Le musée du quai Branly-Jacques Chirac est riche d’une prestigieuse collection d’oeuvres d’art dont 500 sont des tableaux. Environ 120 d’entre eux font l’objet depuis le 30 Janvier 2018 et jusqu’au 6 Janvier 2019 d’une exposition très originale,, intéressante, instructive, riche, réaliste ,portant comme son nom l’indique sur :
» Les peintures des lointains » (C’est le regard de l’Occident sur l’Orient de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle avec, pour la première fois, des oeuvres appartenant toutes au musée.)
Il s’agit de tableaux , méconnus pour la plupart, qui furent commandés et acquis pour l’exposition coloniale internationale en 1931 à Paris. Lorsque cette manifestation prit fin, les toiles ont revêtu une certaine importance au musée des Colonies de la porte dorée de 1931 à 1935, puis au musée de la France d’Outre-Mer de 1935 à 1960, lequel deviendra musée des arts d’Afrique et d’Océanie. Elles vont y rester de 1960 à 2006 puis remises, en héritage par décret, au musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
Toutefois, en 1960 , ces oeuvres ( dites d’art colonial bien que le mot ne soit pas très bien perçu ) ne représentaient plus un grand intérêt , on a même préféré ne plus s’y intéresser et voire même » les oublier » . Elles furent donc placées dans des réserves où elles ont été conservées durant des décénnies (malheureusement pas dans des conditions très optimales) jusqu’au jour où il apparut très intéressant de se pencher sur le sujet, de comprendre qu’il fallait porter un autre regard sur elles, et surtout de révéler la collection au grand public. Elles sont donc sorties de l’oubli afin d’être dépoussiérées, nettoyées, voire même restaurées.
Il fallait être quelque peu audacieux pour se risquer à une telle exposition parce que le thème peut paraître délicat . En tous les cas, ce n’est nullement provocateur, il n’y a pas de prise de position ou autre qui pourrait déplaire et ce n’est certes pas une éloge de la colonisation ( l’expo ne porte pas exclusivement sur elle d’ailleurs ) . Elle n’a pas été faite pour ranimer de vieilles rancoeurs, des tristesses ou des passions.
Tout au contraire, il s’agit d’ une exposition très intéressante, passionnante, fort bien faite, précise, qui permet de comprendre comment et pourquoi beaucoup ont souhaité et aimé découvrir et se rendre sur ses terres lointaines, comment ils les ont ressenties, quelles furent leurs pensées, leurs sentiments, leurs points de vue, leurs convictions leurs émotions ; comment ils ont abordé les différentes cultures et s’en sont imprégnés ; découvrir des oeuvres , riches d’histoire, de connaissances, de savoir et qui sont de véritables petits trésors
Par ailleurs, elles permettent d’admirer le travail de peintres dont certains sont vraiment méconnus, et tout ce que ces voyages ont pu apporter d’enrichissant dans les échanges entre artistes comme par exemple les techniques différentes : laques, estampes japonaises, artisanat local etc… et réciproquement ce que les artistes locaux ont pu, eux aussi, apprendre de ceux qui venaient d’ailleurs.
Des oeuvres qui furent parfois des commandes bien précises, d’autres qui sont nées par initiative personnelle, par souhait de s’en aller vers plus d’exotisme, de renouveau, et découvrir une autre lumière, des couleurs magnifiques, flamboyantes, chatoyantes qui finalement ont sublimé un peu les colonies.
Le parcours de l’expo se compose de trois grandes sections :
-Séduction des lointains : qui aborde le thème de ces paysages idéalisés par la littérature et que bien des artistes, peintres, explorateurs, marins, médecins (qui sont également partis afin de se confronter aux maladies tropicales et tenter de les éradiquer ) missionnaires etc… ont pu découvrir : les ports, les paysages, les marchés ( souks ) , les scènes de la vie quotidienne, les petits métiers, les étoffes, les maisons blanches, les ruelles des villages , les floraisons, la végétation luxuriante, la vie agricole , les vues d’un Orient paradisiaque.
-altérité plurielle : ce sont beaucoup de portraits divers et variés. De nombreuses personnes y sont représentées, toutes issues de cultures différentes : ceux, européens, qui ont fait le voyage, mais aussi ceux qui vivaient dans ces terres lointaines : africains, des indiens, polynésiens, vietnamiens etc …




-appropriations des lointains : il s’agit de l’accélération de l’expansion coloniale par les européens et la confrontation entre ceux qui arrivent ( fiers de se considérer comme » civilisés » mais qui, à la limite, admire » l’autre » parce que probablement plus heureux dans un monde éloigné de la corruption ) et ceux qui s’y trouvaient déjà et que l’on avait tendance à considérer, au départ, comme primitifs mais de qui, finalement, on va apprendre.
Ces contrées lointaines idéalisées par la littérature avant même que l’on s’y soit rendu , l’exotisme de ces ailleurs, les paysages pittoresques qu’elles ont pu offrir, la nature sauvage des colonies, ont pu représenter un » renouveau » pictural, elles y ont largement contribué. Elles ont, en tous les cas, séduit et nourri l’imagination des peintres , mais aussi de toutes celles et ceux qui ont voulu les découvrir = Conchinchine ( au sud du Vietnam) , Nouvelle Calédonie, Martinique, Polynésie, Madagascar, Gabon, Côte d’Ivoire, Cambodge , Maroc, Algérie, Sahara ( le désert fascinait par son immensité et cela le rendait quelque peu mystique) etc…. des millions de kilomètres pour de nouveaux panoramas.
Ces voyages étaient très recherchés, on les encourageait aussi, comme a pu le faire la Société Coloniale des artistes français qui décernait des prix et offrait des bourses afin de permettre à des jeunes artistes méritants de partir pour des horizons lointains de leur choix et se faire admettre dans des écoles étrangères de Beaux Arts (comme par exemple la villa Abd-El-Tif à Alger, sorte de Villa Médicis de Rome)

Ils sont partis comme ils ont pu : soit en embarquant avec des bateaux officiels de la marine, ou autres bateaux à vapeur, avec des expéditions. Ils feront le choix de partir pour des durées limitées, d’autres prendront l’option de l’illimité et même décideront de rester pour vivre définitivement , s’installer, se marier sur place, apprendre la langue et la religion du pays comme par exemple Etienne Dinet qui non seulement a appris l’arabe mais s’est converti à l’islam, ou Maxime Noiré qui choisira de vivre tel un nomade dans le désert ou bien encore Pierre Heidmann qui créera un atelier d’art malgache à Madagascar où il était arrivé en 1928.

Mis à part les peintres nommés ci-dessus on note également dans l’expo , des oeuvres d’artistes connus ou méconnus comme par exemple :
Paul Gauguin – Lucien Lièvre – Charles Camoin – Henri Matisse – Léon Armand – Pierre Loti – André Herviault – Antoine Lyée de Belleau – Edouard Auguste Nouveaux – Jules Migonney -Louis Dumoulin –
Emile BERNARD (qui après avoir porté un grand intérêt pour la Bretagne, Tahiti, l’Italie, partira pour l’Egypte chargé par des missionnaires de décorer un monastère catholique. Il va y rester plus de dix ans ( en faisant de temps à autres quelques échappées en France et en Espagne ). Il épousera une catholique d’origine syrienne.)


– Léon Cauvy qui a dirigé l’Ecole nationale des Beaux Arts. Il fut pensionnaire à la villa Abd-El-Tif d’Alger qui recevaient les artistes boursiers métropolitains.
– Prosper Marilhat qui partira durant deux ans, en tant que dessinateur, à l’âge de 20 ans, en Grèce, Syrie, Palestine,Egypte et qui mourra complètement dément à 36 ans.

Marcel Mouillot qui se voulait marin et fut un très bon peintre de paysages exotiques. Il s’est rendu à Madagascar, mais son terrain de prédilection fut l’Ile de la Réunion avec ses volcan et sa végétation luxuriante.

Charles Dominique Fouqueray, peintre de la marine qui accomplira de nombreux voyages durant près de dix ans en Afrique du Nord et en Indochine d’où il ramènera de nombreux dessins, des peintures et aquarelles.

-Paul Mascart (administrateur des douanes, peintre à ses heures perdues et qui partira un jour pour la Nouvelle Calédonie avec sa famille ) ou ceux qui furent envoyés par le ministère des Colonies-André Suréda qui a fait très souvent des voyages en Algérie. Il avait même ouvert un atelier à Alger

…. Mais aussi Maxime Noiré – Suzanne Frémont- Jeanne Thil — Vincent Courdouan – Georges Lespès – Louis Robert Bâte – Fernand Lantone (Peintre de la marine, il a effectué de nombreux voyages en Afrique du Nord. ) –
Jean DUNAND : un des plus grands maîtres occidentaux de la laque. Il fut initié à cette technique par un grand maître japonais : Seizo Sugarawa. Il affectionnera alors les décorés représentant très souvent la végétation de la jungle et des animaux d’Afrique ou d’Asie


– Marc Alfred Chateaud – Paul Jacoulet – Félix Marant-Boissauveur – Louis Raoelina – Narcisse Berchère ….. et bien d’autres encore qu’il faut voir !


Un espace est également mis en lumière dans l’exposition à savoir celui de Paul et Virginie, personnages issus du roman de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre. L’amour plein de tendresse des deux adolescents dont l’histoire finira de façon tragique , avec pour décor paradisiaque l’île Maurice, va connaitre en 1788 à sa sortie, un immense succès. C’est l’un des premiers romans à caractère exotique que compte la littérature française.
