« La danse et la mode ont une réelle cause commune : leur matière première est le corps » … » Trouver un titre à une exposition est toujours une gageure. Il s’agit de dévoiler sans prendre des chemins de traverses. Le titre doit résumer l’esprit de l’exposition. Celui-ci met à égalité la couture et la danse, les présente main das la main. » Philippe NOISETTE
Le centre national du costume de scène de Moulins est un musée inauguré en 2006, où sont conservés de merveilleux costumes issus du théâtre, de l’opéra et de la danse. Un espace d’exposition permanente imaginé par Ezio Frigerio et Giuliano Spinelli est dédié à Rudolf Noureev. On peut entrer dans l’univers de ce merveilleux danseur, au travers de différentes pièces qui lui sont personnelles : tutus, costumes, tableaux, sculptures, meubles objets etc… Si l’occasion se présente à vous, n’hésitez pas à vous rendre dans ce musée !
Actuellement et jusqu’au 3 mai 2020 , il présente une très originale, riche et belle exposition qui s’intitule : « COUTURIERS DE LA DANSE – De Chanel à Versace » – Un parcours thématique au travers de 120 costumes environ ( dans des vitrines-écrins répartis en 13 salles), dont certains n’ont jamais été montrés en France, du XIXe siècle à nos jours, signés par des grands couturiers et créateurs : Jean-Paul Gaultier, Gianni Versace, Viktor et Rolf, Adeline André , Maria Grazia Chiuri (Dior) , Coco Chanel (une des premières à l’avoir fait avec les Ballets Russes) , Karl Lagerfeld, Olivier Rousteing (Balmain), Christian Lacroix, Iris Van Herpen, Yves Saint Laurent, Issey Miyaké, Riccardo Tisci (Givenchy) … J’en oublie certainement !
A une certaine époque, la danse ( particulièrement avec Les Ballets Russes de Diaghilev) a permis de faire collaborer ensemble peintres, musiciens, écrivains, plasticiens, décorateurs et couturiers. Très habillée par le passé, elle a été déshabillée. Elle s’est libérée de certains carcans et a permis aux danseurs et danseuses de découvrir des sensations plus fortes dans leurs mouvements. Les créateurs de costumes et les couturiers se sont très souvent montrés révolutionnaires dans ce domaine surtout à partir du XIXe siècle, inventifs, voire même quelque peu futuristes . Le tutu classique s’est vu complètement mis de côté pour faire place, parfois, à des tenues assez incroyablement délirantes et que l’on aurait jamais imaginer en danse.



L’univers de la mode est différent celui de la scène. Il n’est pas si facile de réaliser des costumes pour la danse, tout simplement parce qu’il faut avoir en tête que cette pièce va être utilisée par un corps qui bouge beaucoup, donc de nombreux paramètres sont à prendre en compte comme par exemple le choix du tissu , très important parce qu’ il faut qu’il soit à la fois résistant, pas très lourd, plutôt fluide, afin de permettre une grande liberté de mouvements et que le danseur ou la danseuse qui va le porter ne se blesse pas avec une ornementation mise sur le tissu pour le mettre encore plus en valeur.
Il y a une sorte d’osmose entre le costumier ( qu’il soit grand couturier ou non ) et le chorégraphe compte tenu que leur collaboration est celle de deux créatifs qui mettent leurs idées en commun. C’est justement ces incroyables et merveilleuses collaborations-partages qui sont au centre de cette exposition.
Il m’a semblé intéressant de revenir un peu en arrière : d’abord avec le terme : Tutu un merveilleux petit mot qui rentrera en usage vers 1881. On attribue l’origine de son nom au tulle ( tissu ). Avant cette date on parlait davantage d’un habit ou costume de danse(cette dernière appellation revient souvent de nos jours d’ailleurs)
Autrefois, la coutume voulait que le corps de ballet porte un tutu en tulle de coton et que celui des étoiles soit en tulle de soie. De nos jours, c’est mousseline pour le corps de ballet et organza pour les étoiles .Lorsque Serge Lifar prit le poste de directeur à l’Opéra de Paris, il va décider que le tutu ne serait plus porté par les élèves de l’école de danse. La réforme est passée en 1930 et depuis, le tutu est uniquement porté sur scène.
La danse classique a commencé sous le règne de Louis XIV qui, comme chacun le sait, avait une réelle passion pour la danse. Non seulement il l’aimait mais lui-même fut un excellent danseur. Lorsque le ballet ne représentait qu’un passe-temps à la Cour de Versailles, une façon de paraître, celles et ceux qui y participaient (y compris sa Majesté arboraient des vêtements certes somptueux, mais dans, bien des cas, pesants et encombrants.
Après la création de l’Académie Royale de musique, on verra apparaître les premières danseuses. Elles se présentaient engoncées dans ce que l’on pourrait appeler costumes, mais qui ressemblaient à des robes de bal, pesantes, ornées de broderies, avec un bustier, des manches ballonnées, cintrées à la taille, montées sur un jupon-panier et descendant jusqu’aux pieds. Cela ressemblait beaucoup plus à une robe portée pour un dîner ou un bal qu’un costume pour aller danser sur scène.
Fort heureusement, le temps allégera les choses par l’arrivée de tissus plus légers comme la soie, la mousseline qui vont donner un aspect plus fluide aux costumes … Le temps oui, mais les audaces des danseuses aussi, lesquelles seront d’une telle ampleur parfois que le règlement finira par rendre obligatoire le « caleçon de la modestie « en coton ou en soie, tenu par des jarretières et qui était accroché à un petit pantalon. En résumé, c’était, en quelque sorte, l’ancêtre de ce que nous appelons de nous jours le collant académique.
Comment oublier en effet Marie-Anne Cupis de Camargo, dite la Camargo, brillante, musicale, audacieuse danseuse réputée pour exécuter à la perfection des figures typiquement réservées aux hommes, et qui fera scandale en 1730 en décidant de son propre chef de couper sa robe de danse, dévoilant ainsi ses chevilles et presque ses mollets, afin d’acquérir plus de liberté dans ses mouvements … Ou sa rivale Marie Sallé, dite la Vestale, qui , quatre ans plus tard, abandonnera perruque et jupon-panier réglementaires pour revêtir une robe de mousseline et danser cheveux défaits dans le ballet Pygmalion … La talentueuse technicienne aérienne, virtuose de la danse : Marie Taglioni, quant à elle, première à danser sur pointes, apparaîtra sur scène vêtue d’un costume blanc, avec corsage ajusté, jupe très légère en mousseline, ornementé de petites ailes dans le dos, pour représenter le côté pur, gracieux et virginal de son rôle dans le ballet de son père la Sylphide … Sans oublier l’incroyable Pierina Legnani qui va déclencher un scandale au théâtre du Mariinsky, refusant catégoriquement de porter un tutu traditionnel sous prétexte qu’il s’agissait pour elle d’un costume de grand-mère ! Elle obtiendra gain de cause d’ailleurs.

Au XIXe siècle , une autre danseuse pendra des initiatives. Loïe Fuller. Engagée à New York dans une pièce (Quack Medical Doctor), c’est elle qui créera son costume avec un tissu en soie qui lui avait été offert par des officiers anglais. Elle s’en est expliquée dans son livre Quinze ans de ma vie » Ma robe, qui allait devenir la robe du triomphe, était trop longue d’un demi-mètre au moins. Je relevai alors la ceinture et me confectionnai ainsi une sorte de robe empire en épinglant la jupe à un corsage décolleté. La robe devenait très originale, un peu ridicule même mais c’était tout à fait ce qui convenait pour la scène d’hypnose que je devait jouer et que nous ne prenions pas au sérieux. » Elle va être comparée à un papillon, puis à une fleur, un esprit qui vole. De là naîtra sa Danse Serpentine avec laquelle elle fera un triomphe avec elle aux Folies Bergères de Paris deux ans plus tard.

Le tutu n’a pas été qu’un uniforme strict conçu pour la danse. Certes il est le symbole de la danseuse classique, mais il a su évoluer. Il a eu plusieurs vies. Au fur et à mesure du temps, des danseuses, des chorégraphes ( bien souvent à leur demande d’ailleurs) le tutu a été revu, corrigé, allégé, raccourci et monté haut sur la hanche, dit à plateau, à cerclette, galette, à houpette. Pas spécialement blanc, coloré, passementé , pailleté, ornementé, stylisé, en formes diverses. Le jupon, par contre, ne doit pas être épais, plutôt léger ( gaze, organdi, voile, tulle, mousseline, tarlatane). Délaissé par les chorégraphes contemporains, il est réapparu chez d’autres, comme jadis, avec des volants cousus sur la culotte ( une trousse ).

La danse raconte quasiment l’histoire du costume. Elle suit les époques et évolue. Elle se drape, se plisse, se dénude aussi, épouse le corset, les crinolines, les jupes courtes bouffantes. Le costume masculin, en revanche, n’aura pas autant de reconnaissance.Ils furent longtemps inspirés par les costumes militaires , puis par ceux des sportifs. Ce n’est pas évident pour les couturiers de créer un costume de danse pour un homme, Dans cet exercice Yves Saint Laurent va exceller avec Notre- Dame de Paris de Roland Petit. Il créera des sortes de pourpoints très colorés. St Laurent dira qu’il s’est inspiré du peintre Mondrian pour les couleurs.

Dans l’expo de ce jour il y a quelque chose qui revient souvent, une question que l’on peut être amené à se poser. La danse est un art, certes, mais la couture en est-elle un ? A mes yeux, la haute-couture est un art et toutes celles et ceux qui s’y emploient des couturières, aux brodeuses, en passant par celui qui en est le créateur, sont des artistes. Associer des couturiers et la mode à la danse, eh bien c’est apporter un plus de beauté à chacune de ces deux disciplines, et parfois une touche d’originalité surprenante.
Avec la danse, les couturiers vont pouvoir expérimenter, innover, imaginer mais aussi aller à la rencontre de difficultés aussi parce que comme je l’ai dit plus haut, il faut utiliser des tissus et matériaux, bien souvent différents de ceux des vêtements qu’ils destinent aux mannequins pour les défilés. La danse c’est le mouvement. Créer un costume de danse, c’est penser à tout ce qu’il va exprimer de créatif au travers de la chorégraphie et de la musique. Ce peut être poétique et l’être moins aussi. La matière des costumes de danse a son importance parce qu’elle est liée au mouvement. Elle s’est adaptée aux fantaisies et évolutions de la mode
Promenons-nous dans ces espaces et partons à la rencontre de quelques couturiers, stylistes, et autres artistes qui ont travaillé pour la danse : Sonia DELAUNAY : Certaine que l’art ne pouvait se renouveler qu’en abordant différentes autres formes que la peinture, en abolissant la hiérarchie existante entre arts mineurs et majeures, elle va s’intéresser à la décoration, à la mode, et la danse en travaillant dans ce domaine avec son mari Robert qui signera de nombreux décors de ballets. En 1921, leur appartement à Paris servira non seulement d’atelier mais de salon de couture. On retient notamment la participation du couple dans le ballet de Mikhail Fokine pour les Ballets Russes : Cléopâtre.


Il faut savoir que les Ballets Russes ont véritablement révolutionné l’esthétique de la danse, en mêlant peinture, musique, arts plastiques et danse, donnant ainsi naissance à ce que l’on a appelé un art total.
Gabrielle CHANEL : bien avant qu’elle ne soit la très célèbre Coco, elle travaillait déjà dans le monde de la couture et de la mode avec audace et brio . Elle va collaborer; dès 1922 , avec les Ballets Russes pour la réalisation de costumes destinés à la danse, avec à ses côtés des compositeurs et peintres célèbres comme Picasso par exemple. C’est elle qui créera les costumes de l’audacieux ballet célébrant le sport et les bains de mer : Le Train bleu chorégraphié par Bronislava Nijinska (sœur du danseur Nijinski) pour lequel elle utilisera une matière qu’elle appréciait pour sa souplesse et sa légèreté : le jersey. Elle innove avec des mini-shorts, des marcels, des maillots de bain, des tenues de sport (notamment pour le golf ) et des collants, prévoyant avant tout le confort des danseurs. très souple comme le jersey.
» La mode n’existe pas seulement dans les robes ; la mode est dans l’air, c’est le vent qui l’apporte, on la pressent, on la respire, elle est au ciel et sur le macadam, elle tient aux idées, aux mœurs, aux événements. » C.C

Jean-Paul GAULTIER : Pas vraiment passionné par la danse au départ, surtout classique, mais qui commencera à s’y intéresser lorsque Régine Chopinot, chorégraphe contemporaine, va l’approcher pour qu’il signe des costumes de danse. Il va y prendre goût, beaucoup même, et signera pour d’autres ballets notamment ceux de Angelin Preljocaj. Alors bien sur, on connaît les extravagances de Gaultier ! Elles ont été de mise dans les costumes insolents qu’il a créés pour la danse. Il s’est joué du tutu et l’a réinventé, l’a voulu plus fantaisiste, asexué.

Gaultier amènera sa marinière à la danse « les pulls marins vont avec tout, ne se démodent pas et ne se démoderont probablement jamais » J.P.G

Si il y a eu, en effet, une collaboration forte entre un chorégraphe et un couturier, ce fut celle de Maurice BÉJART et Gianni VERSACE. » Un jour on m’a fait savoir qu’il y avait à la Scala un jeune designer très doué qui dessinait pour la danse et l’opéra et que je devais rencontrer. C’était Gianni Versace » …. De leur union artistique naîtrons douze ballets, une grande complicité et une forte amitié. Comme il l expliquera souvent, Béjart a permis à Versace d’aller encore plus loin dans ses inspirations pour les costumes.Le couturier a réellement fait corps avec la danse, allant même jusqu’à avoir un atelier sur scène, coupant, cousant quasiment en direct.



Christian LACROIX : « J’aime les choses insensées. Le tutu en est une . C’est une invention folle à la fois féérique et surréaliste, mais le tutu appartient à la tradition et c’est là qu’il prend toute sa dimension, tout son intérêt.Aucun designer, aucun couturier ne pourra jamais rivaliser avec un vêtement pareil. Le tutu n’est pas né d’hier. »
Ce couturier a véritablement excellé dans la création de costumes pour la danse. Il a toujours eu un profond respect pour le tutu, son histoire. Ses créations dans ce domaine sont magnifiques, utilisant des belles matières : tulle, satin, dentelle, soie, taffetas, organza. Les couleurs sont splendides et jouent entre elles. Il y a beaucoup d’élégance et de raffinement. Son travail se base souvent sur l’esprit de ce qui se faisait autrefois.
Il a réalisé de très nombreux costumes, collaboré a plus de 25 productions que ce soit pour l’opéra, la danse ou le théâtre. Ci-dessous les tutus confectionnés pour Les Anges ternis de Mikhail BARYSNIKOV.

Iris VAN HERPEN : créatrice néerlandaise, la première à utiliser une imprimante 3D et découpe au laser pour la haute couture . Van Herpen a fait de la danse dans sa jeunesse et elle est retournée vers cet art en travaillant pour des costumes demandés par l’Opéra de Paris, le New York City ballet, la Compagnie Sasha Waltz et autres … Dans ce genre de réalisations, elle utilise des textures peu utilisées pour des costumes de danse comme le coton, métal et le cuir. Son travail dans ce domaine comme dans ce qu’elle propose pour la mode est à la fois étrange et fascinant

Je vous invite à admirer d’autres costumes présents dans l’expo :



