Jean-Jacques LEQUEU-Bâtisseur de fantasmes …

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 » Il est libre  » 1798 – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France ) –

Ses projets visionnaires de construction n’ont pas abouti. Mis à part, semble t-il , deux petites fabriques à Rouen, deux petites maisons à Paris en 1786, et avoir participé au projet de construction de l’hôtel de Montholon, il n’a rien construit d’important et de concret  en tant qu’architecte,  mais il fut un excellent dessinateur, infiniment doué, qui, dans son atelier, mettait sur papier le fruit de ses images fantasmées par son imagination débordante,  acquises, bien souvent, après la lecture des nombreux livres de sa bibliothèque. On trouve des grottes, des fabriques, des pompes à feu, des monuments fictifs, des kiosques ( dit à l’époque vide-bouteilles) , des poulaillers,  des églises, des monuments, des hôtels particuliers, des temples, des laiteries, des labyrinthes, des temples, très créatifs, des personnages , des dessins aussi parfois assez ambigus ,érotiques voire même à caractère pornographique ; le tout placé dans des décors sortis tout droit de son esprit.

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 » L’étable  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )
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 » Façade d’une pompe à feu et intérieur d’une laiterie  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

Il a été assez talentueux dans l’art du portrait. La plupart d’entre eux sont assez étranges avec beaucoup de grimaces, des poses quelque peu indécentes etc… Dans l’auto-portrait, il a entretenu une forme de narcissisme avec sa propre image, se prenant, très souvent, comme le modèle  » parfait  » .

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 » Auto-portrait  » – Jean Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )
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 » Le grand  bailleur  » – Avant 1824 – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

Il n’a fait partie d’aucune école en particulier, ni d’un quelconque mouvement pictural. Son travail n’a pas été apprécié à son époque , mais il fut découvert, et propice à un certain intérêt, durant le milieu du XXe siècle. Il est fort possible qu’il ait légué une partie de son travail à la Bibliothèque Nationale de France pour justement être reconnu et considéré par d’autres dans le futur.

Le mouvement surréaliste posera, en effet, sur son œuvre et son style bien particulier, un regard très différent , plus compréhensif que ceux du passé, plus averti surtout, ce qui aura pour conséquence de le faire revenir sur le devant de la scène.

Il a traversé l’époque de Louis XV,   l’Ancien Régime, puis la Révolution et l’Empire. Lui c’est le mystérieux, mythique, éclectique, complexe, original, extravagant, fantaisiste aussi parfois, mais très érudit :  Jean-Jacques Lequeu, qui fait partie des architectes utopiques amateurs, assez incroyablement géniaux il faut bien le reconnaître, de nos jours quasi mythique , et qui est mort méconnu et dans le dénuement le plus total.

Il reste évident que l’on sait peu de choses finalement sur lui  et ce même si depuis le XIXe siècle beaucoup d’intellectuels, d’historiens de l’art etc… ont essayé de tout faire pour mieux le découvrir, ce qui a permis de se faire,  par conséquent,  une petite idée du personnage. Il a laissé des dessins ( très détaillés, méticuleux) , des documents, des lavis, des archives le concernant, mais là encore d’une part ( sauf le don fait à la BNF) une grande partie de sa collection a été dispersée, et d’autre part  il n’y a, bien souvent , pas de date ce qui apporte une difficulté de plus,

C’est au milieu du XXe siècle qu’un historien venu de Vienne, Emil Kaufmann, va le redécouvrir. Il le qualifiera de révolutionnaire , que ce soit en tant qu’homme et en tant qu’artiste ( visionnaire est plus juste dans ce dernier cas ) , un qualificatif qui va lui rester mais qu’il faut vraiment utiliser pour lui à dose homéopathique parce que révolutionnaire ( en tant qu’homme )  il ne l’a pas été à son époque et même si il a montré des signes pouvant laisser supposer qu’il pouvait avoir quelques affinités avec la Révolution, ses idées politiques n’ont jamais été bien déterminées parce qu’à chaque changement de gouvernement, elles évoluaient.

Cette affirmation de Kaufmann a faussé et brouillé un peu les pistes concernant Lequeu. Mais il y aura pire ,: on suppose ( sans confirmation ) que ce Mr Kaufmann avait en sa possession des documents le concernant ,  documents qu’il se serait permis de modifier et romancer à sa guise . Ce qui n’a vraiment rien arrangé pour tenter de dénouer tous ces fils énigmatiques et controversés.

Le Petit Palais à Paris a souhaité lui consacrer (et c’est une première ! )  une exposition passionnante, au travers de très nombreux dessins, avec le concours de la Bibliothèque Nationale ( autrefois royale )  de France, cette dernière ayant reçu, en 1825, de cet artiste,  un portefeuille d’environ 800 œuvres six mois avant qu’il ne décède ( des feuillets techniques, scènes de genre, projets architecturaux, dessins d’anatomie et libertins, lavis,  ) . Compte tenu que certains ( comme ses symboles phalliques)  furent jugés immoraux, ils furent placés dans un endroit de l’institution que l’on appelle l’Enfer. Du reste, même les milieux libertins de l’époque ne les approuvaient pas.

Elle s’intitule : «  Jean-Jacques LEQUEU – Bâtisseur de fantasmes  » jusqu’au 31.3.2019 

Jean-Jacques Lequeu est né à Rouen en 1756 dans une famille de menuisiers-ébénistes. Il  entre assez jeune à l’école ( gratuite ) de dessin de sa ville natale et suit, en parallèle, des cours chez  un peintre et historien de l’art : Jean-Baptiste Descamps. Il se montre assez talentueux et doué pour attirer l’attention de ses professeurs qui lui conseillent vivement de se rendre à Paris.

En matière architecturale il a deux modèles : Etienne Louis Boullée ( formé au départ à la peinture)  et Claude Nicolas Ledoux qui furent deux éminents architectes, reconnus assez géniaux, sous le règne de Louis XV,  tous deux très utopistes dans leurs idées de construction, tous deux visionnaires  dans leur travail, prônant, à l’époque, des formes géométriques, irréalistes.

Lettres de recommandations en poche, et après avoir obtenu une bourse lui permettant de se rendre dans la capitale,  il entre donc dans l’atelier de Jacques Germain  Soufflot (autre grand architecte français bâtisseur du Panthéon ) en tant que dessinateur des plans de bâtiments. Soufflot deviendra son mentor et son protecteur . C’est grâce à lui qu’il entrera à l’Académie royale d’architecture pour y parfaire des études. Malheureusement Soufflot décède, et avec sa mort tous les avantages dont il bénéficiait s’envolent . Il décide alors d’abandonner ses études.

Il travaillera en 1785 avec François Soufflot ( neveu du précédent) qui le fera participer au projet de construction de l’hôtel Montholon. Mis à part les dessins de bâtiments, il se jette à corps perdu dans d’autres sujets, avec toujours, beaucoup de soin et de précision. Il dessine ses rêves d’architecture. Tout ce qu’il ne peut bâtir, il le met sur papier.

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 » Hôtel Montholon  » – Projet de salon – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )
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 » Détail décor pour chambre à coucher hôtel Montholon  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )

Il a de l’ambition, voudrait bien être accepté et reconnu en tant qu’architecte, mais son travail trop étrange  n’accroche pas, ce qui aura pour conséquence de le rendre très haineux vis-à-vis de ses confrères.

Durant la Révolution, les aristocrates fuient et avec eux le peu de commandes qu’il aurait pu avoir. La carrière qu’il avait autrefois imaginé semble n’être qu’un rêve … Il réussit finalement à obtenir un poste de cartographe au bureau du cadastre, suivi en 1802 d’un autre au ministère de l’Intérieur dans le bureau des bâtiments civils. Il y restera jusqu’à sa retraite en 1815.

Il meurt dix ans plus tard à l’âge de 65 ans – Il sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Malgré avoir voué toute sa vie à son art et tenter de percer dans le monde de l’architecture, il ne réussira jamais à acquérir la notoriété qu’il espérait et décédera oublié, solitaire, et dans le plus grand dénuement.

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 » Ce qu’elle voit en songe  » – Jean-Jacques LEQUEU ( Département des estampes et photographie de la Bibliothèque Nationale de France )