
» Ceux qui reçoivent la faveur de la fortune doivent utiliser leur argent non seulement pour leur propre plaisir, mais aussi pour faire avancer les causes de la civilisation » Samuel COURTAULD
Si vous avez envie d’admirer des chefs-d’oeuvre impressionnistes magnifiques que vous avez certainement vus dans des livres, des photos ou autres, parce qu’ils sont connus, mais que vous n’avez pu admirer » en réel » devant vous, parce qu’il se trouvent, habituellement, dans leur écrin d’origine à savoir la Galerie Courtauld de Londres , eh bien c’est l’occasion où jamais de vous rendre à la Fondation Vuitton pour pouvoir le faire !
L’exposition, présentée de façon chronologique, sur sept espaces, et couvrant une soixantaine de tableaux , s’intitule : » La Collection Courtauld – Le parti de l’impressionnisme. » jusqu’au 19 Juin 2019
On peut dire que c’est une première, car la dernière fois qu’une telle occasion nous a été offerte en France ( en quantitatif moins riche ) c’était il y a environ 60 ans, au musée de l’Orangerie. Si cela a été possible cette année, c’est tout simplement en raison du fait que la Galerie Courtauld est, actuellement, fermée pour travaux importants de rénovation, aménagements divers, création de nouvelles salles etc….Certaines œuvres ont donc pu quitter Londres. D’autres non ( malheureusement) en raison de leur fragilité. C’est donc une grande chance !
Samuel Courtauld, magnat du textile, mécène, fut un immense collectionneur quelque peu idéaliste, mais très intuitif, instinctif et efficace . Certes il l’a été par plaisir personnel, mais pas uniquement : il le fut aussi pour que d’autres puissent, un jour, en profiter. Ce fut la même chose avec son argent : il a tenu à ce qu’il soit mis au profit de celles et ceux qui souhaitaient s’instruire et élargir le champ de leurs connaissances, un souhait partagé avec son épouse Elizabeth. Il va aussi aider de jeunes talents à percer dans le monde difficile de l’art ; tout comme il s’attellera à la création d’un Institut et d’une Galerie .
L’impressionnisme est un mouvement qui a pris son nom en 1874. Mais ce n’est qu’en 1886 à partir de l’exposition qui eut lieu à New York, organisée par le marchand d’art Paul Durand-Ruel ( Travaux huile et pastel par les impressionnistes français) que ces peintres vont, petit à petit, être reconnus et que leur travail sera apprécié. En France il le sera un peu plus tard vers 1890 lorsque des œuvres impressionnistes entrent au musée du Luxembourg de Paris et que certains artistes en présentent d’autres à l’Exposition universelle de 1900. L’Angleterre de son côté ( et ce même si, à une certaine époque, elle a accueilli bon nombre de peintres français, dont des impressionnistes) a été très longtemps hostile à ce mouvement avant de lui ouvrir son cœur et ses portes. Courtauld a été de ceux qui ont vraiment tout fait pour qu’il en soit ainsi.
Lorsque Samuel Courtauld et son épouse Elizabeth vont s’intéresser à ce genre de peinture en 1917, l’intérêt porté à l’impressionnisme était donc assez récent (une trentaine d’années). Toutefois, il ne faisait pas encore totalement l’unanimité sauf dans certains milieux fréquentés par des historiens, critiques ou marchands d’art. Par ailleurs, à l’époque où il a débuté sa collection, certains de ces artistes étaient morts depuis peu, ou ne l’étaient pas encore ( Monet décédera en 1926, Renoir l’était depuis 1919, et Cézanne en 1906 par exemple ).
Tout a commencé avec deux expositions visitées à Londres : l’une à la National Gallery et l’autre au Burlington Fine Arts Club regroupant des peintures impressionnistes. La première provenait du legs d’un marchand d’art irlandais et la seconde avait été organisée par un historien et critique d’art : Roger Fry.
C’est vrai que les époux Courtauld ont basé leurs achats d’après leur propre jugement, mais ils se sont attachés également les conseils de personnes très affûtées, expérimentées et sérieuses dans le domaine de l’art, qui, bien souvent, vont les orienter vers des pistes intéressantes pour acquérir ce qu’ils recherchaient, ou les mettre en contact avec des excellents intermédiaires : Roger Fry, cité ci-dessus, grand connaisseur dans le domaine impressionniste, fervent supporter du mouvement et ce même si la critique anglaise ne l’encourageait pas, mais aussi Percy Moore Turner (marchand d’art à l’Independent Gallery ), Charles Carstairs ( directeur de la Knoedler Gallery ) , Joseph Duveen (marchand d’art qui le conseillera pour l’achat de Un bar aux Folies Bergères d’Edouard Manet et La Loge de Renoir


C’est au Burlington qu’il découvre Cézanne : un choc émotionnel pour lui. Non seulement il va énormément apprécier son travail, mais acquérir de nombreuses toiles ( Nature morte au Cupidon en plâtre, l’Étang des sœurs, Osny, Grands arbres au jas de Bouffan, la Montagne Sainte Victoire au grand pin etc … j’en passe et des meilleures.
» Sur le moment j’ai ressenti de la magie et je suis tombé dans Cézanne pour toujours ! » disait-il




Elizabeth Courtauld a été une passionnée d’art : elle fut une grande mélomane qui a organisé divers concerts à Londres. D’autre part c’est elle qui a donné le virus de la peinture à son époux et l’influencera dans ce domaine. Tous deux ont voyagé en France, Allemagne, Italie, visitant de nombreux musées, achetant ensemble, au coup de cœur, uniquement des tableaux qui suscitaient en eux une émotion.
Une collection qui s’est faite en très peu de temps, à savoir dix ans. Elle fut placée, au départ, dans leur maison – Elle débute réellement en 1922 avec notamment Saint-Paul Côte d’Azur ( c’est Elizabeth qui l’achète ) de Jean Hippolyte Marchand puis Une Femme à la toilette de Renoir.

Au fil du temps les post-impressionnistes sont venus rejoindre les impressionnistes dans leurs fonds. Il a réellement dépensé des fortunes , s’est montré très pointu dans ses choix, privilégiant le meilleur, ce qui pouvait réellement représenter une valeur sure dans le marché de l’art. Cela fera de lui, à l’époque, le plus grand acheteur reconnu dans ce domaine, ou en tous les cas, le premier à s’être intéressé à ces deux mouvements picturaux.
Samuel Courtauld est né en 1876 à Braintree ( Comté de l’Essex ) dans une famille plutôt aisée originaire de Bretagne , laquelle s’est établie en Angleterre pour échapper aux persécutions qui sévissaient en France après la révocation de l’Édit de Nantes. C’est là qu’ils ont fait fortune dans le domaine de l’orfèvrerie jusqu’au jour où l’un de ses aïeuls, portant le même prénom que lui, a décidé de se lancer dans l’industrie de la soie, où il réussira fort bien
Il a plusieurs frères et sœurs ( ils sont six au total ). Sydney son père travaillait dans la société familiale et sa mère Sarah s’occupait , en dehors de ses enfants, de tâches et engagements divers au sein de la collectivité locale. Ils sont assez croyants et inculquent à leurs enfants, en dehors d’une foi profonde, la notion du partage avec les autres. C’est quelque chose qui restera ancrée à jamais dans la personnalité de Courtauld.
Bien sur, il intégrera, lui aussi, l’entreprise familiale qu’il fera progresser grâce à un brevet visant plus particulièrement la soie artificielle appelée viscose. Son travail le propulsera directeur général en 1917 et président en 1921. Entre-temps, il a épousé Elizabeth Theresa Frances Kelsey ( 1901)

C’est avec elle que débutera son intérêt pour la peinture ; lequel deviendra une passion assez profonde, un ressenti quasi spirituel, quelque chose qui le transcende, qui fait voyager son esprit, qui arrive à le convaincre que l’art a le pouvoir de traverser le temps, les siècles, et qu’il est humaniste en ce sens qu’il réunit les hommes.
Pour pouvoir l’assouvir il dépense sans compter ! La période où ils ont fait le plus d’acquisitions, de façon assez compulsive, se situe entre 1926 et 1929 : Les joueurs de cartes de Cézanne – Le rêve de Paul Gauguin – Un bar aux Folies Bergères de Edouard Manet ou Autoportrait à l’oreille bandée de Van Gogh par exemple datent de cette époque là


C’est en partant de ces sentiments, qu’il n’y aura pas uniquement la collection privée réunie dans leur maison personnelle à Londres, mais qu’il fera, d’une part , d’autres acquisitions pour enrichir les fonds de la Tate Gallery et de la National Gallery en tableaux français ; qu’il versera 50.000 livres à chacune de ces deux institutions pour qu’elles puissent développer leurs collections en tableaux impressionnistes/post-impressionnistes et que, d’autre part, il créera, plus tard, l’Institut et la Galerie Courtauld.Ce sont des missions qu’il mènera de front sans distinction l’une de l’autre .
La collection privée prendra fin en 1929 lorsqu’il apprendra que son épouse est atteinte d’un cancer. Elle meurt en 1931. Difficile pour lui , alors, de continuer ce que durant des années ils avaient partagé ensemble. A partir de là, il cède, au départ, une bonne moitié des œuvres de cette collection ( à peu près 75 ) – Un choix qui, semble t-il, ne sera pas trop apprécié par la National Gallery qui pensait que ce serait elle qui recevrait tous ces superbes trésors compte tenu du fait qu’elle était déjà détentrice d’un fonds acheté par Samuel Courtauld.
Faute d’avoir pu trouver, à ce moment là, des locaux pour l’Institut, il léguera également, en 1932, sa résidence personnelle de Home House qui se trouvait à Portman Square . L’Institut Courtauld va rester en ce lieu durant 60 ans ! Une plaque rappelle qu’il est dédié à la mémoire de son épouse.Il fut créé avec le diplomate et vicomte Lee Of Fareham et l’historien, avocat Robert Witt. Aujourd’hui l’endroit est devenu un club et la plaque est toujours là.
En 1989, l’Institut et la Galerie Courtauld seront transférés à Somerset House. A la mort de Samuel, la seconde partie de sa collection privée viendra s’ajouter à la première partie cédée en 1931. Puis viendront au fil du temps : les legs des deux autres fondateurs Lee of Fareham, Robert Witt, leurs descendants, ainsi que ceux d’autres personnalités connues.
L’Institut Courtauld gère la galerie et les collections. Il est spécialisé dans l’histoire de l’art, mondialement réputé pour son enseignement et ses travaux de restauration et conservation. Il est, de plus, détenteur d’un fonds exceptionnel d’archives et de documentations diverses.
La Galerie renferme 530 tableaux, 8000 dessins, 500 sculptures, 25000 gravures, des ivoires du Moyen-Âge, des émaux, des pièces d’art islamique, des pièces de la Renaissance italienne. La collection impressionniste et post impressionniste privée des Courtauld est l’une des plus importantes . Non pas qu’elle le soit en quantitatif, mais par la qualité et la célébrité des tableaux qui en font partie. Elle compte de précieux peintres comme Modigliani, Manet, Monet, Seurat, Renoir, Van Gogh, Toulouse Lautrec, Cézanne, Sisley, Daumier, etc etc… sans oublier les Turner qui sont un legs de la collection de son frère Stephen Courtauld.
Institut et Galerie COURTAULD



J’ai parlé du grand intérêt porté par Samuel Courtauld à Cézanne, mais il en est un autre, peintre néo-impressionniste, pour lequel non seulement il a éprouvé une grande admiration, mais dont il a, là encore, fortement défendu le travail : il s’agit de Georges Seurat. Il avait notamment acheté en 1924 Une baignade à Asnières pour la National Gallery de Londres, mais vers la fin de sa vie, il a entrepris un travail important de classement de son œuvre. Deux peintres assez différents mais qui ont attiré son attention probablement en raison de leur radicalité à l’un et à l’autre, différents mais avec la même envie d’apporter de la nouveauté et de la modernité au mouvement impressionniste.


Indépendamment de cette collection privée, il y a des œuvres qui furent offertes, par le couple, à différents musées , à des membres de leur famille, à des amis. Certaines furent rachetées par la National Gallery, d’autre conservées par leurs propriétaires et se classent comme étant des collections privées.
P.S. : Après avoir vu l’expo ci-dessus, vous pouvez ( sans quitter les lieux ) voir celle qui se trouve au premier étage à savoir » Le parti de la peinture « , plus contemporaine de la précédente, puisque mettant en scène des peintres comme : Joan Mitchell – Gerhard Richter – Ettore Spalletti – Jesus Rafael Soto – Soulages – Buren, Alex Katz ( pop art ) etc…. personnalités dont certaines sont connues et d’autres dont vous ferez probablement la découverte. Un panel de 70 pièces partant des années 60 à nos jours.