
L’aristocrate et marquis italien, collectionneur compulsif, Giampietro Campana, a réussi, entre 1830 et 1850, la constitution d’une collection d’œuvres d’art fabuleusement incroyable, donnée comme la plus grande du XIXe siècle – C’est un mélange abondant et éclectique comprenant, d’après les douze catalogues qui furent publiés en 1858 (Cataloghi Campana ), différentes catégories : les vases ( il y en avait près de 3800 , grecs, étrusques, romains ) – les bronzes – les bijoux et monnaies (une grande partie des monnaies venait des collections de son père / Pour les bijoux, leur restauration fut confiée à des éminents joailliers de l’époque ) –les terres cuites ( elles ont toujours suscité admiration et intérêt de la part de Campana ) – les verres – les peintures antiques – les sculptures antiques – les peintures avant 1500 – les peintures après 1500 (en peinture, il avait un goût prononcé pour les primitifs italiens) – les majoliques – les sculptures de la Renaissance – les objets de curiosité . Certaines de ces pièces sont à considérer comme de véritables chefs-d’oeuvre.




Si, au départ, cette collection fut constituée dans une espèce d’esprit » patriotique » puisque désireux de porter haut le patrimoine italien, elle connaîtra un avenir mouvementé, pour ne pas dire dramatique, compte tenu du fait que Campana sera condamné pour malversation, ce qui entraînera sa ruine et la vente des œuvres par les Etats pontificaux. Le tsar Alexandre II va en acquérir une partie ( environ 470 pièces ) , Napoléon III une autre ( sur les conseils du surintendant des Beaux Arts de l’époque, à savoir Emilien de Nieuwerkerke – total : 11.835 objets ) , respectivement, pour le musée de l’Ermitage, le musée du Louvre et autres musées de province en France (dont notamment celui d’Avignon ) . L’Angleterre elle aussi, va en acheter une partie non négligeable, pour le Victoria et Albert Museum ( notamment la belle collection Gigli)
Au départ, Napoléon III eut dans l’idée d’exposer cette collection au Louvre. Malheureusement rien n’avait été préparé dans ce lieu pour la recevoir. C’est donc au Palais de l’Industrie ( en lieu et place désormais du Petit et Grand Palais de Paris ) dans le musée Napoléon III, qu’il fut possible de la découvrir dans dix salles . Lorsque ce musée sera fermé en 1862 , les collections furent placées pour une partie au Louvre en 1863 , et pour une autre dans différents établissements muséaux de France pour respecter la politique de distribution.
Parmi eux, se trouvait celui du Petit Palais d’Avignon où furent déposés (après restauration ) environ 350 tableaux italiens.


Le musée du Louvre, en collaboration avec le musée de l’Ermitage de Saint Pétersbourg, a souhaité mettre une partie de cette collection en lumière , mais au-delà de cela, s’intéresser à la personnalité romanesque de ce marquis, aborder aussi la société dans laquelle il a évolué et bien entendu, savoir comment il a réussi à constituer ladite collection. Elle s’intitule :
» Un RÊVE D’ITALIE – Collection du marquis Campana » jusqu’au 18 Février 2019 ( Après Paris, elle sera accueillie à Saint Pétersbourg du 19.7.2019 jusqu’au 20.10.2019, en ayant fait un petit détour au musée du Capitole à Rome –
Giampietro Campana ( marquis de Cavelli ) est né à Rome en 1808 ( certains disent en 1809 ) dans un milieu bourgeois assez aisé. Dans la famille bon sang ne saurait mentir : grand-papa avait déjà une folle passion pour les fouilles et en avait réalisé de nombreuses dans la région romaine. Quant à papa il collectionnait les médailles. De plus, Giampietro a grandi dans une propriété où se trouvaient rassemblées toutes sortes d’antiquités gréco-romaines que les deux hommes avaient pris grand soin d’accumuler.
Tout comme eux, il deviendra inspecteur puis directeur du mont-de-piété de la capitale italienne. Ce qui n’était pas rien à l’époque compte tenu du fait qu’elle représentait l’une des plus importantes institutions financières des États Pontificaux. De cette institution plutôt archaïque, il va en faire une banque florissante qu’il va gérer jusqu’en 1840, un établissement puissant, ce qui lui amènera les honneurs, la réputation et le succès.
Ce poste va lui permettre de développer certaines innovations comme par exemple obtenir de l’État pontifical des fonds qui permettaient une augmentation des prêts. Par ailleurs, la Caisse des dépôts fut annexée au mont-de-piété. Campana prendra la décision de lui donner un rôle de banque avec un intérêt annuel par rapport aux sommes qui étaient déposées, ce qui aura pour conséquence d’augmenter les prêts et d’enrichir cette institution.
Dès 1820, il va commencer à ressentir les symptômes de la collectionnite aigüe et de l’anticomanie ( passion des objets anciens) ! Certes il a chiné dans des marchés d’antiques comme cela pouvait se faire, que ce soit à Rome, mais aussi à Florence et à Naples . Et bien sur il a beaucoup acheté ! Mais il ne s’est pas cantonné uniquement à cela …. Compte tenu du fait qu’il était membre de certaines sociétés archéologiques, il va entreprendre, en 1831, différentes fouilles tout autour de Rome, notamment celle de la Porta Latina qui débouchera sur la découverte du Pomponius d’Hylas, laquelle lui apportera l’assurance d’une continuité et succès auprès du cardinal Pacca qui l’engagera afin de diriger les fouilles d’Ostie. Dans la foulée, il le nommera directeur du Mont-de-Piété.
La présence des tombes de l’époque impériale, des vases, des terres cuites, des fragments de plaques architecturales importantes vont l’amener à multiplier les fouilles pour déterrer des véritables chefs-d’œuvres. Il va acquérir la réputation d’être un collectionneur curieux, sérieux, attentif, avec un œil avisé et averti.


Quant à son épouse Emily Rowles non seulement elle soutenait son mari dans cette folie insatiable , mais elle profitera des bijoux que les fouilles archéologiques, lancées par son boulimique de mari, découvriront . On pense que ce soit sa mère, Madame Crawford, qui ait agi auprès de Napoléon III pour qu’il s’intéresse au sort de son beau-fils lors de son emprisonnement, mais également à la collection. Un retour de service en quelque sorte, car elle avait, non seulement, aidé l’empereur lors de son exil en Angleterre , mais lui avait versé de l’argent pour le coup d’État de 1852.


Il va également courir vers d’autres lieux, d’autres fouilles , rencontrer des marchands d’art, voir les collections particulières, mais également s’attacher les services d’un agent florentin (Ottavio Gigli : détenteur, lui aussi, d’une collection personnelle de sculptures médiévales et de la Renaissance italienne, laquelle fut mise au Mont-de-Piété à Rome en 1855 – Elle fut associée à la collection Campana). De plus, on note la présence de plusieurs restaurateurs fort compétents qui ont également travaillé pour lui sur des fragments de pièces antiques.


Les œuvres accumulées seront dispersées dans ses différentes résidences : la villa familiale de Latran ( pièces du palais et extérieurs ) , le palais du Corso, et diverses salles du Mont-de-Piété, ainsi que d’autres divers endroits qu’il possédait ( comme par exemple la villa Margutta ) qui ont accueilli, plus tard, des peintures, des sculptures de la Renaissance. Il est bien certain que plus la collection grandissait, plus il fallait trouver des lieux pour l’entreposer etc….

En ce qui concerne les peintures, très peu de documents nous renseigne sur l’origine de cette collection, regroupant des tableaux des XIIIe – XIVe et XVe siècles. On pense qu’il a commencé à s’y intéresser vers le milieu du XIXe siècle. Parmi les œuvres, certaines étaient assez monumentales (Croix de Giotto ou Bataille de San Romano d’Ucello, notamment)

Ces lieux deviendront quasiment des musées, mais surtout des réserves et peu de monde pouvait les voir dans leur intégralité d’ailleurs. Le problème c’est que sa fièvre de collectionneur s’amplifie et qu’il n’a plus les fonds nécessaires pour ses acquisitions et pour de nouvelles fouilles . Alors comment faire ? … Eh bien il va se mettre à tout confondre, prendre la caisse des fonds-publics pour la sienne et piocher allègrement dedans, s’accordant des prêts personnels dirons-nous , pour assouvir sa soif de nouveaux achats.
Malheureusement, ces pratiques allant toujours crescendo, elles finiront par alerter les contrôleurs financiers dès 1847 ( il ne sera pourtant arrêté que dix ans plus tard ) . Il va se retrouver dos au mur, pris à la gorge et décidera de vendre quelques-unes de ces pièces, ce qui se révélera pas très difficile vu leur qualité et leur beauté. La France, la Russie et l’Angleterre seraient les trois pays potentiellement intéressés pour les acquérir … Oui mais voilà … La guerre de Crimée va opposer ces trois pays et très franchement, acheter les œuvres de Mr Campana, à ce moment précis, fut le cadet de leurs soucis.
En 1857, le célèbre marquis est arrêté pour malversations. Cette arrestation débouche sur un procès et toutes ses collections furent saisies par l’État pontifical la même année. L’affaire fait scandale et la une des journaux nationaux et internationaux, notamment lorsque l’on apprend que Mr le marquis avait copieusement pioché dans les caisses , ce qui amèna à penser que peut-être l’État pontifical était complice lui aussi ! Pour mettre fin à ce genre de suppositions et que la situation ne s’envenime davantage, on le condamne aux galères pour vingt ans – Il fut emprisonné, mais grâce à l’intervention française de Napoléon III il ne restera pas longtemps en prison puisqu’il sort en 1859, deux ans plus tard. Sa peine sera commuée en un exil à perpétuité.
» Dans la nuit du 28 novembre, l’autorité a fait arrêter dans son palais une personne l’entourait l’éclat d’une grande situation et à laquelle quelques travaux d’archéologie et surtout la beauté et la richesse de ses collections, avaient donné une sorte de célébrité. Il s’agit de Mr le marquis Campana, directeur général du Mont-de-Piété. A Rome, cet établissement n’est pas destiné seulement à soulager les pauvres par des prêts sur gages, il est aussi une espèce de banque de dépôts fort accrédités. Les motifs qui ont amené l’arrestation de Mr Campana sont des irrégularité de la plus grave nature dans sa gestion administrative … » ( Article dans le Journal des Débats en 1857 )
En 1861, la papauté décide d’une vente qui permettra de remettre l’argent là où le marquis l’avait pris, à savoir les caisses de l’État. Beaucoup de monde se rendra à Rome pour voir cette incroyable collection et bien sur, faire des offres. . L’Angleterre, dans le plus grand des secrets, avant même la vente publique, avait déjà envoyé un émissaire à Rome afin qu’il puisse étudier sur place ce qu’il conviendrait d’acquérir ( notamment des œuvres de la Renaissance et des majoliques ). Nicolas II se lance, pour la Russie, dans l’achat de marbres et vases antiques. Napoléon III, mécontent de voir qu’on l’avait devancé, fera le maximum pour rafler une mise importante à savoir plus de 11.000 pièces qui seront réparties au musée du Louvre et dans d’autres institutions muséales françaises. Sa riche collection sera donc dispersée !
Une fois libre, le couple Campana partit en exil pour la Suisse en 1865. Une revue diffusée dans ce pays ( Art Passions ) nous informe sur ce détail et indique que les frais d’avocat du marquis furent payés par six antiques qu’ils avaient pu mettre de côté.


