» Mon travail animalier a débuté à l’apogée de la photographie d’art, avant qu’Internet transforme le secteur. Les images ont été vendues à des acheteurs sélectionnés à un moment où la demande dépassait l’offre, elles étaient donc très lucratives. Cela m’a donné la confiance nécessaire pour me lancer à plein temps dans la photographie spéculative, après quoi j’ai commencé à écrire et à photographier mes propres livres. »
» Les apparences sont parfois trompeuses : les éléphants sont des êtres profondément sensibles. Il m’apparaît clairement que le physique impressionnant de cet animal recèle un caractère brisé. À l’intérieur de ce corps puissant et vigoureux se cache un individu apeuré, facilement intimidé, mis au ban de la société. Cet éléphant tourmenté m’inspire une réflexion : si l’on creuse un peu plus profond, on découvre que l’âme n’est pas l’apanage de l’homme. J’essaie de me mettre à sa place, épuisé, mort de soif, effrayé par des congénères plus petits que lui et qui lui doivent en principe le respect. Que peut-il bien passer par la tête d’un éléphant qui a perdu son amour-propre ?
J’ai photographié des éléphants dans bien des endroits et ce qui me frappe chez les pachydermes de Savute, c’est leur peu d’hostilité à l’égard des humains. Bien qu’il soit naturellement dangereux d’approcher les familles élevant des petits, ma présence engendrant une certaine nervosité, je n’ai pas l’air de déranger les grands mâles évoluant au sein de troupeaux de célibataires. Cela n’est pas très étonnant : les éléphants savent que les humains aménagent des points d’eau spécialement pour eux. En d’autres endroits où des massacres ont eu lieu, même plusieurs années auparavant, je me suis senti nettement plus en danger, les pachydermes étant beaucoup plus sensibles à la présence humaine. En Afrique du Sud, il m’est arrivé d’être chargé par un gros mâle furieux surgissant à travers la brousse alors que j’avais simplement arrêté mon véhicule au bord de la route. Comme nous, les éléphants restent à jamais marqués par les expériences vécues. Comme nous, ils possèdent des personnalités et des tempéraments très variables. Certains ont l’esprit vengeur et la rancune tenace, tandis que d’autres ont un naturel placide. Leur individualité – cette mystérieuse association de traits de personnalité issus à la fois du code génétique et du vécu – jette le discrédit sur la théorie selon laquelle les animaux n’auraient ni sentiments ni conscience de soi.
L’interaction entre l’homme et l’éléphant remonte à plusieurs milliers d’années. Il fut un temps où le plus gros des mammifères terrestres parcourait le monde entier. La fascination qu’il exerce sur l’homme a influencé nos mythologies et nos cultures. Tantôt vénéré tel un dieu, tantôt considéré comme une curiosité ou comme un symbole de puissance et de richesse, tantôt utilisé comme arme de guerre par des personnages aussi célèbres qu’Alexandre le Grand ou Hannibal, l’éléphant a toujours été exploité par l’homme. Les Romains l’associaient aux spectacles de gladiateurs et des combats d’éléphants ont été organisés jusqu’au début du XXe siècle. En Asie, des milliers de pachydermes ont été soumis aux travaux forcés, que ce soit pour tirer des arbres dans les exploitations forestières, pour labourer les champs ou pour transformer des forêts en terres agricoles, détruisant ainsi leur habitat au profit de l’homme. Les mauvais traitements éclipsent parfois la vénération que l’homme voue à l’éléphant. » (Steve BLOOM (Écrivain et photographe américain) – Photos de l’auteur