Des tableaux et des murs …

« Je mets un tableau sur un mur. Ensuite j’oublie qu’il y a un mur. Je ne sais plus ce qu’il y a derrière ce mur. Je ne sais plus qu’il y a un mur. Je ne sais plus que ce mur est un mur. Je ne sais plus ce que c’est qu’un mur. Je ne sais plus que dans mon appartement il y a des murs et que s’il n’y avait pas de murs, il n’y aurait pas d’appartement. Le mur n’est plus ce qui délimite et définit le lieu ou je vis, ce qui le sépare des autres lieux où les autres vivent. Il n’est plus qu’un support pour le tableau. Mais j’oublie aussi le tableau, je ne le regarde plus, je ne sais plus le regarder. J’ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu’il y avait un mur , mais en oubliant le mur, j’oublie aussi le tableau. Il y a des tableaux parce qu’il y a des murs. Il faut pouvoir oublier qu’il y a des murs et l’on a rien trouvé de mieux pour ça que les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement soit de mur, soit du tableau, mettre sans cesse d’autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau du mur. On pourrait écrire sur ces murs, comme on écrit parfois sur les façades des maisons, sur les palissades des chantiers, sur les murailles des prisons … Mais on ne le fait que très rarement. » Georges PEREC ( Écrivain et verbicruciste français – Extrait de son livre Espèces d’espaces (1974)

TABLEAUX une galerie Pieter Christoffel Wonder
Tableau : PIeter Christofell WONDER
TABLEAUX l'archiduc Léopold dans sa galerie à Bruxelle par david Teniers le Jeune
Tableau : David TENIERS Le Jeune