sous des formes et des aspects très variés, il est un objet présent dans toutes les cultures à travers le monde. En Chine, on le trouvait dans la main des lettrés, des notables, des juges et des courtisanes. En Égypte il pouvait être en or, en plumes, véritable sceptre marquant l’autorité du souverain. Sous nos latitudes, importé en Europe depuis le XVIe siècle du Japon et de la Chine, il n’a été adopté que par la gente féminine. Les dames de l’aristocratie ont vu dans cet objet exotique et intriguant , un accessoire frivole occupant les mains  et pouvant servir de marqueur social par la richesse de son ornementation. Les Reines et les Impératrices de toutes les Cours européennes portaient des éventais, bijoux qui rivalisaient de délicatesse et de somptuosité.  » Sylvain Le GUEN ( Maître-Éventailliste contemporain, français )

LE GUEN Photographie
Sylvain Le GUEN

Sylvain Le Guen, 37 ans, est l’un des rares éventaillistes que nous ayons en France. Il imagine, conçoit, et fabrique des éventails, un art qui nécessite un savoir-faire très exigeant, de la précision, de la finesse, de l’élégance  et du raffinement. Son talent lui a permis d’être récompensé à de nombreuses reprises, notamment recevoir en 2013 le prix de la création de la ville de Paris, et en 2015 le titre de Maître d’art du Ministère de la culture.

Les éventails sont une véritable pour lui et ce depuis l’enfance. A 10 ans il confectionnait déjà son premier éventail. Il fera son apprentissage en la matière au musée de l’éventail de Paris à l’âge de 19 ans, mais c’est la rencontre avec des collectionneurs qui va véritablement l’encourager à persévérer dans cette voie. Première exposition en 2001 au musée de la mode à Paris, laquelle va lui amener ses premières commandes.

Chaque modèle qu’il créé est unique. Du reste et dans la mesure du possible, il n’aime pas reproduire un modèle déjà existant. Les matières utilisées sont la nacre, la dentelle, la corne(bovins), les bois précieux, les os repercés, le cuir, les plumes, la soie, et le papier.

En 2006, il a été appelé par Sofia Coppola pour réaliser les éventail de son film Marie-Antoinette ; en 2011 il a exposé au Fan Museum de Londres et en 2015 il signera à nouveau pour le cinéma avec Cendrillon de Kenneth Branagh.

EVENTAILS MARIE ANTOINETTE
Film Marie-Antoinette / Éventails Sylvain Le GUEN

Passionné par tout ce qui touche au Japon, tant la culture, l’art, et la philosophie ( il s’y est rendu à plusieurs reprises) il partira cette année pour s’y installer durant quelques temps . Certes, il a son propre savoir-faire, mais il veut apprendre de leur art du plissage, des couleurs, de la peinture et bien sur des éventails.

Quelques-uns de ces modèles :

LE GUEN éventail 8

LE GUEN éventail 7

LE GUEN éventail 5

LE GUEN éventail 6

LE GUEN Eventail 1

LE GUEN éventail 4

LE GUEN éventail 3

Année BEETHOVEN … Quatuors …

 » Beethoven donnait ses Quatuors un dimanche matin au-dessus d’un troquet en présence de quelques rares auditeurs. Aujourd’hui un Quatuor de Beethoven peut se jouer dans une salle de deux mille places !  » Pierre BOULEZ (Compositeur et chef d’orchestre français)  .

« Avec Beethoven, le Quatuor devient un lieu privilégié de réflexion, de mise en question, d’intériorisation. Il est aussi le théâtre des innovations formelles les plus radicales qu’il connaîtra pendant tout le XIXe siècle  » Bernard FOURNIER (Musicologue, conférencier, spécialiste de la musique de Beethoven)

Beethoven a composé seize Quatuors. Aborder ce genre après celui qui en fut le maître à savoir Haydn (et  Mozart également) ce n’était pas évident. Quoi qu’il en soit il  va franchement relever le défi de façon assez audacieuse, novatrice, et on peut dire qu’il a  réussi . Si les premiers étaient quelque peu influencés par Haydn,  ceux qui vinrent par la suite, seront  l’œuvre d’une grande réflexion qui avait pris des années entre les premiers et les derniers . En conséquence de quoi, l’idée même du Quatuor avait évolué dans l’esprit de Beethoven, ce qui rendait la musique vertigineusement moderne et visionnaire .

C’est un genre exigeant  qui lui a permis vraiment de s’exprimer de façon assez sublime, d’aller au plus profond de son âme, d’aborder toutes les contradictions de la vie, un genre qui représente toute sa créativité, son audace, sa volonté d’ouvrir une voie nouvelle à la musique, sa capacité assez incroyable d’ailleurs à vouloir sans cesse renouveler son art.

J’en ai sélectionné quelques-uns :

Quatuor Op.18 N.1 ( 1799 ) 

«  Prends ce quatuor comme un petit signe de notre amitié, en souvenir des jours passés ensemble, où nous étions liés …. Prends garde de ne remettre à personne ton quatuor car je l’ai beaucoup remanié, attendu que maintenant seulement je sais écrire des quatuors corrects comme tu pourras le constater quand tu les recevras.  » écrira Beethoven à Karl Amenda, l’ami fidèle, avec lequel il va échanger une correspondance chaleureuse durant de longues années .  Amenda sera, au départ le dédicataire de ce Quatuor. Par contre, au moment où les six de l’opus 18 furent publiés( 1801) ils seront dédiés à son  mécène le prince Franz Lobkowicz ( c’est par lui que le compositeur sera amené à rencontrer Amenda).

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Comme l’indique Beethoven, ce Quatuor sera, en effet, considérablement remanié, ce qui en fera une œuvre puissante. Cette révision prouvera combien il  a pu arriver à une grande maîtrise du genre, non seulement dans la structure mais aussi dans la texture.

C’est une page claire, expressive, assez contrastée, raffinée dans sa sonorité, qui peut paraître simple, mais qui se révèle très concise, fortement développée notamment dans son premier mouvement ( lequel fut celui qui a été le plus retravaillé). Il y a de la passion aussi dans le sublime mouvement lent : elle s’explique semble t-il par le fait que ( selon Amenda ) Beethoven pensait au drame de Shakespeare Roméo et Juliette ( je m’en inspire pour exprimer un sentiment bien plus que pour le décrire ). Les ultimes mouvements sont plus empreints de vivacité et de profondeur.

( Vidéo : le QUATUOR ALBAN BERG )

 

Les trois Quatuors Razumovsky (1806 )

ANDREI RAZUMOVSKY 2
Comte Andreï RAZUMOVSKI

C’est le comte Andreï Razumovski, ambassadeur de Russie à Vienne, grand protecteur des Arts, qui lui a passé commande de ces trois merveilleux quatuors. Cet homme fait partie des personnalités mélomanes, inconditionnelles,  complètement fascinées par la musique de Beethoven, aussi exubérante fut-elle.

Beethoven fut très fier de ses trois quatuors et ce même si ils furent incompris non seulement du public, de la critique  (c’est une farce de toqué, une musique de cinglé ) , mais des musiciens qui durent les interpréter. Ces derniers ne manqueront pas de le lui faire savoir, ce à quoi il répondait que cette musique n’avait pas été composée pour eux mais pour les temps à venir ! Il a passé des mois pour certains mouvements de ces Quatuors.Si, pour être agréable au comte, il a inséré des airs de chansons populaires russes (dont un d’ailleurs sera repris un jour par Moussorgsky dans Boris Godounov) ils sont bien viennois malgré tout .

Ce sont des œuvres brillantes, assez provocatrices, inventives, complexes, démesurées, mais magistralement  belles ! Le premier nous fait partager son côté à la fois palpitant,  extravagant, virtuose, mais aussi rêveur, chantant, enchanteur ;  s’ensuivent ensuite des passages  assez tragiquement bouleversants, émotionnels,  obsédants qui laissent la place à un thème russe aux rythmes contrastés … Le frémissant second Quatuor nous fait partager sa puissance, son mystère, mais aussi sa délicatesse (laquelle a été soulignée et recommandée par Beethoven pour l’interprétation) , son intensité, mais aussi son côté final endiablé. …. Et le troisième ( le seul qui ne comportera pas de thème russe )  est assez époustouflant, tourbillonnant, à la fois empreint de gravité, de tragique, mais aussi de mystère, et de  vigueur impétueuse.

En marge de la partition, tout à côté du final de ce dernier Quatuor Beethoven écrira :  » De même que tu peux écrire des œuvres en dépit de toutes les entraves qu’imposent la société, ne garde plus le secret sur ta surdité, sur ton art .. » Une façon pour le compositeur de nous faire entrer dans ses ressentis intérieurs.

( Vidéo : Quatuor Op.59 N.1 interprété par le QUATUOR ALBAN BERG )

( Vidéo : Quatuor Op.59 N.2 par le QUATUOR BUSCH )

(Vidéo : Quatuor Op.59 N.3 interprété par le QUATUOR BUSCH )

 

Quatuor Op.74 N.1 dit Les Harpes

Cette partition fut écrite après les trois Razumovski. Elle sera dédiée à nouveau au Prince Lobkovitz. A l’époque où il le compose, il a déjà une sacrée expérience du genre, il sait ce qu’il peut faire ou ne pas faire et jusqu’où il peut aller  avec un Quatuor, peut lui importe si il est compris ou non dans sa démarche !

L’intitulé Les Harpes ne vient pas de Beethoven, mais de son éditeur en raison des nombreux pizzicati (pincements des cordes) du premier mouvement. C’est une œuvre irrésistible, intense, expressive  qui sera très appréciée, populaire et célèbre dès le départ. Sous son côté assez étrange, mystérieux, et recueilli du début, elle se révèle par la suite très inattendue, conquérante, provocatrice, tourbillonnante, vigoureuse, avec un mouvement lent très poignant, mélancoliquement triste.

( Vidéo : le QUATUOR ALBAN BERG )

 

Quatuor Op.131 N°14 ( 1827 ) 

« C’est la danse du monde lui-même ; désir farouche, plainte douloureuse, ravissement d’amour, extase suprême, gémissement, furie, volupté et souffrance, frémissement d’éclairs, grondement de la tempête ; et, dominant cet ensemble, le prodigieux musicien qui force et dompte tout, et qui, fier et tranquille, de tourbillon en tourbillon, nous conduit à l’abîme. Il sourit sur lui-même, car pour lui, cette magie n’était pourtant qu’un jeu. Mais la nuit vient lui faire un signe : pour lui, ce jour est révolu …   » Dira Wagner à propos du final.

Ce Quatuor, fut considéré par le compositeur comme étant l’œuvre musicale qu’il ait le mieux réussi. La meilleure à ses yeux. Quasi surhumaine dira ( très justement ) l’écrivain John William Sullivan . Quelques mois avant de mourir, Schubert souhaita l’entendre en privé, et il déclara : «  après cela que nous reste t-il à écrire ?  »

Beethoven a réuni trois formes  : la fugue,  forme sonate, la forme variation  dans cette monumentale et excellente partition. Il est réellement exceptionnel,  une merveille du genre, étonnant, très imaginatif, virtuose, intense, quasi méditatif parfois et tout aussi euphorique dans certains passages, sans oublier quelques soupçons d’humour .

( Vidéo : Le QUATUOR TAKACS )

 

Quatuor Op.132 N.15 ( 1823/1825)

Il fut dédié à l’un de ses grands admirateurs, violoncelliste à ses heures perdues : Nicolaï Borin Bolitsyne.

Je dirai qu’il me semble être probablement l’un des plus difficiles des Quatuors de Beethoven, probablement le plus profond, structurellement raffiné, parfaitement maîtrisé, dans un style épuré. C’est un peu sa personnalité à savoir un côté intériorisé pudique et un autre fortement extraverti par le tourment et la douleur. C’est à la fois la passion, le mystique, le romantique. Une page énergique, quasi spirituelle,  riche en émotions à fleur de peau je dirai, déroutante, stupéfiante, hésitante parfois mais brillante,

( Vidéo : Le QUATUOR BORODIN )

Les Halles …

 

HALLES Philibert Louis Debucourt_Halles 1782
 » Les Halles  » 1782 – Philibert Louis DEBUCOURT
HALLES 1879 Jean BERAUD
 » Les Halles  » 1879 – Jean BÉRAUD
Les Halles Léon LHERMITTE
 » Les Halles  » 1895 – Léon LHERMITTE

 » Il leva une dernière fois les yeux. Il regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouvant la masse des pavillons d’un portique de lumière, et, battant la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L’énorme charpente de fonte se noyait, bleuissait, n’était plus qu’n profil sombre sur les flammes d’incendie du levant. En haut, une vitre s’allumait, une goutte de clarté  roulait jusqu’aux gouttières, le long de la peinte des larges plaques de zinc. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil avait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses griffes ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient , et l’on eût dit l’épanouissement magistrale de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait traîner et se grossir dans l’ombre. A droite, à gauche, de tous les côtés,  des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrières elles le murmure des marchés qui s’ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes. Il ne reconnaissait plus l’aquarelle tendre des pâleurs de l’aube. Les cœurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents dans ce brasier triomphal. A sa gauche, des tomberaux de choux s’éboulaient encore. Il tourna les yeux, il vit, au loin, des camions qui débouchaient toujours de la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l’avait sentie à ses cheville, puis à son ventre ; elle menaçait, à cette heure, de passer par-dessus la tête. Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasait par tout ce qu’il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des halles. De grosses larmes chaudes jaillirent de ses yeux. » Emile ZOLA (Écrivain et journaliste français –  Extrait de son livre Le ventre de Paris )

 

Les anges …

« On ne sait pas précisément où les anges se tiennent, si c’est dans l’air, dans le vide, dans les planètes : Dieu n’a pas voulu que nous fussions instruits  » François-Marie AROUET dit  VOLTAIRE (Philosophe et écrivain français –  Extrait : Œuvres complètes / Tome VII – Dictionnaire philosophique)

ANGE