
» Pourquoi je peins la danse ? C’est le mouvement des gens et des choses qui nous console. Si les feuilles des arbres ne bougeaient pas, les arbres seraient infiniment tristes et leur tristesse serait la nôtre. » …. »Aucun art n’est aussi peu spontané que le mien. Ce que je fais est le résultat de la réflexion et de l’étude des grand maîtres, de l’inspiration, la spontanéité, le tempérament, je ne sais rien. » Edgar DEGAS
Edgar De Gas ( tel était son nom réel – après quoi il signera Degas) est né en 1834 à Paris dans une famille bourgeoise. Le papa, Auguste, est banquier. C’est un passionné de peinture qui transmettra sa passion à son fils, l’emmènera au Louvre ou chez de grands collectionneurs de ses amis. La maman, Célestine, est une créole qui descendait d’une famille originaire de la Louisiane aux Etats Unis. Elle va mourir lorsqu’il était adolescent.
Il fut un peintre très talentueux, imaginatif, réaliste, un admirable dessinateur, un graveur et un sculpteur. Il a eu une personnalité très complexe oscillant entre héritage classique( auquel il est resté fidèle) et réalisme moderne. Quant à sa place au sein des impressionnistes, on peut dire que ce fut surtout celle de la liberté de peindre, parce qu’il ne fut pas toujours d’accord avec ce que proposait ce mouvement, et, notamment au niveau de l’esthétique : lui préférait nettement les intérieurs, la lumière artificielle, ses effets, le travail de mémoire retranscrit après dans son atelier etc… et en bon héritier de Ingres il va favoriser la ligne à la couleur. En peinture sa démarche a été plus cérébrale.
» A vous il faut la vie naturelle, à moi la vie factice » a t-il dit un jour à Camille PISSARRO
Si il avait voulu, il aurait pu être un grand espoir de la peinture dite officielle, mais cela ne sera pas possible car il avait un goût bien trop prononcé pour le réalisme, la réalité baudelairienne, et les sujets inédits. Il a vraiment jeté un pont entre deux époques, a relié le passé au présent, sans jamais cesser de se renouveler dans son art.
Peintre des danseuses … C’est Edouard Manet, son ami , qui lui donnera un jour ce surnom. Il le fera dans une correspondance qu’il avait adressé à Henri Fantin-Latour en 1868. Ce à quoi Degas rétorquait : » on m’appelle le peintre des danseuses, mais on ne comprend pas que pour moi la danseuse a été un prétexte de peindre de jolies étoffes et rendre des mouvements. » –
Mouvement … c’est bien de cela qu’il s’agit en ce qui le concerne. Si il a tant observé les enchaînements répétés inlassablement, c’est pour mieux en exprimer ensuite l’expressivité de l’instant. Les mouvements et les gestes ont été une véritable obsession pour lui, laquelle fut nourrie par un incroyable sens scientifique dans sa composition (humain ou animal d’ailleurs) – Il a été fasciné par le corps qui bouge, qui danse, qui se cambre et s’étire.
» Pourquoi peignez-vous des danseuses ? lui demanda un jour Louise Havemeyer, une collectionneuse venue des Etats-Unis – » Parce que là seulement je puis retrouver les mouvements des grecs » répondit Degas.
Lorsqu’il était loin de l’Opéra, Degas affirmait que ce manque était une souffrance. Il est vrai que nul autre que lui n’a éprouvé une telle passion pour tout ce qui entourait cette institution qu’elle se trouve rue Le Peletier (qui fut vraiment sa préférée ) , puis à Garnier (qu’il a beaucoup moins aimé ) : les danseuses, les musiciens, la scène, les coulisses, les costumes, les décors, les éclairages, etc… Il se déplacera beaucoup pour pouvoir avoir le meilleur angle et capter le détail qui pouvait l’intéresser. Il passera vraiment de très longues heures à observer et étudier.


Certaines personnes n’ont pas trouvé que ces tableaux sur la danse et l’Opéra furent aussi révolutionnaires qu’ils l’ont été, mais pourtant à une certaine époque eh bien c’était très novateur. Il a parfaitement su maîtriser les raccourcis, l’espace , pratiquer les gros plans, utiliser le contre-jour, les reflets, les sources de lumière etc…Là où d’autres peintres n’ont vu que la beauté de la danseuse, lui a voulu rompre avec cette vision et donner celle de l’effort, de la tension, de l’attente lors des examens, de l’entrée sur scène, mais aussi celle des pauses et de la détente.


L’Opéra a été une source incroyable de sujets, un véritable laboratoire disponible pour lui . C’était aussi le lieu de ce qu’il aimait à savoir l’art lyrique, la musique, la danse – Il a eu une vision pénétrante des mystères du ballet dans le sens où il n’a pas touché que les danseuses mais également les professeurs, les maîtres de ballet, et les accompagnateurs ((violon ou piano ) qui jouaient durant les répétitions.
Et cette passion continuera même lorsqu’il ne viendra plus à l’Opéra vers 1892 env. .Elle se poursuivra, en effet, dans son atelier. Il ressortira tous les dessins se référant à ce sujet, et les revisitera, les transformera pour que d’autres vivent encore.
Le musée d’Orsay se penche sur cette passion de l’Opéra éprouvée par l’artiste, ses goûts, ses points de vue picturaux, mais nous permet aussi de voir combien cette Institution a pu être un véritable laboratoire pour lui. L’exposition s’intitule :
« DEGAS à l’Opéra – jusqu’au 19 janvier 2020 » – En dix sections thématiques, avec des prêts magnifiques issus des belles collections du Musée d’Orsay, de la National Gallery de Washington, musée Pouchkine de Moscou, Victoria et Albert Museum de Londres, Museum of Arts de Dallas, Brooklyn museum de New York et autres institutions célèbres.
Fin du XIXe siècle, l’Opéra était vraiment un lieu où pouvait se retrouver le Tout-Paris- Le foyer de la danse a été un endroit très prisé par de riches abonnés et ce depuis que la permission de s’y rendre leur avait été accordée en 1830. Au départ c’était pour qu’ils puissent avoir le privilège d’être au plus près des danseuses durant leur temps de pause et de repos. Mais au fil du temps, ils y venaient surtout pour tenter d’obtenir un rendez-vous afin d’avoir des relations plus intimes avec certaines d’entre elles.



Degas n’a jamais été de ceux-là . Il venait là pour étudier l’art de la danse et du ballet, du mouvement, du geste, mais aussi la musique, l’orchestre, la scène, les coulisses, les décors etc…. . En parfait réaliste, il avait pour objectif de ne pas montrer que le côté grâce et paillettes de l’endroit, mais faire comprendre que c’était un univers où l’on rencontrait certes des joies, mais également des difficultés et des souffrances. Il a beaucoup respecté les ballerines, lesquelles ont vite compris le but qu’il poursuivait, ce qui, au fil du temps, lui a permis d’avoir des relations très amicales avec elles ….De 1860 env à 1890, soit une trentaine d’années, il n’a cessé de les étudier.

Et si un jour la critique a pu penser qu’il a été indiscret dans sa démarche, lui n’a jamais pensé, un seul instant, que son travail était un quelconque voyeurisme. Il n’a pas été, comme a pu le dire ou même comme on peu le lire de nos jours, un voyeur, mais plutôt un observateur. Ce terme est plus juste.
Si l’on se pose la question de savoir pourquoi il n’y a pas de danseurs masculins dans les tableaux de Degas, c’est volontaire. Pour le public à cette époque-là, seules les danseuses comptaient. Elles étaient très convoitées, au centre de tout. Le danseur lui n’avait un emploi que secondaire. Malheureusement, il ne représentait pas grand chose mis à part être un partenaire ayant assez de force pour les soulever durant les portés, les équilibres et les sauts etc… C’est ce qui avait fait considérablement baisser leur niveau en tant que danseur. Les seuls hommes que l’on peut voir dans ses tableaux sont les maîtres de ballet ou chorégraphes.

Il est vrai que les femmes étaient beaucoup plus gracieuses et aériennes que ne pouvaient l’être les hommes, et le fait qu’elles aient pu un jour danser sur pointes les rendaient comparables à ce qu’elles étaient sur scène : des elfes, des sylphides, des fées, des esprits éthérés fortement appréciés.



Un bon nombre d’entre elles ont refusé les avances de certains abonnés, mais d’autres, issues de milieux plus modestes acceptaient ( voire même recherchaient ) un protecteur. Et d’ailleurs, elles étaient, très souvent, poussées en cela par leur famille : » les mères des danseuses marchandaient le droit de cuissage de leurs filles, leur viol » dira de façon très forte Louis Véron , administrateur de l’Opéra, dans ses Mémoires. Il semblerait qu’elles (les mères le plus souvent, mais aussi les sœurs aînées ou les tantes,voire même des cousines ) allaient même jusqu’à encourager ces messieurs dès qu’elles se rendaient compte qu’ils avaient les moyens …. Tout comme elles faisaient semblant de s’indigner envers ceux s’ils n’étaient pas aussi aisés qu’ils paraissaient , en les accusant de n’avoir aucun respect pour leurs filles !
Début du XXe siècle, les choses changeront car la direction de l’Opéra va y mettre un véto. Les abonnés n’eurent plus le droit d’entrer au foyer de la danse, les mères non plus d’ailleurs, et les danseuses soupçonnées de s’adonner à une quelconque forme de prostitution, étaient purement et simplement renvoyées de l’Institution. La danse à l’Opéra était un art respectable et les danseuses, qui étaient au service de cet art, se devaient de l’être tout autant. Désormais elles avaient un statut.
Mis à part la danse , Degas a eu aussi une passion pour la musique (grand admirateur de Gluck, comme son père ) . Elle a fait partie de son éducation, comme elle l’était d’ailleurs dans bon nombre de familles aisées. Il a grandi auprès d’un père passionné par cet art et par la peinture, lequel donnait des grandes soirées musicales (le lundi) dans leur appartement près des Tuileries. Bon nombre d’artistes, peintres, musiciens, écrivains y étaient invités. C’est du reste durant l’une d’elles que Edgar fera connaissance de Désiré Dihau ( bassonniste ) qui deviendra son ami. Il lui permettra de connaître d’autres musiciens de l’Opéra et avoir ses entrées dans l’institution.




Par ailleurs il entretenait une grande amitié ( depuis le lycée ) avec le librettiste Ludovic Halévy ( neveu du compositeur ) lequel lui donnera la possibilité d’assister à un examen de danse, et rencontrer l’étoile du moment à savoir Eugénie Fiocre.


Degas n’a pas fréquenté l’Opéra uniquement pour son travail, mais pour son plaisir également. D’après les registres de Garnier, il semble qu’il soit même revenu plusieurs fois pour voir certaines œuvres comme Rigoletto et Aïda (Verdi), Coppelia(Delibes) , Guillaume Tell( Rossini) ,Faust (Gounod) , Robert le Diable (Meyerbeer) ou La Juive ( Halévy ) –


Entre 1880 et 1890 ses problèmes oculaires se sont considérablement aggravés, une quasi cécité le gagne : impossibilité de fixer, juste voir les concours des choses. Puis ce fut le tour de la couleur qu’il distinguait mal : ce sera une des raisons pour laquelle nombre de ses derniers tableaux ont des tons assez vifs. Bien sur il recevra des soins, prodigués d’ailleurs par des éminents spécialistes de l’époque. Il portera des lunettes, mais cela n’arrangera pas franchement sa pathologie. Il va donc s’adapter et modifier sa façon de traiter son art.
» Plus je vieillis, plus je me suis rendu compte que pour arriver à une exactitude si parfaite qu’elle donne la sensation de vie, il fallait recourir aux trois dimensions, et cela non seulement parce que le travail du modelage exige de la part de l’artiste une observation prolongée, une faculté d’attention plus soutenue, mais parce que l’à-peu-près n’est y est pas de mise. » E.D.
Edgar Degas meurt en 1917 dans son appartement du boulevard de Clichy des suites d’une congestion cérébrale. Il avait 83 ans. On retrouvera beaucoup de ses toiles, mais aussi celles de sa prestigieuses collection ( Corot, Cézanne, Gauguin, Ingres, Delacroix etc…) ainsi que des sculptures.

Superbe vraiment. Très bel article Lisa
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Merci Mélie ! Je suis ravie qu’il ait pu retenir ton attention – Excellente semaine à toi 🙂
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À toi également !
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Cette expo, je vais la voir cette semaine et du coup, j’ai moi aussi travaillé sur le sujet pour préparer ma prochaine chronique. Celle-ci est comme toujours très complète. Tout y est et plus encore. Comme l’amitié avec le neveu du compositeur et d’autres choses… Merci vraiment beaucoup pour cette chronique ! Très bon dimanche, Lisa .
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Il ne fait aucun doute que tu apprécieras cette belle expo – En tous les cas je le souhaite et te remercie de ton commentaire et je suis ravie que cet article ait pu te plaire. Une belle semaine Tatoune 🙂
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Je retiens dans sa démarche, le travail de mémoire, l’envie d’exprimer le réel.
Je retiens aussi sa voix singulière parmi les impressionnistes…belle leçon de vie !
Merci beaucoup de partager avec nous.
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Je suis réellement ravie de savoir que mes passions passent au travers de mes posts et qu’ils puissent plaire – C’est moi qui vous remercie ! Douce fin d’après-midi ❤
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J’ai beaucoup apprécié cet article, je suis complètement passée à côté de l’exposition et j’ai découvert Degas « sur le tard », ce que vous en dites me donne encore plus envie d’en savoir, d’en voir, vivement que les musées ouvrent de nouveau, merci beaucoup à vous, très bonne journée, Louise Salmone
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Merci d’avoir aimé. Il y aura probablement un jour une autre expo sur Degas … Et je suis d’accord avec vous » vivement que les musées ouvrent leurs portes » , d’autant qu’il y a de magnifiques expos qui sont restées en suspens et franchement ce serait bien dommage qu’elles n’existent qu’à travers le virtuel. Je vous souhaite, moi aussi, un beau dimanche Louise ♥
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