FANTAISIE pour piano et orchestre … Claude DEBUSSY

 » Je n’ai pas l’intention de contribuer à l’histoire de la musique. Seulement je voulais insinuer qu’on a peut-être tort de jouer toujours les mêmes choses, ce qui peut faire croire à de très honnêtes gens que la musique est née d’hier, tandis qu’elle a un passé dont il faudrait remuer les cendres : elles contiennent cette flamme inéteignable à laquelle notre présent devra toujours une part de sa splendeur. » Claude DEBUSSY

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Il est assez incroyable de penser que Claude Debussy n’ait pas apprécié cette partition qu’il a composé entre 1889 et 1890, dédiée à un ami compositeur et pianiste à savoir René Chansarel.

Il se refusera à ce qu’elle soit interprétée et pour ce faire, la veille où elle devait l’être, il n’hésitera pas à faire disparaître certains feuillets des musiciens qui, du coup, ne pouvaient pas la jouer. Ce n’était pas un caprice ou quoi que ce soit qui pourrait y ressembler. Simplement, il ne souhaitait pas que l’on puisse y trouver des influences qui n’avaient pas lieu d’être. Il préféra attendre, réfléchir.

Il ne voudra pas, non plus, qu’elle soit éditée de son vivant. De ce fait, on ne l’entendra jamais. Il la modifiera plusieurs fois pour tenter d’obtenir le résultat qu’il souhaitait vraiment, mais cela ne lui convenait jamais. Elle sera interprétée, un an après sa mort, en 1919, telle quelle, sans tenir compte de ses modifications, et jouée à Londres par Alfred Cortot au piano, accompagné par le Royal Philharmonic Orchestra.

C’est une page magnifique dans laquelle on sent l’influence que Gabriel Fauré a pu avoir sur la musique de Debussy,  foisonnante, lumineuse. Selon les mouvements, elle se fait mélancolique, poétique, chantante, pleine de charme et d’une certaine sérénité, puis devient plus réjouissante avec des senteurs javanaises dans le final.

(Vidéo : Aldo CICCOLINI au piano – L’ORCHESTRE NATIONAL de l’O.R.T.F. dirigé par Jean MARTINON )

Diane ARBUS …

 » Une photo est un secret sur un secret. Plus elle vous en dit, moins vous en savez ! J’ai très peu été intéressée par la photographie de personnes connues ou même de sujets connus. Il me fascinent quand j’en ai à peine entendu parler. Ce que j’essaie de décrire, c’est qu’il est impossible de sortir de sa peau pour entrer dans la peau de quelqu’un d’autre. La tragédie de quelqu’un d’autre n’est pas la même que la vôtre. Je crois que j’ai une sorte de don pour percevoir les choses comme elles sont. C’est assez subtil et ça m’embarrasse un peu, mais je pense vraiment qu’il y a des choses que personne n’avait vues si je ne les avait pas photographiées. Ce qui me touche c’est le fait que la technique vient d’un endroit profond et mystérieux. Elle est liée au papier et au développement mais au fond, l’ensemble vient des choix très intimes d’une personne qui y a longtemps réfléchi et qui a été hantée par ses choix  » Diane ARBUS ( Photographe américaine )

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Diane Arbus fut une immense photographe américaine, emblématique portraitiste,  qui a eu le talent de savoir magnifiquement capter les failles de celles et ceux qu’elle a photographiés. Ces sujets furent des hommes, des femmes, des enfants, des travestis, des nudistes, des monstres (ses célèbres feaks), des géants, des nains, des déficients mentaux, des fanatiques, des handicapés, des transexuels, des autistes, des forains, des mongoliens, des excentriques, des jumeaux,  portraits en noir et blanc audacieux, qui, à son époque, ont choqué la société bien pensante qui les jugeait gênants, provocants, pour ne pas dire  » anormaux  » . On l’a même accusé de les exploiter, de profiter de leur déficience pour en tirer profit. Ce qu’elle a totalement rejeté car n’étant absolument pas la vérité. En ce qui la concernait, elle avait pour eux des sentiments d’affection et de respect. De nos jours, ses clichés sont légendaires. On les trouve  tout à fait fascinants et touchants !

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 » L’homme percé Ronald Harrison  » – New Jersey – 1962 – Diane ARBUS
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 » Couple d’adolescents à New York  » – Hudson Street 1963 – Diane ARBUS
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 » L’homme masqué dans un fauteuil roulant  » 1970 – Diane ARBUS
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 » La fille au bonnet de bain  » – 1970 – Diane ARBUS

Elle aurait pu, en effet, s’attarder sur des thèmes plus banals, plus conventionnels. Ce ne fut pas le cas. Elle a nettement mieux préféré s’attacher à ces êtres  ayant  des profondes fêlures, des fragilités, des troubles qu’ils n’ont, d’ailleurs, absolument pas voulu soustraire à son objectif. Tout au contraire, ils ont été assez fiers de montrer leurs différences. On a souvent dit qu’ils étaient étranges. Elle ne les a pas vus ainsi. Pour elles ils n’étaient pas étranges, mais humains tout simplement. Pour aller à leur rencontre, elle  n’a pas hésité, souvent,  à braver les interdits, à se rendre dans des endroits pas toujours fréquentables.

Diane Nemerov est née en 1923 à New York. Son père David et sa mère Gertrude étaient propriétaires d’une chaîne de magasins de vêtements et fourrures. Elle a un frère : Howard qui deviendra un célèbre poète et une sœur, Renée, qui sera sculpteur. Elle a grandi à Manhattan, non loin de Central Park, dans un milieu assez aisé où les parents, très occupés, les ont laissés aux bons soins d’une gouvernante ( chacun la sienne ), un chauffeur et une cuisinière.

Elle a eu très tôt un goût prononcé pour l’art et le dessin, encouragé par son père qui pratiquait la peinture en amateur. Par ailleurs elle joue fort bien du piano. Adolescente elle rencontre Allan Arbus, étudiant photographe amateur. Il a 19 ans et elle 14.  C’est à ses côtés qu’elle s’initie à l’art photographique et au développement. En 1941 ils se marient. Ils auront deux filles : Doon en 1945 et Amy en 1954. Entre ces deux naissances, ils travailleront ensemble dans un studio spécialisé dans la photo de mode, des photos qui plairont beaucoup. Lui photographie, elle s’occupe des contacts avec les magazines  (notamment Vogue et Glamour )  et se fait styliste à l’occasion.

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Diane et Allan

En 1956, elle décide de travailler à son compte et tient à se perfectionner dans le domaine photographique en prenant des cours avec Alexey Brodovitch ( directeur de Harper Bazaar ) , travaillera aux côtés de Richard Avedon à la New School Social Research, puis rencontre un jour Lisette Model, une photographe autrichienne très connue qui va lui donner cette envie de voler de ses propres ailes. En 1959, elle divorce d’Allan.

Au départ, on va lui confier des photos sur des célébrités pour des magazines. Une dizaine d’années plus tard, elle change totalement de style, adopte le flash  et se tournent définitivement sur des portraits de gens inconnus, particuliers, se rappelant ce que Lisette Model lui avait dit un jour à savoir de ne porter aucun jugement sur les personnes, d’être proche d’eux, et de ne pas leur donner l’impression qu’ils sont exposés comme des objets de foire.

Elle obtiendra deux bourses de la Fondation  Guggenheim en 1963 et 1966 pour ses travaux  photographiques sur les habitudes et rites de la société américaine, sur ces personnes que ladite société préfère mettre à l’ombre plutôt qu’en lumière. Personne ne va comprendre cette passion qui la taraude. Le public rejette ses photos, certaines personnes vont jusqu’à cracher sur elles lors des vernissages. On trouve les thèmes choisis morbides et la critique ne l’épargne pas.

Le contact de lieux malfamés, et la grande proximité auprès de certains marginaux  avec lesquels elle entretiendra des relations intimes, feront qu’elle attrapera une hépathite. A partir de là elle va sombrer dans une forte dépression et décidera d’en finir avec la vie. Elle se suicide en 1971 en avalant des barbituriques et se taillant les veines. On la retrouvera deux jours plus tard dans sa baignoire.

Son œuvre, ce sont de très nombreux tirages ( environ 1000 ) des films. Elle sera la première photographe a être exposée en 1972 à la 36e biennale de Venise. De très nombreuses expositions et rétrospectives seront organisées après sa mort un peu partout dans le monde . Des catalogues monographiques seront publiés et obtiendront un grand succès. Ce sont désormais ses deux filles qui sont les gardiennes de sa mémoire.

A noter que du 18 février au 6 mai 2019, elle sera à l’honneur dans une très importante exposition organisée par la London’s Hayward Gallery.

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 » Jeune garçon avec une grenade à la main à Central Park  » – Diane ARBUS
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 » Un jeune homme chez lui avec des bigoudis  » – Diane ARBUS

Le Clown triste …

 » Sous son maquillage aux souriantes couleurs,
le clown triste dissimule son chagrin.
Il se courbe sous le fardeau de la douleur?
son amie si fidèle depuis tant de matins.

Il allume des étoiles au fond de ses yeux,
Et présente ses lèvres fardées de bonheur
aux regards toujours en quête de merveilleux ;
pourtant, ils sont aveugles devant son malheur.

Il n’est pas étranger à cette indifférence ;
pour voir fleurir des sourires sur les visages,
il enferme, derrière son masque, sa souffrance
et son habitude, ses pleurs et leurs ravages.

 » Qu’importe « se dit-il…  » Ne sont-ils pas ravis !  »
Il s’est réjoui de tous les rires des enfants
passionnés, assis au premier rang de sa vie,
et leur a offert toutes les rides du temps.

Il n’attend ni gratitude ni compassion,
juste un peu de compréhension et d’indulgence,
quand s’éteindront les lumières de la raison
et se fermeront les portes de la souffrance.

Dans le silence du soir, il entend l’espoir
l’implorer de sécher ses larmes de détresse,
d’enlever les artifices de son histoire
de petit clown triste et de goûter à l’ivresse. Michèle BRODOWICZ ( Poétesse française )

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 » Le clown triste  » – Mary BRILLI

 

Le TEMPS …

 » Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur. Le présent du passé c’est la mémoire ; le présent du présent c’est l’intuition directe ; le présent de l’avenir c’est l’attente … Qu’est-ce dont que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ;  si je cherche à l’expliquer à celui qui m’interroge, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne se passait, il n’y aurait pas de temps passé ; que si rien n’arrivait, il n’y aurait pas de temps à venir ; que si rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent. Comment donc ces deux temps, le passé et le présent, sont-ils, puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l’éternité. Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer qu’il est aussi, lui qui ne peut être qu’en cessant d’être ?  » SAINT AUGUSTIN (Philosophe et théologien chrétien )

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Jean-Jacques LEQUEU-Bâtisseur de fantasmes …

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 » Il est libre  » 1798 – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France ) –

Ses projets visionnaires de construction n’ont pas abouti. Mis à part, semble t-il , deux petites fabriques à Rouen, deux petites maisons à Paris en 1786, et avoir participé au projet de construction de l’hôtel de Montholon, il n’a rien construit d’important et de concret  en tant qu’architecte,  mais il fut un excellent dessinateur, infiniment doué, qui, dans son atelier, mettait sur papier le fruit de ses images fantasmées par son imagination débordante,  acquises, bien souvent, après la lecture des nombreux livres de sa bibliothèque. On trouve des grottes, des fabriques, des pompes à feu, des monuments fictifs, des kiosques ( dit à l’époque vide-bouteilles) , des poulaillers,  des églises, des monuments, des hôtels particuliers, des temples, des laiteries, des labyrinthes, des temples, très créatifs, des personnages , des dessins aussi parfois assez ambigus ,érotiques voire même à caractère pornographique ; le tout placé dans des décors sortis tout droit de son esprit.

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 » L’étable  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )
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 » Façade d’une pompe à feu et intérieur d’une laiterie  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

Il a été assez talentueux dans l’art du portrait. La plupart d’entre eux sont assez étranges avec beaucoup de grimaces, des poses quelque peu indécentes etc… Dans l’auto-portrait, il a entretenu une forme de narcissisme avec sa propre image, se prenant, très souvent, comme le modèle  » parfait  » .

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 » Auto-portrait  » – Jean Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )
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 » Le grand  bailleur  » – Avant 1824 – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

Il n’a fait partie d’aucune école en particulier, ni d’un quelconque mouvement pictural. Son travail n’a pas été apprécié à son époque , mais il fut découvert, et propice à un certain intérêt, durant le milieu du XXe siècle. Il est fort possible qu’il ait légué une partie de son travail à la Bibliothèque Nationale de France pour justement être reconnu et considéré par d’autres dans le futur.

Le mouvement surréaliste posera, en effet, sur son œuvre et son style bien particulier, un regard très différent , plus compréhensif que ceux du passé, plus averti surtout, ce qui aura pour conséquence de le faire revenir sur le devant de la scène.

Il a traversé l’époque de Louis XV,   l’Ancien Régime, puis la Révolution et l’Empire. Lui c’est le mystérieux, mythique, éclectique, complexe, original, extravagant, fantaisiste aussi parfois, mais très érudit :  Jean-Jacques Lequeu, qui fait partie des architectes utopiques amateurs, assez incroyablement géniaux il faut bien le reconnaître, de nos jours quasi mythique , et qui est mort méconnu et dans le dénuement le plus total.

Il reste évident que l’on sait peu de choses finalement sur lui  et ce même si depuis le XIXe siècle beaucoup d’intellectuels, d’historiens de l’art etc… ont essayé de tout faire pour mieux le découvrir, ce qui a permis de se faire,  par conséquent,  une petite idée du personnage. Il a laissé des dessins ( très détaillés, méticuleux) , des documents, des lavis, des archives le concernant, mais là encore d’une part ( sauf le don fait à la BNF) une grande partie de sa collection a été dispersée, et d’autre part  il n’y a, bien souvent , pas de date ce qui apporte une difficulté de plus,

C’est au milieu du XXe siècle qu’un historien venu de Vienne, Emil Kaufmann, va le redécouvrir. Il le qualifiera de révolutionnaire , que ce soit en tant qu’homme et en tant qu’artiste ( visionnaire est plus juste dans ce dernier cas ) , un qualificatif qui va lui rester mais qu’il faut vraiment utiliser pour lui à dose homéopathique parce que révolutionnaire ( en tant qu’homme )  il ne l’a pas été à son époque et même si il a montré des signes pouvant laisser supposer qu’il pouvait avoir quelques affinités avec la Révolution, ses idées politiques n’ont jamais été bien déterminées parce qu’à chaque changement de gouvernement, elles évoluaient.

Cette affirmation de Kaufmann a faussé et brouillé un peu les pistes concernant Lequeu. Mais il y aura pire ,: on suppose ( sans confirmation ) que ce Mr Kaufmann avait en sa possession des documents le concernant ,  documents qu’il se serait permis de modifier et romancer à sa guise . Ce qui n’a vraiment rien arrangé pour tenter de dénouer tous ces fils énigmatiques et controversés.

Le Petit Palais à Paris a souhaité lui consacrer (et c’est une première ! )  une exposition passionnante, au travers de très nombreux dessins, avec le concours de la Bibliothèque Nationale ( autrefois royale )  de France, cette dernière ayant reçu, en 1825, de cet artiste,  un portefeuille d’environ 800 œuvres six mois avant qu’il ne décède ( des feuillets techniques, scènes de genre, projets architecturaux, dessins d’anatomie et libertins, lavis,  ) . Compte tenu que certains ( comme ses symboles phalliques)  furent jugés immoraux, ils furent placés dans un endroit de l’institution que l’on appelle l’Enfer. Du reste, même les milieux libertins de l’époque ne les approuvaient pas.

Elle s’intitule : «  Jean-Jacques LEQUEU – Bâtisseur de fantasmes  » jusqu’au 31.3.2019 

Jean-Jacques Lequeu est né à Rouen en 1756 dans une famille de menuisiers-ébénistes. Il  entre assez jeune à l’école ( gratuite ) de dessin de sa ville natale et suit, en parallèle, des cours chez  un peintre et historien de l’art : Jean-Baptiste Descamps. Il se montre assez talentueux et doué pour attirer l’attention de ses professeurs qui lui conseillent vivement de se rendre à Paris.

En matière architecturale il a deux modèles : Etienne Louis Boullée ( formé au départ à la peinture)  et Claude Nicolas Ledoux qui furent deux éminents architectes, reconnus assez géniaux, sous le règne de Louis XV,  tous deux très utopistes dans leurs idées de construction, tous deux visionnaires  dans leur travail, prônant, à l’époque, des formes géométriques, irréalistes.

Lettres de recommandations en poche, et après avoir obtenu une bourse lui permettant de se rendre dans la capitale,  il entre donc dans l’atelier de Jacques Germain  Soufflot (autre grand architecte français bâtisseur du Panthéon ) en tant que dessinateur des plans de bâtiments. Soufflot deviendra son mentor et son protecteur . C’est grâce à lui qu’il entrera à l’Académie royale d’architecture pour y parfaire des études. Malheureusement Soufflot décède, et avec sa mort tous les avantages dont il bénéficiait s’envolent . Il décide alors d’abandonner ses études.

Il travaillera en 1785 avec François Soufflot ( neveu du précédent) qui le fera participer au projet de construction de l’hôtel Montholon. Mis à part les dessins de bâtiments, il se jette à corps perdu dans d’autres sujets, avec toujours, beaucoup de soin et de précision. Il dessine ses rêves d’architecture. Tout ce qu’il ne peut bâtir, il le met sur papier.

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 » Hôtel Montholon  » – Projet de salon – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )
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 » Détail décor pour chambre à coucher hôtel Montholon  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

Il a de l’ambition, voudrait bien être accepté et reconnu en tant qu’architecte, mais son travail trop étrange  n’accroche pas, ce qui aura pour conséquence de le rendre très haineux vis-à-vis de ses confrères.

Durant la Révolution, les aristocrates fuient et avec eux le peu de commandes qu’il aurait pu avoir. La carrière qu’il avait autrefois imaginé semble n’être qu’un rêve … Il réussit finalement à obtenir un poste de cartographe au bureau du cadastre, suivi en 1802 d’un autre au ministère de l’Intérieur dans le bureau des bâtiments civils. Il y restera jusqu’à sa retraite en 1815.

Il meurt dix ans plus tard à l’âge de 65 ans – Il sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Malgré avoir voué toute sa vie à son art et tenter de percer dans le monde de l’architecture, il ne réussira jamais à acquérir la notoriété qu’il espérait et décédera oublié, solitaire, et dans le plus grand dénuement.

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 » Ce qu’elle voit en songe  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

La vision des Hommes, des Femmes & de l’Amour … par Michel HOUELLEBECQ

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Michel HOUELLEBECQ

 » C’est la vie. Il est peut-être nécessaire qu’à ce stade je donne quelques éclaircissements sur l’amour, plutôt destinés aux femmes, car les femmes comprennent mal ce qu’est l’amour chez les hommes : elles sont constamment déconcertées par leur attitude, leurs comportements, et en arrivent quelquefois à cette conclusion erronée que les hommes sont incapables d’aimer. Elles perçoivent rarement que ce même mot d’amour recouvre chez l’homme et chez la femme, deux réalités radicalement différentes.

Chez la femme, l’amour est une puissance, une puissance génératrice, tectonique. L’amour quand il se manifeste chez la femme est un des phénomènes naturels les plus imposants dont la nature puisse nous offrir le spectacle. Il est à considérer avec crainte, c’est une puissance créatrice du même ordre qu’un tremblement de terre ou un bouleversement climatique ; il est à l’origine d’un autre écosystème, d’un autre environnement, d’un autre univers. Par son amour la femme créé un monde nouveau. De petits êtres isolés barbotaient dans une existence incertaine et voici que la femme créé les conditions d’existence d’un couple, d’une entité sociale, sentimentale et génétique nouvelle dont la vocation est bel et bien d’éliminer toute trace des individus préexistants. Cette nouvelle entité est déjà parfaite en son essence.Comme l’avait aperçu Platon, elle peut parfois se complexifier en famille mais c’est presque un détail, contrairement à ce que pensait Schopenhauer, la femme, en tous cas, se voue entièrement à cette tâche, elle s’y abîme, elle s’y voue corps et âme comme on dit, et d’ailleurs elle ne fait pas tellement la différence. Cette différence entre corps et âme n’est pour elle qu’un ergotage masculin sans conséquence. A cette tâche, qui n’en est pas une, car elle n’est que manifestation pure d’un instinct vital, elle sacrifierait sans hésiter sa vie.

L’homme, au départ, est plus réservé. Il admire et respecte se déchaînement émotionnel sans pleinement le comprendre. Il lui parait un peu étrange de faire tant d’histoires. Mais peu à peu, il se transforme, il est peu à peu aspiré par le vortex de passion et de plaisir créé par la femme, plus exactement il reconnaît la volonté de la femme, sa volonté inconditionnelle et pure, et il comprend que cette volonté, même si l’hommage de pénétrations vaginales fréquentes et de préférence quotidiennes est exigé par la femme, car elles sont la condition ordinaire de sa manifestation, est une volonté en soi absolument bonne, où le phallus, noyau de son être, change de statut car il devient également la condition de possibilités de manifestation de l’amour. L’homme ne disposant guère d’autres moyens, et par cet étrange détour le bonheur du phallus devient un but en soi pour la femme, un but qui ne tolère guère de restrictions dans les moyens déployés. Peu à peu l’immense plaisir donné par la femme modifie l’homme, il en conçoit reconnaissance et admiration, sa vision du monde s’en voit transformée. De manière à ses yeux imprévue, il accède à la dimension kantienne du respect, et peu à peu, il en vient à envisager le monde d’une autre manière, la vie sans femme ( et même précisément sans cette femme qui lui donne tant de plaisir) devient véritablement impossible. Et comme la caricature d’une vie, à ce moment, l’homme se met réellement à aimer. L’amour chez l’homme est donc une fin, un accomplissement et non pas, comme chez la femme, un début, une naissance ; voilà ce qu’il faut considérer. » Michel HOUELLEBECQ (Écrivain, poète et essayiste français – Extrait tiré de son livre Sérotonine)

 

 

Les ÉLÉPHANTS … par Steve BLOOM

 » Mon travail animalier a débuté à l’apogée de la photographie d’art, avant qu’Internet transforme le secteur. Les images ont été vendues à des acheteurs sélectionnés à un moment où la demande dépassait l’offre, elles étaient donc très lucratives. Cela m’a donné la confiance nécessaire pour me lancer à plein temps dans la photographie spéculative, après quoi j’ai commencé à écrire et à photographier mes propres livres.  »

 » Les apparences sont parfois trompeuses : les éléphants sont des êtres profondément sensibles. Il m’apparaît clairement que le physique impressionnant de cet animal recèle un caractère brisé. À l’intérieur de ce corps puissant et vigoureux se cache un individu apeuré, facilement intimidé, mis au ban de la société. Cet éléphant tourmenté m’inspire une réflexion : si l’on creuse un peu plus profond, on découvre que l’âme n’est pas l’apanage de l’homme. J’essaie de me mettre à sa place, épuisé, mort de soif, effrayé par des congénères plus petits que lui et qui lui doivent en principe le respect. Que peut-il bien passer par la tête d’un éléphant qui a perdu son amour-propre ?
J’ai photographié des éléphants dans bien des endroits et ce qui me frappe chez les pachydermes de Savute, c’est leur peu d’hostilité à l’égard des humains. Bien qu’il soit naturellement dangereux d’approcher les familles élevant des petits, ma présence engendrant une certaine nervosité, je n’ai pas l’air de déranger les grands mâles évoluant au sein de troupeaux de célibataires. Cela n’est pas très étonnant : les éléphants savent que les humains aménagent des points d’eau spécialement pour eux. En d’autres endroits où des massacres ont eu lieu, même plusieurs années auparavant, je me suis senti nettement plus en danger, les pachydermes étant beaucoup plus sensibles à la présence humaine. En Afrique du Sud, il m’est arrivé d’être chargé par un gros mâle furieux surgissant à travers la brousse alors que j’avais simplement arrêté mon véhicule au bord de la route. Comme nous, les éléphants restent à jamais marqués par les expériences vécues. Comme nous, ils possèdent des personnalités et des tempéraments très variables. Certains ont l’esprit vengeur et la rancune tenace, tandis que d’autres ont un naturel placide. Leur individualité – cette mystérieuse association de traits de personnalité issus à la fois du code génétique et du vécu – jette le discrédit sur la théorie selon laquelle les animaux n’auraient ni sentiments ni conscience de soi.
L’interaction entre l’homme et l’éléphant remonte à plusieurs milliers d’années. Il fut un temps où le plus gros des mammifères terrestres parcourait le monde entier. La fascination qu’il exerce sur l’homme a influencé nos mythologies et nos cultures. Tantôt vénéré tel un dieu, tantôt considéré comme une curiosité ou comme un symbole de puissance et de richesse, tantôt utilisé comme arme de guerre par des personnages aussi célèbres qu’Alexandre le Grand ou Hannibal, l’éléphant a toujours été exploité par l’homme. Les Romains l’associaient aux spectacles de gladiateurs et des combats d’éléphants ont été organisés jusqu’au début du XXe siècle. En Asie, des milliers de pachydermes ont été soumis aux travaux forcés, que ce soit pour tirer des arbres dans les exploitations forestières, pour labourer les champs ou pour transformer des forêts en terres agricoles, détruisant ainsi leur habitat au profit de l’homme. Les mauvais traitements éclipsent parfois la vénération que l’homme voue à l’éléphant.  » (Steve BLOOM (Écrivain et photographe américain) – Photos de l’auteur

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Une Cage …

 » Aussi magnifique soit-elle, une cage reste une cage. Nous vivons tous dans des cages, d’un genre ou d’un autre. Certaines sont vastes et possèdent absolument tout ce qu’un être peut désirer. D’autres sont petites et n’ont presque rien, à peine de quoi assurer la survie. La grande différence entre toutes ces cages vient des barrières qui nous retiennent à l’intérieur. La pauvreté, la richesse, la religion, la haine, la jalousie, l’amertume, le sens des responsabilité, la dépendance. Tout ça ce sont les barreaux qui nous tiennent enfermés. Il y a des moments où nous sommes libres de franchir ces barreaux, mais nous ne faisons rarement. Nous finissons par nous sentir à l’aise à l’intérieur de nos cages.  » Roland SMITH ( Auteur américain )

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PHOTOGRAPHIE & MODE …

 » La photographie représente pour la mode un instrument de création hors pair. Le triomphe du médium, que la presse populaire et ses tirages à des millions d’exemplaires, a prodigieusement stimulé, a étendu la sphère d’influence de la mode d’une façon considérable. Mais la photographie et la mode ont d’autres points communs. On peut dire que la mode offre à la fugacité de l’instant, la possibilité de se matérialiser en quelque sorte dans le continuum du temps ; et ce moment, l’image photographique le fixe dans un passé qui est déjà révolu.

La mode et la photographie entretiennent des rapports de complémentarité. Alors que la mode participe entièrement au présent, la photographie témoigne de l’absence effective de ce qu’en fait elle remémore.  » Il y a double position conjointe : de réalité et de passé  » (Roland Barthes). Un autre facteur est également significatif : la pose est l’attitude intrinsèque de la mode et la fraction de seconde figée par la photographie devient à son tour pose. Mode et photographie sont toutes deux synonymes d’artifice et sont de l’ordre de la pure surface. La photographie de mode suit manifestement ses propres lois, comme de même son objet. A partir de la réalité visible et tangible, elle tente de recréer un univers esthétisant où l’artifice est roi.  » Klaus HONNEF ( Critique d’art, allemand, professeur honoraire de la théorie de la photographie à l’École des Beaux Arts de Kassel, écrivain sur l’art contemporain, Pop Art, et photographie)

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Eugène ARGET pour une boutique de corsets sise au boulevard de Strasbourg à Paris – 1905
MODE 1950 IRVING PENN pour BALENCIAGA
Irving PENN pour BALENCIAGA en 1950
MODE Patrick DEMARCHELIER pour le livre DIOR COUTURE en 2011
Patrick DEMARCHELIER pour son ouvrage DIOR COUTURE en 2011
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Mario SORRENTI pour le magazine VOGUE en 2014
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Steven MEISEL pour VERSACE en 2018

 

Un RÊVE D’ITALIE – La collection du marquis CAMPANA …

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Giampietro CAMPANA d’après Viola SIEBERT

L’aristocrate et marquis italien, collectionneur  compulsif, Giampietro Campana, a réussi, entre 1830 et 1850, la constitution d’une collection d’œuvres d’art fabuleusement incroyable, donnée comme la plus grande du XIXe siècle – C’est un mélange abondant et éclectique comprenant, d’après les douze catalogues qui furent publiés en 1858  (Cataloghi Campana ),  différentes catégories  : les vases ( il y en avait près de 3800 , grecs, étrusques, romains ) – les bronzes  – les bijoux et monnaies (une grande partie des monnaies venait des collections de son père / Pour les bijoux, leur restauration fut confiée à des éminents joailliers de l’époque )  –les terres cuites ( elles ont toujours suscité admiration et intérêt de la part de Campana )  – les verres les peintures antiques – les sculptures antiques les peintures avant 1500 les peintures après 1500 (en peinture, il avait un goût prononcé pour les primitifs italiens)  – les majoliquesles sculptures de la Renaissanceles objets de curiosité . Certaines de ces pièces sont à considérer comme de véritables chefs-d’oeuvre.

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 » Sarcophage des époux  » (terre cuite) – vers 520/510 avant J.C. – Collection Campana ( Musée du Louvre-Paris/France ) – C’est une des pièces très importantes de la collection. On pense qu’elle fut découverte vers 1845/46.
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 » Figure féminine dite Le Printemps  » – enduit peint sur fresque – Fin du Ier siècle après J.C. ( Collection Campana / Musée du Louvre-Paris/ France ) – Elle serait issue des fouilles de Tusculum.  ( Sert d’illustration à l’affiche de l’expo )
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 » Jeune apôtre  » – 1490§1500 – Andrea DELLA ROBBIA – Collection CAMPANA (Musée du Louvre-Paris / France )
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 » Buste d’Antinoüs  » ( provient de la villa d’Hadrien près de Tivoli/Rome) – Collection CAMPANA Musée de l’Ermitage-Saint Pétersbour/Russie)

Si, au départ, cette collection fut constituée dans une espèce d’esprit  » patriotique  » puisque désireux de porter haut le patrimoine italien, elle connaîtra un avenir mouvementé, pour ne pas dire dramatique, compte tenu du fait que Campana sera condamné pour malversation, ce qui entraînera sa ruine et  la vente des œuvres par les Etats pontificaux. Le tsar Alexandre II va en acquérir une partie ( environ 470 pièces )  , Napoléon III une autre ( sur les conseils du surintendant des Beaux Arts de l’époque, à savoir Emilien de Nieuwerkerke – total : 11.835 objets  ) ,  respectivement, pour le musée de l’Ermitage, le musée du Louvre et autres musées de province en France (dont notamment celui d’Avignon ) . L’Angleterre elle aussi, va en acheter une partie non négligeable, pour le Victoria et Albert Museum ( notamment la belle collection Gigli)

Au départ, Napoléon III eut dans l’idée d’exposer cette collection au Louvre. Malheureusement rien n’avait été préparé dans ce lieu pour la recevoir. C’est donc au Palais de l’Industrie ( en lieu et place désormais du Petit et Grand Palais de Paris ) dans le musée Napoléon III, qu’il fut possible de la découvrir dans dix salles . Lorsque ce musée sera fermé en 1862  , les collections furent placées pour une partie au Louvre en 1863 , et pour une autre dans différents établissements muséaux de France  pour respecter la politique de distribution.

Parmi eux, se trouvait celui du Petit Palais d’Avignon où furent déposés (après restauration )  environ 350 tableaux italiens.

SALLE CAMPANA
 » Salle des terres cuites au Louvre / Galerie Campana  » – 1866 – Charles GIRAUD
CAMPANA Salle mont de piété
 » Salle des terres cuites au Mont-de-Piété / Rome  » – 1851 – Collection Campana ( Bibliothèque universitaire de Naples)

Le musée du Louvre, en collaboration  avec le  musée de l’Ermitage de Saint Pétersbourg, a souhaité mettre une partie de cette collection  en lumière , mais au-delà de cela, s’intéresser à la personnalité romanesque de ce marquis, aborder aussi  la société dans laquelle il a évolué et bien entendu, savoir comment il a réussi à constituer ladite collection. Elle s’intitule :

 » Un RÊVE D’ITALIE  – Collection du marquis Campana  » jusqu’au 18 Février 2019 ( Après Paris, elle sera accueillie à Saint Pétersbourg du 19.7.2019 jusqu’au 20.10.2019, en ayant fait un petit détour au musée du Capitole à Rome –

Giampietro Campana ( marquis de Cavelli ) est né à Rome en 1808 ( certains disent en 1809 )  dans un milieu bourgeois assez aisé. Dans la famille bon sang ne saurait mentir :  grand-papa avait déjà une folle passion pour les fouilles et en avait réalisé de nombreuses dans la région romaine. Quant à papa il collectionnait les médailles. De plus, Giampietro a  grandi dans une propriété où se trouvaient rassemblées toutes sortes d’antiquités gréco-romaines que les deux hommes avaient pris grand soin d’accumuler.

Tout comme eux, il deviendra inspecteur puis directeur du mont-de-piété de la capitale italienne. Ce qui n’était pas rien à l’époque compte tenu du fait qu’elle représentait l’une des plus importantes institutions financières des États Pontificaux. De cette  institution plutôt archaïque, il va en faire une banque florissante qu’il va gérer jusqu’en 1840, un établissement puissant, ce qui lui amènera les honneurs, la réputation et le succès.

Ce poste va lui permettre de développer certaines innovations comme par exemple obtenir de l’État pontifical des fonds qui permettaient une augmentation des prêts. Par ailleurs, la Caisse des dépôts fut annexée au mont-de-piété. Campana prendra la décision de lui donner un rôle de banque avec un intérêt annuel par rapport aux sommes qui étaient déposées, ce qui aura pour conséquence d’augmenter les prêts et d’enrichir cette institution.

Dès 1820, il va commencer à ressentir les symptômes de la collectionnite aigüe et de l’anticomanie ( passion des objets anciens) ! Certes il a chiné dans des marchés d’antiques comme cela pouvait se faire, que ce soit à Rome, mais aussi à Florence et à Naples . Et bien sur il a beaucoup acheté  ! Mais il ne s’est pas cantonné uniquement à cela …. Compte tenu du fait qu’il était membre de certaines sociétés archéologiques, il va entreprendre, en 1831,  différentes fouilles tout autour de Rome, notamment celle de la Porta Latina qui débouchera sur la découverte du Pomponius d’Hylas, laquelle lui apportera  l’assurance d’une continuité et  succès auprès du cardinal Pacca qui  l’engagera afin de diriger les fouilles d’Ostie. Dans la foulée, il  le nommera directeur du Mont-de-Piété.

La présence des tombes de l’époque impériale, des vases, des terres cuites, des fragments de plaques architecturales importantes vont l’amener à multiplier les fouilles pour déterrer des véritables chefs-d’œuvres.  Il va acquérir  la réputation d’être un collectionneur curieux, sérieux,  attentif, avec un œil   avisé et averti.

CAMPANA Cratère en calice à figures rouges Athènes signé par Euphronios peintre et attribué à Euxithéos potier. Vers 515 510 av JCÉtruri
 » Cratère en calice à figures  signé par Euphronios ( peintre ) et attribué à Euxithéos  » – Collection CAMPANA ( Musée du Louvre / Paris – France )
CAMPANA Buste d_Ariane IIIe siècle av JC Falerii Novi près de l'actuelle Civita Castellana
 » Fragment de statue d’Ariane  » IIIe siècle avant J.C. / Collection CAMPANA – Musée du Louvre-Paris/ France ) –

Quant à son épouse Emily Rowles non seulement elle soutenait son mari dans cette folie insatiable , mais  elle profitera des bijoux que les fouilles archéologiques, lancées par son boulimique de mari, découvriront . On pense que ce soit sa mère, Madame Crawford,  qui ait agi auprès de Napoléon III pour qu’il s’intéresse  au sort de son beau-fils lors de son emprisonnement, mais également à la collection. Un retour de service en quelque sorte, car elle avait, non seulement,  aidé l’empereur lors de son exil en Angleterre , mais lui avait versé de l’argent pour le coup d’État de 1852.

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 » Diadème en or, verre et émail – IIIe siècle avant J.C.  » Collection CAMPANA ( Musée du Louvre-Paris / France )

 

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Planche lithographique extraite de L’Art étrusque de Jules MARTHA -Firmin DIDOT/ Paris 1889. qui montre certains bijoux de la collection Campana

Il va également courir vers d’autres lieux, d’autres fouilles , rencontrer des marchands d’art, voir les collections particulières, mais également s’attacher les services d’un agent florentin (Ottavio Gigli : détenteur, lui aussi, d’une collection personnelle de sculptures médiévales et de la Renaissance italienne, laquelle fut mise au Mont-de-Piété à Rome en 1855 – Elle fut associée à la collection Campana). De plus, on note la présence de plusieurs restaurateurs fort compétents qui ont également travaillé pour lui  sur des fragments de pièces antiques.

CAMPANA ragment d_un basrelief de l'Ara Pacis Entre 13 et 9 av JC Musée du Louvre département des Antiquités grecques étrusques et romaine
 » Fragment d’un bas-relief de l’Ara Pacis  découvert à Rome en 1564/1566   »- Collection CAMPANA ( Musée du Louvre- Paris / France )
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 » Plat : l’enlèvement d’Hélène  » de Francesco Xanto AVELLI ( un peintre d’Urbino) – Collection CAMPANA-Musée du Louvre/France ( Il représente une fresque de Raphaël qui se trouvait à la Villa Olgiati de Rome et qui est désormais au musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg. )

Les œuvres accumulées seront dispersées dans ses différentes résidences : la villa familiale de Latran ( pièces du palais et extérieurs ) ,  le palais du Corso, et diverses salles du  Mont-de-Piété, ainsi que d’autres divers  endroits qu’il possédait  ( comme par exemple la villa Margutta ) qui ont accueilli, plus tard, des peintures, des sculptures de la Renaissance. Il est bien certain que plus la collection grandissait, plus il fallait trouver des lieux pour l’entreposer  etc….

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« La galerie des sculptures de la Villa Campana au Latran  » – Lorenzo SCARABELLOTTO (Collection Campana – Collection particulière )

 

En ce qui concerne les peintures, très peu de documents nous renseigne sur l’origine de cette collection, regroupant des tableaux des XIIIe – XIVe et XVe siècles. On pense qu’il a commencé à s’y intéresser vers le milieu du XIXe siècle.  Parmi les œuvres, certaines étaient assez monumentales (Croix de Giotto ou Bataille de San Romano d’Ucello, notamment)

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 » La bataille de San Romano : la contre-attaque de Micheletto Attendolo da Cottignola  » de Paolo di DONO dit Paolo UCELLO – ( Ce panneau se trouve au Musée du Louvre-Paris/France)

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Ces lieux deviendront quasiment des musées, mais surtout des réserves et peu de monde pouvait les voir dans leur intégralité d’ailleurs. Le problème c’est que sa fièvre de collectionneur s’amplifie et qu’il n’a plus les fonds nécessaires pour ses acquisitions et pour de nouvelles fouilles . Alors comment faire ? … Eh bien il va se mettre à tout confondre, prendre la caisse des fonds-publics pour la sienne et piocher allègrement dedans, s’accordant des prêts personnels dirons-nous , pour assouvir sa soif de nouveaux achats.

Malheureusement, ces pratiques allant toujours crescendo, elles finiront par alerter les contrôleurs financiers dès 1847 (  il ne sera pourtant arrêté que dix ans plus tard ) . Il va se retrouver dos au mur, pris à la gorge et décidera de vendre quelques-unes de ces pièces, ce qui se révélera pas très difficile vu leur qualité et leur beauté. La France, la Russie et l’Angleterre seraient les trois pays potentiellement intéressés pour les acquérir … Oui mais voilà … La guerre de Crimée va opposer ces trois pays et très franchement, acheter les œuvres de Mr Campana, à ce moment précis, fut  le cadet de leurs soucis.

En 1857, le célèbre marquis est arrêté pour malversations. Cette arrestation débouche sur un procès et toutes ses collections furent saisies par l’État pontifical la même année. L’affaire fait scandale et la une des journaux nationaux et internationaux, notamment lorsque l’on apprend que Mr le marquis avait copieusement pioché dans les caisses , ce qui amèna à penser que peut-être l’État pontifical était complice lui aussi ! Pour mettre fin à ce genre de suppositions et que la situation ne s’envenime davantage, on le condamne aux galères pour vingt ans  –   Il fut emprisonné, mais grâce à l’intervention française de Napoléon III il ne restera pas longtemps en prison puisqu’il sort en 1859, deux ans plus tard.  Sa peine sera commuée en un exil à perpétuité.

 » Dans la nuit du 28 novembre, l’autorité a fait arrêter dans son palais une personne l’entourait l’éclat d’une grande situation et à laquelle quelques travaux d’archéologie et surtout la beauté et la richesse de ses collections, avaient donné une sorte de célébrité. Il s’agit de Mr le marquis Campana, directeur général du Mont-de-Piété. A Rome, cet établissement n’est pas destiné seulement à soulager les pauvres par des prêts sur gages, il est aussi une espèce de banque de dépôts fort accrédités. Les motifs qui ont amené l’arrestation de Mr Campana sont des irrégularité de la plus grave nature dans sa gestion administrative … » ( Article dans le Journal des Débats en 1857 )

En 1861, la papauté décide d’une vente qui permettra de remettre l’argent là où le marquis l’avait pris, à savoir les caisses de l’État. Beaucoup de monde se rendra à Rome pour voir cette incroyable collection et bien sur, faire des offres. . L’Angleterre, dans le plus grand des secrets, avant même la vente publique, avait déjà envoyé un émissaire à Rome afin qu’il puisse étudier sur place ce qu’il conviendrait d’acquérir ( notamment  des œuvres de la Renaissance et des majoliques  ). Nicolas II se lance, pour la Russie, dans l’achat de marbres et vases antiques. Napoléon III, mécontent de voir qu’on l’avait devancé, fera le maximum pour rafler une mise importante à savoir plus de 11.000 pièces qui seront réparties au musée du Louvre et dans d’autres institutions muséales françaises. Sa riche collection sera donc dispersée !

Une fois libre, le couple Campana partit en exil pour la Suisse en 1865. Une revue diffusée dans ce pays ( Art Passions ) nous informe sur ce détail et indique que les frais d’avocat du marquis furent payés par six antiques qu’ils avaient pu mettre de côté.

CAMPANAGiotto Croix peinte Vers 1315 1320 Musée du Louvre département des Peintures
 » Croix   » Giotto DI BONDONE (Colle di Vespignano ou Florence vers 1267 ) – Collection CAMPANA – Musée du Louvre / France ( C’est l’un des chefs-d’œuvre de la collection. Le marquis pensait qu’elle avait été réalisée par Pietro Cavallini dont l’on disait qu’il comptait parmi les fondateurs de la peinture italienne. Lors de sa restauration en France, elle sera ré-attribuée à Giotto di Bondone )
CAMPANA Sandro Botticelli La Vierge et l_Enfant vers 1467 1470 Musée du Louvre département des Peintures
 » La vierge et l’enfant  » – 1467/1470 – Sandro BOTTICELLI ( Collection CAMPANA – Musée du Petit Palais / Avignon – France )
CAMPANAPietro di Domenico da Montepulciano La Vierge de miséricorde vers 1425 1427 Avignon musée du Petit Palais
 » Vierge de la Miséricorde  » – 1425/27 – Domenico Da MONTEPULCIANO ( Collection CAMPANA – Musée du Petit Palais -Avignon / France )